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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2014.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur l’exil des forces vives de France

Président

M. Luc CHATEL

Rapporteur

M. Yann GALUT

Députés.

——

La commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France est composée de : MM. Luc Chatel, président ; Yann Galut, rapporteur ; MM. Philip Cordery, Charles de Courson, Mmes Monique Rabin, Claudine Schmid, vice-présidents ; MM. Sergio Coronado, Paul Giacobbi, Régis Juanico, Nicolas Sansu, secrétaires ; Mme Nicole Ameline, MM. Pouria Amirshahi, Étienne Blanc, Mme Sandrine Doucet, MM. Christian Franqueville, Yves Goasdoué, Marc Goua, Gilbert Le Bris, Frédéric Lefebvre, Jean-François Mancel, Mme Sandrine Mazetier, MM. Michel Piron, Christophe Premat, Mme Marie-Line Reynaud, M. Alain Rodet, Mme Sophie Rohfritsch, M. Boinali Said, M. Thierry Solère.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE UNE PROGRESSION DES DÉPARTS QUI CORRESPOND D’ABORD À UN RATTRAPAGE DE LA FRANCE PAR RAPPORT À SES PARTENAIRES 13

I. LA DIFFICULTÉ À DÉCOMPTER AVEC PRÉCISION LE NOMBRE DE FRANÇAIS PARTIS À L’ÉTRANGER 13

A. LE REGISTRE DES FRANÇAIS ÉTABLIS HORS DE FRANCE : L’OUTIL LE PLUS UTILISÉ MAIS QUI S’AVÈRE LACUNAIRE 14

B. D’AUTRES SOURCES D’INFORMATION 19

C. LA NÉCESSITÉ D’AMÉLIORER LES OUTILS EXISTANTS POUR DÉNOMBRER LES EXPATRIÉS 23

1. Les outils d’analyse sont aussi lacunaires à l’étranger 24

2. Les propositions de la commission d’enquête 25

II. LES VISAGES DE LA FRANCE QUI S’EXPATRIE : UN PHÉNOMÈNE PLUS COMPOSITE QUE PAR LE PASSÉ 29

A. PLUS DE DEUX MILLIONS DE FRANÇAIS INSTALLÉS À L’ÉTRANGER 29

B. UNE DIASPORA FRANÇAISE BIEN MOINS DÉVELOPPÉE QUE D’AUTRES PAYS 37

C. UN SOLDE MIGRATOIRE POSITIF EN TERMES DE POPULATION QUALIFIÉE 39

DEUXIÈME PARTIE : LE DÉVELOPPEMENT DE L’EXPATRIATION DES FRANÇAIS : UN PHÉNOMÈNE À MULTIPLES FACETTES QUI S’INSCRIT DANS LA DYNAMIQUE DE LA MONDIALISATION 47

I. LA GÉNÉRALISATION DE LA MOBILITÉ INTERNATIONALE DES ÉTUDIANTS : LE RÉSULTAT D’UNE POLITIQUE VOLONTARISTE 47

A. LES ÉTUDES SE CONÇOIVENT DÉSORMAIS DANS UN CADRE INTERNATIONALISÉ 49

1. L’échelle européenne et nationale 49

2. L’internationalisation des établissements d’enseignement supérieur 51

3. L’envie de départ des étudiants 53

B. UNE INTERNATIONALISATION PORTEUSE D’INÉGALITÉS 55

C. LE SYSTÈME D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR FRANÇAIS RESTE ATTRACTIF POUR LES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS 57

1. L’attractivité des diplômés étrangers : un enjeu de compétition mondiale 57

2. Les atouts et les faiblesses du système d’enseignement supérieur français 59

3. Les points d’amélioration 63

II. LA PART IMPORTANTE DES DÉPARTS POUR DES MOTIFS DE TRAVAIL REFLÈTE L’INTERNATIONALISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS 66

A. TRAVAILLER À L’ÉTRANGER, UNE ÉTAPE DE PLUS EN PLUS NATURELLE DANS UNE CARRIÈRE 66

1. La part prépondérante des motivations professionnelles dans l’expatriation 66

2. Les expériences à l’étranger reconnues comme un réel atout 69

3. Des évolutions perceptibles dans l’expatriation professionnelle 72

B. L’EXPATRIATION PROFESSIONNELLE PEUT AUSSI REFLÉTER LES DIFFICULTÉS DU MARCHÉ DU TRAVAIL, NOTAMMENT POUR LES JEUNES 84

1. Les incidences du maintien du taux de chômage des jeunes à un niveau élevé 84

2. Le poids de la hiérarchie des diplômes en France 89

III. UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU : L’EXPATRIATION DES RETRAITÉS 90

A. UN PHÉNOMÈNE DIFFICILE À MESURER AVEC PRÉCISION 91

1. Un mouvement déjà engagé dans d’autres pays 91

2. Les règles applicables aux retraités français résidant à l’étranger 93

3. La difficulté à identifier les retraités expatriés, parmi l’ensemble des bénéficiaires de pensions de retraite françaises 96

B. LA RECHERCHE DE DESTINATIONS OFFRANT UN MEILLEUR POUVOIR D’ACHAT ET UNE BONNE QUALITÉ DE VIE 101

1. Les atouts recherchés par les candidats à l’expatriation, des écueils à éviter 101

2. Des dispositifs spécifiques mis en place par certains pays pour accroître leur attractivité auprès des retraités 104

TROISIÈME PARTIE : LA FRANCE DANS LA COMPÉTITION INTERNATIONALE : UNE PLACE À MAINTENIR 109

I. UN CONTEXTE DE CONCURRENCE FISCALE ACÉRÉE 109

A. LA TENTATION DE L’EXIL FISCAL : ANTIENNE OU ACCÉLÉRATION ? 109

1. Les observations empiriques des professionnels 110

2. Quoique difficile, la connaissance de l’exil fiscal par l’administration progresse 113

3. Des conséquences difficiles à mesurer 130

B. LA POSITION COMPARATIVE DE LA FRANCE EN MATIÈRE DE FISCALITE DES PERSONNES 134

1. Les principales motivations avancées pour expliquer les départs 134

2. Les destinations de prédilection des « exilés fiscaux » 137

3. Aller au-delà des idées reçues sur le système fiscal français 146

C. TROUVER UN ÉQUILIBRE ENTRE LA JUSTICE FISCALE ET L’ATTRACTIVITÉ DE NOTRE PAYS 154

1. Une taxation des revenus du patrimoine répondant à des objectifs d’équité, tout en prenant en compte les enjeux d’attractivité 154

2. Des choix confirmés par les récents travaux de l’OCDE 157

3. Un point d’amélioration : les relations entre administration fiscale et contribuables 159

II. L’ATTRACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DU TERRITOIRE FRANÇAIS, SOURCE D’UNE VIGILANCE ACCRUE 162

A. LES ACTEURS ÉCONOMIQUES JUGENT SÉVÈREMENT L’ÉVOLUTION DE LA COMPÉTITIVITÉ DE LA FRANCE CES DIX DERNIÈRES ANNÉES 162

1. Un déficit d’image vue de l’étranger 162

2. Une compétitivité économique jugée affaiblie 164

3. Un environnement administratif jugé pesant 170

B. DES TENDANCES RELATIVISÉES PAR L’INTERNATIONALISATION CROISSANTE DES ÉCONOMIES 172

C. LA FRANCE CONNAÎT TOUJOURS UNE RÉELLE ATTRACTIVITÉ, QU’IL FAUT PRÉSERVER PAR DES MESURES AMBITIEUSES 176

1. La France dispose de solides atouts qui assurent le maintien de sa compétitivité 176

2. Rendre la France plus attractive pour les entreprises 178

D. LES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER : DE NOUVELLES FORCES VIVES POUR LA FRANCE 185

1. Les atouts d’une diaspora bien accompagnée 185

2. Les enjeux du retour : faire en sorte que nos expatriés veuillent et puissent revenir 203

CONCLUSION 211

RÉCAPITULATION DES PROPOSITIONS 213

EXAMEN EN COMMISSION 217

CONTRIBUTIONS 231

Contribution du groupe Socialiste, Républicain et Citoyen 231

Contribution des groupes Union pour un Mouvement Populaire et Union des Démocrates et Indépendants 233

Contribution individuelle de MM. Christophe Premat, Philip Cordery et Pouria Amirshahi, membres du groupe Socialiste, Républicain et Citoyen 250

Contribution de M. Frédéric Lefebvre, membre du groupe Union pour un Mouvement Populaire 252

Contribution individuelle de Mme Monique Rabin, membre du groupe Socialiste, Républicain et Citoyen 270

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 273

   

– M. Jean-Yves Durance, vice-président et M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France

274

– M. Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du Cabinet Deloitte

289

– M. Étienne Wasmer, co-directeur, et M. Pierre-Henri Bono, chercheur, au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP, Sciences Po.)

302

– Mme Élisabeth Crépon, présidente de la commission Développements et partenariat de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) et présidente de l’École nationale supérieure des techniques avancées de Paris (ENSTA Paris Tech)

359

   

– M. Julien Roitman, président de l’Association des ingénieurs et scientifiques de France

369

– M. Bernard Ramanantsoa, président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles et directeur général d’HEC Paris

377

   

– M. Antoine Godbert, directeur de l’Agence Europe-Éducation- Formation-France (2E2F)

385

– Mme Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus-France (Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale)

397

– M. Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales de l’OCDE

410

– M. Guillaume Bordry, Président de l’Association des directeurs d’IUT et directeur de l’IUT Paris Descartes et M. Stéphane Lauwick, Directeur de l’IUT du Havre et membre du bureau de l’Association des directeur d’IUT

448

– MM. Jean-Loup Salztmann, président, et M. Khaled Bouabdallah, vice-président, de la Conférence des présidents d’université

452

– M. Pascal Coudin, président de l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) et de M. Marc Bornhauser, président de la commission Fiscalité patrimoniale de l’IACF

461

– Mme Florence Trouillot, directrice de la publication du site Expatunited.com

M. Hervé Heyraud, président du site Lepetitjournal.com

482

– MM. Nicolas Gaume et Julien Villedieu, président et délégué général du Syndicat national du jeu vidéo

490

– Audition de M. Denis Colombi, doctorant au Centre de sociologie des organisations, sur « La mondialisation abordée d’un point de vue sociologique »

505

   

– Mme Manon Laporte, avocate fiscaliste, auteure de « Exilés fiscaux – Tabous, fantasmes et vérités »

516

– M. Louis Eudes, président de Délocalia, société de conseil en investissement immobilier à l’étranger et de relocation de retraités à l’étranger

523

– Table-ronde de professionnels de la relocation et de la mobilité internationale, membres ou non du Syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité, (SNPRM) : Mme Martina Meinhold (Management mobility consulting), Mme Corinne Johansson, (Nova relocation), Mme Audrey Goutille (Helma International), M. Thierry Schimpff (SNPRM), M. Maxime Boisnard (MRS Management), M. Jorge Prieto Martin (RHExpat.com)

530

– M. Gérard Pélisson, président de l’Union des Français de l’étranger, et de Mme Hélène Charveriat, déléguée générale

539

– M. Antoine Leboyer, président de GSX (société basée à Genève)

546

– M. Pascal Faure, directeur général de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) au ministère de l’Économie, du redressement productif et du numérique

555

– M. Serge Boscher, directeur général de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII)

563

– M. Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général du groupe Total

571

– M. Alban Schmutz, Senior Vice-président de OVH.com group

578

– M. Bruno Parent, directeur général de la Direction générale des finances publiques (DGFiP)

586

– M. Arnaud Vaissié, président de International SOS (société basée à Londres) et président de l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (UCCIFE)

596

   

– Table-ronde réunissant des professionnels de l’immobilier de prestige : M. Philippe Bogacki (Lux-Residence), M. Laurent Demeure (président de Coldwell Banker France), MM. Émile Garcin et Philippe Boulet (Agence Émile Garcin), M. Charles-Marie Jottras (président de Daniel Féau) et M. Thibault de Saint-Vincent (président de Barnes)

604

   
   

– M. Christophe Bouchard, directeur de la Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des Affaires étrangères et du développement international

615

– M. Jérôme Lecat, président directeur général de Scality (société basée dans la Silicon Valley) et auteur d’une lettre ouverte au Président de la République en février 2014

624

– M. David Monteau, directeur de la Mission French Tech

630

– Mme Nicole Goulard, avocate fiscaliste associée au cabinet Jeantet Associés

636

   

– M. Éric Hebras, avocat en droit fiscal français et international, associé au cabinet Genesis

644

– M. Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger

652

INTRODUCTION

La commission d’enquête « sur l’exil de forces vives de France » a été créée le 9 avril 2014 à l’initiative du groupe UMP qui a utilisé à cette occasion le « droit de tirage » qu’il détient de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Dès la discussion au sein de la commission des Finances puis dans l’hémicycle, la terminologie utilisée dans l’intitulé de la commission – le mot terrible d’« exil » évoque une obligation voire, dans les temps anciens, une peine infamante – ainsi que le ton de la proposition de résolution tendant à la création de celle-ci n’ont pas manqué de susciter des réactions parfois vives, pas seulement sur les bancs de la majorité. Certains membres de la commission ont estimé qu’il faudrait revoir son intitulé, même s’il n’est plus possible désormais de modifier la résolution qui a créé la commission. Puis, plusieurs des personnes entendues par la commission d’enquête ont également fait part de leurs réserves, voire de leur gêne.

Le rapporteur est convaincu que la question de l’expatriation de nos concitoyens doit être analysée avec mesure et sans esprit partisan.

La mesure et l’absence d’esprit partisan sont d’autant plus indispensables que, constat désormais classique mais néanmoins stupéfiant, les Français figurent parmi les peuples les plus pessimistes sur l’avenir de leur pays. Selon une étude de l’institut américain Pew Research Center, qui vient d’être publiée, 48 % de nos compatriotes estiment que la situation économique du pays va se dégrader dans les douze mois à venir. Ce qui nous classe juste derrière les Grecs (53 % de pessimistes) mais devant les Libanais et les Palestiniens !

Il importe donc que les responsables politiques, de quelque bord qu’ils appartiennent, veillent à ne pas nourrir cette sinistrose et cette forme de délectation morose qui nuit tant à l’image de notre pays à l’étranger.

Pour autant, le rapporteur ne veut pas nier que la question des Français résidant hors de France, des motivations de leur départ, de leur intention de revenir dans notre pays et la nécessité de déterminer ce que ces évolutions disent de l’attractivité et de la compétitivité de la France sont des questions légitimes qu’il est indispensable de poser pour déterminer les réformes dont notre pays a besoin pour conserver sa place dans la compétition économique internationale.

C’est la raison pour laquelle les travaux menés par la commission d’enquête se sont néanmoins révélés très intéressants.

« C’est sans doute parce que la France n’a jamais été une terre d’émigration que les évolutions récentes nous surprennent » a déclaré l’une des personnes entendues par la commission au cours de ses auditions (1).

Y a-t-il lieu de s’inquiéter que le nombre de Français résidant à l’étranger ait augmenté au cours des dernières années plus rapidement que la population française dans son ensemble ? Plusieurs des personnes auditionnées ont répondu par la négative à cette question, soulignant que cette évolution marquait d’abord et avant tout un « rattrapage » – les diasporas britannique ou allemande sont bien plus nombreuses – et une meilleure insertion de notre pays et de ses ressortissants dans la mondialisation. Il y aurait quelque paradoxe à regretter – pire à s’inquiéter – d’une telle évolution, alors que tant de beaux esprits se sont pendant si longtemps désolés du caractère casanier de nos compatriotes ou de leur méfiance maladive à l’égard de la mondialisation.

Cela a été dit à plusieurs reprises devant la commission : ce rattrapage n’a pas été passif. Il marque d’abord la réussite de politiques volontaristes librement adoptées par notre pays : la construction européenne d’abord – près de la moitié de nos résidents à l’étranger vit en Europe –, l’internationalisation de l’enseignement supérieur dont Erasmus est le visage, ensuite.

Cependant, ce contexte global incontestable ne peut conduire à écarter d’autres explications dont il est impossible de se réjouir.

On ne peut nier que la situation économique de notre pays, marquée par l’absence de croissance et un recul de sa compétitivité et de son attractivité au cours des dix dernières années, joue son rôle dans l’évolution des départs de France constatée au cours des dernières années. Même si notre pays n’est pas, loin de là, le seul à affronter cette situation, le niveau élevé du chômage des jeunes ne peut que susciter des vocations au départ vers des pays moins touchés par le ralentissement de la croissance ou dont le marché du travail est plus dynamique. Là encore, tendances lourdes et explications plus conjoncturelles se renforcent l’une l’autre : c’est parce que les Français ont appris à penser « international » que la tentation de « tenter sa chance » à l’étranger est devenu plus naturelle ou, à tout le moins, plus facilement envisageable.

Outre la situation économique de notre pays, ont à plusieurs reprises été évoqués au cours des auditions des éléments qui relèvent davantage de la culture ou de l’organisation de la société française. Dans le premier registre, nos compatriotes manqueraient d’esprit d’entreprendre ou de goût du risque, la valeur travail serait en recul. Dans le second, la panne de la mobilité sociale et la « culture » du diplôme renforceraient l’attrait de l’étranger.

Tout cela joue à l’évidence son rôle dans l’évolution de l’expatriation des Français.

Outre que beaucoup de ces éléments s’appuient davantage sur des impressions que sur des données chiffrées robustes, le rapport de la commission d’enquête ne saurait être l’occasion de dresser un panorama complet des forces et des faiblesses de l’économie française, de décrire dans ces moindres recoins la fiscalité française et celle de nos principaux partenaires ou de fouiller la « psyché » du pays. De même, il n’entrait pas dans le champ d’investigation de la commission d’enquête d’étudier tous les aspects des conditions d’existence des Français résidant à l’étranger. Les six mois de travail de la commission n’y auraient pas suffi.

Plus modestement, il s’agit d’inscrire l’expatriation croissante de nos compatriotes dans le cadre plus global de la mondialisation et d’observer que, à l’instar des animaux malades de la peste chers au fabuliste, toutes les économies développées connaissaient un phénomène analogue.

Dans une première partie, le rapport fera apparaître que la progression des départs correspond avant tout, s’agissant de notre pays, à un rattrapage par rapport à nos principaux partenaires. Tout en soulignant les lacunes des outils et des études s’efforçant de décrire la population des Français de l’étranger, le rapport présentera les différents visages de la France qui s’expatrie.

Dans une deuxième partie, le rapport soulignera que cette dynamique de la mondialisation, à l’œuvre depuis de nombreuses années, s’observe dans la généralisation de la mobilité internationale des étudiants, dans l’internationalisation des parcours professionnels ou, phénomène plus mineur, dans l’apparition d’une expatriation à l’occasion de la retraite.

La troisième partie s’attachera à mesurer ce que l’expatriation révèle de la compétitivité et de l’attractivité de la France. La compétition internationale revêt plusieurs aspects, tant industriel, financier que fiscal. L’attractivité de notre pays appelle sans aucun doute une vigilance accrue. Cependant, notamment sur la question fiscale qui occupe à l’évidence la première place dans l’esprit des initiateurs de la commission d’enquête, le rapport risque de les décevoir. S’il s’attache à décrire objectivement les reproches récurrents faits au système fiscal français, le rapport ne proposera pas de détricoter la politique fiscale conduite par le Gouvernement, voire par ses prédécesseurs, puisque d’elle dépendent à la fois le rétablissement de nos finances publiques et la juste répartition des efforts demandés à nos concitoyens.

Cette dernière partie sera, en outre, l’occasion d’esquisser ce que serait une « politique diasporique », permettant à notre pays de mieux mobiliser la richesse qu’est, en fin de compte, l’existence d’une diaspora nombreuse et dynamique. Car, comme l’a déclaré M. Matthias Fekl, secrétaire d’État en charge des Français de l’étranger, les Français établis hors de France sont des atouts pour notre pays, puisqu’ils « démultiplient la présence de la France à l’international en portant l’image de notre pays, sa culture et sa langue. » (2)

PREMIÈRE PARTIE
UNE PROGRESSION DES DÉPARTS QUI CORRESPOND D’ABORD À UN RATTRAPAGE DE LA FRANCE PAR RAPPORT À SES PARTENAIRES

Même s’ils souffrent de lacunes auxquelles il conviendrait de remédier, les outils ou les diverses études tendant à décrire les expatriés français relativisent les évolutions récentes au regard de la situation de nos principaux partenaires. Ils dressent également le portrait d’une population plus jeune, plus active et plus diplômée que la population française dans son ensemble.

I. LA DIFFICULTÉ À DÉCOMPTER AVEC PRÉCISION LE NOMBRE DE FRANÇAIS PARTIS À L’ÉTRANGER

Le premier objectif de la commission d’enquête était de « proposer une analyse chiffrée de l’exil fiscal et de l’expatriation des entreprises et des contribuables. Il s’agira de mesurer tant l’exil patrimonial que l’exil des talents (…) hors de France depuis dix ans ».

Avant d’examiner ces dimensions, il faut considérer l’émigration française dans son ensemble. En effet, même centré sur un seul profil, un phénomène doit être mis en perspective pour que sa lecture soit complète, ce qui suppose en l’espèce de le replacer dans l’évolution globale des migrations (sorties comme entrées, nationales et internationales). Au demeurant, la commission d’enquête a retenu une conception de ses travaux pour englober tous ceux qui contribuaient ou auraient pu contribuer – et peuvent encore contribuer – à la richesse de notre pays sous divers aspects : actifs comme retraités, travailleurs comme investisseurs, diplômés comme étudiants… au final, tout le monde.

Quoi qu’il en soit, le premier constat de la commission d’enquête est le manque d’études statistiques solides et fouillées sur ces expatriations. En premier lieu par insuffisance de données représentatives et détaillées sur leur démographie, et plus encore sur leur sociologie. En effet, les sources d’information disponibles, bien que conséquentes pour certaines d’entre elles, sont fragmentaires ou ont un champ d’observation limité. Lors de son audition, M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, reconnaissait que les informations disponibles souffraient d’une marge d’incertitude qu’il avait « rarement observée » ailleurs. (3)

Il est apparu que jusqu’à récemment, la France ne s’intéressait guère à l’émigration de ses ressortissants, sa population montrant historiquement assez peu d’appétence pour l’aventure internationale. Notre pays s’est certes doté d’un outil de suivi riche d’informations avec le registre des Français établis hors de France, mais son fonctionnement et son contenu ne permettent pas une analyse très poussée. Or, au-delà du registre, les explorations et les études nationales du phénomène – autant publiques que privées – sont encore rares, souvent ciblées sur certains profils et toujours difficiles à mener vu l’ampleur du terrain (le monde), l’importance et la diversité de la population concernée, sans parler de l’inaccessibilité de certaines données. Cette dernière difficulté est particulièrement criante s’agissant des données économiques, patrimoniales et fiscales - comme on le verra dans les chapitres suivants.

Au surplus, croiser les résultats de ces études est délicat car, selon leurs cibles, elles ne retiennent pas les mêmes critères et peuvent se fonder sur des définitions différentes de l’expatrié. C’est également vrai avec les travaux menés au niveau international. Lors de son audition, M. Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (4), soulignait l’absence d’une définition partagée et les différences de périmètres d’étude et de décompte qui en découlent : en effet, se focaliser sur la nationalité omet les personnes ayant changé de nationalité et pose la question du traitement des multinationaux. Se limiter aux ressortissants nés en France ne tient pas compte des personnes nées françaises à l’étranger ou naturalisées françaises. Étudier ceux qui déclarent leur résidence à l’étranger ignore le phénomène des transfrontaliers et suppose de choisir entre résidence domiciliaire ou résidence fiscale, entre décompte des individus ou décompte des ménages…

La durée de séjour minimale retenue pour définir une migration n’est pas non plus sans conséquence. Au niveau international, la définition qui fait le plus consensus est celle définie par les Nations Unies en 1998, qui considère comme migrant « toute personne qui s’établit dans un pays pour une durée prévue de douze mois minimum, après avoir résidé dans un autre pays pendant une période de la même durée au moins ». Mais, n’imposant aucune durée minimale pour s’inscrire, le registre des Français établis hors de France, qui constitue le dispositif de décompte central de notre pays, n’entre pas exactement dans ce cadre.

A. LE REGISTRE DES FRANÇAIS ÉTABLIS HORS DE FRANCE : L’OUTIL LE PLUS UTILISÉ MAIS QUI S’AVÈRE LACUNAIRE

Le recensement officiel des Français installés à l’étranger repose sur l’inscription au « registre des Français établis hors de France ». Parmi les outils existants permettant de suivre nos ressortissants, il est de fait le plus large car il doit être tenu « dans chaque circonscription consulaire » (5) d’un des réseaux les plus développés au monde, et le plus systématique puisque ces inscriptions sont censées être réactualisées au bout de cinq ans.

Les flux constatés sont importants : en 2013, le registre mondial a connu 257 126 nouvelles inscriptions, dont environ 150 000 transferts entre circonscriptions consulaires, et 74 529 radiations. Au 31 décembre, il comptait 1,642 million d’inscrits.

Cette inscription permet au service consulaire de connaître et localiser la communauté française de la circonscription facilitant ainsi l’exercice de sa protection. Elle permet également plus facilement aux ressortissants l’accomplissement de certaines formalités administratives, de bénéficier de certaines aides et de recevoir des informations de leur poste consulaire.

Son objet est bien aussi de dénombrer les ressortissants français. Cependant, si tout ressortissant de nationalité française établi hors de France peut demander son inscription au registre « à tout moment de son séjour », celle-ci n’est plus obligatoire depuis 1961. Certes, la grande majorité des expatriés y ont recours en raison des services qui y sont associés (6). L’inscription au registre étant par ailleurs la première étape avant l’inscription sur la liste électorale consulaire, on constate aussi une plus forte mobilisation des ressortissants à l’approche des échéances électorales majeures.

Mais la démarche n’est pas systématique : les résidents des pays lointains ou des pays représentant des risques sociaux s’y inscrivent sans doute plus spontanément que les ressortissants installés dans l’Union européenne ou en Amérique du nord. Les binationaux sont également fortement représentés, leur inscription permettant avant toute autre considération de maintenir le lien avec la France. Ils constituent 42 % des inscrits au niveau mondial ; cette proportion s’élève à 65 % en Afrique du nord, 70 % au Moyen-Orient et 45 % en Afrique, mais seulement 30 % au sein de l’Union européenne. Au-delà de ces situations, le décompte officiel est vraisemblablement sous-estimé.

Lors de son audition, M. Étienne Wasmer, co-directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), confirmait ces lacunes du registre : « certains biais de sélection ne sont pas faciles à contrôler. Le registre inclut plus spontanément les résidents français qui vivent dans des contrées éloignées, auxquels l’inscription au consulat peut procurer un avantage, par exemple en cas d’accident. Les Français habitant dans des pays très proches sont vraisemblablement sous-déclarés, tout comme ceux qui envisagent une expatriation définitive. Le niveau d’études influe aussi sur le comportement de déclaration, de même que certains événements conjoncturels : on enregistre plus d’inscriptions au consulat avant une élection. » (7)

En outre, bien que cet outil offre des séries longues en raison de son ancienneté, leurs analyses tendancielles sont compliquées autant par les vagues d’inscriptions survenant lors d’événements tels que les élections présidentielles, que par la difficulté de tenir ce recensement à jour. En effet, dans le délai des cinq ans de présomption de validité, les désinscriptions et les modifications de situation (comme le déménagement dans une autre circonscription) se font sur une base déclarative spontanée. Quant au renouvellement au terme des cinq ans, il s’opère selon deux modalités : tout Français inscrit reçoit un avis trois mois avant le terme l’invitant à confirmer sa résidence. Faute de réponse à l’échéance, il est réputé ne plus résider dans la circonscription et est radié du registre. Cependant, si le chef du poste consulaire dispose d’informations de nature à établir avec certitude que la personne inscrite y réside toujours, il renouvelle cette inscription sans formalité particulière. L’intéressé en est ensuite avisé par courrier.

Le fait est qu’une radiation peut concerner une personne partie dans l’année ou plusieurs années auparavant. Ce biais interdit notamment d’en déduire de manière fiable les durées moyennes de séjour à l’étranger.

Afin d’encourager les inscriptions, et, partant, d’améliorer l’exhaustivité du recensement, M. Christophe Bouchard, directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des Affaires étrangères et du développement international (8), a entrepris de réformer le système pour le rendre plus souple et faire en sorte qu’il « renseigne mieux sur la sociologie des personnes concernées ». Il s’agirait au moins de simplifier les démarches administratives en permettant aux Français de s’inscrire en ligne, sans avoir à se déplacer ni à imprimer les formulaires. Mais il n’en restera pas moins un certain nombre de ressortissants ne voyant pas d’intérêt à se faire connaître, notamment au sein des communautés installées depuis longtemps.

En tout état de cause, cette inscription est l’occasion d’enregistrer les informations concernant l’identité du ressortissant, sa nationalité et son adresse dans la circonscription, ainsi que sa situation de famille et sa profession. Il apparaît toutefois que les formulaires de renseignement diffèrent d’un poste consulaire à l’autre et ne recueillent pas les mêmes informations – ce qui complique la consolidation des données et accentue la fragilité des résultats. En outre, l’expérience personnelle d’un des membres de la commission d’enquête révèle qu’au renouvellement de leur inscription, les résidents ne sont pas systématiquement invités à réactualiser l’ensemble des informations : ils peuvent ainsi être encore décomptés comme étudiants alors qu’ils sont actifs depuis longtemps. On doit déplorer enfin que le registre ignore d’autres données utiles à la connaissance de ces émigrations, telles que le niveau d’études ou l’emploi occupé.

En dépit de ces biais et de ces limites, l’ampleur du recensement autorise de véritables études statistiques publiées chaque année dans le rapport du directeur des Français de l’étranger et de l’administration consulaire. Elles permettent à tout le moins de dessiner des tendances instructives (cf. partie I.B) et ont longtemps constitué la source principale, voire unique, de l’analyse de l’émigration française par les autorités publiques nationales (9).

Toutefois, ces données ne se prêtent pas à des comparaisons internationales valables. Tous les pays ne suivent pas leurs ressortissants expatriés, à commencer par l’Allemagne. Quant aux études menées par l’OCDE, elles n’analysent qu’une partie des populations expatriées.

Enfin, le registre ne permet pas d’identifier les motivations de ces expatriations. Ainsi que M. Christophe Bouchard en témoigne, il n’existe pas, aujourd’hui, d’outil statistique permettant de les connaître, ni d’enquête systématique. Au mieux l’administration peut-elle se fonder sur les impressions de ses chefs de poste « par le contact quotidien [qu’ils entretiennent] avec nos compatriotes expatriés » ou tirer quelques déductions des données qu’ils recueillent par le registre ou les actes d’état civil : conclure, par exemple, de l’âge des intéressés au caractère essentiellement professionnel, ou non, de leur mobilité.

C’est cette pratique « quotidienne », plus qu’un croisement systématique des données avec les sources locales ou l’application d’une méthode solide d’extrapolation, qui conduit par ailleurs le réseau consulaire à estimer de 500 000 à 900 000 personnes le nombre des non inscrits au registre. Cette dernière évaluation n’ayant qu’une valeur très indicative, elle n’est plus prise en compte dans l’étude statistique du ministère.

L’estimation de la non inscription sur le registre

En 2006, pour tenter d’évaluer l’écart entre le décompte officiel et la réalité des communautés françaises dans les pays les plus proches, le ministère des Affaires étrangères avait mené huit études sur les six premiers pays d’Europe pour l’importance de la communauté française et sur les deux pays d’Amérique du nord.

Pour ces six pays européens représentant plus de 40 % de la population française établie hors de France (mesurée par le registre consulaire en 2005) – Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Royaume Uni, Suisse –, il ressortait que la population française établie était estimée, d’après ces études menées selon les techniques scientifiques habituelles au moyen des statistiques locales, à 780 000 personnes en 2005, y compris les binationaux, contre 525 000 par le registre consulaire ou 992 000 avec les estimations consulaires des non inscrits.

Le taux de couverture du registre consulaire aurait donc été d’environ 67 % pour ces pays. Autrement dit, pour obtenir le nombre de Français résidents, il convenait de multiplier le nombre d’inscrits par le coefficient 1,5.

Cf. rapport du directeur des Français à l’étranger et des étrangers en France publié en septembre 2007.

M. Christophe Bouchard considère qu’il serait possible de conduire une enquête sociologique par sondage. Tel n’est pas le cas actuellement. Néanmoins, afin de compléter la photographie démographique offerte par le registre, le ministère des Affaires étrangères a missionné la Maison des Français de l’étranger (MFE) pour explorer le profil socio-économique des expatriés par une enquête qualitative périodique. Sa quatrième édition, parue en mai 2013, s’est aussi attachée à connaître les motivations de leur départ.

Le questionnaire de la Maison des Français de l’étranger a été mis en ligne fin 2012 sur un site internet dédié. 8 937 personnes y ont répondu – ils étaient 3 400 lors de la précédente édition. La taille non négligeable de l’échantillon donne un sens aux tendances observées ; elles sont reprises par la plupart des analyses menées aujourd’hui sur le phénomène de l’expatriation. Il n’en reste pas moins que cet échantillon ne constitue pas une représentation statistique exacte de la population française expatriée. Lors de son audition, le sociologue Denis Colombi indiquait que « ces enquêtes posent des problèmes d’auto-sélection des répondants : ce sont ceux qui fréquentent le plus internet – il y a donc une surreprésentation des jeunes –, et aussi ceux qui ont quelque chose à dire. L’avant-dernière enquête du ministère laissait un champ d’expression libre ; il en est ressorti une forte tendance critique vis-à-vis de la France. Mais on peut faire l’hypothèse que ceux qui choisissent de répondre et de s’exprimer avaient un message à faire passer. Cela ne retire pas l’intérêt de leurs réponses, mais cela crée un biais qu’il faut garder à l’esprit. » (10)

La surreprésentation des jeunes actifs habitués à Internet est en effet manifeste : avec 54 % d’hommes et une majorité de personnes situées dans la tranche d’âge 25-40 ans, le panel est plus jeune et masculin que la population inscrite au registre ou même que la population vivant en métropole.

B. D’AUTRES SOURCES D’INFORMATION

On peut s’étonner que le décompte des expatriés français ne s’appuie pas davantage sur les riches bases de données de l’INSEE. Certes, la France ne dispose pas de registres de population, comme en Allemagne, en Espagne ou dans les pays nordiques, sur lesquels les résidents ont l’obligation de signaler leur arrivée et leur départ. Néanmoins, les recensements complets menés périodiquement par l’institut devraient, en principe, permettre de mesurer le bilan des échanges migratoires de notre pays et son évolution entre deux éditions et d’en identifier les caractéristiques démographiques et socio-économiques.

Ainsi, l’INSEE a-t-il estimé que les mouvements migratoires se soldaient par un apport positif de 520 000 personnes entre les deux recensements de 1990 et 1999.

Toutefois, outre que ces décomptes ne disent rien des pays de destination ni des motivations des départs, la méthode d’analyse de l’INSEE en matière d’émigration est sérieusement contestée : M. Hervé Le Bras, directeur de recherche à l’INED et directeur d’études à l’EHESS relève que les chiffres de l’INSEE montrent un manque de 480 000 personnes sur le recensement de 1999 par rapport aux effectifs qui auraient dû résulter de l’accroissement naturel de la population de 1990 et de l’accroissement migratoire « évalué ». L’Institut qualifie cette différence de « solde des omissions » qu’il aurait été logique d’ajouter à la population décomptée en 1999. Or, il ne les a pas réintégrées dans ses reconstitutions, les traitant de fait comme des émigrations, mais sans l’afficher. La reconstitution des calculs de l’INSEE par M. Le Bras (11) confirmerait cette lecture et montrerait un solde migratoire total plus modeste, de 60 000 personnes sur la période, et une émigration nette des jeunes. La classe d’âge des 10-20 ans en 1990 (soit 19-29 ans en 1999) pourrait avoir perdu 5 % de son effectif sur la période, cette évolution n’étant cependant que le prolongement accentué d’une évolution ayant commencé dès 1975.

Cela étant, les enquêtes Histoires de vie et Trajectoires et origines de l’INSEE constituent d’intéressantes sources d’informations en permettant d’identifier des résidents français ayant eu une mobilité internationale et en étudiant leurs parcours à travers les entretiens biographiques menés pour la première sur plusieurs années. Le sociologue Denis Colombi, auditionné par la commission d’enquête, les a utilisées pour alimenter son étude (12). Mais ne concernant que les personnes rentrées en France, elles ignorent ceux qui restent à l’étranger. Bien qu’utiles, leurs éclairages ne peuvent donc être généralisés.

L’enquête Trajectoires et Origines (TeO)

Menée conjointement par l’INSEE et l’Institut national des études démographiques (INED), elle permet d’analyser les migrations de tous les individus qui vivaient en France métropolitaine fin 2008-début 2009.

Ses premières publications (13) font apparaître que 21 % de la population âgée de 18 à 60 ans, soit 7,2 millions de personnes, ont vécu au moins un an hors de l’hexagone. Parmi eux, 3,6 millions sont des immigrés nés étrangers à l’étranger, 260 000 sont nés français dans un territoire de l’ex-empire colonial français, 290 000 sont natifs d’un DOM et 660 000 sont nés français hors de la métropole. Les 2,4 millions autres « migrants » sont, quant à eux, nés en France métropolitaine. Parmi ces derniers, 410 000 sont descendants d’immigrés et 220 000 autres ont un parent né hors de métropole.

Ce qui laisse 1,7 million de natifs n’ayant aucun immigrant (au sens large) parmi leurs ascendants directs qui ont vécu au moins un an à l’étranger, soit 7 % des 18-60 ans vivant en France métropolitaine en 2008.

() Publiés sur le site de l’INED dans Documents de travail 168, Premiers résultats, octobre 2010.

L’émigration française prenant désormais plus d’ampleur, d’autres initiatives nationales commencent à se développer.

Les dispositifs développés par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) pour dresser les bilans annuels de l’exit tax, des départs et des retours des redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ainsi que, désormais, des assujettis à l’impôt sur le revenu seront abordés dans la troisième partie du rapport. On soulignera cependant que dans la mesure où ces impôts sont fondés sur le concept de résidence fiscale et non celui de citoyenneté française, les foyers fiscaux étudiés peuvent ne pas être de nationalité française.

La plupart des autres études ciblent également des catégories précises : étudiants, jeunes diplômés, travailleurs… S’inscrivant dans une stratégie d’internationalisation de leurs formations, des grandes écoles, des associations de diplômés réalisent, parfois depuis plusieurs années, des enquêtes par sondage sur les parcours, y compris internationaux, de leurs publics et les motivations de leurs choix.

Certaines offrent des focus réguliers et fouillés : la Conférence des grandes écoles (CGE) publie une enquête Insertion des jeunes diplômés chaque année depuis 1993 et, tous les deux ans, son enquête Mobilité mesure l’ouverture des grandes écoles françaises sur le monde, l’internationalisation de leurs recrutements comme celle des cursus de leurs étudiants. L’édition 2013 de l’enquête Insertion a été administrée par 167 grandes écoles (sur les 186 adhérentes) et a recueilli 42 546 questionnaires exploitables, soit plus de 46 % des deux dernières promotions qui constituent sa cible. De même, 92 % des écoles membres ont participé à l’enquête Mobilité en 2013. L’Association des ingénieurs et scientifiques de France (IESF) (14) mène de son côté une enquête annuelle (via internet) sur la situation socioprofessionnelle des ingénieurs avec une excellente représentativité. Son édition 2013 (la 24ème), qui a recueilli près de 47 000 réponses sur les 745 000 ingénieurs diplômés en France en activité, a décliné à l’international ses rubriques traditionnelles sur l’emploi, la rémunération et la motivation. Leurs résultats seront présentés dans la deuxième partie.

D’autres ont une approche plus qualitative : on peut citer en particulier le Baromètre annuel de l’humeur des jeunes diplômés établi par le cabinet Deloitte depuis 2012 auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 jeunes ayant achevé leurs études, ou les enquêtes d’impact réalisées par l’agence française Europe-Éducation-Formation France (2E2F) chargée du programme européen Erasmus+ pour les volets éducation et formation (15).

Des chercheurs commencent également à explorer le sujet : auditionnés par la commission d’enquête, le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) (16) a publié en mars dernier une étude sur le bilan migratoire des qualifiés en France (17) et le sociologue Denis Colombi consacre sa thèse doctorale à la mondialisation en s’appuyant sur l’étude des parcours professionnels des Français partis à l’étranger. Lui-même se réfère aux travaux d’autres collègues, comme ceux d’Anne-Catherine Wagner sur les communautés d’expatriés.

D’autres études s’attaquent désormais au décryptage de l’émigration française dans sa globalité, telles celle publiée en mars par la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris-Île-de-France qui croisent les données du registre mondial français avec les études de l’OCDE, l’enquête de la Maison des Français de l’étranger et un certain nombre d’entretiens individuels pour tenter de cerner l’ampleur de ces expatriations et leurs principaux ressorts. Consciente du caractère parcellaire de ses sources, elle est néanmoins convaincue que de tels travaux permettent de déceler un phénomène et une tendance (18) et a décidé de se doter d’un outil de suivi plus ambitieux en mettant en place un observatoire expérimental qui s’appuiera sur l’influent réseau des 113 chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger réunissant 32 000 entreprises adhérentes dans 83 pays. La CCI de Paris-Île-de-France a parallèlement lancé une étude, dont les conclusions seront communiquées à l’automne, sur les départs des centres de décision et centre de recherche d’entreprises installées en France.

On relèvera également la réalisation de sondages à spectre large : le site internet privé « Mondissimo.com, le portail de l’expatriation » propose chaque année depuis dix ans à ses visiteurs l’enquête Expatriés, votre vie nous intéresse… Elle vise à connaître le profil des expatriés, leur gestion par les entreprises françaises, leur vie dans les pays d’accueil et, depuis peu, leurs intentions en termes de retour en France. 1 260 personnes ont répondu à l’édition 2013. Dans le même esprit, le site privé « Lepetitjournal.com » a fait réaliser en 2012 une étude sur différents aspects de la vie des expatriés et sur les liens qu’ils conservent avec leur pays d’origine par sondage auprès d’un échantillon de 2 312 personnes constitué selon la méthode des quotas pour être représentatif de la population des Français majeurs résidant à l’étranger. Ces divers travaux ne peuvent fonder un décompte de nos expatriés, et leurs résultats n’ont qu’une valeur relative vu l’étroitesse de leurs panels et les biais de la sélection des répondants. Mais si leur interprétation est fragile, ces résultats ouvrent d’intéressantes pistes de réflexion.

Plus solides et substantielles sont les données internationales retraitées par l’OCDE. Pour suivre et analyser les migrations à l’intérieur de ses membres, ses services exploitent de multiples sources, croisant les données recueillies dans le pays d’origine qu’ils étudient avec les chiffres relatifs à ses ressortissants qu’ils trouvent dans les pays de destination : hors Union européenne, l’OCDE regarde les effectifs des Français qui se sont vus délivrer des permis de séjours ou de travail. Elle bénéficie ainsi de listes mises à jour en continu qui détaille ces entrées par catégories ; la couverture reste néanmoins incomplète et les informations limitées. À l’intérieur de l’Union européenne, elle s’appuie plutôt sur les recensements ou les registres de population existants, qu’elle peut compléter avec d’autres sources administratives disponibles (sur les étudiants, le système éducatif, les naturalisations etc.). Ces recensements offrent quant à eux une couverture en principe complète et un ensemble d’informations sociodémographiques fouillées que l’on peut suivre sur de longues années. À partir des 2000, l’organisation s’est attachée à construire, en collaboration avec les services de recensement nationaux, autour des deux aspects-clés que sont le pays de naissance et le niveau d’éducation et en proposant une classification harmonisée de ces variables, une base de données accessible à tous (DIOC-E (19)) sur les immigrés de 232 origines résidant dans 89 pays et leur ventilation bilatérale (par pays d’origine et par pays de destination).

Dans sa forme initiale, la base de données comportait les sept tableaux suivants :

Tableau A

Tableau B

Tableau C

Tableau D

Tableau E

Tableau F

Tableau G

– âge

– sexe

– nationalité

– durée de séjour

– statut au regard de l’emploi

– sexe

– profession (code à 2 chiffres)

– sexe

– profession détaillée (code à 3 chiffres)

– secteur d’activité

– sexe

– statut au regard de l’emploi

– discipline étudiée

À partir de 2010, la collecte de données a été élargie à des pays de destination non-membres, mais cantonnée aux seules informations concernant les tableaux A, C et D, en raison du nombre limité de données des sources locales.

Les études de l’OCDE apportent de très utiles compléments aux analyses nationales – les deux seront présentés ci-après. Mais elles rencontrent leurs propres limites : elles ne mesurent pas les flux, ne sont fondées que sur des effectifs constatés dans les pays ; leurs sources ne sont compilées que tous les cinq ans et ignorent souvent les migrants qui possèdent également la nationalité du pays où est fait le recensement. Enfin, non seulement les études de l’OCDE se cantonnent, pour l’essentiel, au périmètre de ses États membres, mais elles se limitent aux Français nés en France, pour notre cas, de 15 ans et plus. Elles excluent donc les Français nés à l’étranger et les étrangers naturalisés français, ainsi que les plus jeunes – sachant que les moins de 18 % représentaient 26 % des inscrits au registre en 2013.

Par ailleurs, un récent projet financé par la Banque mondiale a permis la constitution d’une nouvelle base de données brutes, également accessible en ligne, qui agrège autour du critère du pays de naissance les données des recensements de vingt pays de l’OCDE, dont la France, par périodes de cinq ans depuis 1980 jusqu’à 2010. Ses auteurs ont notamment classé les personnes immigrées en trois catégories en fonction de leur niveau d’études (20).

C. LA NÉCESSITÉ D’AMÉLIORER LES OUTILS EXISTANTS POUR DÉNOMBRER LES EXPATRIÉS

La France n’est pas une terre d’émigration ; son appareil statistique est donc naturellement peu adapté pour mesurer avec précision les phénomènes d’expatriation.

Ces lacunes ne sont pas sans conséquences. Comme l’explique Mme Monique Cerisier-ben Guiga, présidente de l’Association démocratique des Français de l’étranger (ADFE), « le discours sur l’expatriation française relève d’observations sans bases scientifiques et relève d’impressions superficielles. (…) Faute de données démographiques, sociologiques et économiques le discours sur l’expatriation relève donc le plus souvent de l’idéologie ». (21)

Les conclusions des travaux de la commission d’enquête révèlent donc que, si l’émigration française n’est pas massive, une meilleure connaissance statistique des flux de départs et de retours permettrait d’adapter les politiques publiques aux nouveaux enjeux de la mobilité internationale.

En effet, une meilleure mesure de l’expatriation permettrait d’améliorer la connaissance des profils de nos expatriés : leur niveau d’études, les motivations de leur départ, leurs éventuelles motivations pour le retour, etc. En outre, dans l’optique de mettre en place ce qu’il conviendra d’appeler dans la suite du rapport une « politique diasporique » française – à savoir une meilleure exploitation des positions et des ressources de nos expatriés pour mettre en valeur les atouts de la France, économiquement ou culturellement –, cette connaissance statistique se révèle indispensable pour notre pays confronté aux défis que représentent la large ouverture au monde de sa société et de son économie et l’accroissement de la concurrence entre les pays.

Dans un rapport de 2009 sur l’avenir des migrations internationales vers les pays de l’OCDE, l’organisation indiquait que si « les flux migratoires sont fortement susceptibles d’augmenter ou du moins de demeurer constants dans le monde au cours des vingt prochaines années environ », elle voit une « intensification de la concurrence internationale autour de la main-d’œuvre, surtout en ce qui concerne les personnels hautement qualifiés et semi-qualifiés », et estime que les pays de l’OCDE « pourront être en concurrence croissante avec d’autres pays de l’OCDE ou des économies émergentes, pour des travailleurs du savoir, au fur et à mesure que les pays chercheront à préserver ou à améliorer leurs niveaux de productivité ». Elle considère que deux éléments majeurs devraient favoriser la mobilité des travailleurs dans les années à venir : le vieillissement démographique et la compétition internationale autour d’une économie du savoir et de l’innovation, dans un contexte de globalisation des échanges. Son étude de 2012 « Resserrer les liens avec les diasporas. Panorama des compétences des migrants » confirmerait les tendances dessinées qui montreraient une émigration issue des pays de l’OCDE « en grande partie déterminée par l’évolution économique de la zone (…) et des pays émergents ».

Dans cette nouvelle compétition mondiale, il importe donc d’être capable d’établir un diagnostic clair sur les atouts, les faiblesses, voire les handicaps de notre pays.

1. Les outils d’analyse sont aussi lacunaires à l’étranger

Comme l’a indiqué M. Jean-Christophe Dumont ; « il est difficile pour tous les pays de décompter le nombre de leurs expatriés, parce que l’enregistrement n’est pas obligatoire, mais lié à certaines occasions ou nécessités. On voit bien dans nos registres consulaires l’effet des élections ou des situations de crise géopolitique. Nul pays n’a trouvé de solution en la matière. Ainsi, en Espagne, il y a une forte discordance entre les données issues des registres de population – sur lequel les Français doivent s’inscrire – et le registre consulaire – pour lequel l’inscription n’a que peu d’intérêt pour un pays aussi proche de la France.

« Paradoxalement, ce sont les États-Unis qui auraient le plus de facilité à établir le nombre de leurs expatriés alors que, pour eux, cette question ne présente aucun intérêt politique étant donné le faible nombre de ces personnes. En effet, tous les ressortissants américains relèvent du fisc américain, quel que soit le lieu où ils habitent. Je ne suis pas sûr qu’ils utilisent ces données pour cet objectif. » (22)

La taille de la population d’un pays et sa plus grande propension culturelle à s’expatrier peuvent en effet alimenter des choix de politique statistique différents. Ainsi, le Luxembourg, attentif à l’évolution de sa population (un demi-million de personnes environ), a mis en place un registre des personnes physiques quittant le pays chaque année. Ce registre, exhaustif, comporte des données relatives à l’âge, au sexe et à l’état matrimonial.

En Suisse, un système similaire au registre français a été mis en place. La mesure des Suisses de l’étranger est établie par la direction consulaire du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Elle recense tous les citoyens suisses inscrits auprès d’une représentation à l’étranger. Cet enregistrement permet en outre de recueillir des données sur les groupes d’âge.

Le Royaume-Uni mobilise plusieurs sources statistiques partielles (nombre de visas demandés par des Britanniques, recensements locaux, etc.), et n’obtient que des données indicatives et uniquement quantitatives, publiées dans le rapport British Behaviour Abroad. Des contrôles de sortie des Britanniques qui s’expatrient devraient être mis en place prochainement.

En revanche, l’ambassade d’Allemagne à Paris a souligné que l’assistance apportée aux Allemands qui résident à l’étranger est restreinte et se limite principalement à une activité de conseil. C’est la raison pour laquelle l’évolution de l’émigration des Allemands n’est pas beaucoup observée, notamment parce que les services de conseil agissent surtout en amont d’un projet d’émigration. « L’évolution et la situation des émigrés une fois arrivés à l’étranger ne font pas l’objet d’un suivi de la part de l’État » conclut-elle. Devant la commission, M. Jean-Christophe Dumont a confirmé ce manque d’outils en indiquant que l’Allemagne avait demandé à l’OCDE une étude sur l’expatriation de ses ressortissants (23).

2. Les propositions de la commission d’enquête

Malgré ses insuffisances, le registre des Français établis hors de France reste l’outil de décompte le plus accessible aux services intéressés, le plus rapidement mobilisable et le plus souple pour suivre l’évolution des populations françaises expatriées. Il apparaît cependant indispensable d’en améliorer le fonctionnement pour en obtenir des informations plus fiables et plus complètes.

Pour plus d’exhaustivité, faut-il exiger son enregistrement de tout Français partant s’installer dans un autre pays ? Cela ne semble pas opportun, et ne serait, de toute façon, ni très adapté, ni très réaliste. En effet, on ne voit guère comment obliger quelqu’un à s’inscrire autrement qu’en liant l’accès aux services consulaires à cette formalité. Or, c’est déjà plus ou moins le cas dans les faits puisque toute démarche impliquant la justification de son identité entraîne automatiquement l’enregistrement de l’intéressé. Par ailleurs, certaines installations durables n’étaient pas forcément anticipées au départ, les intéressés ne prévoyant initialement que quelques mois pour des études, un périple… À quel moment faudrait-il imposer cette inscription ?

En revanche, il existe des moyens d’améliorer le fonctionnement du registre mondial et sa portée, et par suite son exploitation statistique :

Proposition 1 : Améliorer le registre des Français établis hors de France en :

– communiquant davantage sur l’utilité pour les intéressés, et pour leur pays, de s’inscrire au registre mondial ;

– harmonisant les formulaires d’inscription et d’actualisation et standardiser l’enregistrement des données pour que tous les postes consulaires aient le même niveau d’information et le même traitement informatique ;

– étoffant les informations demandées, lors de l’enregistrement comme à son actualisation ou au renouvellement de l’inscription, en faisant préciser notamment les pays de naissance (principal critère de sélection retenu par les bases de données internationale), les niveaux d’études, les emplois occupés (profession et secteur d’activité) et la situation au regard de l’emploi ;

– réduisant les délais (par exemple de cinq à trois ans) pour le renouvellement des inscriptions et l’actualisation des informations individuelles. Pour alléger la charge de travail que cela représenterait pour les services consulaires, et obtenir un meilleur taux de réponse, utiliser en priorité la voie internet pour ces échanges. Cela suppose de demander une adresse de courriel lors de l’inscription et à son renouvellement ;

– prévoyant l’accessibilité des données globalisées du registre en créant une base qui rassemblerait les informations retraitées et serait consultable sur le site du ministère des Affaires étrangères.

En outre, pour améliorer la mesure statistique de l’expatriation, il ne suffit pas de commander une enquête à l’INSEE ou au ministère des Affaires étrangères sur le sujet. Il faut tenir compte d’obstacles à la fois techniques et pratiques.

Le premier problème auquel cette tentative se heurte est la collecte de données fiables. La bonne méthodologie d’une enquête repose en effet, avant tout, sur une base de données irréprochable, puisqu’elle va déterminer tous les résultats statistiques et qualitatifs de cette enquête. Si la base de données ne peut pas être exhaustive (recensement de l’ensemble des Français expatriés), il faut du moins qu’elle soit représentative de ceux-ci – c’est-à-dire sans biais, comme ceux qui ont été évoqués pour le registre des Français résidant hors de France.

La seconde difficulté est le coût de la mise en place d’une telle enquête. Certes, la mesure de l’expatriation est importante, mais son coût rapporté aux bénéfices attendus pour la collectivité doit rester raisonnable. Or, si l’envoi d’enquêteurs dans les ménages métropolitains suppose déjà l’engagement de moyens financiers conséquents (cf. encadré ci-dessous), la dispersion des Français expatriés dans le monde entier complique fortement leur mesure et leur suivi.

La prise en compte du coût d’une enquête : le cas du recensement national

Selon le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la nouvelle méthode de recensement de la population, présenté en 2008 par M. Philippe Gosselin, le recensement exhaustif de la population française, qui avait cours jusqu’en 2004, demandait la mobilisation de 100 000 agents pendant un mois et représentait un coût total de 180 millions d’euros – le budget annuel de l’INSEE était alors doublé.

Ce coût est devenu un obstacle à la bonne actualisation de l’enquête puisque, pour des raisons budgétaires, le recensement quinquennal de 1997 a dû être reporté en 1999. Or, la bonne connaissance de la population française est un élément essentiel à la mise en œuvre des politiques publiques, notamment locales : c’est grâce aux données du recensement que les communes analysent leurs besoins futurs en matière de logements, d’écoles ou de transport, et c’est à partir de ces données que les dotations des communes sont en partie calculées (la dotation générale de fonctionnement est ainsi en partie déterminée par des échelles démographiques).

Finalement, la nouvelle méthode de recensement a abandonné l’idée d’un décompte exhaustif pour l’ensemble de la population. Dans les communes de moins de 10 000 habitants (dans lesquelles vit la moitié de la population française), l’ancienne méthode est toujours utilisée, et un recensement global a lieu tous les cinq ans – plus précisément, il a lieu tous les ans pour 1/5e des communes, placées dans cinq groupes sociodémographiques représentatifs de l’ensemble des communes pour avoir une image fiable des évolutions de population chaque année.

Dans les communes de 10 000 habitants ou plus, les enquêtes de recensement sont annuelles et réalisées par sondage auprès d’un échantillon de 8 % représentatifs de la population. Au bout de cinq ans, 40 % de la population a été recensée, ce qui permet d’extrapoler avec une faible marge d’erreur la population totale de la commune.

À partir de ces constats préliminaires, plusieurs propositions peuvent être envisagées à moyen terme pour dénombrer et mieux connaître les Français à l’étranger.

Proposition n° 2 : Encourager le recoupement des recensements nationaux. Une coopération entre plusieurs pays permettrait d’obtenir l’échange d’informations sur les personnes étrangères recensées sur le territoire d’un de ces pays. C’est ce que réalise en partie l’OCDE pour mesurer l’émigration dans ses États membres. Cette méthode a plusieurs avantages, notamment celui de son faible coût ainsi que sa précision.

Néanmoins, elle n’est pas à l’abri de biais. Par exemple, tous les recensements ne demandent pas la nationalité de la personne interrogée (notamment aux États-Unis ou au Royaume-Uni). En outre, la direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire estime que la moitié des Français à l’étranger est composée de binationaux. Or, la plupart des recensements ne demande de renseigner qu’une seule nationalité. Si une telle coopération pouvait être mise en place – par exemple, à l’échelle européenne, par l’intermédiaire de l’agence Eurostat –, l’information statistique sur les Français installés en Union européenne serait fortement améliorée. Les biais existants sur les différences de pratiques de recensement national pourraient être levés dans le cadre de l’uniformisation des standards statistiques et des méthodologies qui a déjà lieu en Union européenne depuis plusieurs années.

Pour les autres pays, le recours à d’autres grandes enquêtes représentatives en lieu et place du recensement peut donner satisfaction (en France, par exemple, les enquêtes « Emploi » de l’INSEE mesurent aussi les personnes étrangères et détiennent des informations qualitatives très riches). À la différence des recensements, l’échantillon n’est pas intégral, mais suffisamment représentatif pour éliminer les risques de biais statistique. Les services statistiques français pourraient utiliser ces sources pour mesurer avec précision le nombre et le profil des Français de l’étranger. La principale limite de cette méthode est la charge de travail et le coût entraînés par le rassemblement et l’exploitation de ces données produites à l’étranger – à supposer que les États tiers à l’Union européenne acceptent de coopérer sur leur communication.

Proposition n° 3 : À plus court terme, des études qualitatives sur la situation et le profil socio-économique des Français à l’étranger peuvent être envisagées, à partir du registre des Français établis hors de France.

Certes, la principale difficulté ayant freiné l’émergence de telles études est la fiabilité relative de ce registre. Mais le manque d’intérêt public pour le phénomène de l’expatriation joue également.

En utilisant le registre comme succédané de base de données, les services consulaires pourraient ainsi être chargés d’une enquête qualitative à un instant donné, en coupe. Le dispositif d’une telle enquête consisterait, pour chaque pays étudié, à mobiliser un échantillon des Français inscrits sur le registre, et à les interroger sous la forme d’un sondage.

De manière plus dynamique, l’INSEE pourrait se voir confier la réalisation d’une enquête annuelle auprès des Français qui déclarent être partis à l’étranger dans les cinq ou dix dernières années – donnée qui peut être recueillie pendant le recensement, sans coût supplémentaire –, sur leur séjour à l’étranger, leurs motivations, les conditions de leur retour, etc. Cette enquête aurait une vocation strictement qualitative, puisqu’elle ne permettrait pas de quantifier les flux d’entrants et de sortants de notre territoire.

Proposition n° 4 : Créer, sous l’égide de l’INSEE, un centre d’information, de recherche et de coopération sur l’émigration, qui pourrait prendre la forme d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS).

Ce centre serait par exemple en charge des études qualitatives présentées ci-dessus. Il aurait également pour mission de constituer une base de données solide et régulièrement mise à jour, grâce à la collecte d’informations auprès des acteurs concernés : Maison des Français de l’étranger, consulats, établissements d’enseignement, etc. Enfin, il pourrait avoir un rôle opérationnel auprès des administrations publiques pour accompagner d’éléments statistiques les politiques menées en matière de diplomatie économique ou de relations avec les Français de l’étranger.

II. LES VISAGES DE LA FRANCE QUI S’EXPATRIE : UN PHÉNOMÈNE PLUS COMPOSITE QUE PAR LE PASSÉ

Nonobstant nos précédentes critiques, les données issues du registre des Français établis hors de France et des études de l’OCDE n’en demeurent pas moins les plus significatives pour approcher le visage de l’émigration française d’aujourd’hui.

Si leurs chiffres bruts, et les proportions qu’on en déduit, sont à prendre avec prudence, les analyses du ministère des Affaires étrangères recoupent celles de l’OCDE pour montrer une progression sensible des expatriations françaises et des tendances fortes qui en dessinent un portrait nettement plus diversifié que par le passé.

A. PLUS DE DEUX MILLIONS DE FRANÇAIS INSTALLÉS À L’ÉTRANGER

Au 31 décembre 2013 (24), 1 642 953 de nos compatriotes étaient inscrits au registre des Français établis hors de France, soit une hausse de 2 % par rapport à l’année précédente (+ 31 899 personnes (25)). Cette augmentation est légèrement inférieure à la tendance moyenne d’accroissement de la communauté française à l’étranger observée au cours des dix dernières années, de l’ordre de 3 % par an.

Le nombre de Français inscrits au registre s’établissait à 1 223 409 fin 2003. Il aura ainsi augmenté de près de 35 % au cours des dix dernières années. La croissance observée par le ministère est marquée par des ruptures de tendance occasionnelles, qui tiennent essentiellement au fait que cette population est étudiée à l’aide d’un répertoire administratif dont on a déjà souligné la sensibilité à certains événements extérieurs. (26)

On rappellera également que les projections effectuées par les postes consulaires permettent d’estimer qu’en réalité, plus de deux millions de Français seraient établis hors de France de manière plus ou moins permanente.

La population française (France métropolitaine hors Mayotte) ayant cru en moyenne de 0,6 % par an sur la même période, selon l’INSEE, force est de constater que l’expatriation française s’est accentuée autant en nombre absolu qu’en part relative.

Les précédentes études du ministère des Affaires étrangères montrent que cette tendance haussière s’est amorcée depuis plusieurs décennies. Si l’on remonte aux trente dernières années, on constate que :

– de 1984 à 1990, le nombre des immatriculés (27) était plutôt en recul
de – 1,4 % en moyenne par an (soit une diminution de 9,2 % en huit ans) ;

– il repart à la hausse à partir de 1991 avec une croissance moyenne de 2,7 % de 1991 à 2002 (+ 34 % au total sur la période), et encore un bond de 11 % entre 2002 et 2003. L’accroissement de la population française inscrite sur le registre s’est poursuivi ensuite à un rythme annuel moyen à peine supérieur.

2004/03

2005/04

2006/05

2007/06

2008/07

2009/08

2010/09

2011/10

2012/11

2013/12

+ 2,4 %

+ 1,2 %

+ 8,3 %

– 3,5 %

+ 7,6 %

+ 3 %

+ 2,3 %

+ 6 %

+ 1,1 %

+ 2 %

Source : ministère des Affaires étrangères.

De son côté, les chiffres présentés par M. Jean-Christophe Dumont (28) montrent également une hausse, chaque année sur la dernière décennie, du nombre des Français (nés en France et âgés de 15 ans et plus) enregistrés dans d’autres pays de l’OCDE : les flux annuels ont progressé d’environ 30 % de 2000 à 2012, passant de 75 000 à 100 000 personnes par an. L’effectif global des Français de plus de 15 ans résidant dans un autre pays de l’OCDE s’est ainsi accru de 13 % entre 2001 et 2011.

Il précisait que la communauté française enregistrée dans d’autres pays de l’organisation s’élevait à 1,3 million de personnes en 2010-2011. De plus anciennes études faisaient état de 1,208 million de personnes nées en France de plus de 15 ans vivant à l’étranger (monde entier) en 2000, dont 1,145 million au sein de l’OCDE ; les chiffres augmentaient à 1,297 million pour la seule OCDE en 2005/2006 et à 1,766 million pour l’ensemble du monde en 2008.

En 2013, selon les données du registre français, la population française établie à l’étranger s’est accrue dans toutes les zones géographiques, mais pas de manière uniforme :

– l’Afrique du nord, l’Amérique du nord, l’Asie-Océanie et l’Europe hors Union européenne sont les régions dans lesquelles la population expatriée connaît une expansion plus importante que celle constatée au niveau mondial en 2013.

– en Afrique francophone et en Amérique centrale et du Sud, le nombre d’inscrits progresse dans des proportions proches de celle constatée au niveau mondial.

– enfin, il est stable en moyenne en Afrique non francophone, dans les États membres de l’Union européenne et au Proche et Moyen-Orient.

Malgré ces inflexions, la moitié des Français inscrits au registre reste établie en Europe, pour près de 19 % en Amérique (13 % en Amérique du nord) et 15 % en Afrique. Quant à l’Asie-Océanie, elle représente actuellement 7,6 % de cette population, soit un peu moins que le Proche et Moyen Orient (8,4 %).

Quand on considère la répartition des populations, il n’est pas abusif de conclure qu’au-delà de la seule proximité géographique, le processus d’intégration européen a non seulement facilité mais aussi favorisé les mouvements intracommunautaires. À tel point que M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques de la CCI de Paris-Île-de-France, s’interroge : pour ces Français, « l’Europe est devenue leur patrie. N’est-on pas, dans ces conditions, en droit de se demander si la notion d’expatriation ne doit pas être revue ? » (29).

Les cinq premiers pays en termes de communauté française inscrite au registre sont la Suisse, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne. Ces pays accueillent chacun une communauté supérieure à 110 000 Français, et concentrent à eux cinq près de 40 % des Français établis à l’étranger. Les cinq suivants accueillent plus de 46 000 Français chacun. Les dix premiers pays regroupent ainsi 60 % des Français inscrits.

Évolution des Français inscrits dans le monde et dans l’Union européenne de 1995 à 2013

ttp://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/jpg/etats_membres_UE_cle46d6ce.jpg

Évolution de la population française inscrite par région de 1995 à 2013, hors U.E.

ttp://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/jpg/etats_hors_UE_cle8cbe31.jpg

Évolution de la population inscrite de 2008 à 2012

ttp://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/jpg/tableau_inscriptions_cle06a139.jpg

ttp://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/jpg/tableau_pays_cle0747f6.jpg

Source : ministère des Affaires étrangères, DFAE.

Les réserves précédemment émises à propos de la sous-représentation des communautés françaises dans les pays les plus proches de la France incitent à penser que les chiffres des sept premiers du tableau sont sensiblement inférieurs à la réalité – les flux observés sans doute aussi.

Néanmoins, l’étude de l’OCDE sur les flux migratoires français de ces dix dernières années au sein des États membres (dont font partie ces sept pays) montre qu’il n’y a pas vraiment eu de destination de prédilection. Entre 2000-2001 et 2010/2011, les effectifs des migrants français ont progressé dans la plupart des États membres sans qu’aucun n’accueille plus de 15 000 à 20 000 Français par an. Sur la décennie, la première destination a été l’Allemagne (+ 54 000 personnes), suivie par l’Espagne (+ 41 000), le Canada (+ 30 000), le Royaume-Uni (+ 22 000) et le Japon (+ 12 000).

En 2012, les Français se sont autant installés en Belgique qu’en Allemagne et au Royaume-Uni, dans une proportion triple de celle enregistrée pour les États-Unis – pour ce qui est des Français qui se sont vus délivrer un permis permanent.

L’OCDE relève également une augmentation significative de l’émigration française en Suisse avant la crise. Selon les données consulaires, ce pays accueillerait le plus grand nombre de ressortissants français ; les chiffres de l’OCDE placeraient plutôt les États-Unis en tête, puis l’Espagne.

Même s’ils ne rentrent pas dans la notion d’expatrié puisqu’ils résident toujours en France, il est intéressant de noter que le nombre des travailleurs transfrontaliers aurait aussi nettement augmenté en huit ans. Se basant sur le recensement de 2007, l’INSEE estimait que leurs effectifs ont crû de 29 % entre 1999, qui en comptaient 248 400, et 2011 (319 400). Les trois principaux bassins de travail sont la Suisse, le Luxembourg et Monaco.

L’analyse des données sociodémographiques du registre des Français établis hors de France montre que la proportion des double-nationaux tend à se stabiliser en 2013 à 42,1 % des inscrits. Comme en 2012, leur augmentation (+ 1,7 %) a été moins importante que celle des expatriés inscrits au registre pris dans leur ensemble. Cette catégorie des multinationaux ayant au contraire beaucoup progressé entre 1984 et 2003, passant de 30,7 % à 47 % des inscrits, la décennie suivante a donc marqué un certain recul.

La part de double-nationaux varie fortement d’une région du monde à l’autre. À l’heure actuelle, moins d’un Français sur quatre établis en Asie-Océanie possède une autre nationalité, alors qu’ils sont près des trois-quarts dans cette situation au Proche et Moyen-Orient. Dans les États membres de l’Union européenne, près d’un expatrié sur trois détient plusieurs nationalités, une proportion qui s’élève à près d’un sur deux en Amérique du nord.

La répartition par sexe des Français inscrits est restée stable sur les dernières années. En 2013, avec 50,5 % de femmes parmi les inscrits au registre, la population française établie à l’étranger a sensiblement le même profil que la population française métropolitaine qui en compte 51,5 %. Les données de l’OCDE confirment cette majorité de femmes, même si leur proportion aurait diminué de 56 % à 52 % en dix ans. Cette féminisation est relativement récente, puisque, selon les données du répertoire précédant le registre, la proportion de femmes est passée de 37 % à 52 % entre 1984 et 2003.

Enfin, la structure par âge de la communauté française inscrite au registre a peu évolué ces dernières années, comme le montre le tableau ci-dessous :

STRUCTURE PAR ÂGE DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE À L’ÉTRANGER

 

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

< 18 ans

% inscrits

28

28

27,5

28,5 % des <20

25,9

25,6

27,1

26,3

26

26

% pop.franç.

-

-

26,6

25

22,2

22,2

22,2

22,2

22

22

> 18 ans

% inscrits

72

72

72,5

71,5 % des >20

74,1

74,4

72,9

73,7

74

74

% pop.franç.

-

-

73,4

75

77,8

77,8

77,8

77,8

78

78

dont 18-60 ans

% inscrits

-

-

-

57,1 % des 20-59

60,3

60,2

59,4

-

59,9

-

% pop.franç.

-

-

-

53,9

55,6

55,6

55,6

55,6

54,2

54,8

dont > 60 ans

% inscrits

-

-

-

14,4

13,8

14,2

13,5

-

14,1

-

% pop.franç.

-

-

-

21,1

22,2

22,2

22,2

22,2

23,8

23,2

Sources : ministère des Affaires étrangères et INSEE sur France hors Mayotte.

La proportion des mineurs dans le registre, 26 %, est sensiblement supérieure à la moyenne nationale (22 %). Pour autant, avec 60 % de personnes ayant entre 18 et 60 ans en 2012 (et plus précisément 24,4 % de 26 à 40 ans et 25,8 % de 41 à 60 ans), la communauté française expatriée en âge de faire des études ou de travailler est aussi plus importante que la moyenne nationale (54,2 %).

De fait, comme cela sera analysé dans les parties suivantes, toutes les études qualitatives confirment l’importance des projets d’études ou de travail dans les motivations des Français à partir à l’étranger. Le ressort professionnel est un classique de l’expatriation française contemporaine, mais ses conditions ont profondément changé depuis trente ans.

S’agissant des expatriés « statutaires » notamment, auparavant distingués par le registre dans la catégorie : « détachés », le nouveau dispositif ne permet plus de les identifier systématiquement après 2003. Néanmoins, M. Christophe Bouchard signalait que, sans pouvoir mesurer ce phénomène de manière statistique, les consulats observent une augmentation du nombre des projets individuels : « des personnes décident de s’installer par elles-mêmes à l’étranger. (…) L’expatriation classique des salariés envoyés par leurs entreprises à l’étranger est en net recul » (30). Cette évolution est ancienne : la proportion des « détachés » est passée de 29,4 % des personnes immatriculées en 1984 à seulement 5,3 % en 2003, évolution qui explique sans doute que cette catégorie ne soit plus identifiée depuis lors. M. Christophe Bouchard a également mentionné une autre « nouveauté des dix dernières années » : les programmes Vacances-travail dans le cadre desquels « plusieurs milliers de jeunes » partent à l’étranger un an, voire deux.

Selon l’OCDE, la part des 25-64 ans parmi les personnes de plus de 15 ans nées en France et résidant dans un autre pays de l’OCDE se serait accrue sur la décennie, pour atteindre 75 % en 2010-2011. C’est « nettement plus que pour l’Allemagne et le Royaume-Uni. Cette différence s’explique par le fait que l’expatriation en provenance de ces deux pays est le fait de nombreux retraités, ce qui n’est pas le cas de la France. », observe M. Jean-Christophe Dumont (31).

D’ailleurs, les résultats de l’enquête de la Maison des Français de l’étranger de 2013 dessinent le portrait d’une population très insérée professionnellement. Avec un taux d’emploi de 79 % (pour les personnes âgées de 15 à 64 ans) et un taux d’activité de 86 % (en excluant les personnes ne travaillant pas et n’étant pas à la recherche d’un emploi, soit les deux-tiers de celles qui n’exercent pas d’activité professionnelle), ces taux sont très supérieurs aux données nationales, respectivement de 64 % et de 70 % en 2011. Il convient de noter toutefois que les résultats de l’enquête recouvrent peut-être une certaine surestimation de ces taux en raison de la sous-représentation des jeunes expatriés (potentiellement moins insérés professionnellement) au sein de l’échantillon. Ils sont au surplus difficiles à rapprocher des chiffres plus anciens de l’OCDE qui affichait en 2005/2006 un taux d’emploi de 70,8 % et un taux de chômage de 7 % pour des migrants français âgés entre 15 et 64 ans.

Le nombre des Français expatriés de plus de 60 ans a, quant à lui, augmenté en valeur absolue de 10 % entre 2011 et 2013. Néanmoins, leur part ne s’est pas particulièrement accentuée ces dernières années. Oscillant entre 13,5 % et 14,4 %, elle est très inférieure au pourcentage des seniors dans la population française (22-23 %).

B. UNE DIASPORA FRANÇAISE BIEN MOINS DÉVELOPPÉE QUE D’AUTRES PAYS

L’émigration française s’inscrit dans d’importants mouvements migratoires internationaux qui se développent depuis plusieurs années : en 2010 pour la seule OCDE (32), près de 1,6 million de personnes avait migré d’un pays de l’OCDE à l’autre, soit environ 30 % du total des flux d’immigration dans l’ensemble de la zone. Si ces mouvements marquent un léger tassement depuis 2007 à cause de la crise, ils ont progressé de près de 300 000 personnes depuis 2000 (avec un taux moyen de croissance annuelle de 2,2 %, alors qu’il n’était encore que de 1,25 % dans les années 1990).

En 2005/2006, l’OCDE décomptait 39,5 millions de migrants âgés de 15 ans et plus, à avoir quitté un de ses 34 pays membres pour s’installer dans un autre, dont 24 % détenaient un diplôme de l’enseignement supérieur. Cela représentait un taux d’émigration pour ces catégories de 3,8 % sur l’ensemble de des pays membres.

Fait notable : le Royaume-Uni, avec 3,4 millions de ressortissants expatriés (en effectifs totaux), et l’Allemagne (3 millions) étaient les premiers pays d’émigration après le Mexique – y compris pour l’émigration récente. Ils gardaient le même rang s’agissant des diplômés du supérieur, alors que la France ne se situait qu’en huitième position.

En 2012, celle-ci ne se classait qu’au dixième rang des pays d’origine de l’expatriation au sein de l’OCDE (33) en flux annuels, encore en deçà de l’Allemagne et du Royaume-Uni.

L’augmentation de l’expatriation française (+ 30 % en dix ans) est significative, mais n’a donc rien d’exceptionnel dans le cadre de l’OCDE. Ainsi les États-Unis ont connu exactement la même progression, le nombre d’expatriés enregistrés passant de 100 000 à près de 140 000. D’autres pays connaissent même des évolutions plus brutales et erratiques. On constate par exemple que l’expatriation allemande a fait plus que doubler avant la crise, principalement à destination de la Suisse, avant de régresser ensuite. Cette influence de la conjoncture se retrouve dans l’expatriation espagnole : alors que celle-ci se stabilisait autour de 25 000 personnes par an jusqu’en 2008, elle a explosé à compter de 2008, triplant en quatre ans.

En dépit de leur augmentation, les chiffres de l’émigration française restent donc modestes aussi bien en comparaison internationale que sur le plan démographique. En 2010/2011, l’OCDE comptabilisait 1,3 million de personnes de 15 ans et plus nées en France et résidant dans un autre pays de l’OCDE, ce qui ne représente que 2,5 % de cette catégorie de sa population – à comparer aux effectifs des expatriés nés en Allemagne (3,3 millions, soit 4,4 %) ou au Royaume-Uni (3,2 millions ou 6 %).

M. Jean-Christophe Dumont concluait : « Pour l’instant, nous ne constatons pas d’accélération de l’expatriation, du moins d’après les données les plus récentes dont nous disposions, qui datent de 2012. Il y a globalement une évolution structurelle de l’expatriation, qui prend la forme d’un certain rattrapage. La dimension plus conjoncturelle [liée à la crise] n’est pas encore présente » (34).

Les données issues de la base financées par la Banque mondiale disent la même chose sur le périmètre plus limité des vingt pays de l’OCDE qu’elle recense : si les départs de personnes de 25 ans et plus nées en France (tous diplômes confondus) connaissent une croissance quasi linéaire depuis vingt-cinq ans (passant de 1 % à un peu plus de 2 % entre 1980 et 2010), leur part dans la population française est l’une des plus faibles parmi les pays sélectionnés qui connaissent tous une hausse de leur taux d’émigration.

C. UN SOLDE MIGRATOIRE POSITIF EN TERMES DE POPULATION QUALIFIÉE

Le registre des Français établis hors de France ne précise ni le niveau de diplôme, ni l’emploi occupé par les personnes inscrites. Quant aux informations relatives aux catégories socioprofessionnelles et aux secteurs d’activité des expatriés, elles ne sont pas systématiquement renseignées lors de l’inscription, et ne font pas l’objet de mises à jour régulières ; elles ne font pas l’objet non plus d’une exploitation statistique. Pour établir un portrait socioprofessionnel des expatriés français, il faut donc rechercher d’autres sources.

En outre, s’agissant plus particulièrement des étudiants, ceux-ci sont très vraisemblablement sous-représentés au registre, car la majorité partent dans des pays proches ou familiers et il y a peu d’intérêt à s’inscrire quand le séjour d’études est inférieur à un an. Les études menées par les grandes écoles et universités françaises offrent toutefois des données statistiques assez fiables. Elles montrent une ouverture croissante des étudiants français sur le monde et une accélération de cette évolution depuis vingt ans. Croisées aux chiffres recueillis par le ministère de l’Intérieur sur les flux de visa, elles montrent aussi que la France reste fortement attractive pour les étudiants étrangers, hors l’épisode désastreux de la circulaire « Guéant » de 2011. (cf. deuxième partie)

Ces tendances sont corroborées par les études de l’OCDE – même si leur champ est limité à ses seuls États membres, comme l’indique le tableau ci-contre.

NOMBRE D’ÉTUDIANTS FRANÇAIS EN MOBILITÉ DANS UN AUTRE PAYS DE L’OCDE

2004

2005

2006

2007

2008

2009

34 855

30 887

40 155

39 561

41 778

50 138

Source : OCDE.

Les étudiants français étaient 78 000 en 2011 (35), soit plus que les étudiants originaires d’autres pays de l’OCDE présents en France, qui étaient environ 57 000. Toutefois, l’effectif total d’étudiants étrangers dans notre pays est largement supérieur puisqu’il dépasse le nombre de 268 000 la même année.

Le nombre de Français étudiant dans un autre pays de l’OCDE augmente moins vite que le nombre total d’étudiants étrangers dans les pays de l’OCDE (3,3 millions). Comme M. Jean-Christophe Dumont le souligne : « Encore une fois, la France participe à la mobilité internationale, mais dans des proportions qui n’ont rien d’exceptionnel » (36).

Si le Royaume-Uni reste la principale destination de nos étudiants, le Canada et la Suisse apparaissent de plus en plus attractifs, presque au même niveau que les États-Unis, et avant la Belgique et l’Allemagne.

La part des étudiants étrangers en France reste stable sur la décennie, autour de 6,5 % des étudiants d’origine étrangère présents dans un pays de l’OCDE – ce qui est notable pour un marché en forte progression.

Il n’en reste pas moins que d’autres pays, comme l’Australie, ont connu une augmentation plus importante du nombre de leurs étudiants étrangers sur la même période.

Cette progression est le fruit d’une stratégie des universités australiennes et d’une politique volontariste du gouvernement australien, qui y voit un moyen d’attirer des personnels qualifiés. L’accueil d’étudiants étrangers représente ainsi le troisième poste d’exportation de l’Australie.

Si le registre des Français résidant hors de France est muet sur le niveau d’études ou de qualification des migrants français, l’enquête menée par la Maison des Français de l’étranger (MFE) constate un niveau d’études élevé en moyenne.

Toutes classes d’âge confondues, plus de la moitié des personnes interrogées fin 2012 se prévalent d’un niveau équivalent au master ou au doctorat et près d’un tiers se situe à un niveau bac/bac+3. Par comparaison, l’enquête « Emploi 2011 » de l’INSEE estimait à près de 53 % la proportion des Français à un niveau CEP, BEP, CAP, brevet ou sans diplôme, et à seulement 12,5 % la population titulaire d’un diplôme supérieur à bac+2.

Malgré ses biais déjà évoqués, les résultats de l’enquête de la Maison des Français de l’étranger ne sont pas en contradiction avec les données de l’OCDE qui décomptait en 2005/2006 27,9 % de migrants français de « faible niveau d’éducation » et 39,4 % de « niveau d’éducation supérieur ».

D’ailleurs, à ces niveaux d’éducation répondent des profils socioprofessionnels et des catégories de revenus cohérents - même s’il faut tenir compte des distorsions de l’enquête (37). Ainsi, le panel des Français expatriés ayant répondu à l’enquête de la Maison des Français de l’étranger indique en 2012 un niveau salarial relativement élevé de manière générale : 57 % de ceux qui exercent une activité professionnelle déclarent un revenu annuel net supérieur à 30 000 euros - 28 % à plus de 60 000 euros. Seuls 19 % de l’échantillon disposent d’un revenu inférieur à 15 000 euros. Rappelons que les chiffres de l’INSEE situaient le revenu salarial moyen en France métropolitaine autour de 19 500 euros nets annuels en 2010.

Comment a évolué la catégorie des diplômés, en particulier les plus qualifiés ? Étant donné l’étroitesse et le défaut de représentativité de leurs échantillons, il n’est guère pertinent de comparer les résultats des enquêtes de la MFE 2008 et 2013. Il n’en reste pas moins que la forte progression des hauts diplômés qu’elles tendraient à montrer trouve une confirmation dans les études de l’OCDE.

Si l’effectif global des personnes nées en France et résidant dans un autre pays de l’OCDE s’est accru de 13 % entre 2001 et 2011, le nombre parmi elles de diplômés du supérieur s’est accru de plus de 60 %. Il y a donc bien une accentuation de cette catégorie d’expatriation. En pourcentage, l’augmentation est supérieure à celle qu’on observe pour l’Allemagne (+ 38 %) et pour le Royaume-Uni (+ 22 %). Toutefois, les niveaux de départ étaient plus élevés dans ces deux derniers pays. En chiffres absolus, cela représente une augmentation nette (38) sur dix ans de 220 000 diplômés pour la France, contre 330 000 pour l’Allemagne et 240 000 pour le Royaume-Uni.

Sans surprise, ce sont les États-Unis qui accueillent le plus de diplômés du supérieur nés en France. Il s’agit au demeurant d’un phénomène assez généralisé puisque l’OCDE constatait déjà en 2005/2006 que la plupart des émigrés diplômés originaires d’Europe vivaient dans des pays anglophones.

Pour autant, ces dix dernières années, le nombre de diplômés du supérieur nés en France a surtout augmenté en Espagne, en Allemagne et au Canada. Il a également augmenté en Italie et en Belgique, alors que l’effectif global d’expatriés nés en France résidant dans ces deux pays a diminué.

ÉVOLUTION DE LA POPULATION ÉMIGRÉE FRANÇAISE DIPLÔMÉE DU SUPÉRIEUR DANS LES PRINCIPAUX PAYS

Désormais, ce sont donc principalement des diplômés du supérieur qui émigrent. Faut-il pour autant craindre un « exode des qualifiés français », pour reprendre le thème de l’étude de MM. Étienne Wasmer et Pierre-Henri Bono(39) ?

Les chercheurs du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) se sont fondés sur l’étude Brücker-Capuano-Marfouk financée par la Banque mondiale et considéré les proportions d’émigrants ayant le niveau tertiaire. Ils ont constaté une tendance à la hausse dans tous les pays étudiés et des niveaux comparables (sauf pour l’Espagne), la France n’étant donc pas hors norme.

Ils observent d’ailleurs que cette croissance est, au moins en partie, le résultat mécanique de la hausse des niveaux d’éducation dans tous les pays, dont la France qui a vu son taux d’éducation augmenter de 150 %. L’enquête de la Maison des Français de l’étranger s’en fait également le miroir en montrant des écarts significatifs de diplômes entre les plus de 60 ans et les autres.

L’augmentation des niveaux d’éducation

Selon la base internationale Barro-Lee, la part des personnes de plus de 25 ans ayant un niveau tertiaire est passée de 8,5 % à 21,3 % entre 1980 et 2010. (Barro, Robert and Jong-Wha Lee, A new data set of educational attainment in the world, 1950-2010, Journal of Development Economics)

De son côté, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance en charge de la statistique en matière d’enseignement estime grâce aux enquêtes emploi de l’INSEE que la part des diplômés de l’enseignement supérieur est passée de 21 % pour une génération née entre 1961 et 1965 à 44 % pour une génération née entre 1979 et 1983. La proportion de bacheliers dans une génération est passée de 25,5 % en 1980 à 65,3 % en 2009. (État de l’enseignement et de la recherche n° 4, DEPP, 2010)

En outre, dans la mesure où cette évolution de la proportion de diplômés du supérieur s’applique à une expatriation globale elle-même en progression, mais dans une proportion de la population nationale plus faible que dans les autres pays, hors États-Unis, ils en concluent que « la France est parmi les pays les moins touchés par la fuite des personnes qualifiées vers les 19 pays de l’OCDE considérés » (40).

M. Jean-Christophe Dumont invite également à relativiser la hausse de l’émigration de nos diplômés : en dépit d’une augmentation de 60 % de leurs effectifs en dix ans, le taux d’expatriation de cette catégorie (rapportée à son effectif national) reste relativement modeste, autour de 5 % (41). Enfin, s’il est supérieur à celui des États-Unis, de l’Australie ou du Canada, ce taux est nettement inférieur à celui de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, comme le montre le graphique ci-après.

TAUX D’ÉMIGRATION DES DIPLÔMÉS DU SUPÉRIEUR
DANS QUELQUES PAYS DE L’OCDE EN 2010/2011

De même, M. Jean-Christophe Dumont relativise-t-il la traduction professionnelle de cette expatriation des diplômés français (pour son analyse, se reporter à la partie II.B) : si l’on compare par exemple les personnes nées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni et installées aux États-Unis « si 144 000 personnes nées en France sont employées dans ce pays, ce sont près de 800 000 travailleurs nés en Allemagne et environ 570 000 nés en Grande-Bretagne qui sont dans ce cas. Le nombre de ceux qui exercent des professions qualifiées, notamment dans les technologies de l’information, l’engineering et les sciences physiques et de la vie, est assez modeste, puisqu’ils ne sont pas plus de 15 000, à comparer aux 60 000 environ nés en Allemagne ou au Royaume-Uni. Là encore, si la France participe à ce phénomène de mondialisation qui voit des jeunes qualifiés partir travailler aux États-Unis – notamment ceux dont notre pays aurait le plus besoin –, c’est dans des proportions modestes en comparaison de nos voisins. »

Il relève néanmoins que le solde migratoire des diplômés du supérieur avec l’Union européenne (42) est devenu négatif pour la France en 2011, quoique dans des proportions modestes puisque l’écart n’est que de 22 000 personnes. Plus inquiétante est la dégradation de la performance de la France par rapport à l’Allemagne et au Royaume-Uni : alors qu’elle était dans une meilleure situation que la première et légèrement moins bonne que le second en 2001, ces deux pays bénéficient aujourd’hui de soldes migratoires très positifs.

Cela étant, l’OCDE constatait déjà en 2005/2006 un déficit migratoire de la France avec le Royaume-Uni s’agissant des personnes très qualifiées : ainsi, 60 % des Français y résidant étaient diplômés de l’enseignement supérieur ; ce pays devenait en outre la première destination des jeunes émigrés français. Dans l’autre sens, les personnes nées au Royaume-Uni et vivant en France constituaient une population de migrants âgés et ayant fait moins d’études, en raison du plus grand nombre de retraités. Par ailleurs, l’OCDE observait simultanément que les jeunes émigrés du Royaume-Uni sont plutôt attirés par un autre pays anglophone.

À l’échelle de l’ensemble des pays de l’OCDE, les situations sont inversées : l’Allemagne et le Royaume-Uni ont un solde migratoire encore très négatif alors que le bilan est presque neutre pour la France (les flux entrants et sortants s’équilibrant). Toutefois, l’OCDE constate une légère détérioration sur la décennie.

En se concentrant sur les dix-neuf pays de l’OCDE de l’étude Brücker-Capuano-Marfouk, MM. Pierre-Henri Bono et Étienne Wasmer constatent, pour leur part, un solde migratoire de personnes diplômées du supérieur largement bénéficiaire à la France vis-à-vis de l’OCDE : le nombre des personnes nées à l’étranger de niveau tertiaire augmente rapidement, avec une inflexion à la hausse entre 2005 et 2010, alors que la hausse des émigrants français de même niveau augmente moins vite (même corrigée de la sous-estimation liée à une base plus limitée). Ils en concluent que « la France est attractive : elle accueille un nombre croissant de personnes qualifiées, et celui-ci est supérieur à celui des personnes nées en France et résidant dans d’autres pays » (43).

En tout état de cause, l’OCDE constate que le bilan migratoire de la France avec le reste du monde est de plus en plus positif s’agissant des personnes très qualifiées, même si notre pays, qui se situait au quatrième rang des pays de destination en 2000, est désormais au cinquième rang après le Royaume-Uni.

L’étude de la CCI de Paris-Île-de-France (44) que « la France est un des pays qui gagne le plus à cette mobilité accrue des profils hautement qualifiés ».

DEUXIÈME PARTIE :
LE DÉVELOPPEMENT DE L’EXPATRIATION DES FRANÇAIS : UN PHÉNOMÈNE À MULTIPLES FACETTES QUI S’INSCRIT DANS LA DYNAMIQUE DE LA MONDIALISATION

I. LA GÉNÉRALISATION DE LA MOBILITÉ INTERNATIONALE DES ÉTUDIANTS : LE RÉSULTAT D’UNE POLITIQUE VOLONTARISTE

La question du nombre de jeunes Français choisissant d’étudier à l’étranger se pose avec une certaine acuité ces dernières années : que conclure devant le constat de son accélération ?

En effet, selon l’OCDE, le nombre d’étudiants français en mobilité internationale dans un autre pays de l’OCDE est en hausse, pour atteindre 78 000 en 2011. Cependant, cette première donnée peut être immédiatement mise en perspective : le nombre de Français étudiant dans un autre pays de l’OCDE augmente moins vite que le nombre total d’étudiants étrangers en mobilité. Comme l’indique M. Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales de l’OCDE, « la France participe à la mobilité internationale, mais dans des proportions qui n’ont rien d’exceptionnel » (45).

ab2

Les travaux de la commission d’enquête, au travers de nombreuses auditions mais aussi de questionnaires envoyés à des établissements d’enseignement supérieur, confirme ce constat préliminaire. Il atteste de cette ouverture grandissante des jeunes à l’international, d’abord pendant leurs études, ensuite, éventuellement, pour un premier emploi. Mais il a également été unanimement reconnu que, loin de s’en inquiéter, il fallait au contraire encourager cette mobilité étudiante.

Selon M. Étienne Wasmer, codirecteur, et M. Pierre-Henri Bono, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), « des jeunes [Français] qui ont passé un an en Espagne, en Italie ou au Danemark ont acquis une expérience internationale. Ils peuvent facilement s’exprimer dans une autre langue et travailler à l’étranger. C’est une chance que les jeunes Français se situent d’entrée dans un marché européen ou mondial. Il n’y a pas lieu de les retenir ni de limiter des départs inéluctables. » (46)

Pour M. Jean-Yves Durance, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, la mobilité internationale des jeunes dès leurs études est aussi un facteur de compétitivité française, ce qu’il résume par cette interrogation : « la France dispose-t-elle des talents dont elle a besoin dans un monde qui change très rapidement et dans lequel la course aux ressources humaines est un des éléments fondamentaux de la compétition mondiale ? » (47)

Enfin, comme cela a été relevé par nos collègues Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, co-auteur d’un rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes, « la mobilité internationale est un facteur déterminant pour la confiance en soi et la mobilité professionnelle » (48).

Un attrait de l’étranger plus qu’un rejet de la France

Un sondage déclaratif mené en février 2014 auprès des 366 étudiants de première année d’HEC, entrés dans le programme « grande école », indique que si 60 % d’entre eux voudraient débuter leur carrière à l’étranger, c’est d’abord par envie de voyage et de découverte (60 %). Pour les autres, il s’agit de trouver de meilleures opportunités de carrière (32 %). Seuls 9 % souhaitent quitter la France à cause d’une image négative de leur pays. Dans les faits, en 2013, 25 % de la promotion des diplômés du programme « grande école » a effectivement pris un premier poste à l’étranger, un tiers d’entre eux au Royaume-Uni.

Plus généralement, selon l’OCDE, si le Royaume-Uni reste la principale destination de nos étudiants, le Canada et la Suisse apparaissent de plus en plus attractifs, presque au même niveau que les États-Unis.

Le développement de la mobilité internationale des étudiants est une conjugaison d’initiatives d’individuelles, d’impact renforcé de la mondialisation, des stratégies des établissements d’enseignement supérieur et de politiques publiques volontaristes ayant rencontré un réel succès. Néanmoins, malgré les efforts déployés par les dispositifs publics de soutien, l’ouverture à l’international des jeunes pendant leurs études engendre toujours des inégalités.

En second lieu, la mobilité internationale des étudiants, aujourd’hui, doit se concevoir dans la perspective d’un monde globalisé où les systèmes d’enseignement supérieur, aussi, sont mis en compétition pour attirer les jeunes talents. Dans ce contexte, l’attractivité de la France est tangible, mais subit la concurrence de nations ayant fait de l’attrait des jeunes une priorité. Il est nécessaire de passer en revue les avantages de la France dans cette course aux étudiants étrangers, ses faiblesses, et les moyens d’améliorer son attractivité.

A. LES ÉTUDES SE CONÇOIVENT DÉSORMAIS DANS UN CADRE INTERNATIONALISÉ

L’accélération de l’internationalisation des parcours étudiants peut s’expliquer par un triple mouvement. Tout d’abord, les dispositifs de soutien publics, qu’ils soient européens ou nationaux, ont largement contribué à démocratiser la mobilité des jeunes pendant leurs études. Il faut également relever la généralisation des partenariats, des échanges universitaires et des stages internationaux promus par les établissements d’enseignement supérieur eux-mêmes. Enfin, à l’échelle des étudiants, le désir de partir étudier à l’étranger s’amplifie, à la fois grâce à la plus grande facilité de se déplacer et de communiquer dans le monde, et par anticipation des attentes du monde professionnel et de l’insertion sur le marché du travail, où les expériences internationales sont particulièrement valorisées.

1. L’échelle européenne et nationale

La mobilité européenne des étudiants a un visage : le programme Erasmus (European Action Scheme for the Mobility of University Students), créé en 1987. Il permet à des étudiants européens de valider un semestre ou une année d’enseignement dans une université partenaire de la leur. Depuis, il a permis à 3 millions d’étudiants d’effectuer une mobilité dans un autre pays européen. Dès la fin des années 1970, la Commission européenne posait comme objectif la meilleure intégration des systèmes d’enseignement supérieur européens, ainsi qu’une plus grande homogénéité culturelle des futures générations de citoyens européens : Erasmus en est la réalisation concrète. M. Jean-Yves Durance rappelle que « cette intégration humaine est un facteur favorable à la réalisation d’une Europe solide » (49).

Chaque année, 200 000 étudiants participent à un échange Erasmus. Le succès de ce programme a permis son extension lors des dernières discussions budgétaires européennes : pour la période 2014-2020, sa réforme, appelée « Erasmus+ », dispose d’un budget en hausse de 40 %, pour atteindre 14,7 milliards d’euros sur six ans, pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport. L’Union européenne a fixé des objectifs de mobilité ambitieux pour la jeunesse : 20 % des jeunes poursuivant des études supérieures et 6 % des jeunes en formation professionnelle à l’horizon 2020 devraient être concernés.

L’adoption du nouveau cadre financier 2014-2020 donne jour à la réforme « Erasmus+ », qui fédère les sept programmes promouvant la stratégie européenne en direction des jeunes, dont le programme Erasmus. Les principaux axes de la réforme concernent :

– l’élargissement de l’âge des candidats admissibles au départ, de 13 à 30 ans, quel que soit le niveau de diplôme ou de formation, notamment au travers du « service volontaire européen » ; les stages et formations professionnels sont ainsi encouragés à côté des filières générales ;

– la mise en place d’un système de garantie bancaire pour les étudiants européens inscrits dans des formations de niveau master ;

– l’extension de l’ouverture aux échanges des pays voisins à l’Union européenne (50).

À l’échelle de la France, des dispositifs publics ont été mis en place dans la continuité du programme Erasmus. L’agence Europe-Éducation-Formation-France, dite « 2E2F », a parmi ses missions la prise en charge des mobilités étudiantes depuis 1995. En 2013, l’agence a financé 75 000 mobilités, dont une moitié concerne des étudiants et l’autre moitié des apprentis, des adultes et tous ceux qui souhaitent acquérir des compétences par le biais d’une mobilité dans un autre pays.

L’agence observe plus particulièrement le développement des mobilités étudiantes. De 2007 à 2013, le nombre d’étudiants soutenus est passé 28 000 à 43 000, ce qui traduit une nette augmentation des effectifs concernés. Parmi les raisons pour lesquelles l’existence d’un dispositif public de soutien à l’échelle nationale trouve toute sa pertinence, figure la nécessité de réduire les inégalités d’accès à des mobilités étudiantes. Historiquement, le succès d’Erasmus dans les universités a permis de réduire le fossé qui s’était creusé avec les grandes écoles, depuis longtemps ouvertes à l’international.

Mais, comme le rappelle le directeur de l’agence 2E2F, M. Antoine Godbert, « cette ouverture au monde qui ressort de plus en plus fortement de nos enquêtes qualitatives est à mettre en parallèle avec les difficultés que nous rencontrons pour convaincre ceux qui viennent d’un univers moins diplômé et sont moins informés » (51). Aujourd’hui, l’agence 2E2F a donc comme mission d’accompagner les publics étudiants qui, pour des raisons sociales ou culturelles, sont encore éloignés des perspectives de mobilité.

La continuité entre l’échelle européenne et l’échelle nationale au travers de cette agence est un facteur-clé du succès de cette opération de développement de la mobilité étudiante en France. L’agence 2E2F gère les fonds européens dégagés pour financer des bourses « Erasmus », met en œuvre les lignes directrices de l’Union européenne en matière de jeunesse, tout en se coordonnant avec ses ministères de tutelle : ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et ministère du Travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Elle joue donc un rôle d’articulation des stratégies nationale et européenne : la cohérence qui s’en dégage facilite les démarches des étudiants et in fine le nombre de mobilités qu’il a été possible de soutenir.

L’agence française suit la réforme européenne du programme Erasmus. Sous la nouvelle appellation d’agence « Erasmus+ Éducation et formation », elle encouragera la formation dans tous les pays du monde, et non plus seulement dans les pays européens, et mettra l’accent des stages dans des entreprises situées hors de France.

Le succès d’Erasmus : une combinaison d’actions européenne,
nationale et locale

L’édition 2014 du « palmarès Erasmus » publié par l’agence 2E2F montre que ce sont surtout les petites et moyennes universités qui tirent le mieux parti des possibilités ouvertes par le programme européen.

Pour l’année 2011-2012, ce sont en effet l’université de Savoie, l’université Stendhal Grenoble-III et l’université du Havre qui ont le meilleur ratio d’étudiants envoyés à l’étranger rapporté au nombre total d’étudiants de l’université. Ainsi, si la moyenne des étudiants partis à l’étranger – tous cycles confondus – était de 0,95 % en 2011-2012, l’université de Savoie enregistre 2,70 % d’étudiants en Erasmus.

La combinaison des efforts européens et de l’action publique nationale et locale peut expliquer ces données : la région Rhône-Alpes, à laquelle appartient l’université de Savoie, propose un complément financier à la traditionnelle bourse Erasmus, ce qui en renforce fortement l’attractivité auprès des jeunes.

2. L’internationalisation des établissements d’enseignement supérieur

Les établissements d’enseignement supérieur déploient une stratégie d’internationalisation qui connaît une expansion sans précédent : en volume, dès lors que les grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs ne sont plus les seules concernées, et en intensité, par la concurrence que se livrent les écoles et universités pour proposer des cursus internationaux toujours plus attractifs.

Mme Élisabeth Crépon, présidente de la Commission Développements et partenariat de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) et présidente de l’École nationale supérieure des techniques avancées de Paris (ENSTA Paris Tech), explique qu’une telle stratégie est présente dans tous les établissements, et se déploie en liaison avec des objectifs nationaux : « l’international est un axe stratégique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche (…). Encouragés par l’État, ceux-ci développent une stratégie internationale qui se décide au plus haut niveau – organes de gouvernance ou conseil d’administration, s’agissant des écoles externes au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche » (52).

La stratégie d’internationalisation des établissements répond à une triple demande :

– une demande des étudiants, qui ont souvent une large palette de choix d’établissements où poursuivre leurs études, que ce soit entre universités ou entre écoles après la réussite aux concours d’entrée. Le degré d’internationalisation, mesuré par le nombre de partenariats avec des établissements étrangers, les possibilités de césure et de stages internationaux, ou encore la dispensation d’enseignements par des professeurs internationaux, est un élément essentiel de l’arbitrage final des étudiants ;

– une demande des entreprises, qui valorisent les expériences internationales des candidats qu’elles recrutent. Les établissements recherchent la meilleure insertion de leurs diplômés sur le marché du travail, et sont donc naturellement attentifs à cette valeur ajoutée sur le curriculum vitae ;

– une demande des commissions d’évaluation des formations et de certification des diplômes, pour lesquels l’ouverture des établissements à l’international est à la fois un signe d’attractivité pour les étudiants et un signe de meilleure qualité relative des diplômes. À titre d’exemple, la Commission des titres d’ingénieur (CTI) requiert un degré minimal d’internationalisation pour habiliter les écoles à délivrer le titre d’ingénieur.

Ce dernier élément doit attirer l’attention. Il montre que les stratégies d’ouverture à l’international des écoles et des universités ne sont pas qu’un outil d’attraction des étudiants, mais répondent également à un impératif de qualité du diplôme délivré. La Commission des titres d’ingénieurs demande ainsi, pour les écoles qu’elle évalue, que tous les ingénieurs diplômés aient atteint un niveau minimum d’anglais, et observe le degré d’apprentissage d’une seconde, voire d’une troisième langue.

Plus précisément, dans un document cité par Mme Élisabeth Crépon, « Analyse et prospectives de 2014 », la CTI précise : « La compétitivité à l’international des écoles, des formations qu’elles dispensent et du titre d’ingénieur qu’elles délivrent passe par leur internationalisation. Au sein des écoles françaises, cette politique doit se traduire par l’organisation de relations internationales structurées, la mobilité entrante et sortante des étudiants, notamment par les cursus bidiplômants, des enseignants, notamment par des années sabbatiques, et des personnels, la création de nouvelles formations ou de nouveaux établissements à l’étranger » (53).

Les grandes écoles : une stratégie d’internationalisation de grande ampleur

Pour l’école des Hautes études commerciales (HEC), la stratégie d’ouverture à l’international a utilisé plusieurs vecteurs : l’internationalisation progressive du corps professoral, qui atteint 64 % en 2014 contre 25 % en 2005 ; l’internationalisation des étudiants, qui constituent 44 % des élèves internationaux en 2014, et 88 % sur le programme « MBA » (master in business administration) ; sur le curriculum « grande école », la politique de partenariat de l’école a conduit à un doublement, depuis 2012, du nombre d’élèves suivant un cursus universitaire à l’international.

L’École des hautes études commerciales du Nord (EDHEC) poursuit une stratégie d’internationalisation proche d’HEC, mais se distingue par l’implantation de campus à l’étranger, à Londres et à Singapour. L’École supérieure de commerce de Paris (ESCP-Europe) a, quant à elle, poursuivi une stratégie ouvertement européenne, par son implantation sur cinq campus, à Paris, Londres, Berlin, Madrid et Turin.

Ce constat n’est plus seulement vrai pour les écoles régulièrement en tête des classements. Pour une école de commerce de taille moyenne, comme Neoma Business School – résultant de la fusion en 2013 des Écoles supérieures de commerce de Rouen et de Reims –, l’internationalisation prend les mêmes formes et aboutit aux mêmes résultats : 26 % des étudiants proviennent de pays étrangers, comme 41 % du corps professoral. De même, l’École supérieure de commerce de Grenoble s’est distinguée par une importante politique d’implantation internationale : dix campus de l’école ont été créés, en Europe mais également en Chine, au Maroc, à Singapour, en Inde. Les professeurs de l’école sont régulièrement amenés à enseigner sur ces différentes implantations pour assurer l’homogénéité des formations.

Les écoles d’ingénieur sont également inscrites dans ce mouvement. L’École des Mines-ParisTech a débuté sa stratégie d’internationalisation il y a dix ans, avec la création d’une direction des relations internationales chargée d’attirer étudiants et professeurs étrangers, et de nouer des partenariats avec des universités étrangères réputées. En 2013, la proportion d’étudiants étrangers présents dans toutes les formations de l’école des Mines est de 30 %, sur 1 300 étudiants et doctorants, et la proportion de professeurs étrangers atteint 33 %. La stratégie d’implantation à l’étranger de l’École Centrale de Paris s’est, quant à elle, concrétisée par l’ouverture d’une antenne à Pékin en 2005. Créée sur proposition du gouvernement chinois, cette école est la première grande école d’ingénieurs francophones en Chine.

S’agissant des écoles d’ingénieurs, la Commission des titres d’ingénieur relève que leurs étudiants effectuent, dans le cadre d’un échange académique, un séjour d’études à l’étranger d’une durée significative : un trimestre, pour un peu moins de 10 % d’entre eux ; un semestre, pour un plus de 50 % d’entre eux ; et plus d’un semestre, pour 32 % d’entre eux. Les destinations les plus fréquentes sont l’Europe, dans 50 % des cas, l’Amérique du Nord et l’Asie, dans environ 15 % des cas chacune.

3. L’envie de départ des étudiants

Les étudiants sont évidemment les plus concernés par les perspectives de mobilité internationale. Si certaines de leurs motivations à cette mobilité se recoupent avec celles des établissements d’enseignement supérieur, comme la volonté de faciliter leur insertion ultérieure sur le marché du travail ou d’acquérir des compétences linguistiques, d’autres leur sont plus spécifiques.

Une formation internationale se traduit ainsi par une expérience sociale et culturelle souvent recherchée en elle-même : la découverte de nouveaux horizons, le goût du voyage et des rencontres, le détachement des attaches familiales et scolaires. La recherche d’une autre culture de l’apprentissage et du travail complète le souci d’ajouter du relief à son curriculum vitae. Enfin, ces mobilités sont souvent considérées par les étudiants comme une « pause » bienvenue dans un contexte d’études longues et compétitives – le vocabulaire des grandes écoles, qui parle volontiers d’ « année de césure », est à cet égard révélateur.

Cette recherche d’expérience n’est pourtant pas nouvelle : le désir du départ est volontiers associé à la jeunesse dans l’imaginaire collectif. En revanche, la concrétisation de ce désir est aujourd’hui beaucoup plus simple, ce qui explique l’essor continu de la mobilité étudiante. Comme cela a été indiqué précédemment, elle est encouragée par des dispositifs publics (les bourses Erasmus) et par les établissements (partenariats et services de relations internationales). L’impact de la mondialisation est également un important facteur d’accélération : l’anglais est la langue étudiante quasi-universelle ; les moyens de transport sont également devenus plus accessibles, ainsi que les moyens de communication avec les proches par Internet.

Les étudiants ont également su déployer des structures ad hoc pour faciliter les expériences internationales. Très anciens, les réseaux d’anciens élèves des grandes écoles – les alumni – ont toujours eu pour mission de faire le lien entre les générations d’étudiants, pour partager des contacts, des conseils ou des offres d’emploi. Plus récemment, ces associations d’alumni se sont organisées de manière internationale – en clubs (le club « Shanghai », le club « Londres »), en communautés, en réseaux d’« ambassadeurs », etc. Cela tient d’une part aux diplômés expatriés qui ne souhaitaient pas perdre le lien avec leur ancienne école, et d’autre part à la plus-value que représente l’expérience de ces mêmes expatriés pour tout étudiant en cours de scolarité qui souhaiterait partir dans le pays concerné.

M. Julien Roitman, président de l’association Ingénieurs et scientifiques de France (IESF), observe cette tendance : « tout aussi intéressantes sont les associations d’anciens élèves, qui tissent des réseaux de solidarité en gardant le contact avec nombre d’anciens élèves. Les anciens de Centrale, de Supélec, de Polytechnique, de l’École des Mines ont pratiquement tous créé des groupes dans chacun des grands bassins industriels du monde, que ce soit à Shanghai, à Los Angeles ou sur la côte est des États-Unis. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où, depuis plus de vingt-cinq ans, toutes les grandes écoles expliquent aux étudiants qu’une expérience internationale est indispensable à un bon profil de carrière. Ces groupes très organisés, qui ont gardé le contact avec leur école, seraient tout à fait prêts à servir de levier » (54).

Ce dernier exemple d’initiative étudiante illustre particulièrement la principale limite du développement des mobilités étudiantes à l’étranger. Si, numériquement, toujours plus d’étudiants ont l’opportunité de partir, des inégalités importantes subsistent entre les mobilités des élèves de grande école et les étudiants d’université, d’une part, et entre les étudiants qui effectuent des cursus longs – qui auront vocation à obtenir un diplôme de niveau bac+5 au moins – et ceux qui suivent des filières courtes, professionnelles le plus souvent, et pour lesquels c’est l’accès même à la mobilité internationale qui est lacunaire.

B. UNE INTERNATIONALISATION PORTEUSE D’INÉGALITÉS

L’ouverture des parcours étudiants à l’étranger fut d’abord l’apanage des grandes écoles, les universités souffrant d’un déficit d’offre long à combler. La généralisation des mobilités étudiantes à l’étranger s’est naturellement faite dans le sens d’un rééquilibrage : effectuer un stage ou une partie de son cursus dans un autre pays n’est plus une opportunité réservée à une élite.

Cependant, des inégalités persistent. Selon Mme Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus France, « cette mobilité sortante est un marqueur social considérable. Sur ces 65 000 étudiants [partant à l’étranger], 40 000 en effet viennent des grandes écoles, alors même que le nombre d’étudiants dans ces établissements est infiniment plus faible qu’à l’université » (55). Certes, le programme Erasmus a largement ouvert la voie de la mobilité des étudiants d’université. Mais la différence de moyens, la différence de stratégie pédagogique (l’obligation ou non d’effectuer cette mobilité) et de stratégie internationale (conclusion de partenariats attractifs), expliquent que la mobilité internationale des étudiants soit toujours ce fort « marqueur social », pour reprendre le terme employée par Mme Béatrice Khaiat.

En effet, les élèves des grandes écoles sont en proportion bien davantage issus de milieux sociaux favorisés, quand la démocratisation de l’accès à l’université a mécaniquement conduit à une plus grande hétérogénéité sociale des étudiants. Or, cette différence dans l’accès à une mobilité internationale est un facteur de renforcement structurel des inégalités sociales : tandis qu’une expérience internationale devrait être une expérience commune chez les étudiants, elle tend à cliver davantage encore davantage le modèle « grande école » et le modèle « université ».

Ce constat s’observe, d’une part, dans la qualité de la formation, déjà supérieure dans les grandes écoles : l’accès à des formations internationales attractives y est considérablement plus facile. D’autre part, au moment de l’insertion sur le marché du travail, un élève de grande école, qui valorise déjà un diplôme prestigieux, a désormais systématiquement une expérience internationale. Ce n’est pas le cas des étudiants issus de l’université.

Il faut souligner également que les disparités d’accès à la mobilité internationale ne concernent pas uniquement les universités et les grandes écoles. La mobilité dans les formations courtes connaît un certain retard, en particulier dans les filières professionnelles comme les BTS (brevets de technicien supérieur). Comme on l’a vu, le programme Erasmus+, qui ne sépare plus le secondaire, le supérieur, les études professionnelles et les formations pour adultes, a pour ambition d’améliorer la mobilité des formations courtes et donc contribuer à réduire les inégalités d’accès aux expériences étrangères.

Des parcours étudiants plus fréquemment internationalisés, mais encore inégalitaires

Les grandes écoles ont depuis longtemps encouragé leurs élèves à effectuer une partie de leur parcours à l’étranger. Cette incitation est de plus en plus fréquemment traduite en obligation d’études. À l’École centrale de Paris, une réforme du cursus « ingénieur » en 2007 a conduit à rendre obligatoire une mobilité de six mois à l’international pour les élèves, qui peut prendre la forme d’un semestre académique, d’un stage en entreprise ou en laboratoire ou d’un double diplôme. Pour HEC, l’obligation statutaire d’effectuer un stage à l’étranger date de 1999, bien que la pratique soit plus ancienne. Dans le cycle ingénieur de l’École des Mines de Paris, de même, les étudiants doivent effectuer un stage en entreprise de deux à trois mois à l’étranger. Ce dispositif existe depuis plus de quinze ans

Dans les instituts universitaires de technologie – au nombre de 113 en France, qui délivrent des diplômes à bac+2 –, où l’internationalisation des parcours étudiants est moins considérée comme une priorité de la formation, les services des relations internationales se sont malgré tout généralisés. Ils incitent et accompagnent les étudiants dans leurs projets de mobilité, qu’il s’agisse de semestres d’études, de poursuites d’études au niveau master ou de stages en entreprise à l’étranger. Mais cette mobilité internationale (certes précoce : à bac+1 ou bac+2) n’est pas obligatoire, et concerne au mieux 20 % des étudiants d’un IUT, comme celui de Montpellier.

L’enjeu est de taille : pour les diplômés de niveau bac+3 au plus, une mobilité internationale pendant les études assure l’acquisition de compétences spécifiques qui facilitent l’insertion dans un marché du travail dont l’accès est fortement corrélé au niveau de diplôme. Il peut s’agir de valoriser une expérience étrangère pour obtenir un poste en France. Il peut également s’agir de profiter de la connaissance d’une langue étrangère, d’une culture de travail voire d’anciens réseaux pour parvenir à franchir le pas d’une expatriation professionnelle.

Or, les données observées par l’OCDE montrent que pour les plus de 15 ans, les disparités de la population française partie travailler à l’étranger en fonction du diplôme se sont fortement accrues en dix ans : tandis que le nombre de diplômés de niveau bac+5 a augmenté de 60 %, les plus faiblement diplômés sont aujourd’hui moins nombreux à s’expatrier qu’il y a dix ans, créant les conditions d’une assignation territoriale particulièrement problématique en période de chômage de masse.

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C. LE SYSTÈME D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR FRANÇAIS RESTE ATTRACTIF POUR LES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS

S’intéresser au nombre d’étudiants français qui choisissent de partir à l’étranger dans le cadre de leurs études, voire d’y débuter leur carrière professionnelle, n’apporte qu’une analyse partielle : il est également pertinent de mesurer le nombre d’étudiants étrangers que la France est capable d’attirer sur son territoire. Cette approche en termes de balance « entrées-sorties » permet d’apporter des éléments d’appréciation sur l’attractivité du système d’enseignement supérieur français.

1. L’attractivité des diplômés étrangers : un enjeu de compétition mondiale

Comme l’a rappelé Mme Béatrice Khaiat, « l’accueil des étudiants étrangers a lieu dans un univers très concurrentiel » (56). La mondialisation a également touché les systèmes d’enseignement supérieur. Selon l’UNESCO, 4 millions d’étudiants sont en mobilité dans le monde : ce nombre a quadruplé depuis 1975. Ce chiffre devrait prochainement atteindre les 7 millions.

Accueillir des étudiants étrangers est un élément primordial de la politique d’attractivité de la France, et plus largement de sa capacité d’influence dans le monde – son soft power. En premier lieu, ces étudiants, qui apprennent le français et s’immergent dans la culture française, seront d’excellents ambassadeurs de notre pays. Les perspectives de développement d’entreprises françaises à l’étranger peuvent ainsi être améliorées par une bonne réputation générale ou des relais locaux formés en France et qui faciliteront leur implantation sur le marché. En second lieu, ils sont un certain nombre à rester travailler en France après leurs études, contribuant ainsi à la création de richesses – économiques mais aussi fiscales.

La France dispose aujourd’hui d’un ratio entrées-sorties d’étudiants très favorable. Selon les données issues d’une enquête conduite par Campus France datant de 2013, citées par Mme Béatrice Khaiat environ 65 000 Français partent étudier à l’étranger par an, tandis que 290 000 étudiants étrangers entrent sur notre territoire.

Ce chiffre de 65 000 jeunes partant étudier à l’étranger classe la France au 4e rang mondial, après la Chine, l’Inde et l’Arabie saoudite. En matière d’attractivité, en 2013, en accueillant 290 000 étudiants étrangers, la France reste en troisième place, certes loin derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne qui en accueillent respectivement 750 000 et 430 000, mais devant l’Australie qui en accueille 250 000 et l’Allemagne 207 000.

Une illustration de l’attractivité française : les étudiants « Erasmus »

Une manière de mesurer l’attractivité relative des pays européens pour les jeunes est d’observer le choix des étudiants en programme Erasmus.

Ainsi, selon l’agence 2E2F, si les étudiants français partent beaucoup en Espagne, qui est d’ailleurs le premier pays d’accueil toutes nationalités confondues, la France se classe traditionnellement en deuxième position, et ce depuis 2007.

En 2012, la France a ainsi accueilli plus de 24 000 jeunes « Erasmus », soit 10 % du contingent annuel. L’Espagne en a accueilli 12,5 % ; l’Allemagne et le Royaume-Uni, respectivement 8,4 % et 7,1 %.

Néanmoins, sur les dix dernières années, la « part de marché » de la France dans l’attrait des étudiants étrangers a diminué. Toujours selon les données de Campus France, alors que la mobilité étudiante dans le monde a augmenté de 31 % depuis cinq ans, le nombre d’étudiants étrangers en France n’a augmenté que de 14 % sur la même période. Une tendance également observée par l’OCDE : M. Jean-Christophe Dumont remarque, en outre, que « d’autres pays, comme l’Australie, ont connu une augmentation assez importante du nombre d’étudiants étrangers sur la même période. Cette progression est le fruit d’une stratégie des universités australiennes – comme aussi, quoique dans une moindre mesure, des universités britanniques et canadiennes – et d’une politique volontariste du gouvernement australien, qui y voit un moyen d’attirer des personnels qualifiés. L’accueil d’étudiants étrangers représente ainsi le troisième poste d’exportation de l’Australie ». (57)

Il convient donc d’examiner les atouts et faiblesses du système d’enseignement supérieur français, pour déterminer si la France devrait mener une politique plus attractive.

2. Les atouts et les faiblesses du système d’enseignement supérieur français

L’attractivité du système d’enseignement supérieur français tient tant à des facteurs propres à son fonctionnement et à sa bonne réputation qu’à des facteurs plus contextuels.

Ainsi, selon des enquêtes qualitatives menées par TNS-Sofres pour Campus France sur 20 000 étudiants étrangers, les principales motivations d’un étudiant étranger pour venir en France sont, tout d’abord, la qualité (51 %) et la réputation (37 %) de l’enseignement, et, en bonne place, le style de vie français : son patrimoine culturel, ses loisirs, sa gastronomie (35 %).

L’attractivité des établissements français tient à plusieurs facteurs. Les plus grandes écoles, tout comme les universités bénéficiant d’une notoriété historique (la Sorbonne est davantage connue à l’étranger que Sciences Po), bénéficient d’un effet de réputation très favorable. Selon la Conférence des grandes écoles, les grandes écoles de commerce ne rencontrent aucune difficulté à remplir d’étudiants étrangers les masters internationaux qu’elles proposent. La seule demande d’étudiants chinois pour les MBA d’HEC ou de l’ESSEC, malgré leur coût – entre 50 000 et 60 000 euros par an –, suffirait à combler les places disponibles. HEC a ainsi fait le choix d’instaurer des quotas nationaux pour assurer la diversité des étudiants étrangers attirés par ses diplômes, comme l’a expliqué à la commission M. Jean-Luc Biacabe, directeur des études économiques à la CCI Paris-Île-de-France. (58)

Plus généralement, tous les établissements d’enseignement supérieur, écoles et universités, « ont su évoluer de façon très positive » comme l’a souligné Mme Béatrice Khaiat (59) : des campus modernisés, comme celui de Jussieu, des infrastructures de transport de qualité qui permettent de joindre facilement les établissements isolés et les centres urbains, des services d’accueil des étudiants étrangers qui ont gagné en qualité. En particulier, pour les universités, ces services ont commencé à mettre en place des guichets uniques : les étudiants étrangers peuvent ainsi à la rentrée effectuer en un même lieu les démarches concernant leur logement au sein du CROUS (centre régional des œuvres universitaires et scolaires), la caisse d’allocations familiales ou encore la préfecture. Le rôle d’animation de l’agence Campus France doit également être rappelé.

Campus France

Créée par la loi du 27 juillet 2010, l’agence Campus France est un établissement public chargé de la promotion de l’enseignement supérieur, de l’accueil et de la gestion de la mobilité internationale des étudiants, des chercheurs, des experts et des invités.

Résultant de la fusion du groupement d’intérêt public Campus France et de l’association Egide, l’établissement est placé sous la tutelle des ministères chargés des affaires étrangères et de l’enseignement supérieur et de la recherche.

S’appuyant sur un réseau de plus de 200 espaces et antennes dans le monde, l’agence informe les étudiants internationaux sur l’enseignement supérieur français, les guide dans leur choix de formation, dans la constitution de leurs dossiers de candidature et de demande de visa. Elle garde un contact avec les anciens étudiants, notamment par les Clubs France.

Enfin, Campus France accompagne les établissements d’enseignement supérieur et de recherche dans leur développement international par des événements de promotion des formations supérieures en France et à l’étranger, par la réponse apportée aux appels d’offres internationaux, par les services qu’elle propose aux adhérents du Forum Campus France et par les études et analyses qu’elle publie sur la mobilité étudiante et les systèmes d’enseignement supérieur dans le monde.

Les grandes écoles, qui bénéficient par leur statut et leur budget de marges de manœuvre plus importantes, ont par ailleurs mis en œuvre des dispositifs innovants pour attirer les étudiants étrangers. Par exemple, le programme « BRAFITEC » (Brasil-France Ingénieurs Technologie), présenté par Mme Élisabeth Crépon (60) permet une formation bilatérale des ingénieurs français et brésiliens, coordonnée par la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs dans sa partie française. Les étudiants brésiliens sont aidés financièrement pendant leurs études en France, notamment pour leur formation linguistique initiale, après une phase de sélection rigoureuse par les établissements français. Ce sont des étudiants de très haut niveau, qui retourneront dans leur pays, éventuellement après un premier poste en France, et qui seront effectivement amenés à y prendre des responsabilités, au sein d’entreprises françaises implantées au Brésil ou au sein d’entreprises brésiliennes.

Attirer les meilleurs professeurs internationaux : le cas HEC

La part de professeurs étrangers dans le corps professoral permanent d’HEC est passée de 25 % en 2005 à 64 % en 2013. Pour attirer les meilleurs éléments, l’école a mis en place un plan d’accompagnement complet, au sein duquel figurent :

– une aide pratique à l’installation : HEC offre les services d’une agence de relocation aux nouveaux professeurs recrutés. Ils bénéficient également d’une assistance sur les questions pratiques les plus diverses (accueil à l’aéroport, aide à l’achat d’un véhicule, ouverture de compte bancaire, immatriculation au régime général de la Sécurité sociale, etc.) ;

– une prise en charge des frais liés à l’emménagement : l’école fournit un budget forfaitaire à chaque professeur étranger ;

– une assistance administrative : le service des ressources humaines se charge de préparer les éléments avec le professeur pour la demande de sa carte de séjour, pour ses déclarations fiscales et répond à toute demande de traduction de document officiel.

– des services d’aide à l’intégration : l’école organise avec un cabinet extérieur un séminaire interculturel de deux jours, où les conjoints sont conviés. Des cours de français peuvent être dispensés.

Un autre avantage régulièrement cité du système d’enseignement supérieur français est son coût, ramené à la qualité de la formation : quasiment gratuit à l’université, il atteint des sommes plutôt modestes dans les grandes écoles, en comparaison des standards anglo-saxons. Cela compte pour 26 % des étudiants interrogés par Campus France (cf. graphique ci-dessus).

Cet argument du faible coût des études peut néanmoins se relever à double tranchant : lorsque l’on ignore cet élément central de la tradition universitaire française, on risque d’en déduire que c’est un mauvais signal sur la qualité de l’enseignement et des diplômes, ce que relève notamment M. Bernard Ramanantsoa, président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles (CGE), et directeur général d’HEC (61). En vertu de cette observation, qui pose la question du juste prix de l’enseignement, plusieurs écoles pratiquent d’ores et déjà des tarifs différenciés, selon que l’étudiant soit membre de l’Union européenne – qui impose une égalité de traitement – ou extérieur à celle-ci.

Le système d’enseignement supérieur français comporte néanmoins des faiblesses, intrinsèques ou reflétées par le fonctionnement du modèle français, notamment au moment du passage des études au premier emploi. Ainsi, si les étudiants étrangers qualifiés n’ont généralement pas de difficulté à trouver un emploi sur notre territoire, la situation du marché du travail français n’encourage pas les moins diplômés à venir étudier en France, y apprendre le français, sans certitude de débouché professionnel par la suite. L’enquête TNS-SOFRES précitée montre en effet que la France n’est plus une destination choisie dans la perspective d’un premier emploi. Seul un étudiant sur trois qui a choisi la France a fait entrer ce facteur dans les motivations de son choix, comme le montre le graphique suivant.

En revanche, une fois qu’ils sont en France, les deux tiers aimeraient bien pouvoir y acquérir une première expérience professionnelle. Parmi ces deux tiers, seul un sur trois y parvient, soit 20 % de l’ensemble des étudiants étrangers en France. Mais il s’agit la plupart du temps de stages ou de contrats à durée déterminée (CDD) et très peu peuvent acquérir une longue expérience professionnelle. Sur un segment particulier, les étudiants les plus qualifiés, cette proportion est plus importante, mais parce que le marché du travail français leur est plus favorable. Ainsi, 41 % des étudiants étrangers diplômés d’HEC ont trouvé leur premier emploi en France en 2013. Cette proportion s’élève à 71 % à l’école des Mines de Paris.

La situation sur le marché du travail se conjugue avec une autre faiblesse française : le système de formation professionnelle – notamment les filières courtes comme les BTS ou les DUT – n’est pas suffisamment attractif du fait de son manque de perméabilité à l’entreprise. La perception à l’étranger d’un déficit de coopération, de passerelles insuffisantes entre le monde de l’entreprise et les établissements d’enseignement français, entame la réputation de ce secteur du système d’enseignement supérieur. Sur ce sujet, le modèle français souffre de la comparaison avec le modèle allemand : les dispositifs d’apprentissage, de travail en alternance, de stages en entreprise sont insuffisamment aboutis pour attirer les étudiants étrangers candidats à ces formations.

Enfin, si l’accueil administratif des étudiants étrangers s’est largement amélioré ces dernières années, des difficultés persistent. Selon l’étude TNS-SOFRES précitée, 52 % des étudiants étrangers interrogés dénoncent les complications administratives (une proportion s’élevant à 61 % chez les étudiants américains).

La principale illustration des difficultés administratives posées aux étudiants étrangers fut la circulaire de maîtrise de l’immigration professionnelle du 31 mai 2011, appelée « circulaire Guéant », du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque. Plusieurs des personnes auditionnées ont estimé que cette circulaire avait porté un coup très dur à l’attractivité du système éducatif français, alors que l’accueil des meilleurs talents dans la compétition mondiale supposait au contraire un assouplissement des contraintes posées au séjour des étudiants étrangers.

Les effets indésirables de la circulaire « Guéant » sur l’attrait des étudiants étrangers

La circulaire, visant à limiter l’immigration professionnelle, imposait aux services préfectoraux d’appliquer le principe selon lequel « le recours à la main-d’œuvre étrangère se justifie uniquement quand l’offre d’emploi ne peut être satisfaite par des demandeurs d’emploi » français. Le cas échéant, les étudiants étrangers – hors Union européenne –, diplômés d’une université ou d’une grande école française et en phase d’être recrutés par une entreprise française, se voyaient refuser la délivrance d’une autorisation de travail

Sans cette autorisation, les étudiants étrangers, même issus des meilleurs cursus et ayant d’ores et déjà trouvé un emploi, étaient dans l’obligation de quitter le territoire français. L’examen des dossiers au vu de la situation de l’emploi en France aboutissait ainsi à un rejet d’environ 70 % de ceux-ci.

La circulaire a été unanimement dénoncée par les milieux universitaires, la Conférence des grandes écoles, mais également des associations représentatives des entreprises – notamment l’Association française des entreprises privées (AFEP).

Son abrogation, le 31 mai 2012, est un premier pas salué par l’ensemble des personnes auditionnées sur le sujet par la commission d’enquête. Néanmoins, des pistes d’amélioration existent sur ce point, comme dans d’autres domaines.

3. Les points d’amélioration

La France ne parviendra sans doute par égaler les politiques particulièrement attractives de l’Australie ou du Canada. Une raison l’explique en particulier : la France n’est plus un pays où on va étudier dans la perspective d’une immigration économique durable, mais bien pour la qualité de la formation en elle-même. La France n’encourage d’ailleurs pas non plus cette immigration durable des diplômés qu’elle a contribué à former : jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et la recherche, un étudiant diplômé souhaitant rester en France n’avait par exemple que six mois pour trouver un emploi, et devait s’engager par écrit à rentrer dans son pays d’origine à l’issue de sa première expérience professionnelle. Rappelons que ces exigences, comme celles relatives à la délivrance de visas, ne concernent par les étudiants issus de l’Union européenne.

Les avancées de la loi du 22 juillet 2013
relative à l’enseignement supérieur et la recherche

La loi a notamment pour objectif de faciliter les démarches des étudiants étrangers, pendant leur cursus et pour leur éventuel passage au statut de salarié en France.

La principale disposition concerne la création d’un titre de séjour pluriannuel pour les étudiants en master ou en doctorat, titre valable tout le temps de leurs études.

La création de guichets uniques sur les campus, déjà mise en œuvre sur certains de manière spontanée, est encouragée. Les étudiants étrangers y rencontrent les services administratifs compétents pour les démarches liées à leur titre de séjour, à leur logement universitaire, à leur sécurité sociale.

Sur la possibilité des étudiants étrangers de rester en France après l’obtention de leur diplôme, la loi double la durée de transition durant laquelle ils bénéficient de l’autorisation provisoire de séjour (APS), de six à douze mois, pour trouver un emploi.

Néanmoins, notamment après le choc constitué par la circulaire « Guéant », un virage a été opéré pour renforcer l’attractivité française. Le ministère de l’Intérieur a ainsi, en 2013, réaffirmé l’ouverture du pays aux étudiants étrangers, avec 63 000 visas accordés en 2013, soit 7 % de plus qu’en 2012, et, surtout, 13 000 visas pluriannuels, contre 5 000 en 2012.

En volume, l’évolution est donc significative, mais Mme Béatrice Khaiat rappelle que le dispositif des visas aussi a été simplifié. La première année, le visa vaut titre de séjour et bientôt, les titres de séjour vaudront tout le temps des études (62).

Parmi les propositions qui peuvent être faites à ce stade, trois retiennent particulièrement l’attention, dans la mesure où elles pourraient faire l’objet d’une expression législative prochaine, au travers des projets de loi relatifs à l’immigration présentés en Conseil des ministres fin juillet 2014.

Proposition n° 5 : La généralisation des visas pluriannuels (valant titre de séjour) ne seraient plus limités aux étudiants étrangers inscrits en master ou en doctorat. Non seulement cette mesure améliorerait les conditions dans lesquelles les étudiants étrangers extra-communautaires sont reçus – et, plus avant, leur appréciation sur leur séjour en France –, mais cela pourrait se traduire par d’utiles allégements de charge de travail des services déconcentrés, comme l’a souligné Mme Élisabeth Crépon (63).

Proposition n° 6 : La condition de ressources aujourd’hui exigée pour la délivrance des visas étudiants – de 615 euros par mois, équivalant au montant de l’allocation mensuelle de base versée aux boursiers du gouvernement français – se justifie pour éviter les situations de trop grande précarité des étudiants étrangers. Néanmoins, elle contient des effets indésirables, et pourrait être aménagée, par exemple pour éviter les situations – de plus en plus nombreuses – où les étudiants étrangers s’insérant sur le marché du travail au travers d’un stage professionnel ne sont pas suffisamment payés pour continuer à justifier de ce revenu minimum.

Proposition n° 7 : Une rationalisation de l’organisation des agences en charge de l’immigration et de l’émigration des étudiants pourrait être envisagée. Ainsi, comme l’a indiqué Mme Béatrice Khaiat à la commission, « c’est une conception antique que d’avoir deux organismes [l’agence 2E2F et Campus France], l’un qui gère la mobilité sortante et l’autre la mobilité entrante » (64). Cette option permettrait d’apprécier globalement la stratégie d’attractivité du territoire français pour les étudiants étrangers.

Proposition n° 8 : En dernier lieu, il convient de s’attacher à diminuer l’effet inégalitaire de la mobilité internationale des jeunes, selon qu’ils soient issus de grandes écoles ou des universités. Il ne s’agit pas d’opposer ces deux modèles, puisqu’ils répondent à des logiques pédagogiques différentes, mais d’encourager les universités et autres établissements d’enseignement supérieur à renforcer leurs stratégies d’ouverture à l’international. En effet, il ne faut pas que l’internationalisation des universités ne soit que « passive », en profitant de l’effet d’entraînement du programme Erasmus. Elles doivent s’emparer des politiques de partenariats, de l’ouverture au monde de l’entreprise par le stage international, de la valorisation sur le curriculum vitae de l’expérience à l’étranger, qui fait aujourd’hui la force des programmes internationaux des grandes écoles mais qui est, aujourd’hui, à la portée des universités.

II. LA PART IMPORTANTE DES DÉPARTS POUR DES MOTIFS DE TRAVAIL REFLÈTE L’INTERNATIONALISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS

Pour la majorité des Français installés à l’étranger, le motif du départ est d’ordre professionnel. Le fort développement de la mobilité internationale professionnelle, qui n’est bien sûr pas propre à la France, s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement de la multiplication des séjours à l’étranger des étudiants : un étudiant parti quelques mois ou une année à l’étranger dans le cadre de son cursus universitaire sera naturellement plus enclin à s’expatrier par la suite. Parallèlement, les parcours professionnels deviennent de plus en plus internationaux, et pouvoir se prévaloir d’une expérience à l’étranger constitue un réel atout sur un curriculum vitae.

A. TRAVAILLER À L’ÉTRANGER, UNE ÉTAPE DE PLUS EN PLUS NATURELLE DANS UNE CARRIÈRE

1. La part prépondérante des motivations professionnelles dans l’expatriation

Au regard des données démographiques issues du registre des Français établis hors de France, 60 % des Français de l’étranger ont entre 18 et 60 ans. La part des plus de 60 ans est de 14 % – alors que selon les données de l’Institut national des études démographiques (INED), les plus de 60 ans représentent plus de 24 % de la population française dans son ensemble.

La population française expatriée est donc majoritairement en âge de travailler. D’ailleurs, selon les résultats de l’enquête de la Maison des Français de l’étranger (MFE) de 2013, pour 51,3 % des Français expatriés, c’est la dimension professionnelle qui caractérise le plus leur séjour à l’étranger ; ce taux atteint 56,8 % pour les personnes de 26 à 59 ans, et 62 % pour les célibataires.

Comme cela a été mentionné dans la première partie, le taux d’emploi (pour les personnes âgées de 15 à 64 ans) s’élève à 79 %, et le taux d’activité atteint 86 %, en excluant les personnes ne travaillant pas et n’étant pas à la recherche d’un emploi. Ces taux sont très supérieurs aux niveaux nationaux, respectivement de 64 % et de 70 % en 2011.

Une fois ce premier constat posé, dresser un tableau d’ensemble de la répartition des expatriés par catégories socioprofessionnelles n’est pas aisé, puisque ces informations ne sont pas systématiquement renseignées lors de l’inscription des Français sur le registre, ne sont pas mises à jour régulièrement, et ne font pas l’objet non plus d’une exploitation statistique. C’est donc à partir des données recueillies dans le cadre des enquêtes menées par la Maison des Français de l’étranger que l’on peut établir les profils socio-professionnels des expatriés, avec les réserves évoquées plus haut sur les biais de cette enquête. Le tableau ci-après fait figurer les données recueillies lors des enquêtes menées en 2010 et en 2013 (l’enquête réalisée en 2008 ne présentait pas de données du même niveau de précision).

ÉVOLUTION DE LA RÉPARTITION DES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER PAR CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE

(en pourcentage)

 

2010

2013

Cadres d’entreprise

39 %

33,33 %

Cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques

11 %

14,96 %

Employés de la fonction publique, professions intermédiaires de l’enseignement, de la santé, de la fonction publique et assimilés

15 %

16,78 %

Professions libérales et assimilés

8 %

9,43 %

Chefs d’entreprises de 10 salariés ou plus

3 %

5,83 %

Employés administratifs d’entreprise

6 %

5,33 %

Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises

4 %

3,62 %

Techniciens

4 %

2,94 %

Commerçants et assimilés

2 %

2,69 %

Employés de commerce

3 %

1,34 %

Artisans

1 %

0,96 %

Ouvriers qualifiés

1 %

0,92 %

Personnel des services directs aux particuliers

1 %

0,79 %

Contremaîtres, agents de maîtrise

1 %

0,65 %

Ouvriers non-qualifiés

1 %

0,19 %

Source : enquêtes de la MFE de 2010 et de 2013.

Compte tenu de la taille de l’échantillon, il convient d’analyser ces informations avec prudence : néanmoins, on peut observer une forte proportion de cadres – plus du tiers du total –, en baisse toutefois entre 2010 et 2013, une hausse de la part des professions libérales – qui passe de 8 à 9,4 % sur la même période –, et de la proportion des chefs d’entreprises de plus de dix salariés – qui s’établit à 5,8 % en 2013, contre 3 % en 2010. Les techniciens, ouvriers, commerçants et artisans ne représentent qu’une part très faible des Français expatriés actifs.

Ces données peuvent être croisées avec celles établies par l’OCDE, dont le champ est toutefois plus restreint. En effet, l’OCDE fournit des informations sur la ventilation des personnes nées en France et travaillant dans un autre pays européen par métier, pour les années 2010-2011. De plus, la nomenclature diffère de celle retenue par la Maison des Français de l’étranger, ce qui complique la comparaison des informations. Les données de l’OCDE, retracées dans le tableau suivant, montrent là encore la part importante des professions qualifiées, avec 27 % de professions intellectuelles et scientifiques et 13 % de directeurs, cadres de direction et gérants.

DISTRIBUTION DES PERSONNES NÉES EN FRANCE ET TRAVAILLANT DANS UN AUTRE PAYS EUROPÉEN PAR MÉTIERS, 2010/2011

Catégories professionnelles

Proportion

Professions intellectuelles et scientifiques

27 %

Professions intermédiaires

18 %

Personnels des services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs

14 %

Directeurs, cadres de direction et gérants

13 %

Employés de type administratif

10 %

Métiers qualifiés de l’industrie et de l’artisanat

8 %

Professions élémentaires

5 %

Conducteurs d’installations et de machines, et ouvriers de l’assemblage

4 %

Agriculteurs et ouvriers qualifiés de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche

1 %

Source : OCDE.

Enfin, le portail Mondissimo propose lui aussi dans le cadre de son enquête « Français, votre vie nous intéresse… », des éléments sur la situation professionnelle des travailleurs français établis à l’étranger. Cette enquête montre ainsi que la part des professions libérales est passée de 7 % à 10 % entre 2003 et 2013, soit des chiffres concordant avec ceux présentés par la Maison des Français de l’étranger, tandis que la proportion des créateurs d’entreprise et commerçants a quasiment doublé, de 10 % à 18 %, en dix ans.

Cette dernière information a d’ailleurs été largement reprise dans différents travaux, notamment dans le rapport de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France sur les Français à l’étranger, qui pointait la part croissante des créateurs d’entreprise parmi eux. Pour autant, il convient d’être prudent à l’égard de ce chiffre – qui recouvre d’ailleurs tant les créateurs d’entreprise que les commerçants : comme cela a été souligné précédemment, la méthodologie retenue par l’enquête entraîne des biais importants dans le recueil des données. Sans doute la part des créateurs d’entreprise parmi les Français expatriés a-t-elle augmenté au cours des dernières années, comme le montrent d’ailleurs les données de la Maison des Français de l’étranger, mais il est difficile d’affirmer avec certitude que cette part a doublé, pour représenter aujourd’hui près d’un cinquième des actifs – d’autant que, selon l’enquête de la Maison des Français de l’étranger, les chefs d’entreprises de plus de dix salariés représentent moins de 6 % du total.

En tout état de cause, l’ensemble de ces informations confirme que la part de la population occupant des professions qualifiées, requérant un niveau d’études élevé, est beaucoup plus importante parmi les Français de l’étranger que parmi l’ensemble de la population française. À titre d’exemple, la part des cadres et professions intellectuelles supérieures ne représente que 18 % de la population active française, alors que la part des ouvriers – qualifiés ou non – y est supérieure à 20 %.

POPULATION EN EMPLOI SELON LE SEXE ET LA CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE EN 2012

(en %)

 

Femmes

Hommes

Ensemble

Agriculteurs exploitants

1,2

2,7

2,0

Artisans, commerçants, chefs d’entreprises

3,7

9,0

6,5

Cadres et professions intellectuelles supérieures

15,1

20,6

18,0

Professions intermédiaires

26,5

23,0

24,7

Ouvriers

8,3

32,1

20,8

Dont ouvriers qualifiés

3,4

23,0

13,7

Dont ouvriers non qualifiés

4,9

9,1

7,1

Effectifs (en milliers)

12 278

13 476

25 754

Source : INSEE.

Ce constat reflète le fait que le niveau d’études des Français de l’étranger est supérieur à la moyenne constatée au sein de la population française, de même que leur niveau de rémunération, comme cela a été exposé plus haut.

2. Les expériences à l’étranger reconnues comme un réel atout

Une expérience à l’international constitue indéniablement un atout, aussi bien pour les étudiants que pour les personnes se trouvant sur le marché de l’emploi. La stratégie « Europe 2020 » de la Commission européenne repose d’ailleurs sur ce postulat, et fait de la mobilité des travailleurs, ainsi que de l’acquisition d’un haut niveau de qualification, une des clés d’une « croissance intelligente, inclusive et durable ».

Les personnes auditionnées étaient d’ailleurs unanimes sur ce point : occuper un poste à l’étranger est valorisé dans un parcours professionnel. C’est même, dans certains secteurs, devenu un passage obligé dans une carrière. Comme le soulignait M. Jean-Christophe Dumont, « Ce qui est clair, c’est qu’aujourd’hui une période d’expatriation est souhaitable, voire nécessaire, pour espérer une carrière de cadre supérieur » ((65). M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques à la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, rappelait de même que « les jeunes savent qu’une entreprise préférera recruter, à diplôme égal ou à expérience égale, le candidat qui a fait un parcours à l’international » (66).

M. Denis Colombi, doctorant au Centre de sociologie des organisations, mène des travaux sur l’articulation entre les marchés du travail et la mobilité professionnelle internationale, et il a étudié dans ce cadre de nombreux parcours professionnels d’expatriés revenus en France, parallèlement à un travail statistique sur les grandes enquêtes biographiques de l’INSEE. Il a livré à la commission une intéressante analyse des enjeux de la mobilité internationale professionnelle : il ne considère pas les parcours qu’il a observés comme des parcours de fuite, d’exil, de départs forcés vers l’étranger. Pour lui, « ce sont des personnes qui suivent un mouvement, celui de la mondialisation et des entreprises qui mobilisent leurs effectifs à l’international. Une entreprise qui se conçoit comme groupe international va ainsi chercher à disposer d’une main-d’œuvre internationale, à publier ses offres d’emploi en interne à l’échelle mondiale et à inciter à la mobilité de ses salariés. »

Il estime que les départs pour motifs professionnels ne sont généralement « ni le produit de ce que les économistes appellent des push factors, des facteurs de répulsion comme le chômage, ni de pull factors, des facteurs d’attraction comme les salaires plus élevés à l’étranger, mais plutôt d’une certaine recomposition des marchés du travail en France qui accordent de plus en plus d’importance à l’expérience internationale, où cette dernière constitue un avantage concurrentiel. Cette analyse est également valable pour comprendre le départ de bon nombre de jeunes, qu’ils partent en [volontariat international en entreprise] ou non : ils le font parce que c’est ce que le marché du travail français attend d’eux. Le marché du travail français déborde ainsi très largement les frontières nationales, et c’est quelque chose qu’il me semble important de garder en tête lorsque l’on s’intéresse aux Français à l’étranger. » (67)

Avoir réalisé une mobilité professionnelle à l’étranger est très apprécié par les entreprises car, au-delà du fait qu’elle permet de maîtriser parfaitement une langue étrangère, une telle expérience vient renforcer les capacités d’adaptation d’un salarié et son ouverture d’esprit, et permet l’apprentissage de nouvelles méthodes de travail et d’organisation. Mme Hélène Charveriat, déléguée générale de l’Union des Français de l’étranger (UFE), indiquait, à propos des expériences professionnelles à l’étranger : « Tous ceux que je rencontre considèrent que cette expérience est un plus. Quand ils reviennent en France, ils ne parlent pas le même langage que ceux qui ne sont jamais partis. » (68)

Mme Elisabeth Crépon, présidente de l’École nationale supérieure des techniques avancées de Paris (ENSTA Paris Tech), soulignait également : « Nous sensibilisons nos ingénieurs à la dimension multiculturelle. Cela fait partie de leur formation. J’entends souvent dire qu’ils ont envie de pratiquer une autre culture de travail. Dans cette optique, occuper un poste à l’étranger peut leur apparaître comme valorisable dans le cadre d’une carrière professionnelle ultérieure, à l’étranger ou en France. » (69)

Par ailleurs, et c’est le fondement de l’extension du programme Erasmus + au-delà des seuls étudiants, une expérience internationale permet une meilleure insertion dans le monde du travail également pour les personnes moins qualifiées. Comme l’indiquait M. Antoine Godbert, directeur de l’Agence Europe-Éducation-Formation-France (2E2F), selon deux études portant sur la mobilité des chercheurs d’emploi et des apprentis, réalisées par le Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Céreq), « une personne qui a effectué une mobilité Erasmus, Grundtvig, Leonardo da Vinci ou Youth in action divise par trois le temps qu’il lui faudra pour retrouver un emploi et un apprenti qui a effectué une mobilité européenne a plus de chances d’être embauché à un niveau supérieur qu’un apprenti qui serait resté en France. » (70)

Somme toute, le développement des départs d’actifs français à l’étranger répond largement aux évolutions d’un marché du travail devenu mondial. Comme le rappelle M. Jean-Luc Biacabe, « l’Europe n’est pas seulement un grand marché intérieur de capitaux et de biens : elle est également devenue un grand marché intérieur de main-d’œuvre. Nous assistons d’ailleurs à un accroissement de la mobilité internationale de la main-d’œuvre, non seulement du sud vers le nord, mais également du nord vers le nord. » (71)

Ce phénomène s’avère d’ailleurs profitable pour l’économie française, lors du retour des intéressés sur le territoire national. M. Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte, soulignait ainsi à propos des Français partis à l’étranger qu’« une fois rapatriés, ils pourront faire bénéficier les entreprises françaises de leur capacité à sortir de leur zone de confort et à innover, et de leur envie de contribuer à la croissance de notre pays. » (72)

Enfin, de façon connexe, il est intéressant de souligner que, sur le marché international du travail, les Français sont valorisés, voire courtisés, notamment dans certains secteurs professionnels. M. Julien Roitman, président de l’association des ingénieurs et scientifiques de France (IESF), relevait ainsi que « pour ce qui est de notre attractivité, il suffit de savoir, pour la mesurer, que les grandes entreprises internationales s’arrachent littéralement les ingénieurs français.

Les patrons des groupes étrangers s’intéressent aux ingénieurs français pour deux raisons principales qui tiennent à notre système original de formation. D’abord, nos ingénieurs sont formés dans des écoles spécifiques, alors qu’ailleurs ils le sont à l’université. (…) L’élève ingénieur français a une proximité pratiquement consanguine avec l’entreprise, ce qui le rend très rapidement opérationnel. Ce n’est pas le cas des ingénieurs formés dans les autres pays du monde.

Ensuite, les chefs d’entreprises étrangers retiennent comme autre caractéristique française le fait que nos écoles d’ingénieurs, même les plus spécialisées, dispensent un enseignement extrêmement généraliste. (…) C’est pourquoi nos ingénieurs n’ont aucun mal à se placer à l’international. On vient même les chercher. » (73)

M. Nicolas Gaume, président du Syndicat national du jeu vidéo, faisait le même constat, en indiquant « nos formations, qui touchent aussi bien au numérique qu’au culturel, sont excellentes. Une partie de nos forces est constituée d’ingénieurs, les mêmes que ceux qui vont travailler dans des entreprises de technologie. L’autre partie vient des écoles d’animation
– Gobelins, Sup Info Com, etc. – ou du cinéma et de la musique. Nos talents sont extrêmement appréciés dans le monde entier. On trouve, dans la Silicon Valley, en Chine, au Canada, des Français dans tous les personnels clé des entreprises du monde des jeux vidéo. » 
(74)

3. Des évolutions perceptibles dans l’expatriation professionnelle

a.  Une part de jeunes diplômés occupant leur premier emploi à l’étranger tendant à augmenter

Des auditions menées et des informations recueillies par la commission, il apparaît que la part des jeunes diplômés prenant leur premier poste à l’étranger a progressé au cours des dernières années. Cette évolution est sans aucun doute liée à l’internationalisation des cursus d’études : un étudiant ayant effectué à l’étranger un stage en entreprise ou un semestre dans une université sera plus enclin à s’expatrier pour son premier emploi : le pays en question constituera un environnement familier, l’étudiant aura noué des contacts sur place et bénéficiera d’opportunités pour y trouver un premier emploi. Par ailleurs, un jeune diplômé s’avère par définition plus mobile qu’un(e) salarié(e) plus âgé(e) ayant fondé une famille, et devant faire face à des questions d’emploi du conjoint et de scolarisation de ses enfants.

La Conférence des grandes écoles (75) (CGE) procède chaque année à une enquête sur l’insertion des diplômés issus des établissements qui la composent. Pour l’année 2014, cette étude s’appuyait sur les réponses de 161 établissements, sur 186 grandes écoles concernées, à partir de 44 500 questionnaires traités – soit un taux de réponse total de 62,7 %. Les données recueillies dans ce cadre apparaissent donc largement représentatives.

Les indicateurs d’insertion des dernières promotions, interrogées quelques mois après la sortie de l’école, montrent que la part des diplômés occupant leur premier emploi à l’étranger a augmenté au cours des dernières années et qu’elle est nettement plus élevée pour les écoles de management que pour les écoles d’ingénieurs.

PART DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS OCCUPANT UN PREMIER POSTE À L’ÉTRANGER

Part de nouveaux diplômés à l’étranger

2011

(promotion 2012)

2012

(promotion 2011)

2013

(promotion 2012)

2014

(promotion 2013)

Ingénieurs

11,9 %

9,8 %

11,9 %

11,4 %

Managers

16,5 %

18,2 %

22,9 %

22,7 %

Ensemble

12,9 %

12,7 %

15,7 %

15 %

Source : enquêtes insertion des jeunes diplômés réalisées par la Conférence des grandes écoles.

Dans l’ensemble, le taux de premier emploi à l’étranger s’est accru en 2013, pour atteindre 15,7 %, avant de se stabiliser à 15 % en 2014. Cette hausse est pour l’essentiel due à celle concernant les managers, avec un taux d’expatriation atteignant en 2014 près de 23 %, tandis que le taux d’expatriation des ingénieurs reste de l’ordre de 12 %.

Ces données portent sur l’ensemble des diplômés des établissements concernés, et intègrent donc les étudiants étrangers, qui ne font pas l’objet d’un traitement statistique distinct. La proportion d’étudiants français, diplômés de ces grandes écoles, partant à l’étranger pour leur première expérience professionnelle, est donc nécessairement inférieure aux taux présentés plus haut – les étudiants étrangers ayant une propension plus grande à retourner dans leur pays d’origine ou à continuer leur expérience à l’étranger.

Comme le soulignait M. Bernard Ramanantsoa, président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles (CGE), et directeur général d’HEC Paris, « les résultats varient aussi de façon importante selon la spécialité des élèves. Par exemple, 55 % de ceux qui ont suivi la majeure Finance au cours de la dernière année de leur scolarité trouvent un premier emploi à l’étranger, essentiellement à Londres et à New York. En revanche, 80 % des étudiants de la majeure Entrepreneurs, dont la vocation essentielle, même si elle n’est pas unique, est de préparer les futurs diplômés désireux de créer leur entreprise, obtiennent leur premier emploi en France. » (76)

Ces propos, s’agissant des créateurs d’entreprise, viennent nuancer l’idée reçue très répandue selon laquelle les jeunes diplômés français préféreraient s’expatrier pour créer leur entreprise. M. Bernard Ramanantsoa a précisé ensuite : « nous savons qu’environ 17 % des élèves d’une promotion d’HEC créent une entreprise dans les trois ans après l’obtention du diplôme, ce qui est un résultat plutôt bon. Je ne dispose pas de chiffres précis les concernant, mais j’ai souvent l’occasion de les rencontrer, au sein de l’école puis quelques mois après qu’ils l’ont quittée. Beaucoup ne se posent pas la question de leur départ à l’étranger ; leur réflexe est plutôt de s’implanter en France, afin de bénéficier d’un environnement dans lequel ils sont plus à l’aise et pourront plus facilement activer leurs réseaux. En revanche, ils ont tous, dès le début, l’idée qu’il faudra un jour développer leur entreprise à l’international. Cela fait partie de leur premier business plan, celui qui leur permettra de lever des fonds. »

Pour autant, le taux d’expatriation des jeunes diplômés n’a pas connu d’évolution exceptionnelle au cours des dernières années, puisqu’il a oscillé entre 11 et 15 % entre 2001 et 2011, et qu’il était compris entre 8 et 11 % selon les enquêtes de 1996 et 1997 de la Conférence – pour ces dernières, il était de plus indiqué que « les modalités de l’enquête permett[e]nt de penser que ce taux est sous-estimé ». On ne peut donc parler d’un développement exponentiel de l’expatriation des jeunes diplômés au cours des vingt dernières années mais plutôt d’une croissance continue, s’inscrivant dans l’internationalisation des marchés du travail.

Source : enquête insertion des jeunes diplômés réalisée par la CGE, année 2011.

Les principales destinations de ces jeunes diplômés sont le Royaume-Uni, (14,8 % en 2014), la Suisse (12,4 %) et l’Allemagne (10,9 %). La majorité des jeunes diplômés s’installent donc en Europe. Néanmoins, l’on observe une diversification des pays de destination, vers des zones plus éloignées. La Chine attire ainsi 7 % des jeunes diplômés expatriés en 2014, contre 6,8 % en 2013 et 4,5 % en 2012. M. Bernard Ramanantsoa soulignait ainsi que « de plus en plus de jeunes diplômés d’HEC sont attirés notamment par les villes de Singapour et de Shanghai. Hong Kong est en perte de vitesse, tandis que l’Inde et le Japon restent des destinations minoritaires. » (77). M. Julien Roitman faisait également état de l’attractivité croissante des pays asiatiques pour les ingénieurs diplômés en France (78).

Les résultats des enquêtes précédentes de la Conférence des grandes écoles, plus parcellaires en la matière, laissent penser que les destinations étaient moins variées par le passé : ainsi, selon l’enquête de 2003, 30 % des diplômés des écoles de commerce et de management partis à l’étranger avaient choisi le Royaume-Uni, contre 14,3 % en 2014.

VENTILATION PAR PAYS DE DESTINATION DES DIPLÔMÉS OCCUPANT
LEUR PREMIER POSTE À L’ÉTRANGER

 

2014 (promotion 2013)

2013 (promotion 2012)

2012 (promotion 2011)

Pays de travail

Ingénieurs

Managers

Ensemble

Ingénieurs

Managers

Ensemble

Ingénieurs

Managers

Ensemble

Royaume-Uni

15,4

14,3

14,8

13,6

16,1

14,9

12,1

11,7

12,5

Suisse

13,6

11,2

12,4

14,3

10

12

13,7

16,4

14,3

Allemagne

12

10

10,9

13,4

9,1

11,1

12,1

6,6

10,2

Luxembourg

5,6

8,3

7

2,7

11,4

7,3

3,1

16,1

7,1

Chine (1)

3,7

10,8

7

4,9

8,4

6,8

3,7

6

4,5

États-Unis

6,4

4,6

5,5

8,2

6,2

7,2

6,5

3,5

5,5

Belgique

5,3

2,6

4

6,2

3,6

4,8

7,2

2,8

5,8

Maroc

3,9

3,1

3,6

2,8

3,4

3,1

nc

nc

nc

Canada

3.1

4,3

3,8

4,9

1,2

2,9

5,3

3,2

4,8

Espagne

2,7

1

1,9

2

3,1

2,6

nc

nc

nc

Autres pays

28,3

29,8

29,1

26,9

27,5

27,2

36,4

33,8

35,2

(1) Y compris Hong Kong et Macao.

Source : enquêtes insertion des jeunes diplômés réalisées par la Conférence des grandes écoles.

Les destinations les plus prisées ne sont pas les mêmes selon les cursus, du fait des caractéristiques économiques des différents pays concernés : par exemple, en 2013, l’Allemagne attirait une part notable, soit 13,4 %, des ingénieurs, mais seulement 9,1 % des managers, tandis que le Luxembourg regroupait 16,1 % des managers en 2012, contre 3,1 % des ingénieurs.

En revanche, les données manquent s’agissant des diplômés de l’université et de cycles plus courts, mais aussi des jeunes sans qualification. Il semble que la part de premiers postes à l’étranger est nettement moins élevée pour les jeunes moins diplômés. Selon M. Guillaume Bordry, président de l’Assemblée des directeurs d’IUT (ADIUT), les statistiques disponibles font état d’un taux d’expatriation d’environ 2 % : « Les expatriations pour le travail, quant à elles, représentent 1 % à 2 % de nos diplômés, avec comme principales destinations l’Europe, à la faveur du programme Erasmus en particulier, puis le Canada, l’Australie et l’Amérique latine. En dépit de la crise, ce chiffre demeure stable : entre 2008 et 2011, 98 % de nos étudiants sont toujours présents sur le territoire national trente mois après leur diplôme. » (79). Il relevait toutefois que ces chiffres étaient partiels, avec 60 % de réponses, et qu’il existait peut-être un biais statistique, en ce qu’il était plus simple pour un étudiant de répondre s’il se trouvait toujours sur le territoire national.

En revanche, M. Guillaume Bordry soulignait que « 10 % à 20 %, selon les IUT, de nos étudiants partent à l’étranger une fois diplômés, mais essentiellement, là encore, pour des séjours d’études – il ne s’agit pas d’un départ en vue de travailler. » La logique est alors différente, puisqu’il s’agit de compléter une formation en suivant un cursus à l’étranger.

b.  La diminution du recours à l’expatriation par les entreprises et des avantages matériels qui y sont associés

De façon générale, la part des salariés envoyés à l’étranger par leur entreprise ou leur administration est orientée à la baisse, tandis que les avantages associés au statut d’expatrié sont en régression. Parallèlement, les Français partent plus facilement à l’étranger dans le cadre d’une embauche par une entreprise étrangère ou d’un projet personnel ; ils acceptent de s’expatrier sans bénéficier des avantages qui étaient systématiquement proposés par le passé par les entreprises.

Tel est le constat de M. Christophe Bouchard, directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire, selon lequel « les consulats observent également, sans pouvoir mesurer ce phénomène de manière statistique, une augmentation du nombre des projets individuels : des personnes décident de s’installer par elles-mêmes à l’étranger, notamment en Europe, en Amérique du Nord ou en Océanie. En revanche, l’expatriation classique des salariés envoyés par leurs entreprises à l’étranger est en net recul. » (80)

Les réponses recueillies dans le cadre de l’enquête Mondissimo de 2013 vont dans le même sens, puisque la part des détachés ou expatriés par une entreprise, une administration, une organisation non gouvernementale ou une association est passée de 36 % à 19 % entre 2003 et 2013 parmi les participants.

Mme Audrey Goutille, directrice générale France de la société Helma International, confirmait cette évolution : « Nous observons moins une évolution du volume des départs de France ou des arrivées qu’une modification de la typologie des salariés concernés. Contrairement à ce qui se produisait encore hier, ces derniers sont désormais prêts à s’expatrier sans que soit proposée une rémunération particulièrement avantageuse – dans certains pays, il est aujourd’hui possible de signer des contrats s’apparentant aux contrats locaux. » (81)

Envoyer un salarié en expatriation coûte cher aux entreprises, M. Jorge Prieto Martin, dirigeant-fondateur de la société RH Expat, précisait que « selon diverses estimations, un salarié expatrié coûte environ deux fois et demie plus cher qu’un salarié en France. Un tel coût explique la stagnation du nombre d’expatriés et la tendance à l’allégement des packages. » (82)

Il ajoutait qu’en conséquence, désormais, « pour se développer, mais aussi parfois pour des raisons économiques, les grands groupes français favorisent l’évolution de talents étrangers dans des mobilités croisées : un Marocain sera employé en Indonésie, un Américain en Chine… L’expatriation des Français n’est plus la solution unique. »

M. Denis Colombi faisait une évaluation similaire ; selon lui, envoyer un salarié en expatriation coûte « jusqu’à deux ou trois fois le coût « local » du salarié » (83). Il indiquait lui aussi que « les entreprises ont tendance à réduire de plus en plus leur recours à l’expatriation. Les entreprises françaises ont même tendance à réduire le package d’avantages associés, du moins à en rationaliser les différents éléments. »

Les expatriations de salariés sont ainsi davantage centrées sur certains profils. Le sociologue Denis Colombi analysait ainsi les caractéristiques des salariés dont l’expatriation était toujours jugée nécessaire, du point de vue des entreprises : « les emplois ciblés sont généralement liés, d’abord, à des contraintes de production : certaines activités industrielles, notamment, n’existent plus ou ne peuvent exister en France – comme une plateforme pétrolière. Il est alors nécessaire d’envoyer des employés à l’étranger. Il peut s’agir aussi d’envoyer des compétences rares. (…). Dans ces cas, il faut parfois offrir des packages plus larges, ces experts n’ayant pas forcément envie de se déplacer. Cela peut être aussi pour conquérir des marchés, développer une activité dans un pays où l’entreprise n’est pas encore installée. Ce sont alors des personnes dans lesquelles l’entreprise peut avoir confiance, qui connaissent ses processus
– process –, ses façons de travailler et sa culture.

Une dernière raison d’envoyer un expatrié - la plus rare mais qui s’avère fondamentale – est la volonté de construire la carrière de certaines personnes à haut potentiel en les mettant en contact avec l’international. Cela peut se réaliser par leur affectation sur un poste les obligeant à traiter avec d’autres pays, mais cela passe souvent par une expatriation. »

M. Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général de Total, a confirmé cette internationalisation des carrières dans un grand groupe tel que le sien. « Tout le monde, chez Total, a été ou sera expatrié. On peut même dire que c’est dans les gènes de l’entreprise. Celui qui rentre chez nous vise le plus souvent une carrière internationale » a-t-il indiqué, ajoutant que les jeunes « savent, quand ils rentrent chez nous, qu’ils vont s’exposer à des carrières internationales et, de fait, ils le souhaitent. De temps en temps, ils aiment bien rester à l’étranger, parfois un peu plus qu’on ne le voudrait. » (84)

Les données statistiques relatives aux avantages associés à l’expatriation des salariés apparaissent relativement limitées. Toutefois, les informations fournies par l’enquête Mondissimo précitée font état d’une diminution de ces avantages. Selon les données recueillies, le taux de prise en charge des frais de logement est en forte baisse depuis dix ans : en 2003, la majorité des salariés ayant répondu au questionnaire (55 %) bénéficiait d’une prise en charge totale des frais de logement, tandis qu’en 2013, pour près des trois quart des salariés, la prise en charge était inférieure à 25 %.

TAUX DE PRISE EN CHARGE DES FRAIS DE LOGEMENT PAR LES EMPLOYEURS

Source : « Expatriés, votre vie nous intéresse… », Mondissimo (2013).

La tendance est identique pour les frais de scolarité des enfants : entre 2005 et 2013, la part d’expatriés dont l’employeur prenait en charge les frais de scolarité des enfants est passée de 54 % à 21 %.

RÉPARTITION DE LA PRISE EN CHARGE LES FRAIS DE SCOLARITÉ DES ENFANTS ENTRE L’ENTREPRISE ET LES PARENTS

Source : « Expatriés, votre vie nous intéresse… », Mondissimo (2013).

Cette évolution générale n’est pas sans incidence sur le profil des Français expatriés. La réduction de ces avantages relatifs au logement et aux frais de scolarité peut dissuader les familles, alors qu’elle constitue moins un frein pour les jeunes qui ne sont pas concernés par les problématiques de scolarisation des enfants, et qui sont prêts à faire des compromis sur le logement.

Mme Martina Meinhold, fondatrice et gérante de la société Management Mobility Consulting, corroborait cette analyse : « depuis nos débuts, la demande s’est considérablement diversifiée. Il y a quelques années, nous traitions par exemple essentiellement de « l’impatriation » de cadres supérieurs âgés de 35 à 50 ans bénéficiant de contrats « tapis rouge », très favorables pour eux et leur famille. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les entreprises font appel à nous pour des profils très divers, parfois pour des débutants, ce qui n’est pas sans effet sur les services qui nous sont demandés. » (85)

c.  Vers un allongement de la durée du séjour à l’étranger ?

Au regard des résultats de différentes enquêtes, se pose la question de l’allongement de la durée du séjour des Français à l’étranger, voire de l’éloignement de leurs perspectives de retour. Là encore, il est difficile d’obtenir des données statistiques précises. Les informations figurant dans le registre des Français établis hors de France ne sont pas statistiquement exploitées, au-delà du fait qu’elles ne sont pas suffisamment fiables compte tenu des modalités de radiation du registre.

Les enquêtes de la Maison des Français de l’étranger de 2008 et de 2013 fournissent toutefois des données sur la durée de séjour des expatriés. Nonobstant la taille réduite des échantillons (avec le recueil de 2 971 témoignages d’expatriés pour l’enquête de 2008, et de 8 937 témoignages en 2013), et les limites de ce mode d’enquête, déjà soulignées à plusieurs reprises, les informations présentées laissent transparaître une augmentation de l’ancienneté des expatriés : la part des expatriés résidant dans leur pays d’accueil depuis moins de cinq ans est passée de 68,2 % dans l’enquête de 2008 à 52 % dans l’enquête de 2013, tandis que la part des expatriés résidant dans leur pays d’accueil depuis plus de dix ans est passée de 15,9 % à 29 % entre ces deux enquêtes.

En 2013, c’est en Afrique du nord, en Europe occidentale et en Amérique du nord que la part des expatriés installés depuis plus de dix ans est la plus forte (respectivement 42 %, 38 % et 30 %), et c’est en Europe de l’est (14 %) et en Asie-Océanie (17 %) qu’elle est la plus faible.

Les données présentées dans l’enquête Mondissimo manifestent également une tendance à l’allongement des séjours au cours des dernières années, puisque la part des Français installés à l’étranger depuis plus de dix ans parmi les personnes ayant répondu au questionnaire est passée de 27 % en 2005 à 38 % en 2013.

À la question : « Envisagez-vous de rentrer un jour en France, et si oui à quelle échéance ? », environ un quart des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de la Maison des Français de l’étranger de 2013 pensent revenir d’ici cinq ans, et seulement 17 % d’entre elles répondent par la négative. Mais surtout, 47 % indiquent qu’ils n’ont pas pris de décision à ce stade.

Quant au baromètre de l’humeur des jeunes diplômés de 2014 établi par le cabinet Deloitte, il comprend une question sur la durée souhaitée d’expatriation, posée aux jeunes diplômés qui envisagent leur avenir à l’étranger : 55 % d’entre eux envisagent de partir pendant une durée inférieure à cinq ans, mais 28 % pensent partir pour toute la durée de leur carrière.

Il convient de prendre avec prudence les données sur les intentions des candidats au départ, mais aussi sur celles des personnes expatriées, car il y a souvent loin entre les souhaits exprimés et leur réalisation. Pour autant, plusieurs personnes auditionnées ont évoqué la question de la durée de l’expatriation. M. Jean-Yves Durance, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, a ainsi relevé que « si, en matière d’expatriation, la France est en retard par rapport à ses concurrents, on observe toutefois un allongement de la durée du séjour. » (86)

De fait, des personnes non rattachées à une structure française par un contrat d’expatriation ou de détachement n’ont pas d’horizon de temps défini dans le pays d’accueil et leurs intentions de retour sont naturellement moins précises. M. Jean-Luc Biacabe a précisé que « l’expatriation dans le cadre de l’entreprise fait partie du parcours professionnel : les expatriés peuvent revenir. En revanche, le retour de ceux qui travaillent pour une entreprise étrangère ou qui partent fonder une entreprise dépendra du succès de leur parcours à l’étranger. (…) L’artisan français qui, installé à Shanghai, monte une chaîne de boulangerie a peu de raisons de revenir. Il en sera différemment de celui qui tente sa chance dans la Silicon Valley, où 80 % des jeunes échouent à trouver un emploi, ce qui les incite à revenir. Leurs perspectives sont donc différentes de celles de leurs aînés, expatriés par des entreprises. » (87)

M. Maxime Boisnard, directeur de la société MRS Management, est intervenu dans le même sens, en indiquant que « les expatriés accompagnés par nos sociétés sont des salariés qui quittent la France pour une période de vingt-quatre à quarante-huit mois. Un constat majeur s’impose, si je compare mes dix premières années d’expérience dans mon métier, entre 1997 et 2007, et la période récente : les personnes de moins de 30 ans tentées aujourd’hui par l’expatriation n’ont plus nécessairement à l’esprit l’idée d’un retour. » (88)

M. Jean-Marc Mickeler a quant à lui fait part de son inquiétude, en relevant à propos des Français à l’étranger que « le fait qu’ils soient de plus en plus nombreux à envisager l’expatriation est une bonne chose pour l’économie française (…) Mais le fait qu’ils soient nombreux à ne prendre qu’un billet « aller » est une préoccupation. » (89)

Pour autant, la question de la durée d’expatriation est complexe, en ce qu’elle dépend certes des trajectoires professionnelles des intéressés, de leurs succès ou de leurs difficultés sur place, et de l’état du marché du travail dans les différents pays, mais qu’elle est aussi indissociable de leur vie personnelle, ne serait-ce que parce qu’ils peuvent rencontrer leur conjoint dans le pays d’expatriation et décider de s’installer définitivement sur place pour cette raison.

A contrario, comme le soulignait M. Denis Colombi, d’autres mécanismes peuvent intervenir, avec des interactions entre vie professionnelle à l’étranger et en France, qui jouent en faveur d’un retour en France après une période d’expatriation : pour nombre de Français expatriés, « l’expatriation n’est vraiment utile que dans la perspective de sa valorisation en France, au moment du retour. (…)Même à l’étranger, même travaillant pour une entreprise étrangère, les liens avec la France perdurent et c’est leur principal avantage de carrière que de savoir faire le lien entre la France et l’étranger. C’est ce dont les entreprises françaises ont besoin. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elles envoient des personnes à l’étranger : pouvoir disposer de personnes de confiance pour les aider à développer leur activité à l’étranger. » (90)

Enfin, M. Jean-Christophe Dumont est venu apporter un éclairage différent sur la question, en faisant état de statistiques de l’OCDE qui tendent à relativiser l’idée d’un allongement des durées d’expatriation. Il a indiqué : « cette question du retour des expatriés est très compliquée et je me défie des chiffres qui ont été diffusés ça et là, notamment par la chambre de commerce de Paris, car ils ont été établis sur la base d’échantillons très réduits. Je pense qu’il faut être extrêmement prudent en la matière.

Alors que le nombre de diplômés du supérieur français expatriés en Espagne était en forte augmentation entre 2007 et 2010, il diminue depuis, du fait de la détérioration de la situation économique de ce pays. Même si rien ne dit que ces expatriés reviennent en France, ces éléments montrent du moins que mobilité ne signifie pas forcément installation.

Par ailleurs, les statistiques dont nous disposons montrent qu’environ 44 % des Français arrivés en Allemagne en 2012 y étaient toujours un an après, contre environ 41 % en 2011. Mais, en 2012, la proportion pour les autres ressortissants de l’Union et de l’OCDE était respectivement d’environ 50 % et de près de 52 %.

D’autre part, peu de Français acquièrent la nationalité d’autres pays de l’OCDE. Leur nombre reste stable, autour de 8 000 personnes par an, même s’il a très légèrement augmenté. Cela signifie que le lien n’est pas totalement rompu entre les expatriés et la France. » (91)

Il s’avère donc difficile de parvenir à une conclusion sur l’évolution de la durée d’expatriation. En tout état de cause, l’enquête de la Maison des Français de l’étranger de 2013 fait état de retours en France réguliers des Français expatriés (78 % d’entre eux rentrant au moins une fois par an en France), ainsi que du maintien de liens privilégiés (attaches familiales,  liens professionnels, biens immobiliers…) de ces Français avec notre pays, pour 88 % d’entre eux.

d.  De nouvelles formes de mobilité : le « programme Vacances-Travail »

Depuis une quinzaine d’années, un nouveau dispositif à destination des jeunes, intitulé « programme vacances-travail » (PVT) a été introduit par le biais d’accords conclus par la France avec différents pays et fondés peu ou prou sur le même modèle : ils visent à permettre à des jeunes de 18 à 30 ans (voire 35 ans, au Canada), sur une base réciproque, de découvrir un autre pays et d’y passer des vacances, tout en pouvant y exercer un métier pour compléter leurs moyens financiers. Le visa accordé dans ce cadre est valable un an, sans possibilité de prolongation – sauf en Australie, où il peut être prolongé d’un an, sous réserve d’effectuer un séjour de trois mois de travail spécifique, dans une des régions éligibles.

La France a signé des accords dit « vacances-travail » avec sept pays : le Japon et la Nouvelle-Zélande, en 1999, l’Australie et le Canada, en 2003, la Corée du Sud, en 2008, l’Argentine, en 2011 et Hong Kong en 2013. De plus, la France a signé avec la Russie un accord sur les migrations professionnelles en 2009, qui comporte des dispositions relatives aux visas « vacances-travail ».

Le nombre de bénéficiaires est limité pour la plupart des pays par un quota, fixé chaque année par les pays participants. En 2013, ces quotas s’élevaient à 6 750 pour le Canada, 2 000 pour la Corée du Sud, 1 500 pour le Japon, 500 pour l’Argentine et la Russie, et 200 pour Hong Kong. En revanche, l’Australie et la Nouvelle-Zélande n’imposent plus de quotas pour les Français : c’est ainsi qu’en 2012, pas moins de 19 000 jeunes français ont pu effectuer un séjour en Australie – soit près du quart de la totalité des participants chaque année (80 000). Les candidats au départ doivent remplir plusieurs conditions, notamment disposer d’un minimum de ressources, fixé lui aussi chaque année par les pays signataires (3 800 euros en Australie, 2 100 euros au Canada, 2 500 euros pour la Corée du Sud…)

Il ne s’agit pas à proprement parler d’expatriation professionnelle, puisque l’objectif est davantage de découvrir la culture d’un pays que d’y exercer un travail. Pour autant, ce dispositif permet d’établir un premier contact avec un pays étranger, de se confronter à son marché du travail et de maîtriser parfaitement la langue qui y est parlée. Il facilite une expatriation ultérieure, le cas échéant, alors même que plusieurs des pays concernés par ce type de programme, notamment le Canada et l’Australie, compte parmi les destinations les plus appréciées des candidats au départ.

M. Christophe Bouchard soulignait d’ailleurs que ces programmes constituent parfois une étape destinée à préparer une installation dans le pays concerné : « Plusieurs dizaines de milliers de jeunes partent à l’étranger un an, éventuellement renouvelable, dans le cadre des programmes vacances travail, une nouveauté des dix dernières années qui existe dans un nombre croissant de pays, où ces jeunes ont l’autorisation de travailler pour financer leur séjour. Pour certains d’entre eux, ces séjours débouchent sur une installation plus longue à visée professionnelle. » (92)

Ces programmes rencontrent un succès grandissant : en février dernier, pas moins de 40 000 candidats se sont connectés à la plateforme dédiée pour tenter d’obtenir l’un des 2 250 visas attribués pour le Canada (soit le tiers du quota annuel) : ces derniers ont été accordés en moins d’un quart d’heure… Nombre des candidats au programme avec le Canada semblent d’ailleurs souhaiter s’installer de façon plus pérenne sur place, au-delà de l’année de validité du visa.

B. L’EXPATRIATION PROFESSIONNELLE PEUT AUSSI REFLÉTER LES DIFFICULTÉS DU MARCHÉ DU TRAVAIL, NOTAMMENT POUR LES JEUNES

Le développement de l’expatriation professionnelle des Français s’inscrit avant tout dans une dynamique mondiale, et constitue une évolution naturelle, qui bénéficie à l’économie française in fine. Pour autant, il serait illusoire de vouloir ignorer que cette mobilité internationale accrue est encouragée par une moindre attractivité du marché français du travail, notamment du fait du taux de chômage élevé des jeunes.

1. Les incidences du maintien du taux de chômage des jeunes à un niveau élevé

Au-delà de l’envie de voyages et de découvertes et de la volonté de valoriser son parcours professionnel en s’expatriant, l’atonie du marché du travail français, particulièrement pour les jeunes, peut aussi jouer en faveur de l’expatriation, pour les jeunes diplômés comme pour les jeunes sans qualification.

M. Jean-Luc Biacabe relevait par exemple qu’« à côté de ces mouvements de long terme [l’accroissement de la mobilité internationale de la main-d’œuvre et les implications de la construction européenne], qui sont irréversibles, il existe des mouvements de court terme, qui dépendent de la situation conjoncturelle française : l’état du marché du travail est, malheureusement, un profond accélérateur du mouvement de mobilité internationale. Vivre dans un pays où 22 % des moins de 25 ans sont au chômage et où les perspectives à l’horizon d’une année demeurent relativement sombres incite à aller voir ailleurs. » (93)

Selon le baromètre 2014 de l’humeur des jeunes diplômés réalisé par Deloitte de 2014, parmi les principaux inconvénients de la France en termes d’avenir professionnel, « l’état du marché de l’emploi » figure en tête, à hauteur de 63 % (la question ayant été posée aux personnes qui avaient répondu que la France ne présentait aucun argument pour leur avenir professionnel, soit 19 % de l’échantillon total).

Selon cette même étude, 27 % des jeunes diplômés interrogés estimaient que leur avenir professionnel se situait à l’étranger – soit une proportion identique à celle de 2013, mais nettement supérieure à celle de 2012 (seuls 13 % des jeunes diplômés ayant répondu de la même façon).

De fait, le chômage se maintient à un niveau relativement élevé depuis 2000, en oscillant entre 7,8 % et 10,2 %, tout en s’inscrivant dans la moyenne des pays européens – soit 10,8 % en 2013.

Le taux de chômage des jeunes dépasse quant à lui 20 % quasiment sans discontinuer depuis 2004 ; le différentiel entre le taux de chômage dans son ensemble et celui des jeunes tend d’ailleurs à se creuser depuis 2008.

ÉVOLUTION DU TAUX DE CHÔMAGE EN FRANCE, 2000-2013

Source : INSEE (2013).

Le niveau de chômage des jeunes en France se situe là encore dans la moyenne des pays européens, à savoir 23,4 %. Il est à un niveau proche de celui enregistré au Royaume-Uni, soit 20,5 % en 2013, et s’avère sans commune mesure avec celui constaté dans les pays du sud de l’Europe, à savoir la Grèce, l’Espagne, l’Italie et le Portugal. Le taux de chômage des jeunes y a atteint, en effet, des niveaux extrêmement préoccupants, jusqu’à 58,3 % en Grèce et 55,5 % en Espagne pour l’année 2013. Dans ces différents pays, le basculement s’est opéré en 2008, lors de la crise financière, qui s’est traduite par une récession mais aussi une crise sans précédent des finances publiques et l’adoption de politiques d’austérité. Le taux de chômage des jeunes dans ces pays, qui oscillait entre 17 % et 23 % en 2007, a ainsi crû de façon brutale et continue entre 2008 et 2013. En France, le taux de chômage des jeunes s’est maintenu à un niveau élevé pendant cette période mais n’a pas connu une telle explosion.

En revanche, à rebours de cette évolution, l’Allemagne a enregistré une diminution régulière de son taux de chômage des jeunes depuis 2005 ; ce dernier a atteint un étiage en 2013, à hauteur de 7,9 %, contre 15,5 % huit ans plus tôt. Parallèlement, son taux de chômage d’ensemble s’est limité à 5,3 % en 2013, en deçà de la moyenne des pays de l’OCDE, contre 11,3 % en 2005. Cette baisse du chômage s’explique naturellement par la bonne santé économique de l’Allemagne, mais aussi par sa faible croissance démographique, avec un nombre moins important de personnes entrant chaque année sur le marché du travail. Parallèlement, l’Allemagne a accueilli depuis 2009 un flux croissant d’immigrés, dont une large part en provenance du sud de l’Europe, justement. De jeunes grecs, espagnols ou italiens, confrontés à un marché du travail bloqué, sont venus tenter leur chance en Allemagne.

L’immigration de travail intra-européenne vers l’Allemagne depuis la crise de 2008

Selon un rapport de l’OCDE de février 2013, l’Allemagne est le pays membre de l’organisation le plus ouvert à l’immigration de main d’œuvre hautement qualifiée. S’ajustant aux besoins des entreprises du pays, l’Agence fédérale pour l’emploi oriente les candidats vers des zones prospères, autour de villes comme Stuttgart, Düsseldorf ou Munich.

En 2012, selon un rapport allemand de l’Office des statistiques Destatis, l’Allemagne a connu sa plus forte poussée migratoire depuis 1995, avec l’arrivée de plus d’un million d’immigrants sur son territoire, soit une hausse de 13 % par rapport à 2011.

Si les États d’Europe centrale (Pologne, Roumanie, Hongrie) constituent toujours le plus fort contingent des nouveaux immigrés, le nombre d’arrivants en provenance des pays du sud de l’Europe a connu une croissance spectaculaire depuis 2011 : selon ce rapport de Destatis, les entrées en provenance d’Espagne ont ainsi augmenté de 44,7 %, celles de Grèce ont bondi de 43,4 % et celles de l’Italie se sont accrues de 39,8 %.

Cet afflux de travailleurs répond aux besoins en main d’œuvre de l’Allemagne, qui devraient d’ailleurs augmenter au cours des prochaines années, du fait de sa faible démographie et pour compenser le vieillissement de sa population. Mme Ursula von der Leyen, alors ministre du travail allemande, avait ainsi estimé que cet afflux constituait « une chance énorme, cette nouvelle vague d’immigrés est plus jeune et mieux formée ».

Parallèlement, l’Allemagne a lancé à la fin de l’année 2012 un programme intitulé MobiPro-EU, promu sous le nom de « The job of my life » sur internet, avec pour objectif de permettre aux jeunes européens de venir se former en alternance, de faire un stage ou de travailler en Allemagne, dans des secteurs où la main d’œuvre manque sur place. Le programme, réservé aux citoyens de l’Union européenne âgés de 18 à 35 ans (voire 40 ans dans certains cas), se présente également comme une contribution à la lutte contre le chômage des jeunes en Europe. S’il est ouvert à tous les Européens, le programme met toutefois l’accent sur les pays du sud du continent où le taux de chômage est très élevé. C’est en Espagne que «The Job of my Life» a rencontré son plus grand succès : 5 600 Espagnols ont déposé un dossier pour venir s’installer en Allemagne. Les jeunes Polonais et Hongrois sont, eux aussi, nombreux à avoir répondu à l’appel. Le programme avait également été présenté en Bulgarie ou au Portugal.

L’Agence centrale de placement pour le travail spécialisé et à l’étranger (ZAV), qui dépend de l’Agence fédérale pour l’emploi et conduit ce programme, finance des cours d’allemand dans le pays d’origine et prend en charge des frais de déménagement à condition d’avoir trouvé une place en formation ou un emploi dans un secteur en manque de main-d’œuvre, comme l’hôtellerie ou les soins aux personnes âgées.

Néanmoins, MobiPro-EU a été victime de son succès et il a dû être suspendu en avril 2014. Le programme n’a pas été en mesure de suivre l’inflation des demandes, bien que le budget initial ait été rapidement revu à la hausse et porté à 400 millions d’euros. En effet, les résultats du programme ont largement dépassé les prévisions : fin janvier 2013, le site internet de « The job of my life » avait reçu 170 000 visites et, fin mars, presque 9 000 jeunes ont sollicité une subvention du programme. Ainsi, seuls ceux dont les dossiers ont déjà été acceptés continueront à bénéficier du programme, qui reprendra théoriquement en 2015.

Pour autant, derrière la vitrine attractive d’une Allemagne prospère, au taux de chômage très bas, se dissimulent parfois de fortes désillusions, notamment pour les jeunes peu diplômés. Bon nombre de jeunes migrants grecs ou espagnols doivent se contenter de postes précaires ne correspondant pas à leurs qualifications.

La France se trouve dans une situation bien éloignée de celle de la Grèce ou de l’Espagne : dans ces pays, qui enregistrent des départs massifs depuis 2010, l’expatriation peut sembler la seule issue pour une grande partie de la jeunesse. Pour autant, il est certain que la morosité du marché du travail français peut pousser, aux côtés d’autres facteurs, à tenter sa chance à l’étranger. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les destinations de prédilection citées par les personnes interrogées dans le cadre du baromètre de l’humeur des jeunes diplômés, au titre de leur attractivité, sont le Canada (13,6 % de chômage pour les jeunes), les États-Unis (15,5 %) et l’Australie (12,2 %).

S’agissant du marché du travail, le différentiel de rémunération est également cité comme élément de motivation pour l’expatriation, sans qu’il soit nécessairement décisif toutefois. M. Jean-Yves Durance a ainsi relevé lors de son audition l’attraction exercée par des revenus plus élevés à l’étranger (94). De fait, les statistiques fournies par l’enquête insertion des jeunes diplômés de juin 2014 font état d’un différentiel notable, puisque la rémunération brute annuelle totale, incluant les primes et les avantages, atteint 37 601 euros en Île-de-France, 33 247 euros en province, mais 44 044 euros à l’étranger – soit 20 % de plus que pour l’ensemble des jeunes diplômés (36 675 euros).

Dans ses réponses au questionnaire envoyé par la commission, l’école de commerce HEC citait d’ailleurs, au titre des principaux déterminants d’un départ à l’étranger, l’envie de voyage et les opportunités de carrière, mais aussi « les écarts de salaires conséquents et qui ne cessent de se creuser (39 % en 2012) entre un démarrage en France et à l’international ». Elle précisait toutefois que « ces écarts étaient tirés en grande partie par les embauches dans le secteur de la finance, qui ont majoritairement lieu à l’international (Royaume-Uni, Suisse et États-Unis principalement). »

M. Julien Roitman relevait certes que, « au chapitre des motivations, le salaire est un argument beaucoup plus marginal qu’on pourrait le penser, puisque seulement 10 % à 12 % des personnes le mettent en avant. » Néanmoins, il ajoutait que « selon nos statistiques, un ingénieur à l’international perçoit un salaire plus élevé de 50 % que celui qui lui serait versé en France métropolitaine. » (95)

On peut enfin ajouter le témoignage allant dans le même sens de M. Julien Villedieu, délégué général du Syndicat national du jeu vidéo, qui rappelait que « la concurrence acharnée que l’on vit à travers le monde se porte sur les talents. Or le salaire moyen, en France, tourne autour de 33 000 euros alors qu’au Canada, par exemple, il tourne autour de 46 000 euros. Quand je parle de salaire moyen, je vise un salaire médian, dans notre secteur d’activité, soit la production de jeux vidéo, pour des fonctions classiques de développement, et versé à des ingénieurs et à des infographistes. » (96)

2. Le poids de la hiérarchie des diplômes en France

Un facteur moins connu, mais manifestement bien réel, semble également jouer en faveur de l’expatriation, même s’il n’est sans doute pas suffisant, à lui seul, pour expliquer un départ : il s’agit de l’importance accordée en France aux diplômes, et la hiérarchie qui en résulte lors de l’embauche de jeunes salariés. Subsiste l’impression que le fait d’intégrer une grande école en France détermine quasiment une fois pour toute l’avenir professionnel d’un individu, tandis que les qualités professionnelles et l’expérience passent au second plan.

M. Jean-Luc Biacabe indiquait ainsi : « la dictature du diplôme est moins prégnante au Royaume-Uni et en Allemagne qu’en France, ce qui, à la fois, facilite l’entrée sur le marché du travail et permet des carrières beaucoup plus rapides, alors qu’en France il faut non seulement avoir le bon diplôme, mais également attendre pour accéder à des responsabilités. » (97). À l’étranger, le niveau du diplôme prime sur l’établissement qui le délivre, et le potentiel du candidat est davantage pris en compte que son cursus étudiant.

M. Denis Colombi observait que « pour certains profils sociologiques bien définis, notamment des diplômés de l’université ou de petites écoles de commerce ou d’ingénieur, le choix de l’international peut être dicté par la possibilité d’y être mieux valorisé professionnellement, du fait de la concurrence sur le marché du travail en France. C’est le cas d’un diplômé de l’université de Lyon qui, après plusieurs années de vie professionnelle à l’étranger, souhaitait rentrer en France pour se rapprocher de sa famille, a échoué à trouver un emploi qui lui convenait parce que son diplôme ne faisait pas le poids face aux polytechniciens, aux normaliens ou aux diplômés d’écoles d’ingénieur. À l’étranger, un master est un master, peu importe son origine. » 

Il ajoutait avoir constaté aussi qu’on accordait aux diplômes universitaires français davantage de valeur à l’étranger qu’en France : « Ces titres intéressent les entreprises et les personnes rencontrées à l’étranger, ils permettent de belles carrières à l’extérieur, mais pas en France, moins en tous cas que des diplômes de Polytechnique ou d’autres écoles d’ingénieurs. Il y a un décalage problématique entre la valorisation des diplômes français à l’étranger et leur valorisation en France. » (98)

Dans le cadre du questionnaire transmis par la commission à différentes grandes écoles, l’une d’entre elles, l’EDHEC – école de commerce implantée à Lille et à Nice – a d’ailleurs relevé l’intérêt que ses diplômés avaient à s’expatrier, pour valoriser au mieux leur cursus. Dans ses réponses, l’EDHEC citait ainsi parmi les déterminants d’un départ à l’étranger « une hiérarchie bloquée en France. Le salaire d’embauche est modulé selon le diplôme (un diplômé d’HEC est plus payé qu’un diplômé de l’EDHEC pour un travail identique) alors que les jeunes sont tous traités à égalité à l’étranger quelle que soit la marque de leur diplôme. Donc un diplômé de l’EDHEC a intérêt à partir pour être mieux rémunéré. »

Plus largement, les personnes auditionnées ont souligné que les parcours professionnels à l’étranger étaient davantage fondés sur le mérite, tandis que le droit à l’erreur, au cours d’une carrière, était davantage reconnu. M. Jean-Marc Mickeler estimait ainsi que « la France est un pays qui n’offre pas de seconde chance, contrairement aux pays anglo-saxons où avoir vécu un échec est la condition sine qua non pour accéder à un poste de management. Chez nous, l’échec condamne quasiment un individu à subir sa carrière et à ne plus maîtriser sa destinée professionnelle. Lorsque l’on veut être une entreprise innovante, c’est un frein essentiel. » 

Il soulignait également que, parmi les raisons évoquées par des candidats pour expliquer leur choix pour un poste à l’étranger, figuraient : « premièrement, la perception que la réussite au mérite fonctionne mieux ailleurs qu’en France ; deuxièmement, la perception que la valorisation de leur capacité d’innovation et d’entrepreneuriat sera mieux valorisée par leur premier employeur à l’étranger, par rapport à la façon dont nous pourrions la valoriser en France. » (99) Plus largement, l’impression que l’ascenseur social est bloqué en France, et que la mobilité sociale et professionnelle est faible, par rapport aux autres pays de l’OCDE, est souvent citée comme un facteur encourageant les départs à l’étranger.

III. UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU : L’EXPATRIATION DES RETRAITÉS

Suivant l’exemple d’autres retraités européens, notamment britanniques ou allemands, un nombre semble-t-il croissant de retraités français vient s’installer dans des pays où le coût de la vie est moins élevé, et où le climat s’avère plus favorable. Cela correspond au phénomène de « retraite au soleil », selon l’expression largement utilisée dans les nombreux dossiers consacrés au sujet dans la presse depuis quelques années.

En première analyse, le départ à l’étranger de retraités, qui ne sont plus professionnellement actifs, ne semble pas s’inscrire dans la problématique de l’expatriation des « forces vives », pour reprendre l’intitulé de la présente commission d’enquête. Pour autant, les retraités représentent un poids économique considérable, en termes d’investissements financiers et immobiliers, et créent de nombreux emplois, notamment dans le secteur des services à la personne, à telle enseigne qu’il est apparu pertinent de les inclure dans le champ des travaux de la commission.

A. UN PHÉNOMÈNE DIFFICILE À MESURER AVEC PRÉCISION

1. Un mouvement déjà engagé dans d’autres pays

M. Louis Eudes, président de la société Delocalia, société de conseil en investissement immobilier à l’étranger et de relocation de retraités à l’étranger, a rappelé qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène propre à la France, loin s’en faut (100) ; il a commencé dans d’autres pays, par exemple au Royaume-Uni, en Suède ou encore aux Pays-Bas, notamment du fait du climat peu favorable et des prix élevés de l’immobilier dans ces pays. L’arrivée plus tardive des Français sur le marché de la « retraite au soleil » s’explique sans doute par une moindre propension des Français à l’expatriation, soulignée précédemment, mais aussi par la qualité de vie en France et par la relative douceur de son climat. M. Louis Eudes a ajouté que les Américains pratiquaient depuis longtemps la retraite à l’étranger, notamment dans des pays comme le Mexique ou l’Équateur, dans lesquels tout était organisé à leur intention, notamment des visas pour retraités, des infrastructures d’accueil...

Pour prendre l’exemple du Royaume-Uni, un rapport du Home Office de novembre 2012 sur l’émigration (101), indique que, s’il n’existe pas de statistiques précises sur les personnes émigrant du Royaume-Uni à l’occasion de leur retraite, le nombre de Britanniques de plus de 60 ans pour les femmes et de plus de 65 ans pour les hommes et s’expatriant avait fortement augmenté en 2005 et 2006, pour atteindre un pic de 22 000 personnes en 2006, avant de retrouver son niveau antérieur, entre 4 000 et 8 000 départs chaque année. Le rapport souligne que ce reflux reflète peut-être la chute du cours de la livre sterling, qui a notablement réduit le pouvoir d’achat des Britanniques.

ÉMIGRATION EN PROVENANCE DU ROYAUME-UNI DES CITOYENS BRITANNIQUES ÂGÉS DE PLUS DE 59 ANS, ENTRE 1991 et 2010, EN MILLIERS

Source : Home Office, Emigration from the UK, novembre 2012

La France constitue d’ailleurs une destination d’accueil appréciée des retraités étrangers, notamment d’origine britannique. Selon le rapport précité du Home Office, si la majorité des retraités britanniques expatriés vivent en Australie, au Canada ou aux États-Unis, ce qui correspond aussi au grand nombre de personnes installées dans ces pays bien avant l’âge de la retraite, il apparaît que c’est en France, en Espagne et en Italie que la croissance du nombre de retraités britanniques a été la plus vive. Ce phénomène d’émigration vers le sud de l’Europe résulterait des moindres prix de l’immobilier, ainsi que de la familiarité des Britanniques avec ces pays, qui sont des destinations touristiques très prisées.

Une étude de l’INSEE publiée en 2010 intitulée « La Dordogne, terre d’accueil des Britanniques », corroborait ces données. Selon cette étude, 13 100 Britanniques résidaient en Aquitaine en 2006, dont 6 300 en Dordogne ; leur arrivée était relativement récente, puisque la moitié d’entre eux était sur place depuis moins de cinq ans. Beaucoup sont arrivés à l’approche ou au moment de la retraite : quatre sur dix se déclaraient retraités, soit deux fois plus que l’ensemble des Aquitains, et la moitié avait plus de 55 ans. Moins de 4 % habitaient une autre région de France cinq ans auparavant.

Le recensement réalisé par l’INSEE en 2011 montre que la présence des Britanniques retraités dans la région s’est renforcée depuis 2006, en dépit du ralentissement général des départs évoqué plus haut : 15 786 Britanniques étaient installés en Aquitaine en 2011, dont plus de la moitié, soit 8 785, avaient plus de 55 ans.

2. Les règles applicables aux retraités français résidant à l’étranger

Le bénéficiaire d’une pension de retraite française peut la percevoir quel que soit son pays de résidence (sauf embargo ou guerre) : une fois liquidée, la pension peut donner lieu à un virement dans la banque du choix de l’assuré, en France ou à l’étranger. La seule condition au paiement est de fournir une fois par an un certificat de vie ou d’existence à faire compléter par l’autorité compétente du pays de résidence en matière d’état-civil, et de le renvoyer dans les délais à sa caisse de retraite ; à défaut, le paiement de la retraite est suspendu.

En revanche, il faut noter que le bénéfice de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) est réservé aux personnes résidant en France, aux termes de l’article L. 815-1 du code de la sécurité sociale ; elle n’est donc pas « exportable » au-delà des frontières de la France. Il s’agit en effet d’une prestation non contributive, destinée aux personnes âgées de condition modeste, dont les ressources sont inférieures à certains seuils – son montant maximal s’établit à 792 euros par mois, pour une personne seule

Les dispositions applicables aux retraités domiciliés à l’étranger diffèrent de celles applicables aux retraités restés en France. En premier lieu, les prélèvements sociaux sont moins élevés : les retraites versées à des personnes domiciliées fiscalement à l’étranger ne sont pas soumises à la contribution sociale généralisée (CSG) – dont le taux de droit commun applicable aux retraites est de 6,6 %, et peut être ramené à 3,8 %, voire 0 % selon les ressources du foyer. Elles ne sont pas non plus soumises à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), dont le taux est de 0,5 %, ni à la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA), introduite en 2013 à un taux de 0,3 %.

S’agissant des cotisations d’assurance-maladie, les règles ne sont pas les mêmes selon le lieu de résidence des retraités. En cas d’installation dans un État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen (EEE) ou en Suisse, une cotisation d’assurance maladie est prélevée sur les retraites de source française payées à l’étranger, à hauteur de 3,2 % sur la pension de base (4,2 % sur la pension complémentaire et 7,1 % pour les retraites d’un régime de travailleur indépendant). En contrepartie, et en application des règlements communautaires, les retraités bénéficient d’un rattachement au régime de sécurité sociale de l’État de résidence, et ils peuvent revenir en France se faire soigner, quel que soit le motif de leur séjour. Les retraités résidant dans les autres pays, ont la possibilité de s’affilier à des compagnies d’assurance privée ou à la Caisse des Français de l’étranger (CFE) – organisme privé autonome de la sécurité sociale mais chargé d’un service public –,

afin de bénéficier d’une couverture maladie dans leur pays de résidence. S’agissant de la CFE, le montant de la cotisation varie en fonction de celui de la retraite versée ; il s’agit soit d’une cotisation au taux de 4,2 %, prélevé directement sur la pension, soit une cotisation forfaitaire minimale de 222 euros par trimestre (102). Les assurés peuvent également avoir droit, sous certaines conditions, à la couverture maladie lors d’un séjour temporaire en France.

Enfin, les modalités d’imposition des pensions versées par un organisme français à des retraités domiciliés à l’étranger varient selon les conventions fiscales internationales conclues par la France. Sur le fondement de l’article 4 A du code général des impôts, le principe est que ces revenus de source française sont imposables en France et supportent à ce titre une retenue à la source opérée par la caisse d’affiliation, en application de l’article 182 A du code général des impôts, selon un barème à trois tranches (0 %, 12 % et 20 %), qui peut s’avérer libératoire selon les cas (103). Ces dispositions sont applicables quelle que soit la nationalité du bénéficiaire de la pension, et l’origine, publique ou privée, de cette dernière.

Toutefois, les conventions fiscales signées par la France avec d’autres pays peuvent stipuler que ces pensions sont imposées par le pays de résidence, en distinguant le cas échéant les pensions servies en contrepartie de droits acquis dans le cadre de fonctions publiques, de celles payées au titre d’un emploi antérieur dans le secteur privé. Le tableau ci-dessous récapitule les règles applicables pour différents pays, compte tenu des conventions fiscales conclues :

IMPOSITION DES PENSIONS DE SOURCE FRANÇAISE VERSÉES À DES BÉNÉFICIAIRES EXPATRIÉS, EN FONCTION DES PAYS DE RÉSIDENCE

 

Pensions

 

Pensions

Pays de résidence

Publiques, sauf afférentes à des activités industrielles ou commerciales

Privées

Pays de résidence

Publiques, sauf afférentes à des activités industrielles ou commerciales

Privées

Les pensions sont-elles imposables en France ?

Les pensions sont-elles imposables en France ?

Algérie

oui (1)

non

Malte

oui (2) (4)

non

Allemagne

oui (1)

non

Maroc

oui

non

Australie

oui (2)

non

Mauritanie

non

non

Autriche

oui (1)

non

Mayotte

non

non

Belgique

oui (2)

non

Mexique

oui

non

Brésil

oui (2)

non

Monaco

oui

oui

Bulgarie

oui

non

Nigeria

oui

oui

Cameroun

non

non

Norvège

oui

non

Canada et Québec

oui

oui

Nlle Calédonie

non

non

Chine

oui (2) (4)

non

Nouvelle-Zélande

oui (2) (4)

non

Côte d’Ivoire

non

non

Pays-Bas

oui

non

Croatie

oui (1)

non

Pologne

oui (2)

non

Espagne

oui (1)

non

Polynésie FRANÇAISE

oui

oui

Estonie

oui (1)

non

Portugal

oui (1) (4)

non

États-Unis

oui

oui

Roumanie

oui (7)

non

Finlande

oui

non

Royaume-Uni

oui (1) (4)

non

Grèce

oui (1)

non

Russie

oui (2)

non

Guinée

oui

non

St-P.-et-Miquelon

non

non

Hongrie

oui

non

Sénégal

non

non

Inde

oui (4)

non

Singapour

oui

non

Indonésie

oui

non

Slovaquie

oui (2)

non

Irlande

oui (1) (4) (5)

non

Slovénie

oui (1)

non

Islande

oui (2)

non

Suède

oui (2)

non

Israël

oui (1)

non

Suisse

oui (1) (7)

non

Italie

oui (1) (4)

non

Rep. Tchèque

oui (2)

non

Japon

oui (2) (4)

non

Thaïlande

oui (4)

oui

Lettonie

oui (1)

non

Tunisie

non

non

Liban

oui (1) (3) (4)

non

Turquie

oui (4)

non

Lituanie

oui (1)

non

Viet Nam

oui (1)

non

Luxembourg

oui

non

     

1. Sauf si le pensionné a la seule nationalité du pays de résidence, sans avoir la nationalité française

2. Sauf si le pensionné a la nationalité du pays de résidence, quand bien même il aurait également la nationalité française

3. Sauf si le pensionné a la nationalité du pays de résidence ou en était résident avant d’y rendre les services

4. Les pensions payées au titre de services rendus à un établissement public relèvent des « pensions privées » de la convention. Elles peuvent être soumises à la retenue à la source en France en tant que pensions payées en application de la législation sur la sécurité sociale française (cf. colonne 3).

5. Les pensions payées au titre de services rendus à une collectivité locale relèvent des « pensions privées » de la convention. Elles peuvent être soumises à la retenue à la source en France en tant que pensions payées en application de la législation sur la sécurité sociale française (cf. colonne 3).

6. Une retenue à la source peut néanmoins être pratiquée lorsque l’État de la résidence n’impose pas la pension.

7. Les pensions versées au titre de services rendus dans le cadre d’une activité industrielle ou commerciale relèvent des règles relatives aux pensions publiques

8. La retenue à la source ne peut être pratiquée que dans la limite du montant total annuel du minimum français de retraite (allocation aux vieux travailleurs salariés et allocation supplémentaire, ou tout minimum de retraite analogue qui remplacerait ces allocations), le surplus ne pouvant être imposé qu’en Ukraine.

Source : direction générale des finances publiques.

Ce tableau fait donc apparaître que, dans la lignée des principes généraux du modèle de convention fiscale défini par l’OCDE, les pensions servies au titre d’emplois exercés dans le secteur privé sont généralement imposables dans le pays de résidence, tandis que celles servies au titre de fonctions publiques le sont le plus souvent dans le pays débiteur de la pension. Toutefois, la situation diffère selon les pays, avec souvent des conditions particulières, selon la nationalité des bénéficiaires. Les pensions versées à des agents publics retraités installés en Espagne, par exemple, sont imposées par la France – sauf si le pensionné a la seule nationalité du pays de résidence, sans avoir la nationalité française –, tandis que celles versées à des retraités du privé dans la même situation le sont par l’Espagne. Mais il existe de nombreuses exceptions : ainsi, au Sénégal, toutes les retraites de source française, qu’elles soient d’origine publique ou privée, sont imposables au Sénégal.

3. La difficulté à identifier les retraités expatriés, parmi l’ensemble des bénéficiaires de pensions de retraite françaises

Il n’est toutefois pas aisé de décompter le nombre de retraités français établis à l’étranger, et a fortiori son évolution au cours des dernières années, afin d’appréhender l’ampleur du phénomène de la « retraite au soleil ».

À partir des données statistiques issues du registre des Français établis à hors de France, il apparaît que le nombre de personnes de plus de 60 ans était d’environ 225 000 en 2013, soit 14,1 % du total des inscrits. Ce chiffre est toutefois partiel, compte tenu du caractère facultatif de l’inscription au registre. De surcroît, il ne se confond pas nécessairement avec le nombre de retraités effectifs, puisque le taux d’emploi des seniors est sensiblement plus élevé parmi les Français de l’étranger que sur le territoire national : les personnes de plus de 65 ans présentent un taux d’emploi de près de 24 %, contre 1,9 % en France.

Autre source d’informations pour évaluer la population de retraités expatriés, l’enquête menée en 2013 sur l’expatriation des Français par la Maison des Français de l’étranger (MFE) indique qu’en 2013, 11,5 % des personnes interrogées avaient plus de 60 ans, et que 6 % des personnes interrogées caractérisaient leur séjour par la « retraite ». Ce taux variait selon les zones géographiques, puisqu’il était particulièrement élevé en Afrique du nord, avec 15,4 %, et en Afrique francophone, pour 10 %, contre seulement 1,1 % en Amérique du nord. Pour 40 % des Français expatriés âgés de plus de 60 ans, c’est naturellement la retraite qui caractérisait leur séjour à l’étranger, devant les raisons familiales ou personnelles (26,4 %) (104). Dans l’enquête réalisée en 2010, 5,4 % des personnes interrogées caractérisaient leur séjour à l’étranger par la « retraite », tandis que ce taux n’était que de 2,6 % dans l’enquête de 2008. L’évolution de ce taux entre les trois enquêtes – il a plus que doublé – semble correspondre à une augmentation du nombre de retraités expatriés au cours des cinq dernières années. Toutefois, les modalités de réalisation de cette enquête, réalisée par la mise en ligne d’un questionnaire sur un site internet spécifique, se traduisent sans doute par une sous-représentation des seniors, moins familiers d’internet : ces résultats doivent donc être considérés avec précaution. Par ailleurs, les retraités expatriés peuvent également retenir comme caractéristique de leur séjour des raisons familiales ou personnelles, également proposées dans le cadre de l’enquête, de préférence à la retraite, ce qui viendrait encore à sous-évaluer l’importance du phénomène.

Les données de la Caisse des Français de l’étranger (CFE) laissent également penser que le nombre de retraités expatriés tend à augmenter au cours des dernières années, même si là encore, elles ne permettent pas d’appréhender la question de façon exhaustive : elles ne concernent en effet que les seuls retraités installés hors de l’Union européenne, de l’Espace économique européen et de la Suisse, qui ont choisi de s’affilier à la caisse pour disposer d’une couverture sociale. Sur les 107 700 adhérents recensés au 31 décembre 2012 (représentant près de 200 000 personnes couvertes), la proportion de pensionnés était de 15 % ; cette part s’élevait à 14 % en 2011 et 12 % en 2009.

Néanmoins, au-delà de ces difficultés d’évaluation, il apparaît complexe de distinguer, parmi les retraités français installés à l’étranger, les personnes qui « s’expatrient au soleil » uniquement pour bénéficier d’une meilleure qualité de vie, des personnes nées à l’étranger ayant travaillé en France toute leur vie et ayant acquis la nationalité française, qui retournent dans leur pays d’origine pour y passer leur retraite. Le choix de ces derniers s’explique essentiellement par les liens familiaux et culturels avec le pays d’origine – même si les préoccupations climatiques et de pouvoir d’achat entrent sans doute aussi en ligne de compte. Or les principaux pays dont sont issues des personnes venues travailler en France, comme le Maroc, l’Algérie, le Portugal ou encore l’Espagne, sont souvent aussi ceux qui sont particulièrement prisés par des retraités recherchant des pays plus ensoleillés et où le pouvoir d’achat de leurs pensions serait plus élevé.

Enfin, il est également possible d’utiliser un autre moyen statistiquement plus fiable et plus exhaustif que le registre, les enquêtes de la Maison des Français de l’étranger et les données de la CFE pour appréhender le phénomène de la retraite à l’étranger : il s’agit d’évaluer le nombre de bénéficiaires de pensions de retraite de source française installés à l’étranger, son évolution générale au cours des dernières années ainsi que la ventilation des bénéficiaires par pays, en utilisant les données publiées chaque année par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). Pour autant, et pour les mêmes raisons que celles présentées supra, il n’est pas non plus aisé d’en retirer des enseignements solides, alors que parmi ces retraités bénéficiaires de pensions françaises et domiciliés à l’étranger, certains disposent de la bi-nationalité – celle française et celle du pays de domiciliation –, et d’autres ne sont pas de nationalité française. Là encore, leur situation ne correspond pas à un départ de France uniquement pour améliorer leur qualité de vie et leur pouvoir d’achat, mais s’inscrit dans une logique de retour au pays d’origine.

La répartition des retraités percevant une pension à l’étranger en fonction de leur nationalité – française ou étrangère – n’est disponible que pour le régime social des indépendants (RSI) et la Mutualité sociale agricole (MSA), mais non pour le régime général, qui rassemble pourtant le plus grand nombre d’ayants droits. Il faut noter d’ailleurs que 93,2 % des 179 304 bénéficiaires de pensions de la MSA installés à l’étranger sont de nationalité étrangère en 2013. Les données du RSI sont incomplètes, l’information n’étant pas disponible pour tous les retraités, mais les personnes de nationalité étrangère représentent en 2013 au moins 27 % des 26 077 bénéficiaires de pensions résidant à l’étranger.

Selon les chiffres de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), qui concernent seulement le régime général – soit une large majorité des retraites versées –, sur les 13,625 millions de bénéficiaires, 1,35 million résident à l’étranger. La proportion de bénéficiaires résidant à l’étranger a plus que doublé depuis 1980, passant de 4,6 % en 1980 à 9,9 % en 2013.

En revanche, il n’existe aucune donnée sur le nombre de retraités bi-nationaux, quel que soit le régime de retraite concerné. Or il s’agit sans doute de chiffres élevés, au regard de la part importante des doubles nationaux parmi les inscrits au registre des Français établis hors de France : cette part s’établissait à 42,2 % dans le monde en 2012, et s’avérait, fort logiquement, plus élevée en Afrique du nord (64,4 %). Il n’est donc pas possible d’isoler le nombre de retraités ayant la seule nationalité française et installés à l’étranger, et de présenter son évolution au cours du temps, alors que ce sont sans doute ces chiffres qui permettraient le mieux de définir les contours du phénomène de l’expatriation à l’occasion de la retraite.

Pour autant, il est intéressant de constater que le nombre de bénéficiaires de pensions de source française installés à l’étranger est de l’ordre de 1,6 million en 2012, et qu’il a connu une croissance régulière au cours des quinze dernières années, comme l’illustre le graphique et le tableau suivants :

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PERSONNES BÉNÉFICIAIRES DE PENSIONS DE VIEILLESSE DE SOURCE FRANÇAISE ET RÉSIDANT À L’ÉTRANGER

 

Pays relevant de

règlements européens

Pays relevant de

conventions bilatérales

Total

 

1998

600 419

462 519

1 062 938

1999

630 340

492 453

1 122 793

2000

655 768

517 566

1 173 334

2001

684 812

546 914

1 231 726

2002

721 732

561 180

1 282 912

2003

744 383

584 528

1 328 911

2004

780 933

593 285

1 374 218

2005

798 482

620 579

1 419 061

2006

819 612

649 288

1 468 900

2007

827 876

663 061

1 490 937

2008

840 335

683 625

1 523 960

2009

857 253

699 091

1 556 344

2010

871 554

718 339

1 589 893

2011

880 327

725 482

1 605 809

2012

885 199

741 372

1 626 571

Variation 1998/2012

47,43 %

60,29 %

53,03 %

Source : Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale.

À partir des données statistiques existantes, il est possible de ventiler l’évolution du nombre de bénéficiaires par différents pays de résidence, présentée dans le tableau dessous :

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES DE RETRAITES DE SOURCE FRANÇAISE
EN FONCTION DU PAYS DE RÉSIDENCE

   

2003

2007

Variation 2007/2003

2012

Variation 2012/2007

Pays relevant de règlements européens

(y compris la Pologne en 2002)

Espagne

286 896

318 865

11,1 %

350 678

10,0 %

Portugal

149 626

178 295

19,2 %

205 732

15,4 %

Italie

143 715

147 499

2,6 %

137 903

– 6,5 %

Belgique

73 300

72 224

– 1,5 %

70 173

– 2,8 %

Allemagne

62 145

61 414

– 1,2 %

62 553

1,9 %

Suisse

12 749

17 248

35,3 %

22 562

30,8 %

Autres

30 818

32 331

4,9 %

35 598

10,1 %

Sous-total

759 249

827 876

9,0 %

885 199

6,9 %

Pays relevant de conventions bilatérales

(hors Pologne en 2002)

Algérie

407 666

461 060

13,1 %

482 979

4,8 %

Maroc

62 488

77 597

24,2 %

97 419

25,5 %

Tunisie

23 154

30 251

30,7 %

40 557

34,1 %

Canada (+Québec)

18 495

19 845

7,3 %

10 677

– 46,2 %

États-Unis

15 100

15 758

4,4 %

16 927

7,4 %

Turquie

8 986

13 114

45,9 %

18 704

42,6 %

Autres

36 477

45 436

24,6 %

74 109

63,1 %

Sous-total

572 366

663 061

15,8 %

741 372

11,8 %

Autres pays

 

11 523

13 193

14,5 %

16 803

27,4 %

 

Total

1 343 138

1 504 130

12,0 %

1 643 374

9,3 %

Source : Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale.

Les pays où les bénéficiaires de retraites françaises sont les plus nombreux sont donc, pour l’Union européenne, le Portugal, l’Espagne et l’Italie, ce qui correspond d’ailleurs aux plus importantes communautés européennes immigrées en France. La logique est identique pour les pays non européens, avec la présence de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, en tête du classement. Si le nombre de retraités résidant au Portugal, en Espagne, au Maroc et en Tunisie a fortement augmenté depuis 2007, il n’est pas possible de discerner parmi ces chiffres ce qui relève du retour de retraités dans leur pays d’origine, qu’ils soient de nationalité française, de nationalité étrangère, ou bi-nationaux, de l’expatriation de retraités français.

Le niveau des pensions de source française versées à des bénéficiaires établis à l’étranger s’avère nettement inférieur à celui des pensions servies aux retraités restés en France. Ainsi, selon les chiffres transmis par la CNAV, au 31 décembre 2013, le montant moyen mensuel des pensions servies aux retraités résidant à l’étranger s’élevait à 261 euros, alors que pour l’ensemble des retraités du régime général, le montant moyen était de 653 euros. Cette différence de niveau se retrouve également pour les pensionnés de la MSA : le montant moyen des pensions versées à l’étranger atteignait 185 euros pour les non-salariés agricoles en 2013, contre 407 euros pour l’ensemble des retraités ; la même différence existe chez les pensionnés du RSI. Il est probable que cette différence de niveau s’explique pour partie par le caractère partiel de la carrière professionnelle effectuée en France par les personnes passant leur retraite à l’étranger, qui ne leur permet pas de disposer d’une pension française à taux plein.

B. LA RECHERCHE DE DESTINATIONS OFFRANT UN MEILLEUR POUVOIR D’ACHAT ET UNE BONNE QUALITÉ DE VIE

S’il apparaît donc difficile de quantifier le phénomène de la « retraite au soleil », toutes les catégories de population et de revenus apparaissent concernées, des retraités modestes ayant du mal à boucler leurs fins de mois et souhaitant accroître leur pouvoir d’achat, aux personnes très aisées recherchant, outre un climat plus clément, un niveau d’imposition moindre. Les personnes faisant appel à des sociétés spécialisées dans l’accompagnement de l’expatriation ont par construction une surface financière importante : selon son président, la clientèle de Delocalia est ainsi essentiellement composée de personnes dont le patrimoine oscille entre 3 et 15 millions d’euros (105).

Plusieurs destinations privilégiées reviennent de façon récurrente dans les propos des personnes auditionnées et dans les documents recueillis par le rapporteur, et recoupent d’ailleurs celles présentées par la presse dans des dossiers spéciaux depuis quelques années. Figurent parmi les destinations les plus attractives pour les retraités français le Maroc, la Tunisie, le Portugal, l’Espagne, mais aussi des destinations plus lointaines telles que la Thaïlande, l’Île Maurice ou encore le Brésil.

1. Les atouts recherchés par les candidats à l’expatriation, des écueils à éviter

Comme l’a souligné M. Louis Eudes (106), l’installation à l’étranger doit correspondre à un projet de vie pour les retraités, qui repose nécessairement sur des affinités linguistiques et culturelles avec le pays choisi. De simples critères économiques ou fiscaux ne sont pas suffisants, à eux seuls, pour expliquer un départ à l’étranger. Une telle décision se traduit en effet par le fort relâchement, si ce n’est la rupture, des liens entretenus avec le pays d’origine pendant toute une vie, et donc un éloignement des parents proches – le cas échéant, des enfants et petits-enfants – et du cercle amical. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’expatriation temporaire, quelques mois par an, peut être préférée par les candidats au départ, afin de conserver des relations régulières avec leur réseau familial.

À cet égard, la langue parlée dans le pays d’installation constitue un facteur important de choix : des destinations où l’usage du français est répandu, telles que le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Île Maurice, voire, dans une certaine mesure, le Portugal, apparaissent naturellement plus attractives pour des retraités français que Malte, destination anglophone prisée par les retraités britanniques.

Au-delà de la proximité géographique, dont dépend la possibilité de revenir fréquemment dans le pays d’origine, l’autre critère principal est bien évidemment la douceur du climat. À titre d’exemple, la ville d’Agadir bénéficie d’un ensoleillement de plus de 340 jours par an, et de températures très douces été comme hiver, qui sont bien évidemment un atout pour attirer des personnes âgées, plus sensibles aux variations du climat. Agadir et Marrakech constituent d’ailleurs une des destinations préférées des seniors ; ces deux villes comptent respectivement 40 % et 27,5 % de plus de 60 ans parmi les Français inscrits sur le registre.

Ensuite, la qualité de vie sur place et le niveau du pouvoir d’achat sont une motivation essentielle du départ à l’étranger, dans un contexte de crise économique mondiale et de renchérissement du coût de la vie. L’enquête réalisée en 2010 par la Maison des Français de l’étranger faisait ainsi état de témoignages sur le sentiment de recul du pouvoir d’achat parmi les Français, qui serait à l’origine de départs à l’étranger, certains indiquant que « [leur] retraite ne [leur] permettait pas de vivre correctement en France ».

Le coût de la vie s’avère en effet bien moindre dans les pays du Maghreb, mais aussi dans certains pays de la zone euro ; au Portugal, il est inférieur d’environ 30 % à celui constaté en France – bien que de façon variable selon les régions.

Dans le contexte d’un marché immobilier français tendu, notamment dans certaines zones, le coût du logement constitue aussi un facteur important d’expatriation. Le niveau des prix immobiliers dans des pays tels que la Tunisie ou le Maroc est bien plus bas que celui constaté en France, tandis que la crise de 2008 s’est traduite, dans des pays comme l’Espagne ou les États-Unis, par un éclatement de la bulle immobilière et un effondrement des prix. La Floride, par exemple, constitue depuis la crise de 2008 une destination appréciée, en termes immobiliers, par les retraités français. De plus, l’offre d’infrastructures spécialement adaptées est en cours de développement dans des pays comme le Maroc ; y sont construites des résidences destinées aux seniors, avec des services dédiés, ce qui ne manquera pas d’accroître l’attractivité de ce type de destination pour les personnes âgées.

Un faible niveau d’imposition peut également influer sur le pouvoir d’achat à l’étranger, et peser en faveur d’une expatriation, même si les niveaux et la structure des revenus et du patrimoine à partir duquel ce facteur fiscal joue sont variables selon les destinations. À titre d’exemple, sur l’Île Maurice, l’impôt sur le revenu ne comporte qu’une seule tranche, au taux de 15 %, tandis que sont exonérés d’impôt les dividendes distribués par les sociétés mauriciennes, les intérêts de dépôt bancaire et d’épargne ainsi que les plus-values de cession de biens (107). L’impôt sur la fortune et les droits de mutation à titre gratuit n’existent pas sur l’Île Maurice. Le système fiscal marocain s’avère lui aussi favorable : l’imposition des revenus fonciers et des plus-values immobilières est limitée à 20 %, avec l’application d’un abattement de 40 % sur les revenus, tandis que les plus-values mobilières sont taxées au taux de 15 % ou 20 % selon leur nature.

Néanmoins, et contrairement à certaines idées répandues sur notre système fiscal, l’imposition de revenus peu élevés ou moyens s’avère souvent plus lourde à l’étranger qu’en France (on y reviendra dans la troisième partie du rapport), ce qui peut pénaliser les retraités modestes. Le niveau d’entrée dans l’impôt sur le revenu est relativement élevé en France, du fait de la décote – et particulièrement pour les personnes âgées, qui bénéficient d’un abattement spécifique –, et le barème est très progressif, avec des taux de 5,5 % et de 14 % pour les deux premières tranches. Des retraités peuvent donc, pour un même niveau de pension, être imposés dans le pays d’installation alors qu’ils ne l’auraient pas été en France, ou être amenés à payer un impôt sur le revenu plus élevé.

M. Louis Eudes estimait que les préoccupations des candidats retraités au départ étaient plus profondes que la simple volonté de disposer d’un pouvoir d’achat plus élevé. Il a relevé qu’à la suite de la crise financière de 2008 et de la forte dégradation de la situation des finances publiques, « les candidats à la retraite au soleil cherchent également à assurer leur « bien vieillir » : ils ont la hantise de voir le pays qui leur a tout donné tout leur reprendre, une peur de la spoliation, voire, pour les moins privilégiés, de la misère, et c’est ce qui les pousse à rechercher des destinations qui apparaissent comme des eldorados. » (108).

Pour autant, même au regard des attraits objectifs de l’expatriation, certains écueils ne peuvent être ignorés. En premier lieu, les candidats au départ ne doivent pas sous-estimer le bouleversement qu’implique une telle expatriation, voire le traumatisme qui peut y être associé. Ce bouleversement dépend bien évidemment de la proximité culturelle et géographique du pays d’installation avec la France, de la perte de repères qui peut en résulter, mais sans doute aussi de la personnalité et de l’âge des retraités concernés.

Par ailleurs, des périodes d’instabilité politique et de troubles économiques peuvent survenir, qui risquent de remettre en cause le choix d’une installation, voire provoquer un départ : le « printemps arabe » de 2011 a pu conduire certains retraités à se tourner par exemple vers le Portugal, de préférence à la Tunisie ou au Maroc, ou à décourager certains candidats. Les incidences économiques de telles crises sur la situation des expatriés sont réelles, notamment lorsque ces derniers convertissent une grande part de leurs ressources en monnaie locale : en Tunisie, le dinar s’est fortement dévalué depuis la révolution du Jasmin, tandis qu’en 1997, le baht thaïlandais s’était totalement effondré.

Les régimes juridiques applicables dans certains pays diffèrent parfois fortement du droit français, ce qui peut occasionner de réelles difficultés, notamment pour des candidats peu informés. À titre d’exemple, il n’existe pas d’accès libre et immédiat à la propriété immobilière pour les étrangers en Tunisie, à la différence de la France. Cet accès est régi par des textes visant à le soumettre à des autorisations préalables fort longues à obtenir (109). Ceci peut conduire à des contentieux complexes et difficiles à résoudre ; ils peuvent s’avérer très préjudiciables à des retraités trop crédules qui ont recours à des intermédiaires dans l’espoir de réduire les délais, et qui perdent parfois les économies de toute une vie. Quant au Cambodge, à Bali ou en Thaïlande, l’accès à la terre est uniquement réservé aux nationaux, et un système de bail longue durée est mis en place pour garantir la jouissance du terrain (110). Plus généralement, les retraités souhaitant acheter un bien immobilier à l’étranger doivent prêter attention à l’existence d’un cadastre, aux titres de propriété, ainsi qu’aux qualifications des professionnels locaux auxquels ils sont amenés à recourir, tels que les promoteurs et les juristes.

2. Des dispositifs spécifiques mis en place par certains pays pour accroître leur attractivité auprès des retraités

Compte tenu des enjeux économiques liés à l’installation de retraités disposant d’un certain pouvoir d’achat, plusieurs pays ont adopté des dispositifs particuliers, essentiellement fiscaux, à destination de ces populations.

Le Maroc a été le premier à se positionner sur ce marché, en instaurant voilà plus de vingt ans une réduction de l’impôt dû au titre des pensions de retraite de source étrangère, avec pour objectif d’encourager les entrées de devises. Cette réduction d’impôt bénéficie aux retraités aussi longtemps qu’ils résident au Maroc.

Un retraité français domicilié au Maroc est assujetti au Maroc à l’impôt sur le revenu à raison de l’ensemble de ses pensions de retraite, de source marocaine et étrangère, et ce même si la pension de retraite n’a pas fait l’objet d’un transfert financier au Maroc. L’impôt dû est calculé selon les mêmes règles que celles prévues pour les pensions de retraite de source marocaine, à savoir l’application d’un abattement, différent selon les seuils de revenus, puis d’un barème progressif, avec des taux allant jusqu’à 38 % (111). Cet impôt est réduit de 80 % lorsque la totalité de la pension est transférée au Maroc en dirhams non convertibles ; si seulement une partie de la pension est transférée, la réfaction de 80 % ne s’applique qu’à l’impôt dû au titre de cette part de pension, et non à celui dû au titre de la part de pension demeurée en France.

La Tunisie a également instauré un dispositif d’inspiration proche, mais plus récemment : c’est la loi de finances pour 2007 qui a prévu un abattement de 80 % pour la détermination du revenu net provenant des pensions et des rentes viagères de source étrangère qui sont imposables en Tunisie en application des conventions fiscales internationales. En l’espèce, les pensions, qu’elles soient publiques ou privées, versées par un organisme français à un Français domicilié en Tunisie sont imposables dans ce pays. Le bénéfice de la déduction de 80 % est subordonné au transfert des pensions concernées sur un compte bancaire ou postal en Tunisie, ou à leur déclaration à l’exportation, ainsi qu’à l’envoi annuel de justificatifs de leur transfert ou de leur importation en Tunisie. Il en résulte un avantage certain pour les ressortissants français retraités, qui ne paient des impôts que sur 20 % des sommes importées – sachant que le taux d’imposition maximal en Tunisie s’établit à 35 %, au-delà de 21 500 euros annuels.

Le Sénégal a quant à lui adopté en 2013 un dispositif dérogatoire calqué sur celui du Maroc, avec une réduction de 80 % de l’impôt dû au titre des pensions de retraite de source étrangère versées à des personnes domiciliées au Sénégal.

Enfin, dans un contexte de forte dégradation de ses finances publiques, le Portugal a procédé à un effort considérable afin d’attirer des retraités étrangers, par un dispositif fiscal très favorable d’exonération, applicable à compter du 1er janvier 2013. Dès septembre 2009, par un décret-loi, a été instauré le statut de résident fiscal non habituel, à l’image d’ailleurs d’autres États européens. Ce nouveau régime ciblait les non-résidents en mesure d’établir une résidence permanente au Portugal, mais aussi les résidents temporaires. Il accordait aux résidents non habituels le bénéfice d’un taux spécial d’imposition pour certains de leurs revenus de source portugaise, ainsi que des exonérations sur les revenus de source étrangère. Toutefois, la procédure d’obtention du statut de résident non habituel était, jusqu’à 2012, très contraignante, en raison de l’ampleur des attestations et documents à produire. Une circulaire du 3 août 2012, entrée en vigueur le 1er janvier 2013, a simplifié cette procédure. Elle a prévu, pour les nouveaux résidents non habituels, une absence totale d’imposition pendant une période de dix ans, dans le cas des pensions et des revenus provenant d’une activité salariée ou indépendante perçus à l’étranger.

Parallèlement, le Portugal a adopté un dispositif favorable à destination des étrangers actifs, visant à alléger l’impôt sur le revenu des personnes physiques, également pendant dix ans, en le limitant à 20 % pour les revenus d’activité « à haute valeur ajoutée » perçus au Portugal (112).

Ainsi, un nouveau résident au Portugal percevant des retraites au titre d’un emploi antérieur dans le secteur privé est exonéré d’impôt sur ces retraites à la fois dans son pays d’origine et au Portugal – sous réserve que ce pays dispose d’une convention fiscale avec le Portugal, ce qui est le cas de la France. Cette exonération ne s’applique pas aux pensions publiques, qui restent imposées à la source dans le pays d’origine.

L’obtention du statut de résident non habituel implique notamment de ne pas avoir été résident au Portugal les cinq dernières années et d’y résider à l’avenir plus de 183 jours par an. Ce dispositif se traduit donc par un traitement différent des citoyens portugais selon l’origine de leur retraite et selon que ces nationaux – ou double-nationaux – aient été résidents ou non au Portugal au cours des cinq années précédentes.

Si le nombre de bénéficiaires des dispositifs dérogatoires applicables au Maroc, en Tunisie et au Sénégal n’est pas connu, il semble que le régime fiscal très favorable proposé par le Portugal remporte un succès certain, de même que celui concernant les revenus d’activités « à haute valeur ajoutée » : nombreux sont les candidats français à l’expatriation au Portugal, désireux de limiter leur imposition concernant leurs pensions ou revenus d’activité dans les deux pays (113) , à saisir l’ambassade de France au Portugal, le consulat général à Porto et les associations locales de Français aux fins d’information. Selon la Chambre de commerce et d’industrie franco-portugaise, 2 200 Français auraient bénéficié de ce statut de résident non habituel au Portugal de mai 2013 à mars 2014. Elle prévoit sur 20 000 nouvelles arrivées d’ici à la fin 2015, estimées sur la base du marché potentiel de 15 millions de retraités français et sur le fait que les prix de l’immobilier du littoral portugais sont deux à trois fois moins élevés que dans le sud de la France.

Si de nombreux pays cherchent à attirer des étrangers sur leur territoire, notamment des retraités, et se positionnent sur un marché mondial de plus en plus concurrentiel, certains d’entre eux s’efforcent de cibler des personnes relativement aisées, dont le pouvoir d’achat est susceptible de développer la consommation locale.

« Certains pays commencent à faire de l’écrémage » a indiqué M. Louis Eudes (114). À titre d’exemple, la Thaïlande impose des conditions de ressources mensuelles ou de niveau minimal de fonds déposés sur un compte en banque thaïlandais, pour l’obtention d’un visa pour non-immigrants de type OA, connu aussi sous le nom de « visa retraite ». Sur l’Île Maurice, l’un des moyens d’obtenir un permis de résidence et d’être domicilié fiscalement sur place consiste à acheter un bien immobilier d’une valeur supérieure à 500 000 dollars (soit environ 380 000 euros), dans le cadre des programmes dits Integrated Resort Scheme, destinés à attirer les investisseurs étrangers disposant d’une certaine surface financière. Ce titre de résident donne le droit de se domicilier fiscalement à Maurice dès lors que le résident passe plus de 183 jours par an sur le sol mauricien ; le permis reste valable tant que l’acquéreur reste propriétaire de son bien immobilier.

En tout état de cause, le phénomène de la « retraite au soleil » n’est pas propre à la France et s’inscrit dans une tendance mondiale déjà bien ancrée, davantage développée dans des pays tels que le Royaume-Uni ou les États-Unis. Par ailleurs, la France est elle-même une destination appréciée des retraités étrangers, ce qui relativise l’impact des départs de retraités français, au regard des arrivées enregistrées parallèlement. Le phénomène ne semble nullement massif parmi les retraités français, au vu des données statistiques – certes parcellaires – qui sont disponibles ; compte tenu de l’ampleur du bouleversement qu’induit une expatriation à l’heure de la retraite, il n’a sans doute pas vocation à connaître un développement exponentiel, même si la mobilité se banalise et qu’une personne ayant connu l’expatriation au cours de sa vie professionnelle sera sans doute plus ouverte au changement par la suite.

TROISIÈME PARTIE :
LA FRANCE DANS LA COMPÉTITION INTERNATIONALE : UNE PLACE À MAINTENIR

I. UN CONTEXTE DE CONCURRENCE FISCALE ACÉRÉE

Dans le vaste mouvement d’approfondissement de la liberté de circulation des hommes, des capitaux et des marchandises entraîné par la mondialisation, l’outil fiscal devient également une arme concurrentielle que certains États n’hésitent pas à utiliser.

C’est la raison pour laquelle la question de l’exil fiscal était au cœur des préoccupations des promoteurs de la commission d’enquête.

Le présent rapport ne pouvait pas ne pas y consacrer de longs développements. Ceux qui vont suivre d’attacheront plus particulièrement à la situation des personnes physiques, le cas des entreprises étant abordé ultérieurement dans le cadre plus général du questionnement sur l’attractivité économique de notre pays.

A. LA TENTATION DE L’EXIL FISCAL : ANTIENNE OU ACCÉLÉRATION ?

L’exil fiscal revient de façon régulière dans le débat politique français, en se cristallisant le plus souvent autour de quelques cas médiatiques. Il est propice à l’émergence de polémiques sans fin et à des prises de positions idéologiques, se fondant souvent sur des extrapolations peu étayées.

Comme le rappelait Mme Manon Laporte, avocate fiscaliste, lors de son audition, « l’« exil fiscal » n’est nullement un phénomène nouveau. Il n’existe pas seulement depuis 1981 ou depuis les années 2010-2011. Mais il est vieux de près d’un siècle : il a débuté lors de la création de l’impôt sur le revenu, en 1914, date à laquelle on a commencé à entendre parler de transferts de fortunes vers la Suisse… Puis, entre 1924 et 1926, la proposition du Cartel des gauches de créer un impôt sur le capital a créé beaucoup d’émoi et de polémiques. En 1936, l’arrivée au pouvoir du Front populaire s’est accompagnée d’une fuite des capitaux hors de France, on a parlé de centaines de tonnes d’or. En 1981, les départs vers la Suisse se sont multipliés. Ce phénomène a touché des noms connus, par exemple M. Latécoère qui s’est installé à Lausanne. Le déplafonnement de l’impôt sur la fortune décidé en 1995, puis l’alourdissement de la pression fiscale à partir de 2010 et 2011 ont également mis l’exil fiscal au cœur de l’actualité. »

Le rapporteur est convaincu qu’il est indispensable d’apporter un peu de sérénité au débat, en se fondant uniquement sur des faits. C’est la raison pour laquelle le présent rapport s’efforcera de fournir les données disponibles les plus précises et les plus récentes sur cette question, ainsi que les éléments d’appréciation recueillis lors des différentes auditions de la commission, afin de dresser un bilan le plus exact possible de la situation.

1. Les observations empiriques des professionnels

La commission d’enquête a procédé à l’audition de différents professionnels, notamment des avocats fiscalistes, des spécialistes de l’accompagnement de la « relocalisation » et des agents immobiliers spécialisés dans les biens de luxe, recueillant ainsi un certain nombre de données plus qualitatives.

S’agissant du volume général, même s’il est aujourd’hui impossible de disposer de données consolidées en provenance des professionnels concernés par l’exil fiscal, les personnes auditionnées, notamment les avocats fiscalistes et les agents immobiliers, font état d’une accélération du phénomène à compter de 2011, en soulignant qu’elle est concomitante de l’augmentation de la pression fiscale – avec la création de la « surtaxe Fillon », celle de l’exit tax, l’alourdissement de la taxation des plus-values immobilières…

Les personnes auditionnées ont également mis en avant une évolution du profil des personnes concernées, qui seraient plus jeunes que leurs prédécesseurs, et dont le patrimoine serait moindre.

M. Marc Bornhauser (115) a ainsi dressé le profil des exilés fiscaux « classiques » : « Dans les années 1990, nous avions des entrepreneurs en fin de carrière qui vendaient leur entreprise et partaient ; ou d’autres qui, ayant vendu leur entreprise et ne supportant pas le poids de l’ISF qui s’abattait brusquement sur eux du fait qu’ils n’étaient plus exonérés au titre des biens professionnels, décidaient de partir ; nous avions également ce flux qui ne s’est jamais tari de gens qui voulaient mourir à l’étranger pour économiser les droits de succession. »

Or, selon lui, cette typologie évolue : « Dans les années 2000, le profil des contribuables tentés par l’exil a changé. De jeunes entrepreneurs ont commencé à quitter la France, particulièrement depuis la réintroduction de l’exit tax. »

Selon Mme Manon Laporte (116), « l’exil fiscal ne se limite plus aux très grosses fortunes. Ainsi que me l’indiquaient des responsables de la banque Neuflize, auparavant, les départs à l’étranger concernaient essentiellement des personnes disposant de patrimoines de 10 à 15 millions d’euros. Désormais, on observe le départ de personnes dont le capital est de l’ordre de 5 millions d’euros. Il ne s’agit plus seulement d’artistes ou d’entrepreneurs : les professions libérales, telles que des avocats ou des chirurgiens-dentistes, sont concernées, ce qui est un phénomène tout à fait nouveau. »

Cette analyse était partagée par M. Charles-Marie Jottras, président de la société immobilière Daniel Féau, qui a observé « un changement dans la typologie des personnes qui quittaient le pays. Depuis les années 1980-1990, il s’agissait de rentiers et de personnes du deuxième ou du troisième âge qui vendaient leur entreprise en France et qui ne pouvaient rester dans le pays. (…) Il s’agissait toujours de gens riches : des investisseurs, des patrons, des chefs d’entreprise. Or, nouveauté depuis deux ans, nous voyons partir des gens beaucoup plus jeunes, beaucoup moins riches et beaucoup plus actifs. » (117)

A été également soulevée la question du départ à l’étranger des contribuables susceptibles d’hériter d’importants biens de leur famille, afin d’échapper aux droits de succession. M. Marc Bornhauser a ainsi expliqué que « de plus en plus nombreux sont ceux qui, s’étant déjà délocalisés, demandent à leurs enfants de partir de France pour pouvoir leur transmettre, en franchise d’impôt de préférence, leur patrimoine. (…) La dénonciation, sans doute à la fin de ce mois (118), de la convention fiscale franco-suisse en matière de droits de succession est de nature à accélérer ce mouvement puisque les enfants de résidents suisses perdront la protection dont ils bénéficient aujourd’hui. Or ces départs n’apparaissent pas dans les statistiques : les personnes concernées n’ont rien, sinon un bien en nue-propriété, elles ne sont pas assujetties à l’ISF, ne paient pas forcément beaucoup d’impôt sur le revenu et, quand elles partent, elles ne sont pas soumises à l’exit tax. Il reste par conséquent difficile de les identifier. »

Il n’est pas inintéressant de comparer ces témoignages avec les informations recueillies dès 2001 auprès de professionnels, dans le cadre de la mission d’information commune sénatoriale précitée : son rapport indiquait en effet qu’il « semblerait que [l’exil fiscal] touche désormais des populations plus jeunes, qui n’auraient plus les mêmes réticences à s’expatrier que leurs aînés » et observait que la baisse, constatée en 1999, des revenus moyens des 1 % des plus riches contribuables redevables de l’impôt sur le revenu ayant quitté le territoire « laiss[ait] penser que les « plus riches » [étaient] déjà partis et que, petit à petit, d’autres catégories de contribuables s’expatri[aient], dont le revenu [était] peut-être moins élevé. » Le rapport estimait que la « baisse du niveau moyen des patrimoines peut s’interpréter comme le signe qu’aujourd’hui, un nombre croissant de contribuables fortunés a intérêt – ou envie – de s’expatrier à partir de seuils de revenus de moins en moins importants. »

La récente dénonciation de la convention fiscale franco-suisse
en matière d’impôts sur les successions

La convention fiscale franco-suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions de 1953 prévoyait l’imposition exclusive de la succession en fonction de la domiciliation du défunt et de ses biens, ce qui s’avérait particulièrement favorable pour les contribuables français installés en Suisse(119). En effet, aucun des cantons suisses ne fait supporter d’imposition entre conjoints survivants ; seuls certains d’entre eux imposent les héritiers en ligne directe. Les quelques rares cantons suisses prévoyant le paiement de droits de succession font osciller leur taux d’imposition entre 0 et 7 %, alors qu’en France, ce taux peut atteindre 45 %.

La France avait manifesté dès 2011 sa volonté de revoir la convention. Un premier projet avait été signé en août 2012 puis une nouvelle négociation avait été initiée et avait abouti à un projet amendé le 11 juillet 2013. Ce projet réformait de fond en comble les principes d’imposition des successions : il maintenait le principe de la domiciliation du défunt mais prévoyait la possibilité pour la France d’imposer l’ensemble des biens meubles corporels ou immeubles situés en France d’un défunt domicilié en Suisse (articles 5, 6 et 7), ainsi que les biens transmis aux héritiers ou aux légataires qui sont domiciliés en France au moment du décès et qui l’ont été pendant au moins huit années au cours des dix dernières années (article 11).

Après deux rounds de négociations, c’est la Suisse qui a refusé le dernier projet. Le Gouvernement français a alors dénoncé, le 17 juin dernier, la convention actuelle, ce qui dénote une vraie volonté politique : la résiliation d’une convention est inhabituelle, la France ayant toujours privilégié le maintien, voire l’extension de son réseau conventionnel.

À partir du 1er janvier 2015, la succession d’un défunt résident de Suisse sera donc soumise à la fois au droit interne suisse et au droit interne français. La situation change sur deux points : les héritiers qui sont résidents de France depuis plus de six ans sur les dix années précédant la succession d’un résident de Suisse seront imposables en France sur le patrimoine mondial du défunt (y compris ses actifs suisses). Par ailleurs, les biens français deviennent également imposables en France, même en l’absence d’héritiers résidents en France. La double imposition sera toutefois partiellement évitée, car l’impôt éventuellement payé en Suisse sur les actifs non français de la succession ouvre droit à un crédit d’impôt en France.

Ces propos illustrent une continuité certaine dans le diagnostic de l’exil fiscal depuis quinze ans, mais ils relativisent aussi les observations réalisées par les personnes auditionnées dans le cadre de la présente commission d’enquête, lesquels faisaient état d’une évolution récente et inquiétante du profil des expatriés.

Par ailleurs, il n’est pas aisé de recouper les éléments d’appréciation fournis par les professionnels avec les données statistiques disponibles. Pour mémoire, s’agissant du rajeunissement des exilés fiscaux qui a été évoqué, l’âge moyen des redevables de l’ISF partis pour l’étranger est légèrement orienté à la hausse depuis dix ans, passant de 52 ans en 2002 à 57 ans en 2012. Moins de 18 % des assujettis à l’exit tax en 2011 avaient moins de 40 ans et 52 % d’entre eux avaient plus de 60 ans.

2. Quoique difficile, la connaissance de l’exil fiscal par l’administration progresse

a.  Des difficultés techniques incontestables

Il est frappant de constater que, depuis que le sujet de l’exil fiscal est sur le devant de la scène, les directeurs généraux des finances publiques successifs dressent un même constat : l’exil fiscal est très difficile à mesurer. Devant la mission commune d’information sénatoriale de 2001 (120), déjà, M. François Villeroy de Galhau, alors directeur général des impôts, rappelait que l’on « se trouv[ait] confronté à un problème de mesure du phénomène », d’autant plus qu’il fallait essayer de « concilier, sur ce sujet, les chiffres et la psychologie ». Devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le 19 février 2013, M. Bruno Bézard, directeur général des finances publiques, ne disait pas autre chose, en soulignant que « le contraste était grand entre ce qu’on lit dans les journaux, ou ce que l’on entend dans les dîners en ville, et la pauvreté de [leurs] statistiques ». Il a souligné que « les données [étaient] connues de façon très tardive, et qu’elles [étaient] extrêmement partielles. Toute interprétation de ces chiffres est extrêmement délicate et il faut observer une grande prudence en la matière ». Ces mêmes réserves ont été exprimées devant la commission d’enquête le 16 juillet dernier par M. Bruno Parent, nouveau directeur général des finances publiques : « L’exil fiscal est un sujet bien connu de la DGFiP car cela fait plus d’une décennie qu’on réfléchit à ces questions. Et, en dépit des progrès que l’on a pu accomplir, c’est toujours un sujet aussi difficile techniquement. »

Comme pour le décompte des Français établis à l’étranger, le constat est quasi unanime dans les différents travaux portant sur la question : l’évaluation du phénomène est parcellaire et lacunaire. Le rapport de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux hors de France (121) qualifiait ainsi l’exil fiscal de « phénomène sans évaluation », soulignant qu’il s’agissait d’une « lacune de notre intelligence fiscale ». Mme Manon Laporte soulignait quant à elle : « à propos du chiffrage du phénomène de l’exil fiscal, je vous confirme que personne n’y arrive. Nous devons nous contenter de nous référer à nos multiples expériences personnelles et aux centaines de dossiers que nous traitons. Les données de chaque gestionnaire, de chaque banquier ne sont pas centralisées. Même en posant des questions, je n’ai pu obtenir de chiffres plus précis. » (122)

L’administration fiscale rencontre des difficultés de nature diverse pour évaluer le nombre de départs à l’étranger pour échapper à l’impôt.

Le premier des obstacles n’est pas technique : il réside dans l’impossibilité de connaître les motivations des départs des contribuables. Ces derniers ne sont bien sûr pas tenus de fournir une explication lorsqu’ils quittent le territoire français et, même si un grand nombre d’expatriations vers des pays comme la Suisse ou la Belgique laissent supposer des motivations fiscales, nombre de Français quittent le territoire national pour des raisons strictement professionnelles ou familiales, et reviennent au bout de quelques années.

D’un point de vue plus administratif, une autre difficulté découle du fait que la mesure du phénomène intervient de façon tardive, soit deux ans après les départs, en raison des procédures de déclaration des impôts et de leurs conditions de traitement.

Jusqu’au 1er janvier 2005, il existait un dispositif de « quitus fiscal », qui imposait aux contribuables quittant le territoire de produire une déclaration provisoire préalablement à leur transfert, avec exigibilité immédiate de l’impôt qui en résultait. Toutefois, il a été supprimé, notamment en raison de sa complexité : ce régime de déclaration provisoire aboutissait parfois à une double imposition, compte tenu de la déclaration définitive intervenant ensuite. De plus, ce dispositif était mal connu des contribuables : en 2002, seuls 10 % de personnes ayant transféré leur domicile fiscal hors de France, soit 3 600 sur 35 000, avaient produit une déclaration provisoire et l’administration fiscale n’effectuait pratiquement aucune relance. Désormais, les contribuables quittant la France sont simplement tenus de déposer leur déclaration de revenus dans l’année suivant leur départ, comportant leurs revenus mondiaux pour la période du 1er janvier à la date de départ ; s’ils disposent de revenus de source française après leur départ, ils devront les déclarer dans une déclaration spécifique, et leur dossier sera suivi par le service des impôts des particuliers non-résidents (SIPNR) de la direction des résidents à l’étranger et des services généraux (DRESG).

Dès lors, pour décompter les départs des redevables de l’impôt sur le revenu, le principe est qu’un contribuable ayant quitté le territoire français au cours d’une année n est identifié grâce aux déclarations de revenus de l’année n déposées au cours de l’année n+1, qui indiquent le changement d’adresse intervenu au cours de l’année précédente. Le nombre de départs intervenus au cours d’une année n n’est ainsi connu qu’au début de l’année n+2, compte tenu des délais nécessaires aux dépôts des déclarations de revenus de l’année n et à l’alimentation des fichiers informatiques exploités pour le recensement.

De même, les départs de redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) sont recensés par la DGFiP à partir des déclarations déposées au titre de l’année n+1, si le redevable reste imposable à l’ISF même après son départ à l’étranger au titre des biens qu’il détient encore en France, ou à partir des opérations de relance en cas de non-dépôt de la déclaration ou des changements d’adresse indiqués par le contribuable dans sa déclaration de revenus déposée en année n+1. Au cours des années suivantes, le recensement continue d’être enrichi via la relance des défaillants et la régularisation des situations fiscales des contribuables, et les données chiffrées continuent ainsi d’évoluer, parfois significativement, en années n+2 et n+3. Le nombre de départs d’assujettis à l’ISF intervenus au cours de l’année 2011, par exemple, ne peut donc être évalué de façon fiable que dans le courant de l’année 2013.

Par ailleurs, comme le soulignait M. Bruno Rousselet devant la commission, les outils de la DGFiP sont orientés, non vers le suivi statistique, notamment d’éventuels exils fiscaux, mais vers la gestion de l’impôt avec le plus de facilités possibles tant pour l’usager que pour l’administration (123). De ce fait, certaines informations ne sont pas recensées par la DGFiP : par exemple, la distinction entre un contribuable national et un contribuable étranger n’existe pas, ce qui ne permet pas d’isoler les contribuables de nationalité française parmi ceux qui quittent le territoire, par exemple. Autre exemple, pour les non-résidents imposables à la taxe d’habitation ou à la taxe foncière en France, les fichiers de la DGFiP sont faits de telle sorte que sont décomptés autant de contribuables qu’il y a de biens sur le territoire français, ce qui aboutit in fine à une surestimation du nombre de redevables non-résidents.

Enfin, certaines difficultés dans la mesure du phénomène de l’exil fiscal ne sont pas uniquement administratives, et semblent difficiles à surmonter. Par exemple, il s’avère impossible d’isoler, parmi les départs de contribuables, ceux qui ne sont pas encore assujettis à l’ISF du fait de l’exonération applicable aux biens professionnels (124), mais qui quitteraient le territoire national avant la vente de leur entreprise, c’est-à-dire avant que leur capital ne soit plus assimilé à un bien professionnel et ne devienne soumis à l’ISF. L’outil statistique actuel ne permet pas d’évaluer l’ampleur du phénomène, précisément parce que ces biens professionnels sont exonérés et ne sont donc pas déclarés. La dépense fiscale associée à cette exonération n’a d’ailleurs jamais été chiffrée ; son estimation nécessiterait en effet de demander aux usagers concernés d’estimer, puis de déclarer une assiette exonérée à des fins exclusivement statistiques, et le cas échéant de sanctionner un manquement ou une erreur déclarative. Ceci irait à rebours des objectifs actuels de simplification administrative, et aboutirait sans doute à des résultats extrêmement aléatoires, compte tenu de l’absence de conséquence fiscale d’une erreur d’évaluation et du caractère même de ces biens professionnels, dont l’évaluation est souvent très difficile. Le problème apparaît insoluble d’un point de vue statistique, et la mesure de ces départs de personnes non encore redevables de l’ISF, mais susceptibles de le devenir, ne semble guère praticable.

De la même façon, l’identification de contribuables quittant le territoire national avant d’hériter d’un patrimoine conséquent de la part de parents déjà installés à l’étranger, par exemple, semble impossible, même si le départ de ces contribuables s’apparente à un exil fiscal « par anticipation », afin de limiter le paiement de droits de succession, voire, à terme, d’échapper à l’ISF.

Compte tenu de l’attention croissante portée au phénomène d’exil fiscal dès la fin des années 1990, la direction générale des impôts avait mis en place en 1999 un Observatoire interne des délocalisés assujettis à l’ISF, afin de recenser le nombre de redevables de l’ISF quittant le territoire (125). Dès lors, c’est cet indicateur qui a été retenu comme instrument de mesure de l’exil fiscal. M. Jean-Marc Fenet, directeur général adjoint des finances publiques chargé de la fiscalité indiquait ainsi devant la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion fiscale que, « pour caractériser une personne qui partirait pour des motifs fiscaux, [la DGFiP avait] choisi la définition suivante : il s’agit d’un contribuable, assujetti à l’ISF en tant que résident français en année n, qui décide de quitter le territoire en année n+1. Il est, si j’ose dire, présumé exilé fiscal. »

À partir d’une initiative du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, en 2012, le champ des informations sur les départs de contribuables a été notablement enrichi. En effet, suite à l’adoption d’un amendement déposé par M. Gilles Carrez, l’article 29 de la dernière loi de finances rectificative pour 2012 (126) dispose que le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport lui permettant de suivre l’évolution des départs et retours de contribuables français, ainsi que l’évolution du nombre de résidents fiscaux (127). À l’issue de travaux sur les informations à recueillir pour suivre cette évolution, menés par le président de la commission des finances du Sénat, trois indicateurs ont été retenus. Outre le nombre de départs et de retours annuels de redevables de l’ISF, sont présentés le nombre de départs annuels de redevables de l’impôt sur le revenu, en distinguant les redevables dont le revenu fiscal de référence (RFR) est supérieur à certains seuils, ainsi que le nombre de contribuables soumis à l’exit tax – laquelle vient imposer les plus-values latentes des contribuables transférant leur domicile fiscal hors de France (voir infra). Un premier rapport a été remis au Parlement en janvier 2014 : il portait pour l’essentiel sur les départs de contribuables intervenus dans le courant de l’année 2011. Le deuxième rapport a été remis au Parlement à la fin du mois de septembre et traite des départs de contribuables survenus au cours de l’année 2012.

De réels progrès ont donc été accomplis pour mesurer les départs de contribuables hors de France. Il semble par ailleurs possible d’améliorer à la marge les procédures actuelles au sein de la DGFiP, s’agissant des délais de recueil de données, voire de la précision de certaines informations demandées – tout en conservant un équilibre entre le souhait d’améliorer la connaissance statistique d’un phénomène et la limitation des obligations pesant sur le contribuable – alors que l’heure est à la simplification des procédures administratives. En revanche, on voit mal comment surmonter certains des obstacles à l’évaluation de l’exil fiscal, tels qu’ils ont été évoqués ci-dessus, notamment s’agissant de la détermination des motivations des départs.

b.  Des données publiées par l’administration fiscale de plus en plus fournies

i.  L’évolution du nombre de départs d’assujettis à l’ISF

Les données disponibles les plus complètes sur le phénomène sont logiquement les chiffres de départs de redevables de l’ISF, du fait de la création de l’Observatoire des délocalisés assujettis à l’ISF dès 1999. Le relèvement du seuil d’imposition à l’ISF prévu par la première loi de finances rectificative pour 2011 (128), de 800 000 à 1,3 million d’euros, doit être pris en compte pour l’analyse des résultats, puisque sans retraitement des données précédant l’année 2011, il conduirait à une nette baisse des départs de redevables assujettis à l’ISF entre 2010 et 2011. Le tableau suivant retrace l’évolution des départs de redevables à l’ISF dans leur ensemble, et distingue ceux dont le patrimoine est supérieur à 1,3 million d’euros :

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE DÉPARTS DE REDEVABLES DE L’ISF

Année de départ

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Redevables de l’ISF

383

368

574

697

901

908

896

903

800

525

587

Redevables de l’ISF dont le patrimoine est supérieur à 1,3 million d’euros

206

196

288

406

526

521

518

501

551

525

587

Source : DGFiP.

Il laisse apparaître une nette augmentation du nombre de départs entre 2004 et 2007, jusqu’à 908 redevables en 2007, parmi lesquels 521 dont le patrimoine est supérieur à 1,3 million d’euros, sans que l’explication puisse être recherchée dans une évolution de la législation, aucune modification importante du régime de l’ISF n’étant intervenue au cours de cette période. Depuis lors, le nombre de départs s’est stabilisé au-dessus de 500 départs par an de redevables au patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros, oscillant entre 518 en 2008 et 551 pour 2010, pour atteindre 587 en 2012.

Le rapport de la DGFiP souligne à juste titre que du fait du faible nombre de personnes concernées, l’évolution d’une année sur l’autre n’est pas statistiquement significative.

Selon les données figurant dans le dernier rapport sur l’évolution des départs pour l’étranger et des retours en France des contribuables, le « profil » de ces contribuables présente des constantes sur la période 2002-2012. Ils sont dix à quinze ans plus jeunes que la moyenne des redevables de l’ISF, soit une moyenne d’âge oscillant entre 52 et 57 ans depuis 2002.

Leurs destinations de prédilection restent la Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni et les États-Unis, dans des proportions relativement stables. Ces quatre destinations rassemblaient 59 % des départs en 2011 et en 2012.

PAYS DE DESTINATION DES REDEVABLES DE L’ISF PARTIS POUR L’ÉTRANGER
EN FONCTION DE LEUR ANNÉE DE DÉPART

Pays de destination

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Belgique

14 %

12 %

17 %

16 %

16 %

15 %

11 %

10 %

12 %

13 %

17 %

Suisse

15 %

22 %

15 %

14 %

14 %

14 %

13 %

17 %

18 %

25 %

20 %

Royaume-Uni

11 %

11 %

11 %

12 %

11 %

12 %

9 %

11 %

11 %

13 %

14 %

États-Unis

11 %

8 %

10 %

11 %

10 %

12 %

10 %

8 %

9 %

8 %

8 %

Autres pays

49 %

47 %

47 %

47 %

49 %

47 %

57 %

54 %

50 %

41 %

41 %

Source : DGFiP.

Ces contribuables détiennent un patrimoine plus élevé que la moyenne des redevables de l’ISF. À partir des données disponibles, qui portent sur 568 des 587 redevables de l’ISF ayant quitté la France en 2012, l’actif net imposable moyen des redevables s’expatriant était de l’ordre de 6,6 millions d’euros, contre 2,7 millions d’euros pour l’ensemble des redevables de l’ISF, tandis que l’ISF moyen acquitté était de l’ordre de 69 900 euros, contre 15 648 euros pour l’ensemble des redevables.

ACTIF NET IMPOSABLE MOYEN ET MONTANT D’ISF MOYEN ACQUITTÉ PAR LES REDEVABLES DE L’ISF PARTIS POUR L’ÉTRANGER EN FONCTION DE LEUR ANNÉE DE DÉPART

Année de départ

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Base nette moyenne imposable (en M€)

3,8

2,9

3,4

3,4

2,9

2,8

3,1

2,6

3,5

8,6

6,6

ISF moyen (en €)

36 310

21 101

27 662

30 111

20 647

21 916

18 512

14 080

22 632

72 878

69 928

Source : DGFiP.

Par ailleurs, l’actif net imposable s’avère très concentré au sein de ces 568 foyers fiscaux, puisque plus de 62 % de l’actif est détenu par 20 % des redevables de l’ISF concernés.

VENTILATION DU PATRIMOINE NET IMPOSABLE PAR QUINTILE

(en millions d’euros)

Quintiles d’actif net imposable ISF 2012

Nombre de redevables ISF

Montant de l’actif net imposable (M€)

inférieur à 1 816 633 €

114

178

entre 1 816 633 € et 2 591 263 €

114

241

entre 2 591 263 € et 3 957 911 €

113

350

entre 3 957 911 € et 8 271 780 €

114

619

au-delà de 8 271 780 €

113

2 334

Total

568

3 722

Source : DGFiP.

Selon les informations transmises par la DGFiP, sur ces 587 redevables de l’ISF ayant quitté la France en 2012, 568 ont déclaré des revenus imposables à l’impôt sur le revenu, ce qui permet de disposer d’informations sur leur revenu fiscal de référence pour 564 d’entre eux. Le montant cumulé de celui-ci en 2011 (dernière année d’imposition complète des revenus avant le départ) de ces 564 redevables de l’ISF est estimé à 446 millions d’euros, soit un revenu fiscal de référence moyen de 791 600 euros. Sa ventilation par décile est, comme l’actif net imposable, très concentrée, puisque le dernier décile représente près de 69 % du total :

VENTILATION PAR DÉCILE DE REVENU FISCAL DE RÉFÉRENCE DES REDEVABLES
DE L’ISF QUITTANT LE TERRITOIRE NATIONAL

Déciles de RFR 2011

Nombre de redevables ISF

Montant de revenu fiscal de référence
(en M€)

inférieur à 27 700

57

1

entre 27 700 et 60 700

56

2

entre 60 700 et 89 500

57

4

entre 89 500 et 126 800

56

5

entre 126 800 et 167 400

56

8

entre 167 400 et 252 500

57

11

entre 252 500 et 395 600

56

18

entre 395 600 et 711 200

57

30

entre 711 200 et 1 588 200

56

60

au-delà de 1 588 200

56

307

Total

564

446

Source : DGFiP.

ii.  Les premières données sur l’exit tax

Les données relatives à l’exit tax constituent un indicateur plus récent pour mesurer les départs de contribuables à l’étranger, puisque le dispositif n’est applicable que depuis le 3 mars 2011. Un dispositif similaire avait été introduit par la loi de finances pour 1999 ; toutefois, suite à une décision de la Cour de Justice des communautés européennes du 11 mars 2004, dite de Lasteyrie du Saillant, il avait été abrogé par la loi de finances pour 2005 au motif qu’il n’était pas conforme au droit européen du fait des distinctions de traitement fiscal qu’il établissait entre les contribuables demeurant en France et ceux souhaitant s’expatrier.

L’exit tax vise à imposer les plus-values mobilières latentes de contribuables quittant le territoire français. Elle a pour objectif premier de limiter l’effet d’aubaine pour des entrepreneurs qui, ayant réalisé une importante plus-value latente, transfèrent temporairement leur domicile afin de céder leur participation dans des conditions fiscalement plus favorables que celles applicables en France.

Le dispositif de l’exit tax

L’ancienne majorité a introduit une nouvelle taxe assise sur les plus-values latentes des contribuables transférant leur domicile fiscal hors de France par la première loi de finances rectificative pour 2011 ; il a tiré les enseignements de l’abrogation de la première exit tax, en prévoyant un régime de sursis de paiement automatique pour les transferts vers des pays de l’Union européenne.

Cette taxe, codifiée à l’article 167 bis du code général des impôts, s’applique aux transferts de domicile intervenant à compter du 3 mars 2011. Le contribuable fiscalement domicilié en France au moins six ans sur les dix années précédant le transfert de son domicile à l’étranger est imposable au titre des plus-values latentes constatées sur ses valeurs mobilières, s’il détient à la date de son départ, directement ou indirectement avec les membres de son foyer fiscal, soit au moins 50 % des bénéfices d’une société, soit un patrimoine en valeurs mobilières et droits sociaux constitués de titres ou droits mentionnés au 1 de l’article 150-0 A du code général des impôts, qui excède 800 000 euros.

Ces seuils sont issus de l’article 42 de la loi de finances rectificative pour 2013 ; ils sont applicables à compter des transferts de domicile hors de France intervenant à compter du 1er janvier 2014. Auparavant, les plus-values latentes n’étaient imposables que lorsque les titres représentaient soit une participation d’au moins 1 % dans les bénéfices d’une société, soit une ou plusieurs participations dans des sociétés dont la valeur globale excédait 1,3 million d’euros (129).

Le taux d’imposition s’élevait initialement à 19 % (auxquels s’ajoutaient les prélèvements sociaux, à hauteur de 13,5 %). La loi de finances pour 2013 l’avait porté à 24 % pour les transferts de domicile intervenant entre le 28 septembre et le 31 décembre 2012 (soit 39,5 % y compris les prélèvements sociaux, qui s’élèvent désormais à 15,5 %), tandis que le barème progressif de l’impôt sur le revenu s’applique à compter des changements de domicile intervenus à partir du 1er janvier 2013, avec le nouveau régime d’abattement pour l’imposition des plus-values mobilières introduit par l’article 17 de la loi de finances pour 2014.

Les contribuables peuvent bénéficier toutefois d’un sursis de paiement. Il est automatique pour les installations dans un État de l’Union européenne ou dans un autre État membre de l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement. Il est accordé sur demande expresse pour tous les autres pays, sous réserve de constituer, avant le départ, des garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor. Cela signifie que les contribuables ne sont pas contraints de s’acquitter de l’exit tax au moment de leur départ ; pour les demandes de sursis de paiement, toutefois, la proposition de garantie doit être égale, depuis 2013, à 100 % du montant des prélèvements sociaux et à 19 % ou 30 % de la base imposable à l’impôt sur le revenu.

Lorsque le sursis prend fin et que l’impôt est dû, l’imposition sur les plus-values latentes intervient au taux d’imposition en vigueur à la date de transfert du domicile. L’assiette imposable fait en revanche l’objet de correctifs, afin de tenir compte de la plus-value réelle, laquelle peut être inférieure à celle constatée lors du départ de France.

Enfin, l’exit tax fait l’objet d’un dégrèvement d’office (ou d’une restitution si elle a été immédiatement versée lors du transfert) à l’expiration d’un délai de quinze ans suivant la date du départ, qui tend à démontrer que le transfert du domicile n’était pas motivé par des raisons fiscales. Il en va de même si le contribuable transfère à nouveau son domicile en France. C’est la loi de finances rectificative pour 2013 qui a porté ce délai à quinze ans, contre huit ans auparavant (130).

Le rapport rendu public le 26 septembre 2014 dresse un bilan des départs à l’étranger de contribuables redevables de l’exit tax au titre de leurs plus-values latentes pour les années 2011 et 2012.

Les obligations déclaratives incombant aux contribuables ont varié plusieurs fois depuis la création du dispositif, mais in fine, il est possible de disposer de premières données relatives aux départs survenus au cours d’une année n à l’été de l’année n+1, puisque la déclaration spécifique à l’exit tax doit être déposée l’année suivant le transfert du domicile fiscal, en même temps que la déclaration des revenus perçus au cours de l’année du départ ; un bilan peut être réalisé à l’automne de l’année n+2. Il convient de noter que, depuis le 1er juin 2012, les contribuables ne bénéficiant pas du sursis de paiement automatique et demandant à bénéficier du sursis sur option doivent déposer une déclaration spécifique dans les trente jours qui précèdent leur départ à l’étranger, ainsi qu’une proposition de garanties pour assurer le recouvrement de leur créance : pour les contribuables concernés, de premières informations sont donc disponibles de façon concomitante au départ, et non l’année qui suit celui-ci.

Les déclarations déposées pour des départs au titre des années 2011 et 2012 sont au nombre de 522, dont 469 font apparaître une plus-value strictement positive. Parmi ces 469 déclarations, 169 ont été déposées au titre de transferts de domicile intervenus en 2011, et 300 ont été déposées pour l’année 2012, pour un montant cumulé total de 4,547 milliards d’euros.

RÉPARTITION DU NOMBRE ET DU MONTANT DES PLUS-VALUES EN FONCTION DE L’ANNÉE DE DÉPART

Date de transfert du domicile à l’étranger

Nombre de déclarations (1)

Montant cumulé des plus -values (M€)

entre le 01/01/2011 et le 31/12/2011

169

1 890

entre le 01/01/2012 et le 31/12/2012

300

2 657

TOTAL

469

4 547

(1) Nombre de déclarations dans lesquelles figure un montant de plus -value strictement supérieur à 0 €

Source : DGFiP.

La plus-value moyenne s’établit donc à 9,7 millions d’euros pour les deux années, et elle est plus élevée en 2011 – 11,2 millions d’euros – qu’en 2012 – 8,8 millions d’euros. Le deuxième rapport estime que cette diminution constatée en 2012 résulte au moins pour partie de la modification de la législation applicable entre les départs de 2011 et les départs de 2012, avec l’extension du champ de l’exit tax, résultant de la modification des seuils applicables, réalisée par la dernière loi de finances rectificative pour 2011.

Sur les 522 déclarations déposées pour des départs en 2011 et 2012, 299 – soit plus de 57 % – correspondent à des transferts opérés dans l’Espace économique européen, et 223 en dehors de celui-ci ; sur ces 223 déclarations, 127 ont été accompagnées de demandes de sursis de paiement.

Les pays de destination des redevables de l’exit tax pour les années 2011 et 2012 recoupent largement ceux des redevables de l’ISF quittant le territoire, puisque les deux tiers des déclarations réalisées correspondent à des départs pour la Belgique, la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis, comme l’illustre le tableau suivant :

RÉPARTITION DU NOMBRE ET DU MONTANT DES PLUS-VALUES PAR PAYS DE DESTINATION

 

Montant des plus-values (en M€)

Pays

Nombre de déclarations

Cumulé

Moyen

Médian

Suisse

94

800

9

1

Belgique

176

2 356

14

4

États-Unis

31

148

5

1

Royaume-Uni

51

539

11

1

Autres

170

704

4

1

TOTAL

522

4 547

9

2

Source : DGFiP.

La ventilation des plus-values par décile de déclaration révèle leur très forte concentration, puisque 10 % de ces plus-values sont supérieures à 24,95 millions d’euros, tandis que 50 % d’entre elles sont inférieures à 2,08 millions d’euros. Le dernier décile représente 63 % du montant cumulé des plus-values, soit 2,874 milliards d’euros sur un total de 4,547 milliards d’euros.

VENTILATION DES PLUS-VALUES PAR DÉCILE

Seuils des déciles de plus-values (en K€)

Nombre de déclarations (1)

Montant des plus-values (M€)

inférieur à 96,5

47

2

entre 96,5 et 316,3

47

9

entre 316,3 et 627,9

47

23

entre 627,9 et 1 109,1

47

41

entre 1 109,1 et 2 083,5

47

75

entre 2 083,5 et 3 312,1

47

125

entre 3 312,1 et 5 909,2

47

207

entre 5 909,2 et 10 812,2

47

383

entre 10 812,2 et 24 952,1

47

808

au-delà de 24 952,1

46

2 874

TOTAL

469

4 547

(1) Nombre de déclarations dans lesquelles figure un montant de plus -value strictement supérieur à 0 €

Source : DGFiP.

Cette concentration se retrouve fort logiquement pour les valeurs des droits sociaux déclarés, qui servent au calcul des plus-values latentes : plus de 50 % de ces valeurs sont inférieures à 2,8 millions d’euros, tandis que les 10 % les plus élevées dépassent 27,4 millions d’euros et représentent au total près de 62 % des valeurs déclarés, soit 3,432 milliards d’euros sur 5,566 milliards d’euros.

VENTILATION PAR DÉCILE DES VALEURS DES TITRES DÉCLARÉES

Seuils des déciles de valeurs
(en K€)

Nombre de déclarations (1)

Montant des valeurs
des titres (en M€)

inférieur à 173,7

49

4

entre 173,7 et 519,1

48

15

entre 519,1 et 1 000,1

48

36

entre 1 000,1 et 1 904,0

49

68

entre 1 904,0 et 2 791,3

48

114

entre 2 791,3 et 4 590,6

48

180

entre 4 590,6 et 8 197,9

49

310

entre 8 197,9 et 13 232,2

48

515

entre 13 232,2 et 27 426,1

48

892

au-delà de 27 426,1

48

3 432

TOTAL

483

5 566

(1) Nombre de déclarations dans lesquelles figure un montant de valeurs strictement supérieur à 0 €

Source : DGFiP.

Pour l’année 2012, la ventilation par décile de revenu fiscal de référence est disponible pour 307 foyers fiscaux, ce qui permet de constater que le revenu fiscal de référence médian de ces foyers fiscaux atteint 236 700 euros et que le dernier décile de ces foyers dispose d’un revenu fiscal de référence supérieur à 3 millions d’euros et concentre 20 % du montant cumulé des plus-values.

RÉPARTITION PAR DÉCILE DE REVENU FISCAL DE REFEENCE DE L’ANNÉE 2011 DES FOYERS FISCAUX AYANT DÉPOSÉ UNE DÉCLARATION D’EXIT TAX
AU TITRE D’UN DÉPART EN 2012

Déciles de RFR (en K€)

Nombre de foyers

Montant cumulé des plus -values (M€)

inférieur à 33,9

31

92

entre 33,9 et 77,3

31

98

entre 77,3 et 111,8

31

170

entre 111,8 et 144,4

30

150

entre 144,4 et 236,7

31

154

entre 236,7 et 358,6

31

73

entre 358,6 et 551,2

30

216

entre 551,2 et 981,5

31

528

entre 981,5 et 3 026,3

31

456

au-delà de 3 026,3

30

504

TOTAL

307

2 441

Source : DGFiP.

Les données disponibles pour l’année 2011, figurant dans le rapport déposé en janvier 2014, montrent que le revenu fiscal de référence médian des foyers fiscaux ayant déposé une déclaration était moins élevé, s’établissant à 143 500 euros.

Au titre des départs enregistrés en 2012 comme en 2011, environ la moitié des déclarants principaux ont moins de 50 ans.

RÉPARTITION DES FOYERS FISCAUX SELON L’ÂGE DU DÉCLARANT PRINCIPAL
DES FOYERS FISCAUX AYANT DÉPOSÉ UNE DÉCLARATION D’EXIT TAX
AU TITRE D’UN DÉPART EN 2011 ET EN 2012

 

Année 2011

Année 2012

Âge du déclarant principal

Nombre de foyers

Montant (M€)

Nombre de foyers

Montant (M€)

<= 40 ans

28

99,6

78

434

<= 50 ans

48

262,4

75

812

<= 60 ans

45

680,5

94

620

>60 ans

37

305,6

60

575

Total

158

1 348

307

2 441

Source : DGFiP.

Enfin, pour les 307 déclarations déposées en 2012, 188 foyers fiscaux étaient assujettis à l’ISF ; le montant moyen de l’actif net imposable au titre de l’ISF s’établissait à 13 millions d’euros, à comparer à une moyenne de 2,7 millions d’euros pour l’ensemble des redevables de l’ISF en 2012, et à 6,6 millions d’euros pour les redevables de l’ISF s’étant expatriés en 2012. Le revenu fiscal de référence médian de ces foyers assujettis à l’ISF comme à l’exit tax s’élève à environ 422 200 euros – soit un montant plus élevé que celui constaté en 2011, puisque pour les contribuables assujettis à l’exit tax et à l’ISF, qui étaient au nombre de 83 en 2011 sur un total de 158 déclarations, le revenu fiscal de référence médian s’établissait à 160 300 euros.

iii.  Un nombre de départs de redevables de l’impôt sur le revenu en augmentation depuis 2011

Les rapports remis en application de l’article 29 de la dernière loi de finances rectificative pour 2012 apportent de nouveaux éléments d’évaluation, en présentant le nombre de redevables de l’impôt sur le revenu quittant le territoire français depuis 2007. Ils distinguent, parmi l’ensemble des départs, ceux des redevables dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 100 000 et à 300 000 euros. Ce recensement permet ainsi d’appréhender une population plus large que celle soumise à l’ISF ou à l’exit tax.

À l’évidence, seule une part minime des départs des redevables de l’impôt sur le revenu dans leur ensemble est motivée par des raisons fiscales – la proportion étant sans doute plus élevée pour les redevables dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 100 000 ou 300 000 euros. Pour autant, ces chiffres permettent de donner une appréciation générale des conséquences fiscales des expatriations, tout en complétant utilement les informations sur le profil des candidats au départ.

Le nombre de départs s’avère relativement constant entre 2007 et 2009, autour de 26 000 par an ; il a sensiblement diminué en 2010, à moins de 22 000 départs, pour augmenter très nettement en 2011, jusqu’à 35 077 départs, et se stabiliser à 34 524 départs en 2012. Le revenu fiscal de référence médian des foyers concernés, de l’ordre de 24 000 euros en 2012, est supérieur d’environ 35 % à celui de l’ensemble des foyers fiscaux. Le revenu fiscal de référence moyen des foyers s’expatriant est toutefois plus élevé et plus éloigné de celui de l’ensemble des foyers. En 2012, il était supérieur de plus de 100 %, en 2011 de plus de 62 % et en 2010 de plus de 87 %.

ÉVOLUTION ENTRE 2007 et 2011 DU NOMBRE DE DÉPARTS POUR L’ÉTRANGER
DE REDEVABLES DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

Année de départ

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Nombre de redevables

25 473

28 793

25 791

21 646

35 077

34 524

Revenu fiscal de référence moyen de l’année précédant le départ (€)

36 517

39 292

38 093

43 419

38 577

52 144

Revenu fiscal de référence médian de l’année précédant le départ (€)

22 502

23 287

28 506

24 919

22 702

24 031

Source : DGFiP.

Un tel recueil de données, bien moins détaillé toutefois, avait été réalisé en 2000 par la direction générale des impôts, dans un contexte de polémiques sur l’exil fiscal : l’étude présentait le nombre de départs d’assujettis à l’impôt sur le revenu entre 1997 et 1999. L’exercice n’a pas été poursuivi par la suite, et les chiffres manquent pour la période 1999-2007.

Le nombre de départs annuels entre 1997 et 1999 était quasi identique à celui enregistré entre 2007 et 2010 : selon l’étude de 2000, « en 1999, un peu plus de 24 500 contribuables à l’impôt sur le revenu ont élu domicile hors des frontières nationales, soit environ le même nombre que chacune des deux années précédentes (moins de 25 000 en 1997, moins de 24 000 en 1998). » De même, le différentiel de revenus entre redevables de l’impôt sur le revenu dans leur ensemble et redevables qui s’expatrient s’avère relativement constant, alors qu’en 1999, le revenu moyen des contribuables s’expatriant se situait aux environ de 190 000 francs, contre 135 000 francs pour l’ensemble des contribuables à l’impôt sur le revenu.

S’agissant des destinations les plus prisées, l’administration fiscale précise que les pays d’installation ne sont pas connus pour tous les foyers fiscaux, dans la mesure où certains redevables n’indiquent pas leur pays de destination ou qu’ils indiquent une adresse en France aux fins de correspondance avec les services des impôts. Les données fournies doivent donc être prises avec précaution. La répartition par pays s’avère beaucoup plus diversifiée que pour les redevables de l’ISF :

ÉVOLUTION ENTRE 2007 et 2011 DU POURCENTAGE REPRÉSENTÉ PAR LES PRINCIPAUX PAYS DE DESTINATION DES REDEVABLES DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

Année de départ

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Belgique

5 %

5 %

5 %

6 %

8 %

5 %

Suisse

4 %

5 %

4 %

5 %

7 %

5 %

Royaume-Uni

2 %

1 %

1 %

2 %

8 %

6 %

États-Unis

3 %

4 %

3 %

4 %

7 %

4 %

Canada

3 %

3 %

3 %

3 %

6 %

4 %

Espagne

6 %

7 %

6 %

7 %

4 %

3 %

Autres pays

21 %

25 %

23 %

29 %

43 %

28 %

Destination inconnue

55 %

50 %

53 %

42 %

18 %

45 %

Source : DGFiP.

Les chiffres disponibles montrent que la moyenne d’âge de l’ensemble des redevables s’expatriant est relativement jeune : la part des moins de 30 ans est de 36 %, et celle des moins de 40 ans atteint 69 %, tandis que les plus de 60 ans ne représentent que 9 % du total. Par ailleurs, la majorité des redevables partent seuls : 65 % d’entre eux sont célibataires, divorcés ou veufs.

Ces données diffèrent sensiblement pour les contribuables au revenu fiscal de référence supérieur : ils sont plus âgés et davantage en couple ou avec une famille : au-dessus de 300 000 euros, seuls 21 % ont moins de 40 ans, tandis que les plus de 50 ans représentent 41 % du total. 84 % sont en couple, tandis que 62 % comptent plus de deux parts dans leur foyer fiscal.

De même, l’évolution du nombre de départs de redevables dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 100 000 et à 300 000 euros diffère toutefois de celle pour les redevables dans leur ensemble : le nombre de contribuables concernés est relativement stable entre 2007 et 2010, et augmente nettement depuis 2011, comme l’illustrent les tableaux ci-dessous :

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE DÉPARTS POUR L’ÉTRANGER DE REDEVABLES DE L’IMPÔT SUR LE REVENU DONT LE REVENU FISCAL DE REFERENCE EST SUPERIEUR A 100 000 euros

Année de départ

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Nombre de redevables

1 101

1 257

1 313

1 330

2 024

2 669

Revenu fiscal de référence moyen de l’année précédant le départ (€)

231 911

259 636

221 274

226 621

215 016

342 749

Revenu fiscal de référence médian de l’année précédant le départ (€)

138 508

138 734

140 512

142 629

140 683

147 044

Source : DGFiP.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE DÉPARTS POUR L’ÉTRANGER DE REDEVABLES DE L’IMPÔT SUR LE REVENU DONT LE REVENU FISCAL DE REFERENCE EST SUPERIEUR A 300 000 EUROS

Année de départ

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Nombre de redevables

137

163

167

169

251

450

Revenu fiscal de référence moyen de l’année précédant le départ
(en euros)

828 649

1 018 322

726 929

754 660

690 619

1 287 139

Revenu fiscal de référence médian de l’année précédant le départ

(en euros)

490 061

525 032

460 999

497 833

454 567

519 520

Source : DGFiP.

De plus, le revenu fiscal de référence moyen des redevables de l’impôt sur le revenu au revenu fiscal supérieur à 300 000 euros s’est nettement accru entre 2011 et 2012, pour parvenir à 1,287 million d’euros. Il convient de noter qu’il avait dépassé le seuil du million d’euros en 2008. Une tendance similaire est observée pour les redevables de l’impôt sur le revenu au revenu fiscal de référence supérieur à 100 000 euros. Ces évolutions s’expliquent par des départs en 2011 et 2012 d’un petit nombre de foyers aux revenus élevés.

iv.  Les lacunes de l’évaluation du retour des contribuables

L’évaluation du phénomène d’exil fiscal n’apparaît pas complète si l’on ne prend en compte que les départs de contribuables, sans dénombrer les retours, ni les arrivées. Or, en la matière, les données disponibles sont également très lacunaires.

S’agissant de l’ISF, les chiffres sur les retours de redevables ne sont disponibles qu’à partir de l’année 2006. Ils se limitent aux seuls redevables dont le départ avait été recensé dans le fichier de l’Observatoire interne des délocalisés au cours des années précédentes, qui rentrent en France et qui sont redevables de l’ISF. Ces données sont présentées dans le tableau ci-dessous qui montre que le nombre des retours a fortement reculé au cours des cinq dernières années :

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE RETOURS EN FRANCE DE REDEVABLES DE L’ISF DEPUIS 2006

Année de retour

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Redevables de l’ISF l’année suivante

226

246

312

343

129

109

103

Dont redevables de l’ISF pour un patrimoine supérieur à 1,3 M€

141

153

223

228

129

109

103

Source : DGFiP.

Il n’est ainsi pas possible de connaître le nombre total de contribuables assujettis à l’ISF venant s’installer en France chaque année – ni d’identifier, parmi ces nouveaux redevables, ceux de nationalité française et ceux de nationalité étrangère. L’administration fiscale indique ainsi qu’« il n’est pas opéré de suivi de l’installation en France de redevables de l’ISF auparavant non résidents et, en tout état de cause, ni la nationalité ni l’ancienne adresse à l’étranger ne sont connues ».

Si l’on peut comprendre les obstacles techniques à la réalisation d’un tel suivi, force est de constater que pour dresser un véritable bilan de l’exil fiscal, il serait nécessaire de décompter, outre les départs de résidents – soit les chiffres présentés précédemment, la totalité des arrivées de résidents fiscaux redevables de l’ISF – et non les seuls retours de redevables recensés auparavant par l’observatoire comme quittant la France.

Néanmoins, il faut noter que le deuxième rapport transmis au Parlement sur l’évolution des départs pour l’étranger et des retours en France des contribuables fournit de nouvelles données sur le profil des contribuables revenant s’installer en France, notamment sur leur actif imposable moyen et sur l’ISF moyen dont ils s’acquittent l’année suivant leur retour en France :

ACTIF NET IMPOSABLE MOYEN ET ISF MOYEN ACCQUITTÉ PAR LES REDEVABLES DE L’ISF DE RETOUR DE L’ÉTRANGER EN FONCTION DE LEUR ANNÉE DE RETOUR

Année du retour (N)

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Base nette moyenne

imposable N+1 (en M€)

2,2

2,8

2,4

2,7

2,7

3,5

3,3

ISF moyen N+1 (en €)

12 491

12 461

10 571

12 047

46 895

26 478

13 364

Source : DGFiP.

La difficulté est plus importante encore pour les redevables de l’impôt sur le revenu, car la comparaison entre nombre de départs et nombre d’arrivées n’est pas du tout possible pour l’heure. La DGFiP a indiqué au rapporteur que « la législation applicable aux revenus perçus entre latyty date du retour en France et le 31 décembre de l’année concernée étant le droit commun, le système d’information de la DGFiP ne permet pas d’identifier les foyers devenus ou redevenus résidents français ». Or, s’il est intéressant de connaître le nombre de départs de redevables de l’impôt sur le revenu dont le revenu fiscal de référence est supérieur à certains seuils, il faudrait mettre en balance ces données avec le nombre de redevables au revenu fiscal de référence analogue venant s’installer en France, quelle que soit leur nationalité d’ailleurs.

Proposition n° 9 : afin de permettre un réel bilan de l’exil fiscal, prenant en compte aussi bien les sorties que les entrées, il est nécessaire d’améliorer l’indicateur portant sur le retour de redevables de l’ISF en France, et de définir un nouvel indicateur portant sur l’entrée en France de redevables de l’impôt sur le revenu.

3. Des conséquences difficiles à mesurer

Les difficultés à évaluer le phénomène de l’exil fiscal se retrouvent bien évidemment pour en mesurer les conséquences fiscales et économiques. Plusieurs publications ont fourni des chiffres très divers, tendant à établir soit que les conséquences étaient massives et désastreuses pour l’économie française, soit qu’elles étaient tout à fait mineures et seulement fiscales, et non économiques. Les méthodologies retenues pour conduire ces travaux sont rarement détaillées, et leurs principes semblent souvent discutables, en se fondant sur des extrapolations hasardeuses.

Parmi ces travaux, un document de mai 2013 issu de la Fondation Concorde, think tank créé en 1997 axé sur l’entreprise (131), estimait à environ 400 milliards d’euros la totalité des capitaux exportés à l’étranger au cours des vingt dernières années dans le cadre de l’exil fiscal. Cette estimation reposait sur quelques chiffres relatifs aux fortunes françaises installées en Suisse, combinés au fait que la Suisse accueillerait environ 16 % des redevables de l’ISF quittant la France – alors que cette proportion est très variable selon les années, allant jusqu’à 25 % en 2011. Il est procédé de façon toute aussi schématique pour calculer le nombre d’emplois qui seraient perdus du fait de l’exil fiscal, estimé à un million.

Un document sur le sujet a également été publié par Fondapol, soit la Fondation pour l’innovation politique – cercle de réflexion se définissant comme libéral, progressiste et européen, et créé en 2004 avec le soutien de l’UMP. Ce rapport de mai 2014 intitulé « Trop d’émigrés ? Regards sur ceux qui partent de France » (132) reprend les estimations de la fondation Concorde, puis rappelle des analyses présentées par M. Bertrand Jacquillat, économiste, en 2012 (133), selon lequel « on estime que ce sont près de 10 000 contribuables qui ont quitté l’Hexagone pour des raisons fiscales depuis une vingtaine d’années, ce qui représenterait une valeur patrimoniale totale supérieure à 250 milliards d’euros. En actualisant une étude parue sur le sujet en 2007, M. Philippe Bruneau [président du Cercle des fiscalistes], obtient un manque à gagner annuel pour le Trésor de l’ordre de 9 milliards d’euros. » Il est intéressant de constater le différentiel considérable entre les deux chiffres – soit 400 soit 250 milliards d’euros. Ces différentes estimations sont d’ailleurs reprises de documents en documents, sans que leurs modalités de calcul ne soient précisées ni actualisées.

Peuvent être évoqués des chiffres issus d’une étude réalisée pour le compte de l’organisation « Contribuables associés », visant à estimer les montants en capital humain et en capital financier s’échappant chaque année de France, et qui a été présentée devant la commission d’enquête sénatoriale précitée de 2012 sur l’évasion fiscale. Cette étude, en s’appuyant sur des chiffres et des hypothèses extrêmement discutables, voire fantaisistes, estimait les pertes de patrimoine, depuis la création de l’ISF, à « 2 300 milliards d’euros, soit une fuite vers l’étranger de 115 milliards d’euros par an en vingt ans », tandis que 233 milliards d’euros d’impôts auraient été perdus depuis vingt ans sur le « stock » des Français de l’étranger. Le rapporteur de la commission d’enquête estimait dans son rapport que « les chiffres avancés pos[ai]ent de si nombreux problèmes qu’[il] renon[çait] à les exposer. »

À l’inverse, le rapport du syndicat Solidaires Finances publiques sur « Les expatriations fiscales au cœur du débat fiscal », dans sa deuxième édition de novembre 2012, aboutit à des conclusions très différentes : il présente les pertes en bases et en recettes liées à ces départs des redevables de l’ISF, et montre qu’en les rapportant à l’ensemble de la base imposable de l’ISF et à son rendement global, les pertes résultant de ces départs sont mineures. Par ailleurs, ce rapport estime que les incidences économiques sont sans doute moindres que ce que l’on peut penser, soulignant que les données manquent pour distinguer les actifs réellement délocalisés de ceux qui restent en France. Ainsi, il relève que les biens professionnels d’une entreprise qui sont vendus par un redevable de l’ISF s’expatriant par exemple en Belgique, peuvent être rachetés par un repreneur français en vue de poursuivre l’activité sur le territoire national, ce qui se traduit par un impact quasi nul sur l’économie française – au-delà de la perte fiscale résultant du départ du redevable de l’ISF.

Une évaluation sérieuse et étayée des incidences économiques de l’expatriation de contribuables requerrait des travaux complets et approfondis, qui dépassent le cadre du présent rapport. Pour autant, au regard de la diversité des chiffres avancés ça et là s’agissant des conséquences fiscales des départs à l’étranger, il apparaît utile d’apporter l’éclairage de la DGFiP.

La DGFiP souligne de façon préliminaire que, outre le fait que certains de ces foyers reviennent en France par la suite, le manque à gagner pour le budget de l’État du fait de ces départs doit être mis en perspective avec les ressources fiscales provenant de ces mêmes foyers, dans les cas suivants :

– certains foyers continuent de percevoir des revenus de source française après leur départ et acquittent l’impôt sur le revenu, en tant que non résidents ;

– certains foyers restent propriétaires de biens immobiliers après leur départ et, à ce titre, continuent d’acquitter des impôts après ledit départ, notamment des impôts locaux mais aussi, le cas échéant, l’impôt de solidarité sur la fortune ;

– certains foyers cèdent pour tout ou partie leur patrimoine immobilier avant leur départ, de telle sorte que les impôts fonciers afférents à ces biens continuent d’être perçus par l’État ou les collectivités territoriales après le départ du cédant.

Ces réserves ne doivent pas être négligées, au regard des règles applicables aux contribuables non-résidents.

La fiscalité des contribuables non-résidents

Conformément aux dispositions de l’article 4 A du code général des impôts, les personnes domiciliées fiscalement en France sont soumises à une obligation fiscale illimitée : elles sont imposées sur l’ensemble de leurs revenus de source française et étrangère, sauf disposition contraire prévue par une convention internationale. Les personnes non domiciliées fiscalement en France sont quant à elles soumises à une obligation fiscale limitée, c’est-à-dire qu’elles ne sont imposables qu’à raison de leurs revenus de source française.

Les critères de la domiciliation fiscale, définis à l’article 4 B du code général des impôts, permettent à l’administration fiscale d’apprécier si une personne physique a ou non son domicile fiscal en France. Ces critères, qui ne sont pas cumulatifs – l’un d’entre eux étant suffisant pour considérer que le domicile est établi en France –, sont d’ordre personnel (avoir en France son foyer, c’est-à-dire le lieu de résidence habituelle de la famille et de la scolarisation des enfants, ou son lieu de séjour principal), d’ordre professionnel (exercer en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins que cette activité ne soit exercée à titre accessoire) et d’ordre économique (disposer en France du centre de ses intérêts économiques).

Les non résidents restent redevables des impôts locaux (taxe d’habitation, taxe foncière et, s’il y a lieu, taxe sur les locaux vacants ou taxe d’habitation sur les locaux vacants) relatifs aux biens immobiliers dont ils disposent ou qu’ils possèdent sur le territoire français.

Par ailleurs, au titre de leur obligation fiscale limitée, ils sont imposables sur leurs revenus de source française (134). L’impôt est calculé en appliquant le barème progressif et les règles de droit commun du quotient familial. Néanmoins, aux termes de l’article 197 A du code général des impôts, le montant d’impôt obtenu ne peut être inférieur à 20 % du revenu net imposable, sauf si le contribuable justifie que le taux moyen qui résulterait de l’imposition en France de la totalité de son revenu mondial imposable serait inférieur à ce taux forfaitaire. Dans ce cas, le taux moyen ainsi déterminé s’applique aux revenus de source française du contribuable.

Un ordre de grandeur de l’impact des départs a été fourni au rapporteur pour chaque impôt concerné :

Au titre de l’ISF, le montant d’impôt acquitté par les 587 foyers fiscaux redevables de l’ISF et partis à l’étranger au cours de l’année 2012 s’est élevé à 39,2 millions d’euros, contre 33,1 millions d’euros l’année précédente. Pour autant, une fraction de cette somme restera due à l’État français au cours des années suivantes, compte tenu des règles de territorialité de l’ISF : il ne s’agit donc pas d’une perte sèche, mais l’administration fiscale n’est pas en mesure de déterminer le montant de cette fraction.

MONTANT D’ISF ACQUITTÉ PAR L’ENSEMBLE DES REDEVABLES PARTIS
POUR L’ÉTRANGER DONT LE PATRIMOINE EST SUPÉRIEUR À 1,3 M€
EN FONCTION DE LEUR ANNÉE DE DÉPART

Année de dé part

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Total de l’ISF (en M€)

15,7

7,1

16,4

20,7

18,0

18,8

15,8

12,0

18,0

33,1

39,2

Source : DGFiP.

Le patrimoine net imposable des redevables de l’ISF partis pour l’étranger atteint 3,7 milliards d’euros pour l’année 2012. Son évolution depuis 2004 est détaillée dans le tableau ci-dessous :

ÉVOLUTION DU PATRIMOINE NET IMPOSABLE DES REDEVABLES DE L’ISF QUITTANT LE TERRITOIRE NATIONAL

(en milliards d’euros)

Année de départ

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Base nette totale imposable

1,7

2,4

2,6

2,5

2,6

2,2

2,8

3,9

3,7

Source : DGFiP.

Toutefois, comme pour le calcul du produit perdu de l’ISF, certains des redevables concernés continueront à être imposés à l’ISF en tant que non résidents après leur départ pour l’étranger, et il n’est pas possible d’isoler, au sein du patrimoine net des redevables de l’ISF s’expatriant, le patrimoine restant imposable en France après le départ. La base imposable perdue ne correspond donc pas à la somme des bases mentionnées dans le tableau ci-dessus – d’autant que ces bases concernent les seuls départs, et non le solde entre les départs et les retours.

Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, le montant d’impôt acquitté par les 34 524 foyers fiscaux partis pour l’étranger au cours de l’année 2012 s’élève à 224 millions d’euros en 2012 (au titre des revenus de 2011, dernière année complète d’imposition). Une nouvelle fois, il n’est pas possible de déterminer quel montant d’impôt sera dû l’année suivante par ces foyers devenus non résidents, au titre de leurs revenus de source française – ni le montant d’impôt acquitté par des contribuables s’installant en France parallèlement.

En matière de droits de mutation à titre gratuit, les pertes de recettes sont impossibles à estimer. Elles se concrétiseront éventuellement et ultérieurement, si le patrimoine du foyer parti à l’étranger fait l’objet d’une transmission à titre gratuit, dans le cadre d’une donation ou d’une succession, et sous réserve de la résidence de la personne décédée ou du donateur à ce moment, et des règles de territorialité de ces droits.

S’agissant des impôts locaux, le manque à gagner n’est pas constitué dès lors que, selon les choix qui seront réalisés par les foyers quittant le territoire national, l’imposition restera due, que ce soit par eux ou par les foyers qui occuperont et acquerront les immeubles concernés.

B. LA POSITION COMPARATIVE DE LA FRANCE EN MATIÈRE DE FISCALITE DES PERSONNES

1. Les principales motivations avancées pour expliquer les départs

Le premier des motifs fiscaux de départs, selon les personnes auditionnées par la commission, est la fiscalité des plus-values mobilières, souvent considérée comme pénalisante pour les entrepreneurs. Tel est le diagnostic de M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, qui a souligné qu’« en matière fiscale, le point le plus important pour les entrepreneurs est la fiscalité des plus-values. L’affaire des « pigeons » nous a montré que là est le cœur du problème. » (135)

M. Pascal Faure, directeur général compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), a lui aussi indiqué que « le cadre fiscal de la France [était] trop peu incitatif pour le développement et l’attrait des entreprises étrangères, notamment s’agissant de la fiscalité sur les plus-values. J’entends souvent que les créateurs d’entreprises qui réussissent et veulent revendre leur entreprise le font souvent pour continuer à créer d’autres entreprises : ils sont donc plus sensibles à la fiscalité des plus-values de cession qu’à l’impôt sur les sociétés. » (136). Mme Manon Laporte a estimé, quant à elle, que « l’alignement de l’imposition des plus-values sur le barème progressif de l’impôt sur le revenu avait été un point déterminant » pour expliquer des départs (137), tandis que M. Marc Bornhauser indiquait que plusieurs de ses clients avaient quitté la France « à cause de la fiscalité sur les plus-values, point très sensible. » (138) Il ajoutait toutefois qu’il n’encourageait pas un tel calcul, au motif qu’« avant de payer un impôt sur les plus-values, encore faut-il en réaliser – et où a-t-on de meilleures chances d’y parvenir que dans son pays d’origine, c’est-à-dire dans un contexte que l’on connaît et maîtrise ? »

De façon plus classique, l’ISF a également été pointé comme l’un des motifs de départs, notamment lorsque les contribuables possédant leur entreprise souhaitent partir à la retraite perdant ainsi le bénéfice de l’exonération au titre de leurs biens professionnels. M. Marc Bornhauser soulignait ainsi que « l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – est le deuxième à pousser les contribuables à partir. » (139). L’ISF suscite depuis sa création en 1982 les passions et les débats idéologiques, et différents travaux, généralement issus de cercles libéraux, prônent sa suppression. Pour autant cette imposition a été maintenue par les différentes majorités qui se sont succédé au cours des deux dernières décennies. M. Marc Bornhauser a d’ailleurs observé « une vague de départs à partir de 1995, quand le Premier ministre de l’époque, M. Alain Juppé, a plafonné le plafonnement de l’ISF. »

Mme Nicole Goulard, avocate fiscaliste au cabinet Jeantet Associés, a cependant estimé que « la question de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) semble au contraire moins sensible aujourd’hui qu’elle ne l’était hier. La règle du plafonnement de l’impôt sur le revenu et de l’ISF à 75 % des revenus est certes moins favorable que les dispositions du bouclier fiscal, mais elle rend l’impôt acceptable. Ce n’est donc plus l’ISF qui suscite les délocalisations. » (140)

Les avocats fiscalistes citent également comme facteur de départ les droits de succession, qui poussent des contribuables à s’expatrier afin de transmettre leurs biens à leurs héritiers en s’acquittant de sommes moindres. Comme exposé précédemment, les droits de mutations à titre gratuit conduiraient également les héritiers à quitter le territoire national de façon préventive.

Certaines des personnes auditionnées mettent en avant la fiscalité applicable aux stock-options et aux attributions d’actions gratuites, qui serait trop lourde, induirait un désavantage comparatif pour les entreprises implantées en France et souhaitant motiver leurs cadres, et pousserait au départ certains d’entre eux. M. Arnaud Vaissié, président d’International SOS, soulignait ainsi qu’au sein de son entreprise, « entre la même action distribuée à un salarié basé en Belgique, en Grande-Bretagne, en Allemagne et à un salarié basé en France, l’écart de fiscalité est de un à quatre. Cela signifie, plus généralement, qu’une action gratuite ou une stock-option accordée à un cadre français a relativement peu d’intérêt pour lui, alors que c’est un élément essentiel pour un cadre basé dans les autres pays de l’Union européenne – et je ne parle même pas du reste du monde. C’est extraordinairement préoccupant, dans la mesure où cet écart touche des cadres à haute responsabilité, dont le déplacement s’accélère vers les pays proches, comme la Suisse, la Belgique ou la Grande-Bretagne, mais aussi maintenant vers le grand international. » (141)

M. Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général du groupe Total, soulignait également que « les stock-options et les actions de performance sont des outils de reconnaissance, de fidélisation et de rémunération. Ils ne sont pas, contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse, réservés à quelques cadres du sommet de la pyramide. Ainsi, chaque année, 10 000 personnes dans le monde se voient distribuer des actions de performance. Mais le risque d’un système à deux vitesses existe entre les cadres français ou les cadres affectés en France, et les autres, à niveau égal de poste, de rémunération et d’incitation, en raison de la différence de systèmes fiscaux entre la France et les autres pays. » (142)

Mme Nicole Goulard confirmait cette situation en insistant sur le fait que, en tenant compte des prélèvements sociaux, les gains issus des stock-options et des actions gratuites étaient désormais taxés à un taux supérieur à celui des salaires. Elle indiquait que ce fait posait « de graves problèmes aux entreprises – en particulier non cotées – qui ont besoin de cet instrument pour motiver leurs cadres. » Elle rappelait également que « les stock-options et les attributions gratuites d’actions donnent lieu, du côté de l’entreprise, au paiement d’une contribution patronale de 30 %, due à la date où l’on consent les droits, c’est-à-dire avant de distribuer effectivement les actions. Ainsi, même si les cadres concernés quittent l’entreprise ou que les objectifs de performance qui leur ont été fixés ne sont pas atteints, et que les actions ne sont donc pas distribuées, l’entreprise aura néanmoins payé. Cette taxe très élevée se révèle ainsi plus chère que des charges sociales qui, elles, ne sont dues qu’au moment où les actions sont effectivement distribuées aux bénéficiaires. »

Enfin, la question des contrôles fiscaux a été abordée à plusieurs reprises par les personnes auditionnées, en ce qu’ils occasionneraient d’importantes lourdeurs administratives, des incertitudes au sein des entreprises, notamment parmi les PME, voire une impression de « harcèlement » chez les dirigeants d’entreprises, qui pouvaient conduire à un départ à l’étranger.

Mme Manon Laporte assurait ainsi que « le contrôle fiscal et la pression fiscale, parce qu’ils sont vécus comme une espèce d’harcèlement, réel ou pas, peuvent déclencher l’exil. » (143). M. Antoine Leboyer, président-directeur général de GSX Solutions, une PME de quarante personnes dont le siège est en Suisse, ayant subi lui-même un contrôle fiscal ayant duré près de quatre ans, soulignait que les procédures de contrôle fiscal n’étaient pas adaptées aux entreprises de taille moyenne, en ce qu’elles mobilisaient de façon trop importante leurs dirigeants, en temps, en énergie voire en moyens financiers, ce qui pouvait affecter le fonctionnement de l’entreprise et son dynamisme. Il indiquait ainsi que « quand un grand groupe fait l’objet d’un contrôle fiscal, le service juridique travaille plus un peu plus tard, on rajoute un juriste, mais les opérations ne sont pas affectées. Quand c’est le cas d’une PME, son dirigeant doit y consacrer 50 % de son temps. L’impact de ce contrôle fiscal est tout simplement énorme. » (144)

Corrélativement, plusieurs personnes ont souligné l’instabilité fiscale et l’insécurité juridique qui en découlait, lesquelles pèsent sur la vie des entreprises. M. Pascal Faure relevait ainsi que « s’agissant des contrôles fiscaux, ce que j’entends souvent est que c’est le fait que les entreprises n’ont pas assez de visibilité sur les règles fiscales qui est pénalisant. Les contrôles fiscaux ne sont pas gênants si on sait quelle est la règle et comment l’appliquer ; ils le sont en revanche si cette règle est incertaine, qu’elle change et qu’on ne sait comment la mettre en œuvre. Il est donc important de stabiliser au maximum les règles fiscales et de bien expliquer les modifications qui interviennent.» (145)

De la même façon, M. Alban Schmutz, senior vice-président de OVH. com group, indiquait qu’à propos du crédit impôt recherche (CIR) – dont peuvent bénéficier les entreprises au titre de leurs dépenses de recherche –, « de nombreuses personnes [lui] ont dit qu’à partir du moment où elles en avaient déclaré, elles avaient fait l’objet d’un contrôle. Je ne sais pas si c’est une réalité ou si ce n’est qu’une perception. Il n’empêche que ces personnes pensent que si elles rentrent dans un nouveau dispositif, elles seront contrôlées. (…) Je ne remets pas en cause le principe du contrôle, mais il faut que les procédures soient logiques et que l’on avance en terrain connu. Il faut éviter que ceux qui entrent dans de nouveaux dispositifs soient systématiquement contrôlés alors qu’on leur avait annoncé le contraire, ou que l’administration interprète les règles différemment de ce que les politiques ou les médias avaient annoncé. Finalement, le chef d’entreprise consacre beaucoup de temps au contrôle, pendant lequel il ne développe pas ses produits et perd en compétitivité. » (146)

Ces propos trouvaient un écho dans ceux de M. Nicolas Gaume, président du Syndicat national du jeu vidéo, qui indiquait que « selon [leurs] calculs, l’entrepreneur d’une PME de moins de cinquante personnes passe un jour par semaine à traiter des problématiques liées à l’instabilité juridique et économique de notre pays – contre trois heures en Allemagne et moins de deux en Finlande. » (147)

2. Les destinations de prédilection des « exilés fiscaux »

Les destinations les plus appréciées par les contribuables français aisés peuvent être identifiées grâce aux données sur les pays d’installation des redevables de l’ISF et des redevables d’impôt sur le revenu au revenu fiscal de référence élevé. On retrouve d’ailleurs les mêmes pays pour ces deux catégories de redevables, à savoir la Suisse, la Belgique et le Royaume-Uni.

De façon schématique, les contribuables disposant de revenus du capital élevés et de patrimoines considérables sont enclins à s’installer en Belgique et en Suisse, puisque ces pays offrent une fiscalité très avantageuse en la matière. En revanche, le Royaume-Uni, mais aussi les États-Unis, sont davantage choisis par des contribuables disposant de revenus d’activité plus élevés, compte tenu de leur dynamisme économique dans divers secteurs, comme la finance, et de certains régimes fiscaux, tels que le régime britannique dit des « non dom ».

Cette répartition géographique par type de revenus se retrouve d’ailleurs dans les données relatives aux catégories de revenus dont bénéficient les contribuables qui s’expatrient. Certes, le nombre restreint de redevables concernés pour chacun des pays limite la taille des échantillons et conduit à de fortes variations d’une année sur l’autre, mais des tendances générales se dessinent au cours des dernières années. Parmi les redevables dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 300 000 euros, on constate que ceux s’installant en Belgique et en Suisse disposent de revenus d’activité plutôt en deçà de ceux partant pour d’autres pays, tandis que leurs revenus de capitaux mobiliers et leurs revenus fonciers sont très élevés. En revanche, les contribuables en partance pour les États-Unis et le Royaume-Uni reçoivent des salaires plutôt dans la moyenne haute des redevables s’expatriant, tandis que leurs revenus fonciers et de capitaux mobiliers sont plutôt dans la moyenne basse.

ÉVOLUTION ENTRE 2007 et 2011 DES SALAIRES MÉDIANS SELON LES PRINCIPAUX PAYS DE DESTINATION, POUR LES FOYERS DONT LE RFR EXCÈDE 300 000 EUROS

(en euros)

Année de départ

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Belgique

136 763

136 636

307 181

203 916

191 432

99 209

Suisse

334 134

216 997

312 627

258 670

363 661

347 577

Royaume-Uni

267 486

254 591

626 523

507 832

409 585

494 105

États-Unis

329 354

458 932

391 165

379 703

404 053

407 485

Canada

287 672

526 595

312 849

449 849

426 655

313 765

Espagne

344 707

335 969

531 869

352 562

637 211

258 190

Autres pays

316 890

305 963

402 251

344 905

346 190

317 781

Destination inconnue

124 094

327 146

375 142

438 091

374 430

339 521

* pour les foyers ayant déclaré ce revenu catégoriel.

Source : DGFiP..

ÉVOLUTION ENTRE 2007 et 2011 DES REVENUS DE CAPITAUX MOBILIERS MÉDIANS* SELON LES PRINCIPAUX PAYS DE DESTINATION, POUR LES FOYERS DONT LE RFR EXCÈDE 300 000 EUROS

(en euros)

Année de départ

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Belgique

178 077

54 577

4 690

112 503

128 150

60 968

Suisse

34 955

13 311

6 811

121 716

26 414

3 144

Royaume-Uni

29 559

20 061

2 458

10 815

2 724

9 649

États-Unis

5 905

11 941

1 399

5 650

5 586

1 505

Canada

578

10 153

11 221

7 503

28 566

4 299

Espagne

12 242

12 611

2 127

4 462

337

4 803

Autres pays

4 233

16 663

13 406

10 680

3 637

3 450

Destination inconnue

3 270

4 643

6 297

4 233

2 678

4 705

(*) pour les foyers ayant déclaré ce revenu catégoriel.

Source : DGFiP.

ÉVOLUTION ENTRE 2007 et 2011 DES REVENUS FONCIERS MÉDIANS*
SELON LES PRINCIPAUX PAYS DE DESTINATION,
POUR LES FOYERS DONT LE RFR EXCÈDE 300 000 EUROS

(en euros)

Année de départ

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Belgique

8 384

18 875

230

40 509

99 034

44 133

Suisse

6 845

17 521

27 833

7 677

9 442

26 633

Royaume-Uni

177 510

3 921

0

5 017

4 165

7 297

États-Unis

0

26 153

2 593

23 394

9 129

5 575

Canada

8 122

0

0

0

11 431

10 422

Espagne

14 313

0

5 376

5 874

194 853

14 502

Autres pays

48 611

14 660

15 189

26 514

8 962

12 142

Destination inconnue

8 742

4 465

5 491

25 822

9 190

8 400

(*) pour les foyers ayant déclaré ce revenu catégoriel.

Source : DGFiP.

Les données relatives à la répartition du montant des valeurs des titres déclarées par les redevables de l’exit tax, par pays de destination, sont également très parlantes, puisque les valeurs déclarées en 2011 et 2012 par les contribuables s’installant en Belgique et en Suisse représentent respectivement, pour l’un et l’autre pays, 2,591 et 1,032 milliards d’euros, soit au total 65 % du total des valeurs de titres de l’ensemble des redevables de l’exit tax pour ces mêmes années – lequel total atteint 5,566 milliards d’euros.

Ces préférences en fonction de la structure des revenus et du patrimoine trouvent leur source dans les spécificités fiscales de chacun des pays concernés.

a.  Une fiscalité très favorable pour les revenus du patrimoine en Belgique

La fiscalité appliquée par la Belgique aux personnes physiques se caractérise par son caractère dual, avec une grande disparité entre la fiscalité des revenus d’activité, qui s’avère lourde, et la fiscalité patrimoniale, bien plus favorable. Le système d’imposition des personnes physiques est cédulaire, avec des modalités de taxation différentes selon l’origine des revenus – contrairement au système français qui globalise les revenus pour les soumettre au barème progressif de l’impôt.

Il n’existe pas d’impôt sur la fortune en Belgique. La fiscalité des plus-values s’avère particulièrement avantageuse, puisque les plus-values mobilières ne sont pas imposables lorsqu’elles relèvent de la gestion normale d’un patrimoine privé (148), tandis que les plus-values immobilières ne sont taxables que si le bien est situé en Belgique, qu’il ne constitue pas la résidence principale du vendeur et qu’il est vendu dans les cinq années suivant son acquisition.

Les revenus fonciers relèvent d’un régime fiscal atypique, puisqu’ils sont d’abord soumis à un précompte immobilier à un taux forfaitaire fixé par les régions, provinces et communes ; pour leur taxation à l’impôt sur les personnes physiques (IPP), ils sont pris en compte sur la base du revenu cadastral revalorisé et majoré (revenu cadastral établi en 1975, majoré de 40 %), et non des loyers réels encaissés, ce qui s’avère bien plus favorable pour les propriétaires d’immeubles. Enfin, les revenus de placement (entre autres, intérêts et dividendes) sont soumis au précompte mobilier libératoire au taux de 25 % – à l’exception des intérêts sur livrets d’épargne, exonérés à hauteur de 1 880 euros par conjoint et imposés à 15 % au-delà.

Enfin, si les droits de succession s’avèrent relativement élevés en Belgique, les règles applicables offrent la possibilité d’organiser la transmission de patrimoine dans des conditions très avantageuses.

Les droits de succession varient en effet de 3 % à 30 % en ligne directe et entre époux, et ils débutent à 20 % dans les autres situations, tout en pouvant atteindre 80 %. Les exonérations sont quasi limitées à la transmission du domicile au conjoint, et les abattements sur la part de succession revenant au conjoint ou aux héritiers en ligne directe se limitent à 12 500 euros. De ce point de vue, la fiscalité française se révèle plus attractive.

Toutefois, le droit belge prévoit des régimes beaucoup plus favorables en ce qui concerne les donations. Les droits de donation sur les biens meubles sont faibles et fixes, quelle que soit la valeur des biens : 3 % en ligne directe, entre époux ou concubins, et 7 % pour les donations à des tiers. Si la donation n’est pas enregistrée devant un notaire belge, elle peut être réalisée en exonération de droits, sous réserve que le donateur ne décède pas dans les trois ans qui suivent la donation, auquel cas celle-ci est rappelée. La donation de biens immeubles supporte en revanche des droits plus élevés.

Il est par ailleurs possible d’organiser la transmission de patrimoine par la création de structures dédiées, notamment les sociétés civiles immobilières (la transmission se fait alors selon les règles des biens meubles, et non immeubles) ou les fondations privées (qui permettent de préserver un patrimoine familial, dans un but précis à la réalisation duquel est dédié le patrimoine).

L’enquête du journal belge L’Écho

Dans son édition du 13 septembre 2014, L’Écho a publié les résultats d’une enquête faisant apparaître que près d’un cinquième des 100 plus grosses fortunes françaises, recensées par le magazine Challenges, a placé une partie de leur patrimoine en Belgique. Soulignant qu’il s’agissait d’un phénomène ancien, l’enquête montrait qu’il se déroulait dans une grande discrétion, ces fortunes abritant « leurs holdings derrière des noms plus improbables les uns que les autres » et se livrant à « des montages imaginés par les fiscalistes les plus pointus ».

L’enquête conclue que « 10 % plus grosses fortunes françaises sont présentes en Belgique. Parfois massivement. Et quand il est question de domiciliation, la fourchette est la même. 10 % des plus grandes fortunes françaises vivraient en Belgique. Et si on étend nos recherches aux 500 plus grandes fortunes et qu’on additionne les capitaux de toutes les structures, on obtient un montant de plus de 17 milliards d’euros. »

b.  Le « forfait fiscal » suisse, qui fait toutefois l’objet de contestations croissantes

Quant à la Suisse, première destination des Français expatriés, le régime fiscal est peu intéressant pour des salariés aux revenus moyens, mais l’est beaucoup plus pour les patrimoines très élevés. C’est la raison pour laquelle la Suisse est l’une des principales destinations des grandes fortunes industrielles d’origine française, telles que la famille Wertheimer, propriétaire de Chanel, ou la famille Peugeot, du groupe PSA, mais aussi d’artistes ou de sportifs.

Il est difficile de présenter de manière simple le système fiscal suisse, qui se caractérise par la forte autonomie des vingt-six cantons qui composent le pays – et place d’ailleurs ainsi ces derniers en situation de concurrence. De fait, les niveaux d’imposition des différentes catégories de revenus sont très variables selon d’un canton à l’autre ; il est par ailleurs intéressant de préciser qu’il existe aussi un impôt sur la fortune en Suisse.

Selon un document de présentation du système fiscal suisse (149), la charge pesant sur un foyer fiscal percevant un même revenu peut varier du simple au quadruple dans certains cas, selon les cantons ! À titre d’exemple, pour l’année 2011, un célibataire percevant des revenus bruts du travail de 50 000 francs suisses et installé dans le canton de Zoug serait soumis à une charge fiscale de 1 601 francs suisses, contre 5 969 francs suisses dans le canton de Neuchâtel. Un célibataire recevant des revenus de 200 000 francs suisses s’acquitterait quant à lui de 20 043 francs suisses dans le canton de Schwyz, contre 47 174 francs suisses dans le canton de Neuchâtel. Enfin, la charge fiscale grevant la fortune d’une personne mariée sans enfants serait, pour une fortune nette de 2 millions de francs suisses, de 2 945 francs suisses dans le canton d’Obwald, contre 15 052 francs suisses dans le canton de Bâle-Campagne.

Toutefois, un trait commun à l’ensemble des cantons est la faiblesse des droits sur les successions. Comme cela a été exposé précédemment, au-delà du bas niveau des taux applicables, le conjoint survivant et les descendants directs sont exonérés de droits dans quasiment tous les cantons.

Mais, comme chacun sait, c’est avant tout le système du « forfait fiscal », qui doit être négocié par le contribuable avec l’administration cantonale concernée, qui s’avère attractif pour les plus fortunés : les étrangers s’installant en Suisse au regard du droit fiscal, mais qui n’y exercent aucune activité lucrative (150), peuvent payer un impôt calculé sur la dépense à la place des impôts ordinaires (avec remise d’une déclaration d’impôt). Dans ce cas, l’impôt est généralement calculé sur la base des dépenses annuelles du contribuable et de sa famille. Il ne doit toutefois pas être inférieur aux impôts ordinaires sur le revenu et la fortune frappant ses éléments de revenu et de fortune de source suisse.

L’imposition d’après la dépense est prévue aujourd’hui dans la loi fédérale en ces termes : « L’impôt (…) est calculé sur la base des dépenses annuelles du contribuable et des personnes dont il a la charge effectuées durant la période de calcul en Suisse et à l’étranger pour assurer leur train de vie, mais au minimum d’après le plus élevé des montants suivants :

a. un montant fixé par le canton ;

b. pour les contribuables chefs de ménage : sept fois le loyer annuel ou la valeur locative fixée par les autorités compétentes ;

c. pour les autres contribuables : trois fois le prix de la pension annuelle pour le logement et la nourriture au lieu du domicile (…). »

Ce dispositif du forfait fiscal fait toutefois l’objet de fortes critiques en Suisse, et au cours des dernières années, certains cantons l’ont remis en cause ou modifié. En 2009, lors d’une votation populaire, le canton de Zürich a accepté pour des motifs d’équité fiscale une initiative populaire visant à abolir l’imposition d’après la dépense ; celle-ci y a été abolie un an plus tard, en janvier 2010. Les cantons de Schaffhouse, d’Appenzell Rhodes-Intérieures, de Bâle-Campagne et de Bâle-Ville ont suivi l’exemple de Zurich. Les cantons de Thurgovie, de Saint-Gall, de Lucerne et de Berne ont opté pour le maintien de l’imposition au forfait, mais ils ont durci les règles applicables.

Enfin, une initiative populaire intitulée « Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires (abolition des forfaits fiscaux) » a été déposée en octobre 2012, et exige l’abolition des forfaits fiscaux dans toute la Suisse. Le Conseil fédéral suisse est toutefois opposé à l’idée d’une suppression de l’imposition au forfait, mais, afin de renforcer l’acceptation de cette forme d’imposition au sein de la population, différentes adaptations ont été prévues, avec une entrée en vigueur le 1er janvier 2014 et le 1er janvier 2016 selon les cas (151).

Les derniers chiffres fournis par les cantons sur le forfait fiscal faisaient état, à la fin de l’année 2012, de 5 634 contribuables imposés d’après la dépense. Alors que le nombre de ces contribuables enregistrait un taux de croissance de plus de 20 % entre 2006 et 2008, la courbe s’est infléchie entre 2008 et 2012, pour atteindre 3,5 % ; la progression du nombre de bénéficiaires du régime se poursuit, mais à un rythme nettement moins soutenu.

En 2012, le forfait fiscal représentait 695 millions de francs suisses de recettes fiscales – soit un impôt moyen par contribuable de l’ordre de 123 300 francs suisses. L’impôt le plus bas prélevé en 2012 s’élevait à 10 000 francs suisses, et le plus haut à 8,23 millions de francs suisses.

c.  Le Royaume-Uni et son régime des « non dom » 

Au Royaume-Uni, les taux d’imposition sur les revenus d’activité s’avèrent plus élevés qu’en France, à niveau égal de revenus ; ils s’étagent entre 20 %, 40 % et jusqu’à 45 % – le taux maximal a été porté à 50 % de façon transitoire, entre 2010 et 2012. Néanmoins, il n’existe pas d’impôt sur la fortune, et les taux d’imposition des plus-values mobilières sont relativement bas, s’élevant à 18 % ou 28 % selon le niveau d’imposition du contribuable par ailleurs, avec des abattements.

Mais c’est un régime spécifique, à destination des étrangers s’installant au Royaume-Uni, qui explique largement son attractivité fiscale : il s’intitule le régime des « non domiciled » ou « non dom », et il est fondé sur le principe dit de « remittance basis », selon lequel les contribuables qui sont résidents au Royaume-Uni sans y être domiciliés ne sont imposables qu’au titre de leurs revenus de source britannique. Leurs revenus de source non britannique ne sont imposables que dans la mesure où ils sont effectivement rapatriés.

Cette règle tend à exonérer les revenus salariaux et non salariaux de source exclusivement étrangère tant que ceux-ci ne sont pas transférés au Royaume-Uni. Il faut noter que si ce régime présente l’avantage d’une imposition moindre, il fait aussi perdre à son bénéficiaire le droit aux abattements et déductions personnelles en ce qui concerne l’impôt sur le revenu des particuliers et l’imposition des plus-values de cession.

Enfin, les contribuables concernés peuvent rapatrier au Royaume-Uni hors de toute imposition des revenus non britanniques et non imposés préalablement, dans un but d’investissement dans des entreprises britanniques.

Il s’agit d’un régime dérogatoire du droit commun puisqu’en principe, l’impôt sur le revenu s’applique au revenu mondial d’un résident du Royaume-Uni ; ce revenu mondial imposable comprend par conséquent les revenus perçus à l’étranger, qu’ils soient ou non transférés au Royaume-Uni – sous réserve des conventions fiscales. Pour bénéficier de ce régime de « remittance basis », une demande doit être formulée auprès des services fiscaux britanniques – sauf si les revenus non rapatriés au Royaume-Uni sont inférieurs à 2 000 livres, auquel cas la « remittance basis » s’applique automatiquement.

Jusqu’en 2008, les étrangers pouvaient bénéficier du statut fiscal « non dom » sans limitation de durée de présence au Royaume-Uni. Le dispositif a toutefois été durci en 2008, ce qui l’a rendu financièrement moins attractif : les personnes non domiciliées souhaitant en bénéficier et qui résident au Royaume-Uni depuis au moins sept ans, au cours des neuf dernières années, doivent s’acquitter d’une taxe forfaitaire de 30 000 livres ; ce montant est porté à 50 000 livres en cas de résidence au Royaume-Uni depuis douze ans sur les quatorze dernières années.

Le régime des « non dom » joue un rôle important pour attirer et retenir des contribuables étrangers très aisés ; il comptait environ 123 000 bénéficiaires en 2012, et cette même année, près de 6 000 étrangers vivant au Royaume-Uni se sont acquittés de la taxe introduite en 2008, pour un produit estimé à 178 millions de livres. Ces chiffres illustrent l’ampleur du dispositif, mais aussi l’intérêt à en bénéficier pour les plus riches : le régime des « non dom » reste attractif en dépit de l’instauration d’une taxe d’un montant conséquent.

d.  La multiplication des régimes d’impatriés parmi les pays européens, illustre la concurrence s’exerçant pour attirer les profils à haute valeur ajoutée

Si le régime britannique est sans doute le plus abouti, la plupart des pays européens s’efforcent de faire venir sur leur territoire des contribuables étrangers, et notamment des cadres, des chercheurs et des salariés à haute valeur ajoutée, en proposant des dispositifs fiscaux dérogatoires que l’on qualifie de régimes d’« impatriés ». L’instauration de ces régimes spécifiques atteste de la concurrence que se livrent les pays européens pour attirer les profils les plus recherchés, sur un marché international ouvert.

Ces régimes peuvent encourager au départ de contribuables français, même si généralement, ils n’ont qu’une durée d’application limitée dans le temps. Il faut relever par ailleurs que la France a elle aussi mis en place en 2003 un régime similaire pour les impatriés (voir ci-après).

Ces dispositifs dérogatoires prennent le plus souvent la forme d’une exonération fiscale d’une partie de la rémunération liée à l’expatriation du salarié, comme en Autriche ou aux Pays-Bas, ou bien d’un abattement forfaitaire, comme à Chypre (à hauteur de 50 %) ou en Irlande (pour 30 %), ou encore d’un taux réduit d’imposition, comme au Portugal (20 %, contre 46,5 % pour le taux marginal supérieur du barème de droit commun), au Danemark (26 %, alors que le taux marginal supérieur s’élève à 51,5 %), en Espagne (24,75 %, contre un taux marginal supérieur de 56 % dans certaines communautés autonomes), ou encore en Finlande (35 %).

La durée maximale d’application du régime de faveur est généralement de cinq ans (Chypre, Danemark, Autriche, Espagne, Luxembourg…), parfois un peu moins (quatre ans en Finlande, trois ans en Italie), et elle peut aller jusqu’à dix ans, pour le Portugal.

Ces dispositifs peuvent concerner l’ensemble des salariés impatriés, comme par exemple en Autriche ou en Espagne, ou cibler certaines catégories seulement de personnes, parmi les plus qualifiées : les cadres et les chercheurs pour le Danemark, les experts, les professeurs d’université ou les chercheurs en Finlande, les cadres en Irlande, les salariés étrangers « hautement compétents et disposant de compétences approfondies dans certains secteurs spécifiques » au Luxembourg, les personnes exerçant des activités dites « à haute valeur ajoutée » au Portugal, etc.

Enfin, certains pays posent des conditions de rémunération minimale pour bénéficier de ces dispositifs fiscaux particuliers ; les salariés concernés doivent par exemple percevoir au Luxembourg une rémunération annuelle fixe supérieure à 50 000 euros, tandis que les non-résidents s’installant à Chypre doivent bénéficier de revenus salariaux annuels excédant 100 000 euros. Au Danemark, s’agissant des cadres autres que les chercheurs, seuls ceux dont la rémunération mensuelle brute dépasse 69 300 couronnes (soit 9 264 euros) peuvent se voir appliquer le régime de faveur prévu. L’objectif affiché en l’occurrence est bien d’attirer prioritairement des étrangers très qualifiés, à haute valeur ajoutée.

D’autres destinations d’ « exil fiscal » pourraient être également citées, même si le nombre de personnes concernées est moindre. Il n’est pas inutile de rappeler que, si Monaco a la réputation d’être un paradis fiscal, avec des impôts très faibles, les contribuables français ne peuvent bénéficier des exonérations dont jouissent les autres étrangers qui résident sur place, en application de la convention fiscale franco-monégasque de 1963 : les Français résidant à Monaco sont donc soumis à la fiscalité française. Le Luxembourg offre quant à lui un certain nombre d’avantages, avec une taxation avantageuse des revenus du capital (intérêts, dividendes et plus-values) ainsi que des droits de succession très limités. Plus loin de nos frontières, les régimes fiscaux de Dubaï, Hong Kong ou encore Singapour, soit des destinations de plus en plus appréciées de jeunes cadres supérieurs, sont sans conteste bien plus favorables, avec des taux d’imposition sur les revenus très faibles, inférieurs à 15 %, voire parfois nuls.

3. Aller au-delà des idées reçues sur le système fiscal français

La description des régimes fiscaux de ces différents pays laisse à penser que la France, pointée du doigt comme une zone de haute pression fiscale – aux côtés de nos partenaires d’Europe du Nord, comme la Suède ou le Danemark –, n’est pas suffisamment attractive. Pour autant, cette analyse mérite d’être fortement nuancée, sur différents points.

En premier lieu, en se fondant uniquement sur les niveaux d’imposition pour apprécier la pression fiscale s’exerçant dans un pays donné, l’analyse est tronquée, puisqu’elle ne prend pas en compte l’ensemble des services publics et le niveau de protection sociale financés par les prélèvements obligatoires.

Comme le soulignait le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) dans un rapport de 2008 sur les comparaisons des taux de prélèvements obligatoires entre pays développés (152), « Il est indispensable d’introduire dans la réflexion les emplois [de ces prélèvements obligatoires], ou leurs contreparties, c’est-à-dire les dépenses publiques qu’ils permettent de financer. Prélèvements et dépenses publiques, sont les deux faces de la même médaille qu’il paraît difficile, et en tout cas artificiel, de séparer. Et peut-être même dangereux car susceptible de conduire à des réflexions fausses : c’est en effet en ignorant, délibérément ou non, les contreparties des prélèvements, que se développent nombre de commentaires partiels et partiaux sur leur poids, ou sur leur poids plus important en France qu’ailleurs, ce qui est abusif. » Le rapport relevait que les prélèvements obligatoires ne peuvent se comparer d’un pays à un autre sans prendre en considération les dépenses qu’ils financent, c’est-à-dire en tenant compte de la place des services publics et des transferts sociaux dans l’économie du pays.

Le niveau facial des prélèvements obligatoires peut ainsi être moins élevé à l’étranger qu’en France, mais la ponction sur les revenus des contribuables peut s’avérer équivalente in fine, une fois que sont pris en compte les frais d’assurance maladie, relevant d’organismes privés donc non compris dans les prélèvements obligatoires, ou encore les dépenses de garde ou de scolarisation des enfants. C’est sans doute ce qui explique la tendance générale, observée par plusieurs personnes auditionnées, d’un retour en France de personnes expatriées au moment où elles fondent une famille. Ainsi que le soulignait M. Étienne Wasmer, codirecteur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), « le départ des jeunes Français s’inscrit dans un cycle de vie. Au sortir de l’école, les diplômés n’ont pas encore charge de famille. Quand ils atteignent 35 ans et scolarisent leurs enfants, ils songent que, si les salaires, après impôt, sont plus élevés à l’étranger, les dépenses liées à la famille et à l’éducation y sont également plus lourdes. » (153)

Plus généralement, M. Jorge Prieto Martin, dirigeant-fondateur de la société RH Expat, soulignait : « il faut en effet prendre garde aux comparaisons internationales et ne pas oublier la différence entre le salaire brut et le salaire net, d’autant que nos concitoyens croient souvent qu’ils paient plus d’impôt sur le revenu que partout ailleurs, ce qui n’est pas vrai. Je dois très fréquemment rappeler aux jeunes Français qui espèrent mieux gagner leur vie aux États-Unis et ne pas y payer d’impôt sur le revenu qu’ils se trompent. Les divers impôts sur le revenu à New York sont plus élevés qu’en France et les loyers y sont plus chers. Par manque d’information, nos jeunes ont trop tendance à penser que l’herbe est plus verte ailleurs. » (154)

De fait, l’idée reçue selon laquelle la fiscalité française est systématiquement beaucoup plus lourde qu’ailleurs est clairement battue en brèche pour les revenus moyens – même s’il n’en va pas nécessairement de même pour les revenus très élevés. Comme évoqué précédemment, l’entrée dans le barème de l’impôt sur le revenu est très progressive en France, du fait du taux des premières tranches (5,5 % à compter de 6 011 euros, 14 % à compter de 11 991 euros), mais aussi de mécanismes spécifiques, comme la décote. Dans de nombreux pays, comme l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni, les revenus sont imposables au premier euro. Les taux applicables sont beaucoup plus élevés pour les revenus moyens et se traduisent par un taux moyen d’imposition nettement supérieur à celui constaté en France.

C’est particulièrement le cas en Belgique, où les revenus du travail sont lourdement taxés, y compris pour des niveaux de revenus peu élevés (155). Le tableau ci-dessous effectue une comparaison des barèmes applicables en France et en Belgique, qui met en évidence la bien plus forte imposition des revenus, quel que soit leur montant, en Belgique :

COMPARAISON DES BARÈMES DE L’IMPÔT SUR LE REVENU EN FRANCE ET EN BELGIQUE

Belgique

France

Tranche de revenu imposable

Taux applicable

Tranche de revenu imposable

Taux applicable

0 – 8 350 €

25 %

6 011 € - 11 991 €

5,5 %

8 350 € - 11 890 €

30 %

11 991 € - 26 631 €

14 %

11 890 € - 19 810 €

40 %

26 631 € - 71 397 €

30 %

19 810 € - 36 300 €

45 %

71 397 € - 151 200 €

41 %

36 300 € et plus

50 %

151 200 € et plus

45 %

Source : Ambassade de France en Belgique.

Tel est aussi le cas en Allemagne, où la progressivité est globalement plus forte qu’en France. Les tableaux suivants présentent le barème applicable en Allemagne (156), d’une part, et la différence de pression fiscale entre contribuables allemands et français, d’autre part :

BARÈME DE L’IMPÔT SUR LE REVENU EN ALLEMAGNE
POUR LES REVENUS DE 2014

Revenu net imposable

Taux

Jusqu’à 8 354 €

0 %

De 8 354 à 13 469 €

14 % à 24 %

Progression par tranche de 1 000 €

De 13 470 à 52 881 €

24 % à 42 %

Progression par tranche de 1 000 €

De 52 882 à 250 730 €

42 %

À partir de 250 731 €

45 %

Source : Ambassade de France en Allemagne.

COMPARAISON DE L’IMPÔT ACQUITTÉ EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE SELON LES NIVEAUX DE REVENUS IMPOSABLES

Revenus 2013

célibataire

marié

Revenu soumis au barème

Barème allemand

Barème français

Barème allemand

Barème français

5 000

0

0

0

0

10 000

294

0

0

0

20 000

2 677

1 450

588

150

30 000

5 601

3 389

2 772

1 500

50 000

12 823

9 389

8 164

4 300

80 000

25 404

19 336

17 966

12 778

100 000

33 804

27 536

25 646

18 778

130 000

46 404

39 836

38 208

27 778

150 000

54 804

48 036

46 608

34 571


Source : Ambassade de France en Allemagne.

Ce tableau met ainsi en évidence que le contribuable allemand, à niveau égal de revenus, est systématiquement plus imposé que le contribuable français, même pour les niveaux élevés de revenus. Toutefois, il faut observer que les prélèvements sociaux tels que la CSG et la CRDS n’existent pas en Allemagne, non plus que la taxe d’habitation, ce qui relativise le poids des impôts directs sur les personnes physiques par rapport à la France.

Les taux d’imposition applicables au Royaume-Uni ou encore en Espagne, s’avèrent eux aussi élevés pour des tranches de revenus relativement modestes, comme le retrace le tableau suivant :

COMPARAISON DES BARÈMES DE L’IMPÔT SUR LE REVENU
EN ESPAGNE ET AU ROYAUME-UNI

Espagne

Royaume-Uni

Tranche de revenu imposable

Taux applicable

Tranche de revenu imposable

Taux applicable

0 – 17 707 €

24,75 %

0 à 31 865 £

20 %

17 707 € – 33 007 €

30 %

   

33 007 € – 53 407 €

40 %

31 866 £ à 150 000 £

40 %

53 407 € – 120 000 €

47 %

   

120 000 € – 175 000 €

49 %

   

175 000 € – 300 000 €

51 %

Au-delà de 150 000 £

45 %

Au-delà de 300 000 €

52 %

   


Source : Les impôts en Europe, édition 2013.

Plus largement, l’idée selon laquelle les taux d’imposition en France sont nécessairement plus élevés qu’ailleurs, et que s’y appliquent des dispositifs fiscaux qui ne sont pratiqués par aucun autre pays, est elle aussi largement répandue. Pour autant, plusieurs des personnes auditionnées ont tenu des propos à rebours de ces préjugés. M. Jérôme Lecat, président-directeur général de Scality, indiquait ainsi : « L’argument de la fiscalité est souvent monté en épingle par ceux qui sont déçus par la France pour d’autres raisons. Sur ce plan, il faut noter que les différences sont mineures entre la Californie et la France – sauf pour les détenteurs de patrimoines supérieurs à 50 millions d’euros pour lesquels l’impôt français de solidarité sur la fortune (ISF) pose un vrai problème. (…) Il y a cinq ou six ans, quand je suis parti pour les États-Unis, j’avais l’impression d’être un paria de la société française, qui me renvoyait l’image d’un exilé fiscal, alors que mes impôts sont plus élevés aux États-Unis qu’ils ne l’étaient à Paris. » (157)

À titre d’exemple, la France n’est pas la seule à avoir introduit un dispositif d’exit tax, loin s’en faut. Outre leur dispositif d’impôt sur la nationalité, qui permet de suivre, dans certaines conditions, les nationaux américains à vie, les États-Unis ont mis en place en 2008 un dispositif d’exit tax fonctionnant selon les mêmes principes que l’exit tax française : les contribuables s’expatriant sont soumis à un impôt sur la valeur du marché, ou exit tax, assis sur les plus-values latentes constatées sur l’ensemble de leurs actifs mondiaux. Le contribuable peut choisir de différer le paiement de l’impôt, pour une partie ou la totalité des actifs réputés cédés, en fournissant un cautionnement ou une autre forme de garantie adéquate à l’administration fiscale américaine (IRS) et en payant l’intérêt pour la période du report aux taux appliqués par l’IRS pour les paiements insuffisants. Les plus-values nettes ne sont prises en compte toutefois qu’au-delà du seuil de 500 000 dollars.

Enfin, en Allemagne, en Espagne et en Italie, d’autres dispositifs visent à suivre les contribuables nationaux s’installant dans des pays à fiscalité privilégiée : les ressortissants allemands qui quittent leur résidence en Allemagne pour s’installer dans un État à fiscalité privilégiée ou qui changent régulièrement de lieu de séjour sans devenir résident d’un État quelconque, peuvent ainsi être soumis en Allemagne à une imposition limitée « élargie », qui couvre un plus grand nombre de revenus que l’imposition traditionnelle à laquelle sont soumis les non-résidents.

Sous réserve que différentes conditions soient remplies (158), le contribuable est soumis à l’impôt allemand sur le revenu pendant une période ne pouvant excéder dix ans à compter de l’année de son départ, sur ses revenus de source allemande, mais aussi sur les revenus qui ne seraient pas considérés comme étant de source étrangère s’ils étaient perçus par un résident d’Allemagne. Selon des informations datant de 2013, il y aurait environ 100 nouveaux cas par an de contribuables allemands quittant l’Allemagne pour un pays à fiscalité privilégiée et qui continueraient à s’acquitter de l’impôt en Allemagne sur le mode de l’obligation fiscale limitée « élargie ».

Selon une logique proche, en Espagne, les personnes physiques de nationalité espagnole qui établissent leur résidence fiscale dans un pays ou un territoire considéré comme un paradis fiscal restent assujetties à l’impôt sur le revenu au titre de l’année de départ et des quatre années suivantes – alors qu’en principe, les non-résidents sont assujettis à l’impôt sur le revenu des non-résidents, qui touche les seuls revenus de source espagnole, par voie de retenue à la source libératoire, au taux de 24,75 %.

De même, en Italie, il existe une présomption de résidence fiscale pour les ressortissants ayant transféré leur domicile dans certains États ou territoires à fiscalité privilégiée. Ces ressortissants demeurent considérés comme des résidents d’Italie par les autorités fiscales italiennes et sont donc imposables à raison de l’ensemble de leurs revenus italiens et étrangers. Néanmoins, les contribuables concernés peuvent apporter la preuve, par tout moyen, de la réalité de ce transfert.

Réputé pour sa complexité, le système fiscal français comporte par ailleurs de nombreuses dispositions favorables, permettant aux contribuables de réduire fortement leur imposition. Il serait trop fastidieux d’énumérer les niches fiscales applicables pour les différentes catégories d’impôt – 460 dépenses fiscales sont présentées en annexe du projet de loi de finances pour 2014 –, mais procéder à des investissements dans le capital de PME, par exemple, peut fortement minorer l’ISF et l’impôt sur le revenu dû ; des investissements locatifs ou des investissements productifs outre-mer peuvent aussi alléger la facture des contribuables.

Le rapport du groupe de travail sur la fiscalité des ménages, présidé par notre collègue Dominique Lefebvre et François Auvigne, fait ainsi observer que 91 % des foyers fiscaux ont un taux d’imposition compris entre 0 % et 9 %.

S’agissant de l’ISF, à l’exonération applicable aux biens professionnels et celle, partielle, prévue pour la résidence principale, s’ajoute celle concernant les objets d’art, de collection ou d’antiquité. Un régime spécifique dit « pacte Dutreil » s’applique aux transmissions d’entreprises : les transmissions par décès et les donations de parts ou actions de sociétés ayant fait l’objet d’un engagement collectif de conservation (ou « pacte Dutreil ») sont exonérées d’ISF et de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois quarts de leur valeur, sans limitation de montant. Ce dispositif instauré en 2006 est très avantageux, faisant même dire à M. Marc Bornhauser : « je peux même démontrer à mes clients que la France est un paradis fiscal – grâce au pacte Dutreil, vous pouvez transmettre votre entreprise dans de meilleures conditions que presque partout ailleurs… » (159)

Autre exemple, à l’instar de nombre de ses partenaires européens, la France a introduit en 2003 un régime fiscal spécifique à destination des impatriés, afin de renforcer son attractivité et d’encourager l’installation de cadres de haut niveau. Ce régime, qui allège l’imposition des salariés venant s’installer en France, a été renforcé et élargi en 2008 par la loi de modernisation de l’économie.

Les principes du régime des impatriés

Le régime des impatriés s’applique aux salariés venant exercer leur activité professionnelle en France, sous réserve qu’ils n’aient pas été fiscalement domiciliés en France au cours des cinq années civiles précédant celle de leur prise de fonctions en France.

Ces salariés doivent être appelés de l’étranger pour occuper pendant une période limitée un emploi dans une entreprise établie en France, que ces personnes viennent travailler sur le territoire français dans le cadre de la mobilité interne d’un groupe international ou qu’elles soient directement recrutées à l’étranger par l’entreprise établie en France.

Le régime fiscal comporte trois volets.

En premier lieu, le supplément de rémunération directement lié à l’exercice d’une activité professionnelle en France (primes d’impatriation) est exonéré pour son montant réel, ou, sur option ouverte aux impatriés directement recrutés par une entreprise établie en France, pour un montant évalué forfaitairement (30 % de la rémunération initiale).

En deuxième lieu, la part de la rémunération se rapportant à l’activité à l’étranger est exonérée, au choix du contribuable, sous l’un des plafonds suivants : soit l’ensemble composé de la rémunération se rapportant à l’activité à l’étranger et de la prime d’impatriation est exonéré à hauteur de 50 % de la rémunération totale ; soit la seule rémunération correspondant à l’activité exercée à l’étranger est exonérée à hauteur de 20 % de la rémunération imposable nette de la prime d’impatriation

Enfin, en troisième lieu, les impatriés bénéficient, sous certaines conditions, d’une exonération d’impôt sur le revenu à hauteur de 50 % du montant de certains revenus de capitaux mobiliers et produits de la propriété intellectuelle ou industrielle perçus à l’étranger (« revenus passifs ») et de certaines plus-values réalisées lors de la cession de valeurs mobilières et de droits sociaux détenus à l’étranger.

Depuis sa création, le coût budgétaire de ce régime dérogatoire s’accroît de façon régulière, de même que le nombre de bénéficiaires, notamment compte tenu des assouplissements intervenus en 2008. La dépense fiscale est ainsi passée de 50 millions d’euros, pour 7 151 foyers fiscaux, en 2006, à 118 millions d’euros, pour 10 493 foyers fiscaux, en 2012.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES DU RÉGIME DES IMPATRIÉS ET DE LA DÉPENSE FISCALE ASSOCIÉE

Année

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Nombre de bénéficiaires

6 763

13 369

12 239

7 151

7 058

8 128

8 217

8 637

9 344

10 493

n.d.


n.d.

Exonération partielle d’impôt sur le revenu pour certains revenus de capitaux mobiliers (en M€)

-

-

-

-

-

-

epsilon

1,0

2,0

2,0

n.d.

n.d.

Exonération partielle d’impôt sur le revenu de certaines plus-values mobilières (en M€)

-

-

-

-

-

-

epsilon

epsilon

1,0

1,0

n.d.

n.d.

Exonération des primes d’impatriation et, sur option, de la fraction de rémunération relative à l’activité exercée à l’étranger (en M€)

-

-

50

50

40

50

70

80

110

115

120

125

Source : DGFiP..

Le gain moyen pour les contribuables a presque doublé en six ans, avec 6 992 euros en 2006 contre 11 245 euros en 2012. De fait, ce régime relativement complexe bénéficie principalement à des foyers fiscaux à hauts revenus : selon le rapport du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales de 2011, 80 % des bénéficiaires avaient un revenu fiscal de référence se situant dans le décile de revenus le plus élevé.

Outre ce régime fiscal spécifique en matière d’impôt sur le revenu, les personnes physiques qui transfèrent leur domicile fiscal en France après avoir été fiscalement domiciliées à l’étranger pendant les cinq années civiles précédentes ne sont imposables que sur leurs biens situés en France pendant cinq ans. Leurs biens situés à l’étranger sont donc temporairement exonérés d’ISF, par dérogation au principe général d’imposition à l’ISF à raison du patrimoine mondial. Cette disposition, introduite en 2008 par la loi de modernisation de l’économie précitée, s’applique quel que soit le motif de l’établissement du domicile fiscal en France (mobilité professionnelle, retraite...), et de ce fait, son champ est plus large que le régime des impatriés. Elle occasionne une dépense fiscale de 17 millions d’euros.

À l’issue des auditions réalisées par la commission d’enquête, il apparaît que le régime des impatriés est jugé avantageux, – M. Marc Bornhauser indiquait ainsi qu’il s’agissait d’un bon dispositif, et que certains de ses clients sont revenus en France pour en profiter, surtout à partir de 2008 – mais qu’il s’avère relativement peu connu.

C. TROUVER UN ÉQUILIBRE ENTRE LA JUSTICE FISCALE ET L’ATTRACTIVITÉ DE NOTRE PAYS

La structure de la fiscalité d’un pays renvoie nécessairement à des choix politiques fondamentaux, en termes de redistribution et de lutte contre les inégalités. Il apparaît équitable de mettre davantage à contribution les foyers fiscaux les plus aisés, et ce d’autant plus en période de crise économique et de déficits publics élevés ; c’est le choix qu’a fait la France au cours des deux dernières années.

1. Une taxation des revenus du patrimoine répondant à des objectifs d’équité, tout en prenant en compte les enjeux d’attractivité

La « barémisation » des revenus du patrimoine, mise en œuvre par la loi de finances pour 2013, correspondait à l’un des soixante engagements du Président de la République pendant la campagne présidentielle, à savoir que « les revenus du capital seront imposés comme ceux du travail ». Elle assure une équité plus grande des contribuables devant l’impôt, tout en prévoyant des dispositifs d’abattements adaptés et la conservation d’une imposition forfaitaire libératoire dans un nombre limité de cas.

Ces dispositions avaient toutefois suscité un large débat à l’automne 2012 : des entrepreneurs s’étaient désignés eux-mêmes sous le nom de « pigeons » pour dénoncer la réforme de l’imposition des plus-values mobilières. La question de l’imposition de ces plus-values a d’ailleurs été citée à plusieurs reprises, à l’occasion des auditions, comme l’un des principaux facteurs d’expatriation, notamment pour les entrepreneurs. In fine, la loi de finances pour 2013 a prévu un régime dérogatoire pour la taxation de ces plus-values lorsqu’elles étaient cédées par des créateurs d’entreprises, avec l’application d’un taux forfaitaire de 19 %, au lieu de la taxation au barème de l’impôt sur le revenu.

Dans le souci de soutenir et de stimuler l’entreprenariat, la loi de finances pour 2014 a introduit un régime de taxation plus favorable encore s’agissant de l’imposition de ces plus-values mobilières. Certes, le principe de l’imposition au barème a été confirmé, et même généralisé, le taux de 19 % réservé aux « créateurs d’entreprise » ayant été supprimé. Néanmoins, les taux de l’abattement général ont été augmentés, tandis qu’un abattement dérogatoire – applicable pour la cession de titres de PME souscrits ou acquis dans les dix ans de sa création – a été instauré afin d’encourager la création d’entreprise, selon des calendriers très favorables : en droit commun, la plus-value est réduite d’un abattement de 50 % au bout de seulement deux ans de détention, et de 65 % après huit ans de détention, tandis que le régime dérogatoire prévoit un abattement de 50 % sur la plus-value au bout d’un an seulement, et jusqu’à 85 % au bout de huit ans… Enfin, l’abattement spécifique de 500 000 euros réservé aux dirigeants de PME partant à la retraite a été maintenu dans les mêmes conditions qu’auparavant.

Le nouveau régime s’avère donc plus avantageux que le régime précédent, mais aussi que le régime applicable avant la réforme de la loi de finances pour 2013, sous la précédente majorité, comme le montre le tableau ci-dessous. Les multiples critiques adressées au dispositif actuel de taxation des plus-values mobilières apparaissent de ce fait peu fondées, et à tout le moins exagérées.

ÉVOLUTION DU RÉGIME D’IMPOSITION DES PLUS-VALUES MOBILIÈRES

Régime d’imposition des plus-values mobilières applicable au 1er janvier 2012 (avant application de la loi de finances pour 2013 (1))

Régime d’imposition des plus-values mobilières applicable à partir du 1er janvier 2013

Régime de droit commun : taux d’imposition forfaitaire de 19 %.

S’ajoutent les prélèvements sociaux à hauteur de 13,5 % (4) et, le cas échéant, la « surtaxe Fillon », au-dessus de certains seuils de revenu fiscal de référence (5), à hauteur de 2,9 % ou de 3,8 %.

Régime de droit commun : application d’un abattement de 50 % au bout de deux ans de détention des titres, soit un taux d’imposition effectif à l’impôt sur le revenu de 20,2 % (2), et d’un abattement de 65 % au bout de huit ans, soit un taux d’imposition effectif de 13,5% (2)

Régime incitatif (3) : application d’un abattement de 50 % au bout d’un an de détention, soit un taux d’imposition réel de 20,2 % (2), d’un abattement de 65 % au bout de quatre ans, soit un taux d’imposition réel de 13,5% (2), et d’un abattement de 85 % au bout de huit ans, soit un taux d’imposition réel de 4,5 % (2)

S’ajoutent les prélèvements sociaux à hauteur de 15,5 % (4) et, le cas échéant, la « surtaxe Fillon », au-dessus de certains seuils de revenu fiscal de référence (5), à hauteur de 2,9 % ou de 3,8 %.

Abattement forfaitaire pour les dirigeants de PME partant à la retraite, à hauteur de 500 000 euros

Abattement forfaitaire pour les dirigeants de PME partant à la retraite, à hauteur de 500 000 euros

Celle-ci avait porté le montant du prélèvement forfaitaire à 24 % (taux applicable uniquement en 2012).

En supposant que les plus-values sont imposées au taux marginal supérieur du barème de l’impôt sur le revenu (soit 45 %).

Applicable aux cessions de titres de PME souscrits ou acquis dans les dix années qui ont suivi la création de l’entreprise.

Le niveau des prélèvements sociaux a été porté de 13,5 % à 15,5% à compter du 1er juillet 2012, en application de la LFR de mars 2012

Le taux de 2,9 % s’applique à partir d’un revenu fiscal de référence de 250 000 euros par part, celui de 3,8 % à partir de 500 000 euros par part.

Au-delà des réformes récentes, les droits de succession et l’ISF, eux aussi souvent désignés comme responsable de l’exil fiscal, trouvent leur justification dans la nécessité de lutter contre la concentration des fortunes et la reproduction des inégalités de richesses dans le temps, au-delà de la question de la participation des plus aisés au redressement des finances publiques. Par ailleurs, de nombreux aménagements sont pratiqués, tant pour l’ISF que pour les droits de succession, avec des abattements, exonérations et réductions d’imposition, permettant de prendre en compte les impératifs économiques – notamment pour la transmission des entreprises.

Enfin, pour répondre aux critiques adressés par certaines des personnes auditionnées, si la fiscalité des stock-options et attributions gratuites d’actions a été alourdie au cours des dernières années, tant sous l’actuelle que sous la précédente majorité, c’est bien dans le but de limiter les abus répétés et extrêmement choquants auxquels ce mode de rémunération a donné lieu.

2. Des choix confirmés par les récents travaux de l’OCDE

Un premier ouvrage intitulé « Toujours plus d’inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent », a été publié par l’OCDE en avril 2012 (160), et a été suivi par le succès mondial de l’ouvrage publié par M. Thomas Piketty en septembre 2013, « Le capital au XXIème siècle », sur la montée des inégalités dans le monde. De récents travaux de l’OCDE, retracés dans le document « Les hauts revenus et leur imposition dans les pays développés : la crise a-t-elle changé la donne ? » (161), publié en mai 2014, apportent de nouveaux éléments sur l’évolution des plus hauts revenus au cours des trente dernières années dans les pays développés, ainsi que celle des inégalités. Ils tendent à valider le modèle fiscal retenu par la France, qui se traduit effectivement par une imposition des hauts revenus et du patrimoine supérieure à la moyenne des pays développés.

L’ensemble de ces travaux dressent en effet un constat très clair : les inégalités se sont beaucoup creusées depuis trente ans, alors que les revenus des 10 % de ménages les plus riches ont progressé plus vite que ceux des 10 % des ménages les plus pauvres. C’est particulièrement les cas dans les pays anglo-saxons comme les États-Unis, où la part de revenus détenue par les 1 % de ménages les mieux lotis est passée de 8,2 % en 1981 à 20 % en 2012, ou au Royaume-Uni, avec des parts de 7 % en 1981 et 14 % en 2012. Mais la plupart des pays sont concernés par la hausse des inégalités, par exemple l’Allemagne et la Suède, à la différence de la France, où les inégalités restent stables – de même qu’en Espagne et aux Pays-Bas.

Source : OCDE.

L’OCDE montre que, parallèlement, la fiscalité des hauts revenus n’a eu de cesse de diminuer au cours des dernières décennies – se stabilisant toutefois depuis 2008 et la crise actuelle : la moyenne des taux d’imposition des hauts revenus parmi les pays de l’OCDE est passée de 66 % en 1981 à 43 % en 2013...

Source : OECD (2012), Taxing Wages, and OECD CTPA tax statistics.

L’OCDE conclut en soulignant la nécessité pour les gouvernements de réviser leur fiscalité afin que les plus aisés assument une part équitable de la charge fiscale. Dans son rapport d’avril 2012, l’OCDE propose que les États relèvent les taux marginaux d’imposition des plus riches, mais aussi améliorent le respect des obligations fiscales, éliminent des abattements fiscaux et réévaluent le rôle de l’impôt vis-à-vis de toutes les formes de patrimoine.

Cette analyse, conduite par une organisation se faisant généralement l’apôtre des principes économiques les plus libéraux, illustre bien les excès des évolutions des dernières décennies, et les effets pervers de la concurrence fiscale qui s’exerce entre les pays développés et émergents. Dans un contexte de libre circulation des hommes et des capitaux, cette concurrence se traduit par une baisse tendancielle de l’imposition des revenus élevés, notamment les plus mobiles, à savoir ceux du patrimoine. Elle est d’ailleurs tangible aussi bien pour la taxation des personnes physiques que pour celle des entreprises, comme l’illustrent les pratiques d’optimisation fiscale agressive des entreprises. Elle peut finir par rencontrer des résistances parmi les contribuables – comme en témoigne l’initiative Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires lancée en Suisse en octobre 2012 –, mais aussi parmi les États – le président des États-Unis ayant récemment annoncé des mesures pour lutter contre l’exil fiscal des grandes entreprises américaines.

Le premier objectif, de fait, serait de parvenir à une plus grande harmonisation des systèmes fiscaux des pays développés, et en premier lieu au sein de l’Union européenne. Il s’agit d’un serpent de mer de la construction européenne, alors que le maintien de l’unanimité dans le domaine fiscal limite drastiquement les possibilités d’améliorer la coordination fiscale au sein de l’Union, mais des progrès sont possibles, comme le montre la fin du blocage de la directive en matière de fiscalité des revenus de l’épargne, en juillet dernier.

Parallèlement, au-delà de cet objectif de moyen terme, la France doit s’efforcer de maintenir et d’accroître son attractivité économique, qui ne se résume pas à son niveau d’imposition, loin s’en faut – ainsi que cela est développé infra. Le Conseil supérieur de l’attractivité, réuni par le Président de la République en février dernier, a présenté un plan ambitieux en ce sens, articulé autour de différentes mesures.

3. Un point d’amélioration : les relations entre administration fiscale et contribuables

Au cours des auditions de la commission d’enquête, un sujet a été abordé à plusieurs reprises et mérite que l’on y prête attention – outre la question de l’instabilité fiscale, voire de sa rétroactivité (voir infra) : il s’agit des relations entre l’administration fiscale et les contribuables, que ce soit les personnes physiques ou les entreprises.

Une réflexion sur le sujet pourrait utilement être engagée. Plusieurs personnes auditionnées ont souligné à quel point ces relations étaient empreintes de défiance, ce qui est également lié à l’instabilité fiscale et à la complexité de notre régime fiscal. Mme Manon Laporte a ainsi proposé « d’améliorer les relations entre les contribuables et l’administration fiscale française. Par exemple, ces relations sont plus simples en Belgique ou en Suisse : lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés, un dialogue peut s’instaurer entre les deux parties, afin de trouver des solutions (162). Elle soulignait à juste titre que « l’administration devrait avoir davantage une mission d’accompagnement des entreprises, une mission de conseil, même si elle a fait d’incontestables progrès au cours des dernières années, mais surtout à l’égard des grandes entreprises, pas encore à l’égard des PME ou des particuliers. Ce point est d’autant plus important que les règles fiscales sont de plus en plus complexes. (…) Les fonctionnaires du contrôle fiscal doivent jouer un véritable rôle de conseil fiscal auprès des contribuables, et assurer une mission pédagogique, notamment auprès des jeunes, sur l’impôt. » M. Pascal Faure insistait quant à lui sur l’intérêt de développer l’usage du rescrit fiscal, en soulignant qu’ « il faudrait davantage appliquer le rescrit fiscal, c’est-à-dire l’engagement que prend d’administration fiscale quant à l’application de la future règle s’agissant de l’application de la loi fiscale. » (163)

La procédure de rescrit fiscal

En contrepartie des pouvoirs de contrôle et de rectification reconnus à l’administration fiscale, les contribuables bénéficient d’un certain nombre de droits et garanties, et d’abord du droit de consulter l’administration sur leur situation fiscale.

Les contribuables peuvent ainsi interroger l’administration sur l’application des règles fiscales et notamment sur leur situation au regard de ces règles. Ces demandes de renseignements sont parfois prévues par les textes et les réponses susceptibles d’engager l’administration : c’est la procédure dite du « rescrit fiscal ». Ainsi, l’administration peut être interrogée sur son interprétation des textes, pour une application générale ou particulière. La position qu’elle exprime lui est alors opposable, comme le prévoit l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Elle peut être également saisie de demandes d’appréciation d’une situation de fait. Lorsqu’il s’agit d’une demande écrite, précise et complète formulée aux fins de prise de position formelle sur sa situation de fait par un contribuable de bonne foi, elle doit se prononcer dans un délai de trois mois, aux termes du 1 ° de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales. Ce délai court à compter de la réception de la demande par le service compétent – ou, si l’administration a sollicité des renseignements complémentaires, à compter de la réception des compléments demandés. La réponse de l’administration lui est opposable, de même d’ailleurs que l’accord tacite qu’elle est réputée donner dans certaines situations si elle ne répond pas dans un délai déterminé.

En outre, lorsque l’administration a pris formellement position à la suite d’une demande écrite, précise et complète déposée par un contribuable de bonne foi sur sa situation de fait ou dans le cadre de la procédure de « rescrit-valeur » (164), l’intéressé peut, dans un délai de deux mois, solliciter un second examen de sa demande, à condition de n’invoquer aucun élément nouveau. L’administration examine la demande de manière collégiale et y répond de façon définitive selon les mêmes règles et délais que ceux qui sont applicables à la demande initiale, décomptés à partir de la nouvelle saisine.

Le Conseil d’État a constaté « une forte croissance du rescrit fiscal au cours de ces dernières années » (165). D’après le rapport sur l’activité en matière de rescrit pour l’année 2013 établi par la direction générale des finances publiques (DGFiP), 18 078 demandes de rescrit sur le fondement des articles L. 80 B et L. 80 C (166) du livre des procédures fiscales ont été traitées en 2013 (et 18 415 en 2012), alors que seules 9 814 l’avaient été en 2006 – ce qui représente une hausse de près de 40 %.

Il convient d’ailleurs de noter que le mécanisme même de rescrit, en ce qu’il permet une plus grande confiance dans les relations entre l’administration et les citoyens, a vocation à être étendu, alors qu’un des articles du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 22 juillet dernier prévoit d’habiliter le Gouvernement à prendre des mesures permettant le développement des rescrits et des pré-décisions.

De fait, l’administration fiscale s’est engagée dans cette voie, dans le cadre de sa démarche dite de « relation de confiance », pour laquelle les premières expérimentations ont été engagées en octobre 2013. L’objectif est d’améliorer la sécurité juridique et de garantir une plus grande prévisibilité pour les entreprises : l’administration accompagne en amont l’entreprise dans ses processus déclaratifs pour l’ensemble des impositions relevant de la DGFiP, et elle mène avec l’entreprise une revue complète de l’ensemble des options et obligations fiscales de cette dernière. Ce processus doit être poursuivi et amplifié, avec une meilleure adaptation de l’administration au rythme de l’entreprise.

S’agissant du rescrit fiscal, M. Bruno Parent a par ailleurs souligné tout son intérêt, relevant que « cette mesure qui engage l’administration – même si elle commet une erreur – et qui sécurise le contribuable est indispensable. Il n’y a aucune hésitation là-dessus. J’ai moi-même publié beaucoup d’articles en ce sens lorsque j’étais directeur général des impôts. » (167)

M. Pascal Faure ajoutait que « s’agissant des contrôles fiscaux, les procédures administratives en général doivent être conduites dans des délais maîtrisés, car les entreprises ont des temps de cycles opérationnels très courts. Dans un monde ouvert l’excellence administrative exige de répondre dans des délais courts. (…) Toute mesure qui s’inscrit dans une limite de temps donnée offre de la visibilité à l’entrepreneur et doit donc être recherchée, sans dégrader pour autant la qualité du travail administratif bien sûr. (168) » De fait, comme l’ont montré plusieurs témoignages, le déroulement d’un contrôle fiscal sur des durées parfois longues peut perturber considérablement le fonctionnement d’une entreprise, surtout lorsqu’il s’agit d’une PME et que son dirigeant est fortement mobilisé par ce contrôle fiscal, au détriment de ses activités de direction et d’impulsion. S’il ne s’agit bien évidemment pas de limiter l’efficacité et la portée des contrôles fiscaux, la possibilité de les encadrer dans le temps devrait être examinée.

Proposition 10 : le développement de la « relation de confiance » et du recours au rescrit fiscal doit être amplifié, tandis qu’une réflexion sur l’évolution des relations entre administration fiscale et contribuables personnes physiques devrait être conduite. La fixation de délais, pour le déroulement des vérifications de comptabilité, variables selon la taille des entreprises, permettrait de donner davantage de visibilité aux entreprises, et de limiter les incertitudes pesant sur leur fonctionnement.

II. L’ATTRACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DU TERRITOIRE FRANÇAIS, SOURCE D’UNE VIGILANCE ACCRUE

La crise économique dans laquelle la France est, avec le reste de l’Europe, plongée depuis plusieurs années a largement rebattu les cartes de la compétition économique mondiale. L’attractivité économique française a non seulement souffert des effets directs de la crise, comme le manque d’investissements dans l’appareil productif ou l’insuffisance de la croissance, seule donnée macroéconomique à même de rassurer définitivement les acteurs économiques internationaux, mais a également subi l’essor parfois fulgurant des économies émergentes.

En parallèle, l’accélération de la mondialisation fait que le développement économique d’un territoire, comme son maintien dans la concurrence mondiale, dépend largement de sa capacité à attirer les facteurs de production les plus performants, à conserver des avantages comparatifs, à se doter d’une image favorable auprès des investisseurs internationaux. En clair, l’attractivité économique de la France est au centre du retour de la croissance, bien plus qu’auparavant : si la France est encore un acteur économique incontournable dans le monde, il faut qu’elle s’adapte pour le rester.

Dans ce contexte, un état des lieux des forces et des faiblesses du système économique français s’impose. Notre territoire est-il toujours attractif pour les investisseurs internationaux qui souhaitent y implanter une partie de leur appareil productif ? Pour les multinationales qui arbitrent de plus en plus aisément entre différents pays pour la localisation de leurs centres de décision ? Pour les entrepreneurs enfin, Français ou étrangers, qui comparent les perspectives de création et de développement de leur entreprise entre plusieurs territoires en situation de concurrence économique, sociale et fiscale ?

Les développements suivants auront pour objet d’établir un état des lieux de la position économique de la France dans une compétition internationale en mouvement permanent, avant d’avancer des éléments pour renforcer son attractivité.

A. LES ACTEURS ÉCONOMIQUES JUGENT SÉVÈREMENT L’ÉVOLUTION DE LA COMPÉTITIVITÉ DE LA FRANCE CES DIX DERNIÈRES ANNÉES

1. Un déficit d’image vue de l’étranger

Un des visages de la mondialisation à laquelle la France pourrait mieux s’adapter pour renforcer sa compétitivité, est l’importance des perceptions des acteurs plus que des réalités économiques. Si, d’après le baromètre Amcham-Bain 2013, « moins de 13 % des dirigeants (…) jugent que leur maison mère américaine a une perception positive de la France » – chiffre en baisse –, c’est en particulier à cause de l’annonce de la « taxe à 75 % », dont l’incidence fiscale est pourtant modeste – et temporaire – pour ces entreprises. L’analyse est équivalente pour M. David Monteau, directeur de la mission French Tech : « Dans la presse économique, la France ne jouit pas toujours d’une image positive. L’une de nos priorités est de tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues, qui sont particulièrement répandues dans le monde anglo-saxon. Il existe un très fort écart entre la perception de l’environnement pour entreprendre en France et la réalité ». (169)

M. Nicolas Gaume, président du Syndicat national du jeu vidéo souligne également, en évoquant la frilosité des fonds internationaux en France, que les décisions d’investissement, essentielles au développement de son secteur, s’appuient aussi sur l’image que leur renvoie un pays : « les financements internationaux ne souhaitent pas aller en France. Ils ont une image désastreuse de notre écosystème français en termes de stabilité, de productivité, de compétences – compétences collectives. Ce sont sans doute des préjugés. Mais préjugés ou pas, quand un fonds américain, anglais ou asiatique, veut investir en Europe, il va plus volontiers en Allemagne ou en Finlande qu’en France ». (170)

Le premier Livre blanc de l’attractivité de la France, publié par Ubifrance et l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) en 2014, est précisément sous-titré : « Pour se repérer entre réalités et perceptions ». M. Serge Boscher (171) le justifie par les résultats du baromètre TNS-Sofres 2013 portant sur « La France vue de l’étranger », qu’elle commande annuellement pour alimenter son rapport au Gouvernement. Ce baromètre établit « un problème de communication : c’est dans les grands pays émergents – qui représentent 11 % des investissements en France en 2013 – que notre déficit d’image est le plus important. Si nous avons toujours une bonne image du point de vue culturel ou gastronomique, nous n’y sommes pas toujours connus – même dans les milieux d’affaires – comme la cinquième puissance économique du monde, comme le pays en Europe qui compte plus de grandes entreprises parmi les 500 plus grandes entreprises mondiales que le Royaume-Uni ou l’Allemagne ».

Ces différents témoignages doivent conduire à analyser en détail l’évolution des principaux paramètres économiques ces dix dernières années, en tâchant de faire la part de ce qui relève de perceptions faussées et de ce qui relève de réalités économiques.

2. Une compétitivité économique jugée affaiblie

Alors que la croissance mondiale s’est établie à 3 % en 2013, selon le Fonds monétaire international (FMI), l’Union européenne était en récession (-0,4 %) et les économies des pays émergents connaissaient une croissance de l’ordre de 4,7 %. Mécaniquement, on observe un déplacement des parts de marché et des compétitivités relatives. À titre d’exemple, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) (172), les flux d’investissements directs étrangers – qui représentent une bonne mesure de l’attractivité économique d’un territoire – à destination de l’Union européenne ont connu une baisse de 35 % en 2012 (notamment du fait de la chute des flux intra-européens), tandis que les économies émergentes voient leur part augmenter chaque année, pour atteindre 52 % des flux totaux en 2013.

La France n’est pas à l’abri de cette morosité économique européenne. Son décrochage ces dix dernières années, en matière de compétitivité et d’attractivité, est ressenti par les acteurs économiques, qui ont évoqué devant la commission d’enquête les difficultés qu’ils traversent. Ce décrochage de la France par rapport à ses partenaires économiques pourrait, s’il se confirmait, se traduire par des tendances inquiétantes : une perception du potentiel économique français par les investisseurs internationaux en berne ; le départ à l’étranger de centres de décision économique (sièges sociaux, directions financières ou des ressources humaines) ; la plus grande difficulté à attirer des cadres supérieurs internationaux en France ; la tentation plus souvent mise en application de créer ou de développer son entreprise à l’étranger.

En premier lieu, le regard porté sur les performances de la France dans la compétition économique internationale semble de plus en plus pessimiste. Selon le baromètre Amcham-Bain 2013, qui mesure le moral des investisseurs américains en France, ce moral est en baisse pour la troisième année consécutive. Deux facteurs sont prioritairement avancés :

– un manque de prévisibilité des changements de législation ;

– une complexité croissante du droit fiscal et du droit du travail.

Une tendance confirmée par l’enquête de perception menée auprès des décideurs étrangers par la CNUCED (173) : la France passe de la 11ème à la 16ème place entre 2007 et 2013 en attractivité globale ; ou par les résultats de l’enquête « European Competitiveness Survey » de l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD)(174) : pour les acteurs interrogés, la position compétitive de la France en Europe est ressentie comme particulièrement faible sur le segment « gouvernance publique et réglementation/code des impôts » (25ème sur les 27 pays de l’Union européenne).

Ce recul a des effets non seulement sur les décisions d’investissements, mais aussi sur la présence des groupes internationaux sur notre territoire, qui peut être remise en question. Les arbitrages en faveur de la France deviennent plus difficiles et il y a un risque réel de décisions de délocalisation de centres de décision. C’est le constat que dresse l’appel de cinquante dirigeants de filiales étrangères installées en France, paru dans Les Échos en décembre 2013 :

« La France a des ressources, des talents et un esprit d’innovation qui sont rares, mais de longue date est pénalisée par la complexité et l’instabilité de l’environnement législatif et réglementaire, par un manque de flexibilité du droit du travail, par des procédures complexes, longues et aléatoires en matière de restructuration, par des coûts plus élevés qu’ailleurs et, plus globalement, par une méfiance culturelle envers l’économie de marché. Dans tous ces domaines, nos sièges mondiaux considèrent que la situation de notre pays ne s’est pas fondamentalement améliorée. Pis, elle se serait parfois, dans certains d’entre eux, dégradée. »

Dans ce contexte, l’Agence française des investissements internationaux (AFII) a lancé en août 2013 la première édition de la Conférence des dirigeants français d’entreprises étrangères. Leur constat est partagé : oui, la France subit une pression concurrentielle de plus en plus forte de la part des pays émergents : la Chine devient de plus en plus attractive pour les activités de recherche et développement, l’Inde bénéficie du talent de ses ingénieurs, Singapour, l’Irlande ou la République Tchèque font valoir leurs avantages fiscaux.

Mais la France souffre également, selon eux, d’une fiscalité des entreprises et des dirigeants peu incitative, d’un droit du travail insuffisamment flexible, d’un dialogue social pesant. De manière nouvelle, le coût de l’énergie est cité comme un paramètre important où la France tend à perdre son avantage compétitif. Enfin, le fondement de certaines règles fiscales récentes est incompris par les acteurs économiques.

De même, il existe un débat en France sur le coût du travail, parfois estimé trop élevé, même si la productivité du travail en France (c’est-à-dire la valeur ajoutée d’une heure de travail) est supérieure à celle des États-Unis et de l’Allemagne. Selon des données d’Eurostat, compilées par Coe-Rexecode (cf. tableau ci-dessous), le coût horaire du travail de la France est en effet supérieur à 6 euros à la moyenne de l’Union européenne, et de 2,50 euros à l’Allemagne, dans les secteurs des services et de l’industrie. Il n’y a qu’en Belgique que l’heure de travail est plus coûteuse.

Coûts de la main d'oeuvre 2000-2014 France, Zone euro, Royaume-Uni - Calcul Coe-Rexecode 1er trimestre 2014 (juin 2014)

Ces perceptions dégradées de l’attractivité de l’économie française conduisent à s’interroger sur sa capacité à attirer ou à conserver des centres de décision économique sur son territoire. Selon le baromètre 2014 de l’attractivité de la France, « Agir et convaincre », d’Ernst&Young, « la France continue à décevoir sur sa capacité à fixer les activités de siège ou de commandement ; en témoignent les 18 implantations recensées pour l’année 2013 (cinquième position européenne), à mettre en regard des 29 projets annoncés au Royaume-Uni, 25 aux Pays-Bas et 24 en Irlande ». Le rapport 2013 de l’AFII, cité par son directeur général, M. Serge Boscher (175), a confirmé cette tendance à la baisse de l’installation de sièges sociaux – le rapport parle de « quartiers généraux » – en France. En 2013, la France a accueilli cinq nouveaux sièges sociaux de grandes entreprises, contre douze en 2012 et vingt en 2011 (176).

Qu’elle touche le déplacement du management exécutif ou le lieu d’implantation de la holding de l’entreprise, cette décision de délocalisation ou de localisation alternative des centres de décision économique a pourtant des conséquences économiques importantes pour le territoire de départ : outre une perte de matière fiscale (notamment l’imposition des revenus des dirigeants en France), elle se traduit par des départs collatéraux d’activités qui doivent rester proches du centre de décision, comme les activités de conseil ou de recrutement stratégique. Enfin, cette décision est difficilement réversible.

Cette tendance est expliquée en partie par l’attractivité fiscale de nos concurrents. Toutefois, une délocalisation de siège social reste une décision complexe à mettre en pratique, et le facteur fiscal est rarement le facteur déterminant (cf. encadré ci-dessous). Les analystes d’Ernst&Young identifient un élément d’explication alternatif : le recul de la France comme destination incontournable des fonctions stratégiques ces dix dernières années. Cela signifie que dans le référentiel des grands dirigeants mondiaux, la France perd progressivement sa place parmi les grandes puissances économiques. L’enjeu est majeur car il s’agit de prévenir le déclenchement d’un cercle vicieux : si le déplacement à l’étranger du lieu de réunion du conseil d’administration d’une grande entreprise n’a pas le même impact économique à court terme qu’une décision de délocalisation des activités de production (fermeture d’usines, suppression de nombreux emplois), le risque à moyen terme et de voir l’influence économique de la France diminuer, et partant, sa capacité à attirer les talents, à rester innovante et à générer de la croissance, et in fine, à attirer le potentiel économique (entreprises, travailleurs qualifiés, capitaux) étranger.

Les différentes motivations d’une délocalisation de siège social

Extraits de l’audition de M. Pascal Coudin, président de l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) (177).

«  Il convient de distinguer deux cas de figure, selon que le transfert du siège social se fait ou non à l’occasion d’un rapprochement avec un groupe étranger. Lorsque les deux choses sont liées, l’opération n’est en aucune manière motivée en premier lieu par des considérations fiscales. Il arrive en revanche que celles-ci soient à l’origine de la décision dans le second cas, le transfert du centre de décision pouvant alors s’accompagner d’un transfert des activités.

« Supposons qu’un groupe français F et un groupe allemand A tous deux cotés souhaitent "fusionner". Dans le cadre d’une opération publique d’échange de titres – OPE – une des deux sociétés va proposer aux actionnaires de l’autre de lui transférer leurs titres en échange d’autres qu’elle-même émettra ; ainsi, si F lance une OPE sur A, les actionnaires de A vont transférer à F leurs titres et F va les rémunérer en émettant de nouveaux titres de son capital. Trois scénarios sont dès lors possibles : F lance une OPE sur A ; A lance une OPE sur F ; une nouvelle société – appelons-la par convention la Holdco, pour « holding commune » –, constituée dans un pays tiers, par exemple les Pays-Bas, lance une OPE sur A et F. Les motifs conduisant à choisir un scénario plutôt qu’un autre sont rarement fiscaux ; plus exactement, si des considérations fiscales entrent en compte dans la réflexion devant conduire à une OPE, elles auront bien davantage pour objet de s’assurer de la neutralité fiscale de l’opération que d’obtenir un avantage fiscal.

« Prenons le troisième scénario, celui d’une société néerlandaise qui prend le contrôle des deux sociétés française et allemande. Ce choix est d’abord d’ordre politique : le groupe français ne veut pas donner l’impression qu’il passe sous le contrôle d’un groupe allemand et réciproquement ; on choisit donc un pays réputé neutre, chacun estimant alors son orgueil national sauf. Si, je le répète, la décision d’aller dans un pays tiers n’est pas dictée par des considérations fiscales, en revanche, une fois qu’elle est arrêtée, celles-ci peuvent entrer en ligne de compte dans le choix de la localisation de la société holding. Comme on ajoute une société dans la chaîne de distribution des bénéfices, on ajoute en effet des charges fiscales – par exemple cette société Holdco pourra avoir à supporter un impôt sur les dividendes qu’elle recevra ou à payer un impôt quand elle-même redistribuera des dividendes. À ces égards, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Luxembourg offrent des régimes fiscaux avantageux – mais, encore une fois, il ne s’agit que d’éviter un surcoût fiscal par rapport au statu quo ante et non d’obtenir une économie d’impôt. Quoi qu’il en soit, il y aura un double manque à gagner pour le budget français, du fait d’abord de la perte des retenues à la source sur des dividendes que F distribuait à des non-résidents – je rappelle que le CAC 40 est détenu pour moitié par des étrangers. En effet les dividendes que F distribuera à Holdco après l’OPE seront eux exonérés de retenue à la source en application des règles communautaires. Ensuite la retenue à la source que la Holdco néerlandaise prélèvera sur les dividendes versés à des résidents français leur ouvrira droit à un crédit d’impôt en France.

« Dans l’hypothèse où la holding n’est pas constituée dans un pays neutre, il s’agit de savoir laquelle des deux sociétés, A ou F, va lancer l’OPE sur l’autre. La décision obéit à des considérations politiques, financières, juridiques puis, en bout de course seulement, fiscales, mais notre fiscalité ne milite pas en faveur du choix de la société française comme tête de groupe. En effet, les dividendes que recevrait F de A seraient taxés pour 5 % de leur montant et quand elle en redistribuera, elle devra payer 3 %, toutes impositions qui n’existent pas dans la plupart des autres pays. En outre, il y aura retenue à la source sur les distributions aux actionnaires non-résidents, contrairement à ce qui se passe, par exemple, au Royaume-Uni. À tout cela s’ajoute que la loi fiscale française est réputée particulièrement instable.

« Si la société française devient la société faîtière, on aura donc un surcoût provenant de l’imposition des distributions de bénéfices provenant de la société allemande. Cessant d’être directement distribués aux actionnaires, ils passeraient, après l’OPE, par la société française et seraient alors soumis aux deux impositions successives, de 5 % au moment de leur encaissement par cette dernière et de 3 % à l’occasion de leur redistribution. Si c’est à l’inverse la société allemande qui contrôle la société française, la première ne se verra pas appliquer ces impositions, qui ne concerneront que la seconde.

« On retiendra de ces scénarios que la fiscalité n’est pas la motivation première du transfert éventuel d’un centre de décision hors de France et que, d’autre part, ces opérations ne concernent que le capital des sociétés françaises, leurs activités n’étant pas affectées : elles conservent en France leurs établissements et continueront de payer dans notre pays l’impôt sur les sociétés et leurs impôts locaux. Mais il importe aussi de noter que la fiscalité sur la distribution des dividendes ne plaide pas pour qu’une société française soit choisie comme holding dans le cadre d’une OPE. »

L’actualité économique française a pu faire état de telles opérations de délocalisation de sièges sociaux. La plupart du temps, comme cela est souligné par M. Pascal Coudin (cf. encadré ci-dessus), elles ont lieu à l’occasion d’une fusion, ce qui permet d’en contenir l’impact potentiellement négatif sur l’image du groupe.

Ainsi, lorsque le groupe indien Mittal a pris le contrôle du sidérurgiste français Arcelor, le siège social de l’entreprise a été délocalisé au Luxembourg. Le groupe EADS, au moment de sa création, s’est installé aux Pays-Bas : certes, il s’agissait de trouver un terrain neutre entre des acteurs français, allemand et espagnol, mais les considérations en termes d’attractivité économique et fiscale ne sont pas absentes de ces choix.

En corollaire des développements qui précèdent, la question de la capacité de la France à attirer – ou à retenir – des forces vives économiques se pose pour les managers de haut niveau. Leur profil est particulier : particulièrement mobiles dans le monde, ils évoluent dans des firmes multinationales et font l’objet d’une compétition d’une rare intensité entre ces grands groupes, qui doivent trouver les moyens de les attirer, ce que résume M. Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général du groupe Total (178) : « nous cherchons à embaucher une population qui accepte de passer un certain temps de leur carrière à Paris, là où nous avons notre siège social, mais qui accepte également de poursuivre une carrière internationale. Qu’est-ce qui peut faire que ces cadres acceptent les statuts que nous leur proposons, comparés à ceux de nos concurrents ? »

M. Jean-Jacques Guilbaud identifie, parmi les facteurs clés, les perspectives de carrière, le niveau de rémunération, mais également les atouts que le pays dans lequel ils seront recrutés est en mesure de leur offrir : perspectives de retraite, sécurité sociale, mais aussi fiscalité du revenu et des dividendes – les stock-options ou les actions de performance formant une part significative de leur revenu. Cela signifie en particulier que les grandes entreprises ne sont pas entièrement maîtresses du jeu concurrentiel dans lequel elles évoluent pour recruter ces hauts managers : elles doivent être soutenues par un bon degré d’attractivité de leur territoire.

3. Un environnement administratif jugé pesant

Enfin, en matière de création et de développement d’entreprise, la France semble en relative perte de vitesse par rapport à ses principaux concurrents pour encourager ses jeunes talents à utiliser l’écosystème français. Selon M. Jean-Yves Durance, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, le départ d’entrepreneurs « représente une perte de substance importante pour la France ». Il relève ainsi que, si « traditionnellement, la population des expatriés était constituée de Français salariés envoyés par leur entreprise, leur proportion se réduit progressivement au profit de celle des Français partis à l’étranger créer leur entreprise. » (179). Cette « perte de substance » a des répercutions en matière d’innovation, de création d’emplois, de valeur ajoutée. Encore plus inquiétant, celle-ci est durable : il n’est pas évident d’envisager le retour en France lorsque son entreprise connaît son essor à l’étranger.

Certes, l’environnement administratif de la création d’entreprise a été considérablement simplifié ces dernières années. Mais les jeunes entrepreneurs innovants que la commission d’enquête a pu recevoir corroborent les développements précédents. Ils évoquent le problème du développement de ces TPE-PME en France, et de la tentation toujours renouvelée de les expatrier. Deux obstacles sont évoqués : la difficulté de lever des fonds suffisants pour développer des activités innovantes – et donc très capitalistiques – et les difficultés administratives et fiscales (notamment les nombreux « effets de seuil » dans la législation).

M. Jean-Yves Durance évoque cette anecdote : « un jeune et talentueux Néerlandais nous a expliqué s’être installé à Londres pour la langue et en raison des facilités liées non pas à la création d’une entreprise – car la France est désormais l’un des pays où cela est le plus facile – mais au fonctionnement de l’entreprise. En France, les entrepreneurs se heurtent à plusieurs difficultés : la paperasse, un climat de suspicion, un état d’esprit particulier. Ces freins expliquent en partie que des jeunes aillent créer leur entreprise à l’étranger. Ils contribuent en tout cas à répandre une image exagérément répulsive de notre pays, qui s’est nettement accentuée depuis deux ans. » (180)

Selon M. Julien Villedieu, délégué général du Syndicat national du jeu vidéo, « aujourd’hui, plus d’un tiers de nos sociétés [du secteur du jeu vidéo] ont moins de deux ans d’existence. Ce sont donc des sociétés très jeunes, parfois créées par des jeunes à la sortie de leur école. Ces derniers se rendent rapidement compte que s’il est facile de créer une société en France, il est beaucoup plus contraignant de la développer. Nous assistons donc à l’exil de nombreuses entreprises à l’étranger. M. Steve Ballmer, l’ancien PDG de Microsoft, disait d’ailleurs : ‘Créez votre société en France et développez-la aux États-Unis’. Cette phrase peut prêter à sourire, mais, dans notre industrie du jeu vidéo, c’est une réalité : beaucoup de jeunes entrepreneurs passent un an à créer leur société en France et partent. Or il est quasiment impossible de faire revenir une entreprise en France. » (181)

Enfin, pour Alban Schmutz, « une société, dont je connais bien les fondateurs, s’est développée en France, au bord du périphérique, du côté de la porte d’Italie. Pendant trois ans, elle a cumulé à peu près 20 000 euros de chiffres d’affaires, malgré une technologie très intéressante. De nombreuses personnes du secteur public, qui s’étaient déclaré très intéressées, leur ont fait perdre énormément de temps. Ils ont fini par partir à San Francisco. Et ils ont eu raison parce que, aujourd’hui, c’est l’une des sociétés les plus en vue dans le monde dans le domaine des nouvelles technologies. On pense que c’est une société américaine, mais c’est simplement une société qui n’a pas réussi à se développer en France. Il faut dire qu’aux États-Unis, en trois ou quatre semaines, ces entrepreneurs ont levé un million de dollars et en six mois, ils en ont levé dix ». (182)

Parmi les éléments qui sont donc revenus dans la grande majorité des témoignages d’entrepreneurs que la commission d’enquête a recueillis, il y a le constat certes d’un progrès notable dans l’écosystème français de la création d’entreprise, mais aussi celui d’un plus grand attrait des entrepreneurs vers les écosystèmes concurrents. La facilité avec laquelle une entreprise peut se créer et se développer à l’étranger est un nouveau paramètre qu’il faut prendre en compte : un entrepreneur est d’autant plus attentif aux obstacles de l’environnement administratif et fiscal français qu’il est désormais en mesure de comparer ce que pourrait être sa situation ailleurs.

Les signes de repli économique de la France dans la compétition mondiale apparaissent donc à de multiples titres inquiétants. Ils doivent cependant être relativisés : l’accélération de la mondialisation touche également les autres économies développées. Cette accélération est porteuse d’une concurrence accrue, puisque de nouveaux acteurs émergents sont entrés dans le jeu, et de davantage de mobilité, puisque les personnes, les entreprises et les capitaux ont désormais le monde entier comme référentiel. Cela explique plus généralement que maintenir l’attractivité économique d’un grand pays soit devenu une entreprise plus difficile qu’auparavant.

B. DES TENDANCES RELATIVISÉES PAR L’INTERNATIONALISATION CROISSANTE DES ÉCONOMIES

Comment établir la part du facteur « mondialisation » dans les difficultés que traverse la France pour maintenir son attractivité ? L’accélération de la mondialisation a une conséquence clairement identifiée : la perte progressive de sens du concept de frontière économique. Les capitaux circulent toujours plus librement, les grandes entreprises et leurs chaînes de production se déploient systématiquement sur plusieurs pays, et, comme cela a été indiqué précédemment, les travailleurs, surtout les plus qualifiés, vivent des carrières plus souvent internationalisées. Les États mis de côté, ce sont les métropoles, les régions, les unions économiques qui se font concurrence.

Un autre exemple de cette internationalisation réside dans l’analyse des flux économiques que l’on présente souvent comme des résultats significatifs de la position de la France dans la mondialisation. Selon l’INSEE, 33 % des exportations de l’économie française sont en fait réalisées par des entreprises étrangères implantées en France (38 % dans l’industrie manufacturière). De même, selon la Banque de France, les investisseurs étrangers détiennent 46,3 % du capital des entreprises du CAC 40.

Pour M. Arnaud Vaissié, président d’International SOS et président des Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (CCI France International), « aujourd’hui, tout membre du comité exécutif d’une entreprise multinationale voyage plus de 50 % de son temps. Il peut donc être basé où il veut ; traditionnellement, il l’était en France. L’internationalisation explique que ces cadres soient de plus en plus nombreux à se baser à l’étranger ». (183)

Pour M. Jean-Jacques Guilbaud, interrogé sur les motivations de la stratégie internationale de son groupe, il ne faut pas voir dans la stratégie internationale de Total une tentative de quitter le territoire français. Il s’agit bien davantage d’une adaptation aux exigences de la mondialisation. Ainsi d’une délocalisation de centre de décision à l’étranger : « nous avons délocalisé à Londres une partie de notre direction financière. C’est une opération assez modeste, puisqu’elle ne concerne que 80 personnes, essentiellement affectées à la communication financière et à la trésorerie. Il faut dire que Londres est la place où il faut être lorsque l’on s’occupe de finances dans le monde pétrolier : 80 % des analystes sont à Londres et ne sont pas, ou plus, à Paris. Le pétrole est coté en dollars et Londres est le centre financier du dollar en Europe. » Il précise que « ce ne sont pas des raisons fiscales qui ont amené Total à implanter certains services à Londres : par le biais de cette immersion dans la communauté qui décide du marché pétrolier en Europe, il a cherché à mieux valoriser le groupe et à mieux faire comprendre sa stratégie par les marchés ».

De même, pour la stratégie d’implantation du groupe : « nous avons délocalisé à Singapour une direction de l’amont pour l’Asie. La raison est simplement d’ordre géographique. Toutes les grandes places asiatiques étant à 20 heures d’avion de Paris, avec des décalages horaires considérables, il est bien préférable que l’équipe de direction soit beaucoup plus proche de ses différentes localisations, à seulement quelques heures d’avion de Brisbane, Pékin ou de New Delhi ». (184)

La pesanteur des réalités économiques ne s’observent pas seulement dans la stratégie d’implantation des grands groupes. Les PME ou les start-up ne peuvent, elles non plus, ignorer les tendances lourdes de l’économie mondiale.

Lors de son audition, M. Jérôme Lecat, président-directeur général de Scality (185), explique pourquoi son entreprise s’est installée dans la Silicon Valley californienne : « en matière de high-tech, la réussite dépend des partenariats conclus avec les grandes entreprises mondiales du secteur. Or, pour la plupart, celles-ci sont regroupées dans un couloir de 100 kilomètres de long dans la baie de San Francisco. De façon significative, la valorisation des quarante premières entreprises de la Silicon Valley est bien supérieure à celle des membres du CAC 40. La plus ancienne a été créée dans les années 1960 : elle a donc à peu près le même âge que la plus jeune entreprise du CAC 40, Capgemini, créée en 1967. Tout cela témoigne d’une extraordinaire vitalité.

Pour réussir et se développer, toutes les entreprises du secteur doivent donc impérativement d’interagir avec cet écosystème exceptionnel. Scality, qui commercialise des logiciels d’infrastructure, dialogue avec des entreprises comme Hewlett-Packard (HP), leader mondial qui emploie 300 000 personnes. Tant que nous développons un partenariat national avec HP, ce dialogue peut parfaitement se dérouler en France, mais, pour bâtir un partenariat mondial, la discussion doit nécessairement avoir lieu aux États-Unis. Sans une présence dans la Silicon Valley, nous serions cantonnés à des partenariats limités. »

Mais cette présence quasi-obligée hors de nos frontières n’est pas forcément négative pour l’activité et l’emploi en France. M. Lecat poursuit ainsi : « Scality continue de créer des emplois en France : parmi nos 90 employés, 30 travaillent aux États-Unis, et 60 à Paris. Il s’agit d’un choix qui est à la fois patriotique et rationnel. En effet, dans le secteur d’activité qui est le nôtre, la France constitue un excellent bassin d’emploi, en raison notamment de l’excellence de ses ingénieurs, tant en termes de qualité que de productivité, mais aussi de leur coût comparativement peu élevé, car, grâce au crédit d’impôt recherche, ils reviennent environ 50 % moins cher que ceux de la Silicon Valley. »

De même, M. Guillaume Decugis, polytechnicien fondateur de l’entreprise Scoop.it, start up de l’Internet, explique dans une interview donnée au journal La Croix (186), qu’« une start-up ne peut pas survivre en visant un marché uniquement français. Certes, il y a l’Europe. Mais, l’espace européen n’a pas la même fluidité que le marché américain, en termes de langues ou de réglementations ». Dans cet exemple également, l’emploi en France n’est pas systématiquement perdant, puisqu’à côté des six salariés embauchés à San Francisco, pour assurer le développement commercial de l’entreprise, une douzaine d’autres travaillent à Toulouse à son développement technique.

Le poids déterminant de la mondialisation dans l’explication des difficultés qu’entretient la France pour maintenir son attractivité se retrouve dans les autres pays développés : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, subissent également une concurrence accrue. L’utilisation du terme de « guerre économique » par M. Serge Boscher (187) au sujet de relations économiques pourtant intra-communautaires, est à cet égard évocatrice : « Après un record de près de 800 décisions en 2010, [le nombre d’investissements directs étrangers] s’est stabilisé autour de 700 décisions depuis 2011 – ce qui, dans un contexte de stagnation économique et de concurrence exacerbée, constitue une performance. Nos amis allemands et britanniques ne nous font en effet aucun cadeau : nous sommes en situation de guerre économique pour accueillir l’emploi et la valeur ajoutée ».

Aux États-Unis, un fait marquant de l’actualité économique de cette année démontre que ce grand pays n’est pas non plus à l’abri des stratégies internationales de ses grands groupes : le groupe pharmaceutique Pfizer a en effet tenté de racheter le groupe britannique AstraZeneca – une acquisition estimée à 118 milliards de dollars. L’objectif affiché de cette opération était de faire domicilier le nouveau groupe issu de la fusion au Royaume-Uni, où la fiscalité sur les entreprises est plus favorable qu’aux États-Unis.

Sur ce point, un article paru dans Le Monde du 12 juillet dernier faisait état des études menées par deux organisations non gouvernementales américaines indiquant que le montant des impôts épargnés par les grandes multinationales américaines grâce aux montages opérés dans différents pays, dont les Pays-Bas, s’élevait à 90 milliards de dollars. Il apparaît en effet qu’environ 46 % des cinq cents plus grandes entreprises américaines constituant l’indice Fortune 500 possèdent au Pays-Bas des filiales leur permettant de minorer leurs impôts. L’article soulignait également que « le Congrès américain commence à s’alarmer de cette situation, qui débute souvent par le rachat de concurrents européens et s’achève par une délocalisation du quartier général dans un pays à fiscalité attractive de l’Union. »

Ce phénomène, baptisé « inversion » outre-Atlantique, est considéré comme suffisamment inquiétant pour avoir conduit le secrétaire américain du Trésor à annoncer, le 22 septembre dernier, une série de mesures destinées à l’enrayer à l’avenir.

L’environnement administratif des États-Unis et de la France mis en perspective

Extraits de l’audition de M. Jérôme Lecat, président-directeur général de Scality (188).

« [Les systèmes administratifs français et américain] sont différents et, pour en maîtriser les rouages, il faut bien les connaître. Je n’ai pas de problème particulier avec l’administration française et, depuis vingt ans que je suis chef d’entreprise en France, j’ai plutôt constaté une amélioration dans les rapports que nous entretenons. Ils sont à coup sûr plus aisés entre les entreprises et l’administration britannique, qui joue moins un rôle de contrôle que de conseil. On répète souvent qu’il est plus facile de licencier un salarié aux États-Unis qu’en France ; ce n’est pas vrai. Il existe en effet outre-Atlantique une multitude de salariés protégés au titre des minorités ce qui rend d’autant plus complexe le licenciement d’une femme de 45 ans qui appartient – quelle ne fut pas ma surprise de le découvrir – à l’une de ces minorités protégées.

(…)En France, la législation est souvent globalement contraignante, tout en prévoyant un certain nombre d’exceptions. Les charges sociales élevées sont par exemple compensées pour les start-up par l’accès au statut de jeune entreprise innovante (JEI) ou par le crédit d’impôt recherche. Aux États-Unis, la législation est moins contraignante, mais les régimes d’exception n’existent pas. »

Ces développements amènent à considérer que l’attractivité française vue de l’étranger reste à démontrer, même si les variables économiques sont bien établies. Dans cette perspective, il convient de rappeler les atouts économiques français, et d’établir une liste de propositions qui assurent le maintien de cette attractivité sur le long cours.

C. LA FRANCE CONNAÎT TOUJOURS UNE RÉELLE ATTRACTIVITÉ, QU’IL FAUT PRÉSERVER PAR DES MESURES AMBITIEUSES

1. La France dispose de solides atouts qui assurent le maintien de sa compétitivité

L’attractivité d’un territoire permet d’attirer des investissements étrangers, des salariés qualifiés, des centres de décision qui souhaitent se rapprocher des marchés porteurs. L’activité économique étrangère en France crée de la richesse et des emplois. Ainsi, selon le rapport annuel 2013 de l’AFII, en France, fin 2011, les entreprises étrangères contribuent à hauteur de 20 % du chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble de l’économie française. Les 20 000 filiales de groupes étrangers installés en France emploient 2 millions de personnes, soit 12 % de l’effectif salarié total.

Attirer le potentiel économique étranger en France suppose de renforcer ses avantages comparatifs, par rapport à ses principaux partenaires commerciaux. Les économistes s’accordent habituellement pour considérer que ces avantages comparatifs se déploient sur trois terrains :

– la spécialisation sectorielle française, qui explique que certaines filières sont très compétitives à l’international : l’automobile, la chimie, l’agroalimentaire, la sidérurgie ;

– l’écosystème français possède également des atouts structurels certains : la qualité de son système de formation, l’excellence de ses infrastructures, de sa logistique, de ses services publics, la solidité de son secteur bancaire. En outre, elle assure une bonne qualité de vie aux salariés étrangers qui s’y installent (couverture sociale, système de soins, éducation primaire et secondaire) ;

– enfin, la situation géographique de la France est compétitive : sa position continentale en Europe est favorable, tout comme l’accès à plusieurs fronts marins. La géographie économique des territoires français est également diverse, ce qui évite la trop forte exposition à un secteur d’activité : l’Ile-de-France est réputée pour l’installation de centres de décision des entreprises étrangers (64 % d’entre elles choisissent cette région) ; la région Rhône-Alpes accueille surtout des projets de production industrielle, notamment dans le secteur de la chimie ; l’Alsace attire la production d’équipements électriques et électroniques. Enfin, les régions Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côte d’Azur se distinguent pour l’industrie aéronautique et ferroviaire.

Interrogés par l’AFII sur les critères d’attractivité de la France, les dirigeants d’entreprises internationales implantées en France soulignent en premier lieu (plus de trois quarts d’entre eux) la qualité des infrastructures de communication, celles des transports et logistiques, la taille du marché intérieur ainsi que la formation et la qualification des salariés, le tissu industriel et l’écosystème d’innovation et de R&D.

Le graphique ci-dessous récapitule leurs réponses :

Notre pays dispose des atouts nécessaires pour se positionner dans la concurrence internationale.

Parmi ceux-ci, peut également être mentionné l’importance de l’espace francophone. La langue fait partie des éléments d’attractivité d’un pays : si le français est une langue influente sur un territoire, même non francophone (comme le Nigéria), les opportunités économiques peuvent s’y développer plus facilement.

Au contraire, la perte d’influence de la langue française à l’horizon des prochaines années aurait un impact profondément négatif sur l’attractivité du territoire français. C’est le constat du rapport « Francophonie, francophilie, moteurs d’une croissance durable », présenté par M. Jacques Attali au Président de la République en août 2014 : « Ce déclin (…) entraînerait une perte de parts de marché pour les entreprises françaises, un effondrement du droit continental au profit du droit anglo-saxon des affaires, ainsi qu’une perte d’attractivité pour les universités, la culture et les produits français et en français. Cela entraînerait la destruction de 120 000 emplois en France dès 2020, soit 0,5 point de chômage en plus, et un demi-million en 2050, soit 1,5 point de chômage en plus ». En cohérence avec les autres propositions formulées dans ce rapport pour engager une dynamique de « politique diasporique » française, une gestion volontariste de l’espace francophone serait un gage durable de compétitivité du pays. Mais d’autres propositions doivent être formulées.

1. Rendre la France plus attractive pour les entreprises

L’attractivité économique de la France est donc un facteur de croissance de long terme qu’il faut préserver. Comme le précise M. Alban Schmutz : « Il ne s’agit plus de se demander s’il est bien que des Français partent, ou non, à l’étranger. Aujourd’hui, dans les écoles de commerce, d’ingénieurs, etc. partir à l’étranger fait partie du cursus et cela ne pose plus de problèmes à qui que ce soit. Il s’agit de faire venir en France des cadres, des chercheurs étrangers, qui s’installeront sur le territoire national et y créeront de la valeur ajoutée ». (189) 

La difficulté d’une telle stratégie est la prise en compte de la plus grande ouverture internationale des économies mondiales, et de la plus grande mobilité des facteurs de production. Trouver la recette de l’attractivité économique se heurte rapidement à un écueil : la tentation de l’attraction à outrance, qui passe par une surenchère de baisses d’impôts et de charges – un dumping social et fiscal ravageur pour une économie développée.

Tout en évitant le travers de cette concurrence sociale et fiscale, l’enjeu de la politique à suivre est de répondre aux questions suivantes : comment maintenir un écosystème favorable aux entreprises ? Comment stabiliser leur environnement administratif et fiscal ? Comment mieux communiquer à l’échelle internationale pour garantir à la France des perceptions positives ?

Les propositions envisageables s’inscrivent par ailleurs dans la continuité des mesures prises pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises depuis deux ans.

Le soutien à la compétitivité des entreprises françaises depuis 2012

Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi a notamment permis la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ; la création de la Banque publique d’investissement (BPI) ; la réorientation des pôles de compétitivité vers les secteurs et services industrialisés ; le développement du volontariat international en entreprise (VIE).

La loi du 14 juin 2013, sur la sécurisation de l’emploi, a permis de réformer le marché de l’emploi, en créant notamment des accords de maintien dans l’emploi (recours au chômage partiel en temps de crise).

Le programme des investissements d’avenir (PIA) mobilise 35 milliards d’euros, dont une partie finance l’innovation des entreprises françaises :

– les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT), qui assurent le relais entre recherche (laboratoires) et développement (entreprises), à hauteur de 855 millions d’euros ;

– le Fonds national d’amorçage à destination des créateurs de start-ups, à hauteur de 600 millions d’euros ;

– plusieurs fonds de financement des PME innovantes, par le biais de la BPI, comme le Fonds Ambition Numérique – 300 millions d’euros – ou le Fonds Ecotechnologies
– 150 millions d’euros.

Enfin, le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 22 juillet 2014. Il permettra par exemple d’étendre le titre emploi simplifié entreprises (TESE) aux établissements de 9 à 20 salariés, et de réduire le seuil minimum du nombre d’actionnaires, de 7 à 2, pour faciliter la constitution de sociétés anonymes.

Le premier volet de propositions sur l’attractivité de notre territoire concerne l’environnement administratif des entreprises. Cela est rappelé par M. Serge Boscher : « il importe également d’améliorer l’environnement des affaires en France. (…) Nous ne devons accuser aucun retard et il nous faut rester très vigilants sur les fondamentaux : le cadre réglementaire, fiscal et social doit être aussi incitatif que possible ». (190)

Certes, comme l’a reconnu M. Arnaud Vaissié, « nous avons fait des progrès considérables mais, en même temps, les autres pays ont couru encore plus vite », insistant sur le fait que « nous avons encore beaucoup à faire » (191)

À ce titre, une première étape pourrait consister à encourager les services administratifs à faire évoluer leurs relations avec les acteurs économiques (proposition 11), pour se rapprocher du modèle anglo-saxon, où le service administratif s’organise davantage en conseil des entreprises – notamment des plus petites – qu’en organisme d’envoi et de réception de formalités administratives.

M. Arnaud Vaissié a beaucoup insisté sur le modèle britannique en ce domaine : « Nous devons revoir l’attitude de l’administration. En dix ans, M. Tony Blair est parvenu à faire qu’aujourd’hui, l’administration britannique se soit mise au service des entreprises. Aucun fonctionnaire britannique n’ignore qu’il sera jugé à l’aune de sa capacité à aider celles-ci. L’administration a procédé à la digitalisation de nombreuses fonctions, plus rapidement qu’en France et en y consacrant des investissements bien plus conséquents. »

Une telle évolution des relations entre les administrations et les citoyens a lieu dans le domaine fiscal, où des progrès de communication sont engagés (192). Il faudrait donc adapter cette méthode dans les services économiques déconcentrés : la création récente des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) est un cadre pertinent pour favoriser un climat plus favorable à l’initiative entrepreneuriale.

Dans le même esprit, la réforme de la Direction générale de compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), devenue Direction générale des entreprises en septembre 2014, participe d’une volonté de renforcer les relations entre l’administration et les entreprises, quelle que soit la taille de celles-ci. Comme l’explique M. Pascal Faure, son directeur général, « cette réforme va permettre de rendre plus lisible l’action du gouvernement vis-à-vis des entreprises, mais également d’améliorer l’efficacité de l’administration. » (193).

L’écosystème administratif français se déploie également à l’international (proposition 12) : la fusion programmée entre l’agence Ubifrance et l’AFII doit ainsi avoir lieu (194). Elle permettra de rationaliser les relations des entreprises qui souhaitent exporter ou s’implanter sur des marchés étrangers avec l’administration en charge de les soutenir.

Le deuxième volet de propositions est complémentaire du précédent. Il concerne la stabilité fiscale. Les retours d’expérience communiqués à la commission d’enquête par les acteurs économiques auditionnés sur le « problème fiscal » français évoquent autant le niveau de pression fiscale subi par les entreprises que l’instabilité de la norme fiscale.

L’instabilité fiscale perturbe le jeu des anticipations économiques ; elle gêne les entreprises qui ont besoin d’avoir une visibilité à moyen terme sur leur activité ; elle décourage les perspectives d’investissement, pour lesquelles la confiance dans la stabilité (politique, économique et fiscale) est un paramètre clé. Dans ce sens, M. Pascal Faure soulignait : « Ce qui fragilise notre pays, c’est aussi l’instabilité fiscale et réglementaire qui est jugée trop grande par rapport aux temps du cycle des investissements étrangers en France, qui ont besoin de visibilité sur huit, dix ou quinze ans. » (195)

Il conviendrait donc de progresser vers une stabilisation de l’« horizon fiscal » (proposition n° 13) : de même que la Banque centrale européenne en matière de taux d’intérêt, le Gouvernement pourrait s’engager à ne pas modifier certains paramètres fiscaux stratégiques (crédits d’impôts aux entreprises, impôt sur les sociétés, impôts sur les cessions de plus-value) sur une échelle pluriannuelle. Cet engagement n’aurait certes juridiquement rien de contraignant, mais cette communication pourrait rassurer les investisseurs, puisqu’elle leur garantirait – politiquement – une prévisibilité suffisante à moyen terme.

Une deuxième proposition vise à limiter le recours à la rétroactivité de la loi fiscale (proposition n° 14). Bien que constitutionnelle (196), cette pratique est souvent très mal perçue par les entreprises, qui la subissent comme une tromperie. En dehors du mauvais de signal qu’elle représente, la rétroactivité fiscale dégrade la qualité et la compétitivité de l’écosystème français, au sens où les acteurs économiques, notamment les investisseurs internationaux, l’analysent, avec justesse, comme un manque de sécurité juridique.

Si le législateur doit conserver la possibilité d’adapter les dispositions fiscales aux circonstances, notamment à la conjoncture économique, les modifications récurrentes de dispositifs fiscaux, générant par ailleurs de la complexité, doivent être limitées. On peut d’ailleurs noter que l’application d’un principe de non-rétroactivité pour les entreprises figure parmi les cinquante préconisations formulées par le Conseil de la simplification, en avril dernier. De même, les personnes physiques (y compris les managers de haut niveau) peuvent être dépassés par l’instabilité des impôts qu’ils doivent acquitter – les règles de seuil et de plafonnement en matière d’imposition sur la fortune étant un exemple d’instabilité chronique une année sur l’autre.

La rétroactivité de la loi fiscale pourrait dans ce contexte se limiter à ce que l’on nomme « petite rétroactivité » (197), qui a notamment cours pour l’impôt sur le revenu. La reconnaissance du principe de confiance légitime dans la norme fiscale – tel qu’il existe par exemple en Allemagne – serait un degré supplémentaire de stabilisation du droit fiscal française, dont l’opportunité à l’heure actuelle déborde cependant du cadre des travaux de la commission d’enquête.

Le troisième volet de propositions doit permettre de gagner la bataille de la communication. Comme cela a été analysé précédemment, l’attractivité économique du pays repose autant sur des réalités économiques tangibles que sur des perceptions, des impressions, des effets de signal.

Il faut donc améliorer sans délai la communication sur les atouts de la France et, surtout, sur les réformes qui permettent de renforcer sa compétitivité. Cette expérience vécue par M. Jérôme Lecat (198) : « J’ai rencontré Mme Emmanuelle Wargon [déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle] au ministère du travail : elle m’a appris qu’une loi votée en juin 2013 permet de réduire la durée du plan social à trois mois, sur décision unilatérale de l’entreprise, quand le licenciement concerne moins de cent employés. J’ignorais cette excellente mesure, comme les centaines de milliers de personnes qui ont lu ma lettre ouverte au Président de la République. Si un chef d’entreprise français n’est pas au courant, comment les investisseurs américains pourraient-ils l’être ? »

Il faut pourtant souligner les progrès qui ont été réalisés pour améliorer notre image à l’étranger. Toujours selon M. Jérôme Lecat : « Depuis six mois, cependant, notre image s’est améliorée. La création de la bannière French Tech a été un coup de génie. Les entrepreneurs français à l’étranger qui se sentent rattachés à la France ont découvert qu’ils portaient une dynamique ».

La French Tech : une dynamique au-delà des frontières

L’Initiative French Tech est animée par le secrétariat d’État en charge du numérique. Elle rassemble l’ensemble des acteurs qui contribuent au développement des start-up françaises ou des start-up créées par des Français. La French Tech est conçue comme un « label » sous lequel se réunissent même les entreprises françaises expatriées, qui sont présentées comme des atouts pour la France.

Comme l’explique M. David Monteau (199), « les start-up implantées à l’étranger constituent un levier très puissant pour le développement de l’écosystème. Il importe d’identifier le réseau de ces entrepreneurs français partis monter des entreprises ailleurs. Ils sont un atout pour l’attractivité : en adoptant la marque French Tech, ils peuvent en démultiplier l’effet. Ils sont également susceptibles de contribuer à l’accélération du développement des start-up en partageant leurs expériences. Nous essayons de construire ce réseau – nous avons commencé à le faire dans la Silicon Valley et à New York. Pour nous, ces entreprises font évidemment partie de la French Tech. »

Il faut donc profiter des leviers mis en place par la France ces dernières années pour renverser les perceptions négatives qui freinent l’attrait du potentiel économique étranger : la French Tech doit être pérennisée et conserver son ciblage vers les start-up (proposition n° 15) : ce sont elles qui innovent et créent de l’emploi.

De même, les initiatives récentes du Gouvernement en matière de communication internationale – déploiement d’une diplomatie économique à grande échelle ; réunion du Conseil stratégique de l’attractivité ; réunion de la Conférence des dirigeants français d’entreprises étrangères – méritent d’être institutionnalisées et d’intervenir à un rythme régulier (proposition n° 16). Leur coût, de toute façon minime, est largement compensé par les effets positifs que la confiance dans l’écosystème français produit.

Le dernier volet de propositions sur l’attractivité de notre territoire est le plus programmatique : pour ne pas céder aux dangers de la concurrence sociale et fiscale, notamment au sein même de l’Union européenne, la réponse doit être européenne. À ce titre, il convient de rappeler à quel point nos économies sont interconnectées : selon l’AFII, 77 % des firmes multinationales sous contrôle étranger présentes en France sont européennes.

Or, si une économie européenne fait le choix du dumping social (droit du travail démesurément flexible, peu de charges sociales) ou fiscal (notamment par le degré d’imposition économique des entreprises), c’est toute la zone économique que forme l’Union européenne qui en subira les conséquences. Ceci est notamment mis en évidence pour l’imposition des sociétés : le nivellement par le bas des taux mine les relations économiques entre les pays et se traduit par une fuite de recettes publiques qui n’a aucune pertinence économique. Il faut rappeler que l’impôt trouve sa légitimité dans l’offre de services publics qu’il finance ; l’impôt sur les sociétés est en quelque sorte le prix à payer pour avoir accès aux infrastructures et à l’écosystème (les marchés, les travailleurs qualifiés) d’un pays.

Le graphique ci-dessous montre à quel point il y a eu divergence des politiques menées en matière d’imposition des sociétés (à l’échelle nationale, le périmètre est donc sensiblement le même que celui de l’impôt sur les sociétés français). L’Allemagne, notamment, a mené une politique très agressive en la matière, là où la France a eu tendance à conserver des taux nominaux élevés (légèrement en baisse sur la période 2000-2013), mais d’augmenter les exceptions et les régimes dérogatoires, comme le régime de la jeune entreprise innovante.

VARIATION NOMINALE DES TAUX D’IMPOSITION DES SOCIÉTÉS DANS LES PAYS DE L’UNION EUROPÉENNE

Source : Groupe Xerfi, Compétitivité fiscale de la France, où en est-on ?, septembre 2013.

Il convient donc de militer pour l’adoption de directives européennes plus contraignantes en matière d’imposition des sociétés (proposition n° 17) – comme cela existe d’ores et déjà pour la taxe sur la valeur ajoutée – même si les règles actuelles de gouvernance de l’Union européenne, en particulier l’exigence d’un consensus en matière fiscale, laisse douter d’une réponse rapide à ce problème. Mais le dialogue européen doit prendre le pas sur le dumping feutré que se livrent les économies européennes.

À cet égard, le rapporteur se félicite que, en juin dernier, la Commission européenne ait ouvert trois enquêtes approfondies visant à examiner si les décisions des autorités fiscales d’Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés à payer respectivement par Apple, Starbucks et Fiat Finance and Trade, sont conformes aux règles de l’UE relatives aux aides d’État. A cette occasion, M. Joaquín Almunia, vice-président de la Commission chargé de la concurrence, a déclaré : « Dans le contexte actuel de contraintes budgétaires, il est particulièrement important que les grandes multinationales paient leur juste part d’impôts. Les règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État interdisent aux autorités nationales de prendre des mesures permettant à certaines entreprises de payer moins d’impôts qu’elles ne le devraient si les règles fiscales de l’État membre étaient appliquées de manière équitable et non discriminatoire. ». Son collègue, M. Algirdas Šemeta, commissaire chargé de la fiscalité, a ajouté : « Une concurrence fiscale loyale est essentielle pour garantir l’intégrité du marché unique, la viabilité des finances publiques de nos États membres et des conditions de concurrence égales entre nos entreprises. Elle est un fondement de notre modèle social et économique. Aussi devons-nous faire tout ce que nous pouvons pour la préserver. »

L’approche internationale est effectivement la bonne tant notre pays n’est pas le seul État de la planète à être victime de ces comportements, confirmant ainsi la conviction du rapporteur que le niveau de la fiscalité dans un pays et l’ampleur de l’exil fiscal qui y est constaté ne sont pas liés.

C’est la raison pour laquelle il importe de soutenir l’action menée par l’OCDE (proposition n° 18). Celle-ci, en effet, a publié le 16 septembre, ses premières recommandations pour une approche internationale coordonnée de la lutte contre l’évasion fiscale de la part des entreprises multinationales. Ces recommandations s’inscrivent dans le cadre du projet commun à l’OCDE et au G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, qui vise à établir un ensemble unique de règles fiscales internationales pour mettre fin à l’érosion des bases d’imposition et au transfert artificiel de bénéfices vers certains pays ou territoires dans le but de se soustraire à l’impôt.

Présentant les recommandations de l’OCDE, son secrétaire général M. Angel Gurria a rappelé que « le G20 a déterminé que l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices faisaient peser une menace grave sur les recettes fiscales, sur la souveraineté et sur l’équité des systèmes fiscaux partout dans le monde. Nos recommandations constituent la pièce maîtresse d’une réponse coordonnée et internationalement convenue aux stratégies d’optimisation fiscale des entreprises qui exploitent les lacunes et les failles du système actuel pour transférer artificiellement des bénéfices dans des pays ou territoires où ils sont soumis à un régime fiscal plus favorable. »

Les premiers éléments du plan d’action, rendus publics, visent en priorité à aider les pays à notamment :

– assurer la cohérence internationale de la fiscalité des entreprises, grâce à de nouvelles dispositions conventionnelles types destinées à neutraliser les effets des montages hybrides ;

– réaligner les règles d’imposition sur la substance économique pour rétablir les avantages escomptés des normes internationales et empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales ;

– faire en sorte que les prix de transfert calculés soient conformes à la création de valeur ;

– lutter contre les pratiques fiscales dommageables.

Sans attendre les résultats de ce processus au niveau international, il est indispensable que la France introduise une obligation pour les entreprises de déclarer au préalable à l’administration leur schéma d’optimisation fiscale, comme cela se pratique en Grande Bretagne et aux États-Unis (proposition n° 19).

D. LES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER : DE NOUVELLES FORCES VIVES POUR LA FRANCE

1. Les atouts d’une diaspora bien accompagnée

Sans porter de jugement sur la légitimité de ces expatriations, on peut regretter le manque à gagner qu’elles représentent pour notre pays en termes de capacités créatrices, productives et contributives – encore que le bilan doit être un peu nuancé : notre pays est aussi destinataire de leurs transferts de fonds. S’agissant des émigrés français installés dans d’autres pays de l’OCDE, l’Organisation les chiffrait à 15 milliards de dollars en 2010 (200). La France apparaît même parmi les premiers pays bénéficiaires de transferts de fonds, après l’Inde, la Chine, le Mexique et les Philippines, et avant l’Allemagne (11 milliards de dollars). Cette contribution aurait crû en même temps que l’émigration a augmenté.

Source : OCDE

À quoi correspondent ces transferts de fonds ? Cela n’est pas explicité : des impôts, leurs dépenses lors de leurs séjours en France, des investissements… ? Nous savons seulement qu’aux sondages de Mondissimo.com ou du Lepetitjournal.com, nos expatriés indiquent investir en priorité dans l’immobilier. Ils peuvent le faire en France

Quoi qu’il en soit, il est plus intéressant de considérer que nos ressortissants installés à l’étranger représentent aussi des forces vives pour la France : les connaissances et les expériences qu’ils acquièrent, les contacts qu’ils établissent avec les sociétés et les économies d’autres pays, la diaspora qu’ils sont en train de tisser de par le monde sont autant d’atouts. Des atouts déjà à l’œuvre ou dont la France pourrait tirer davantage profit.

a.  Des atouts pour la France

Comme cela a été souligné dans les parties précédentes, ces expériences internationales permettent à nos expatriés d’acquérir une compréhension d’autres cultures, de nouvelles compétences, des approches différentes pouvant apporter des avantages concurrentiels aux entreprises françaises qui veulent exporter ou ont besoin de s’internationaliser pour se développer. De retour en France, forts de leur double culturation, ils sont plus à même que d’autres de faire le lien et d’aider les entreprises à conquérir les marchés étrangers.

Ces futurs atouts professionnels sont bien identifiés dans les motivations des intéressés et dans les objectifs des entreprises qui les recrutent et qui les envoient parfois elles-mêmes à l’étranger. Les auditions l’ont largement illustré : ainsi que le sociologue Denis Colombi le résume, « acquérir une expérience internationale parce [qu’on] pense que c’est ce qui est attendu sur le marché du travail français, que c’est un avantage et même une exigence [, c’est] ce que des responsables d’entreprises que j’ai rencontrés m’ont confirmé. » (201)

Les bénéfices attendus sont divers. M. Denis Colombi en cite plusieurs aspects : « une compétence de traduction [permettant de] faire dialoguer entreprises françaises et partenaires asiatiques, c’est-à-dire expliquer à des ingénieurs français qu’elles sont les attentes, pas toujours explicites, de leurs partenaires et clients asiatiques », « l’occasion d’avoir des employés qui, ayant vu comment les choses se passent à l’étranger, ayant vu d’autres façons de travailler, sont capables de porter le changement, d’introduire de meilleures solutions et de légitimer des transformations », ou d’utiliser les solidarités qui se tissent dans le milieu très international des expatriés (« Les entreprises en profitent. Cela leur permet de disposer de personnes qui ont la même expérience et qui peuvent porter les mêmes idées ou les mêmes points de vue. »)…

Mais il n’est pas besoin d’attendre le retour de nos ressortissants. Au-delà de ceux dont c’est déjà la mission ou l’emploi, nos expatriés ont des positions et des ressources qu’il serait opportun d’exploiter pour mettre en valeur les atouts de la France et relayer ses intérêts, qu’il s’agit de contribuer à son rayonnement dans le monde, de conforter son influence culturelle, de l’inscrire au cœur des flux économiques internationaux ou de favoriser le développement des entreprises françaises.

Nos pouvoirs publics en sont parfaitement convaincus. Le directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire, M. Christophe Bouchard, le confirme : « Il va de soi que, dans un pays, la communauté française ou d’origine française constitue l’un des moyens sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour développer l’image de la France, mais aussi les affaires et les échanges économiques. Certains États préfèrent d’ailleurs raisonner en termes de personnes originaires du pays, car, même si elles ont perdu la nationalité, elles restent des vecteurs d’influence. » (202)

Certaines des personnes auditionnées par la commission s’inscrivent déjà dans ce rôle de relais ou d’acteurs des intérêts français. D’autres témoignent des initiatives prises par nos compatriotes à l’étranger : apportent-ils quelque chose à la collectivité nationale ? Selon M. Étienne Wasmer, co-directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) « Il semble que ce soit le cas. Pour ne citer qu’un exemple, c’est parce qu’un professeur français s’est expatrié à Berkeley que Sciences Po a développé un partenariat avec cette université. » (203)

De même, Mme Élisabeth Crépon, présidente de la commission Développements et partenariats de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs évoque l’initiative prise par « un groupe d’écoles d’ingénieurs, Paris Tech, qui a signé deux accords avec Ubifrance : l’un en Chine et un autre, à la fin de l’année 2013, au Brésil. Le second, passé entre Paris Tech Alumni, c’est-à-dire les anciens de Paris Tech et Ubifrance pour le Brésil, répond de façon innovante et sur mesure aux besoins des entreprises françaises, entreprises de taille intermédiaire et PME, en mettant à leur disposition, au travers d’Ubifrance Brésil, un réseau de 700 alumni brésiliens et français de Paris Tech, couvrant un large champ d’expertise. C’est une illustration de la contribution d’un réseau d’anciens au développement économiques d’entreprises françaises à l’étranger. » (204)

b.  La nécessité d’une politique « diasporique »

Il ne s’agit pas, certes, des seuls exemples de Français agissant à leur niveau pour la réussite de notre pays - sans même évoquer tous nos concitoyens qui, en s’impliquant dans la vie des communautés françaises à l’étranger, dans leurs organes de représentation ou dans les associations d’expatriés, contribuent à développer les liens entre nos compatriotes et à entretenir une relation vivante avec leur pays d’origine.

Mais les auditions de la commission ont également montré que l’implication pour son pays est moins évidente pour nos expatriés que pour ceux d’autres pays. M. Jean-Pierre Durance, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, en donne des exemples : « lorsque nous cherchons à attirer de grands événements, comme les Jeux Olympiques ou de grands congrès mondiaux, nous avons beaucoup de mal à faire en sorte que les Français qui siègent, en tant que présidents ou vice-présidents, dans les instances qui les organisent, jouent la carte française, comme le font les Anglais ou les Allemands pour leur propre pays. » (205)

Une explication est que notre pays n’a pas encore – ou pas encore assez - la culture de mobiliser activement tous ces leviers. M. Julien Roitman, président de l’Association Ingénieurs et scientifiques de France, le constate : « Nous avons 150 000 ingénieurs qui travaillent non pas à l’étranger mais à l’international (…) : leur espace de vie et de travail, c’est la planète entière. De ce fait, ils constituent un levier extraordinaire qui n’est malheureusement pas actionné. Alors qu’on se plaint de nos difficultés à assurer nos marchés extérieurs et de la méconnaissance par nos entreprises de la culture des autres pays et des réseaux, on sollicite extrêmement peu ces dizaines de milliers de Français qui travaillent sur place, qui connaissent la culture locale et les réseaux. Pourquoi ne pas confier aux ambassades un rôle d’animation pour réunir ces personnes et les utiliser ? » (206) Certes, ajoute-t-il, « si les pouvoirs publics s’appuient sur les conseillers du commerce extérieur, c’est qu’il est plus simple d’identifier les chefs d’entreprise que les ingénieurs salariés. En tout cas, c’est une population, et sans doute pas la seule, qui représente un capital non négligeable. »

Nous ne reviendrons pas sur l’utilité de renforcer notre dispositif d’enregistrement des Français installés à l’étranger pour améliorer l’évaluation et la connaissance de ces populations. On observera néanmoins que cela faciliterait également l’identification des personnes potentiellement utiles.

En tout état de cause, il y a aujourd’hui une nécessité cruciale pour notre pays de mobiliser toutes ses forces et ses ressources, celles de sa diaspora notamment. Il n’est, bien évidemment, pas question de chercher à organiser des communautés par nature mobiles, diverses et hétérogènes ou de tenter d’enrôler nos compatriotes dans une mission nationale qui dépasse les individus. Il s’agit plutôt de réussir à leur faire percevoir l’importance des enjeux, de les rendre plus ouverts et disponibles aux occasions qui pourraient se présenter de soutenir les intérêts de leur pays, et peut-être même de susciter de nouvelles initiatives.

Cette mobilisation passe d’abord par la capacité de notre pays à nouer, malgré la distance, un lien fort et de qualité avec ses ressortissants.

M. Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales de l’OCDE, souligne l’importance de cet enjeu : « Il conviendrait d’ores et déjà de renforcer les liens avec la communauté française à l’étranger. Car c’est l’existence de tels liens qui fait que les intéressés vont continuer à penser France, penser marché du travail français ou penser entreprises françaises. » (207)

Au demeurant, la qualité du lien entre la France et ses ressortissants serait aussi un moyen de lutter contre le « french bashing » néfaste aux intérêts nationaux que certains de nos compatriotes sembleraient alimenter. Sur ce sujet, on notera que la CCI de Paris-Île-de-France a signé un accord avec l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (UCCIFE) pour créer un baromètre permettant d’observer et de mesurer la réaction, les attentes et la vision des ressortissants français installés dans les principaux pays d’expatriation.

Pour préserver l’attachement de nos compatriotes à la France, il conviendrait de commencer par corriger certains discours qui jugent négativement et stigmatisent les Français ayant fait le choix de s’expatrier, au risque de provoquer une amertume, un sentiment de rejet, voire une rupture comme en ont témoigné nombre des personnes auditionnées. Il s’agit d’une préoccupation forte des membres de la commission d’enquête qui appellent à respecter ces parcours et à en faire comprendre non seulement la légitimité, mais aussi les potentialités pour la France.

Pour reprendre les mots de M. Jean-Yves Durance, « ce serait une erreur de freiner les départs : il convient même de les encourager en les facilitant. Ne disons pas à ceux de nos compatriotes qui ont choisi de partir qu’ils trahissent leur pays, mais demandons-leur d’en devenir les ambassadeurs. » (208)

Pour autant, un discours plus positif ne peut suffire. Il serait nécessaire d’être bien plus actif dans la mobilisation « patriotique » de nos expatriés, comme l’analyse également M. Jean-Yves Durance : « Il convient d’intégrer la diaspora française, qui compte aujourd’hui quelque 2 millions de compatriotes et est destinée à augmenter : considérons ceux qui s’installent durablement, voire définitivement à l’étranger, comme autant d’atouts pour notre pays. C’est ce que font l’Allemagne de manière évidente, l’Italie de manière plus discrète et le Royaume-Uni sur le plan culturel. Les exécutifs de la compagnie Emirates Airlines ou de la compagnie d’Abou Dabi comprennent de nombreux Britanniques. Certes, ils sont indépendants et sont loin du Royaume-Uni : ils n’en portent pas moins l’influence de leur pays. »

Depuis longtemps déjà la France considère que le maintien du lien civique est une des conditions de la pérennité et de la force de sa relation avec ses expatriés. « L’accompagnement de la mobilité et le maintien du lien civique sont les deux axes principaux de notre action, en dépit de l’extrême diversité des situations des Français à l’étranger », indique M. Christophe Bouchard. (209)

« Plus que la plupart des ressortissants d’autres nations, les Français de l’étranger ont la possibilité de participer à la vie civique de notre pays, notamment en votant lors d’un nombre important de scrutins au sein des consulats », souligne-t-il. Et de fait, nos compatriotes établis à l’étranger peuvent voter aux scrutins nationaux (élections présidentielles, européennes, législatives et référendums), bien que cela représentent des coûts d’organisation non négligeables.

Plus originale encore est la représentation institutionnelle très développée dont ces communautés françaises disposent depuis la création en 1948 du Conseil supérieur des Français à l’étranger (CSFE).

La représentation des Français de l’étranger

Cette représentation est structurée autour de plusieurs organes institutionnels :

– l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), qui a remplacé le CSFE en 2004. Jusqu’en 2014, elle comprenait 155 membres élus au suffrage universel direct par les Français inscrits sur les listes électorales consulaires, ainsi que 12 personnalités nommées pour six ans par le ministre des Affaires étrangères. Assemblée consultative, elle peut se prononcer sur toutes question intéressant nos ressortissants à l’étranger, que ce soit en matière d’enseignement, de protection sociale ou de fiscalité ;

– la Constitution française organise également leur représentation au Sénat par 12 élus au scrutin proportionnel à la plus forte moyenne ;

– renforcés, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, par 11 députés représentant les Français établis hors de France, élus pour la première fois en 2012 ;

– ces Français comptent également deux représentants au Conseil économique, social et environnemental, désignés par décret sur le rapport du ministre en charge des Affaires étrangères et européennes, après consultation de l’Assemblée des Français de l’étranger ;

– enfin, la communauté des Français de l’étranger disposait d’instances de représentation locale au travers des comités consulaires. La loi n°2013-659 du 22 juillet 2013 consacre désormais ces lieux d’échanges et de consultation en créant des conseils consulaires auprès de chaque ambassade et poste consulaire. Ils sont chargés de formuler des avis sur les questions consulaires ou d’intérêt général, notamment culturel, économique et social. L’objectif de cette réforme est d’approfondir la vie démocratique à l’échelle locale : au plus près des besoins, ces « élus locaux » devraient être mieux à même de relayer les préoccupations de nos ressortissants. Les conseils consulaires constitueraient en quelque sorte les conseils municipaux des Français de l’étranger.

En contrepartie de cette réforme, la nouvelle loi a ramené la composition de l’Assemblée des Français de l’étranger à 90 membres élus au suffrage indirect parmi les conseillers consulaires.

Enfin, le principe de l’élection au suffrage indirect des sénateurs des Français de l’étranger est maintenu, mais leur collège électoral est élargi : au lieu des seuls membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, il comprendra 520 grands électeurs, composé de l’ensemble des conseillers consulaires, des députés élus par les Français établis hors de France et de 68 délégués consulaires (les suivants de liste des conseillers). 

Fin mai 2014, 442 conseillers consulaires ont été élus pour six ans au suffrage universel direct par les Français inscrits sur les listes électorales consulaires. Malheureusement, le taux de participation ne s’est élevé qu’à 16,5 %, alors que les élections présidentielles de 2012 avaient mobilisé plus de 42 % des inscrits. Étant donné l’enjeu de ces instances pour le bon fonctionnement des communautés françaises à l’étranger et le soutien de la politique « diasporique » française, il pourrait être opportun de communiquer davantage sur leur utilité – par exemple en informant régulièrement de leur activité les communautés locales - et sur l’intérêt de s’impliquer dans leur désignation.

De longue date également, l’État français a développé des dispositifs locaux pour accompagner le développement des entreprises nationales à l’étranger et qui interviennent en complément du soutien apporté en France par la Banque publique d’investissement, l’agence Ubifrance et son réseau partenaire des chambres de commerce et d’industrie française (210). M. Christophe Bouchard en rappelle les grands axes : les consulats « tâchent de fédérer [les] initiatives, de mettre en rapport des entreprises françaises avec des contacts locaux, ce qui est plus facile quand, parmi ces derniers, se trouvent des patrons ou des cadres français. C’est aussi le travail d’Ubifrance qui aidera également une entreprise étrangère dans laquelle il y a des intérêts français à trouver un partenaire en France, un client, un distributeur. L’idée est que ceux qui restent à l’étranger peuvent aider les intérêts économiques français, soit parce qu’ils travaillent dans une entreprise française, soit parce que, même travaillant dans une entreprise étrangère, ils auront tendance à faire appel à des fournisseurs français. On doit aussi promouvoir le savoir-faire français à l’occasion de la création, sur place, de PME, de commerces, leurs détenteurs ayant là aussi tendance à acheter des produits français. » (211)

On peut par exemple évoquer l’initiative du Consul de France à New York qui a construit un réseau d’ingénieurs, de graphistes, d’artistes qu’il espère réunir avec régularité sur un thème particulier : « par définition, notre rôle n’est pas commercial, mais nous souhaitons aider ces Français à élargir leur cercle de contacts et à identifier très vite leurs partenaires » - comme des financiers ou des juristes capables, par exemple, de démêler les problèmes de visa (212) . On rappellera également le succès de la stratégie French-Tech déjà évoquée, ou l’expérience prometteuse de la Conférence des dirigeants français d’entreprises étrangères, organisée pour la première fois en juin 2013 à l’initiative de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII).

Selon le compte rendu des participants, son objectif était double :

– donner l’occasion aux Français qui occupent des postes clés au sein des grandes entreprises étrangères de sensibiliser les pouvoirs publics français sur les réformes et les initiatives qui permettrait à la France d’améliorer son attractivité, et à travers eux, mieux comprendre le positionnement de la France dans la compétition intra-européenne ;

– s’assurer que les Français qui occupent des hautes responsabilités au sein des entreprises étrangères soient conscients des atouts de la France en matière d’attractivité, disposent des informations concernées et soient informés des projets en cours qui permettraient d’améliorer celle-ci.

Déployé localement au sein du dispositif consulaire, le double réseau des services économiques, relevant de la direction générale du Trésor, et des nouveaux conseils économiques attachés au ministère des Affaires étrangères est censé offrir un support privilégié au développement de ces actions d’information et de mise en relation. Ces experts sont renforcés par des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) choisis parmi les dirigeants, cadres d’entreprises et professions indépendantes qui apportent bénévolement conseil et assistance aux PME exportatrices. Début 2013, ils étaient environ 3 400 membres actifs, dont 70 % résidant à l’étranger.

Toutefois, s’ils peuvent encore gagner en performance, ces dispositifs institutionnels sont limités dans leurs missions et dans leurs moyens.

Il serait de toute façon illusoire d’imaginer une solution universelle. Une stratégie nationale de mobilisation de nos expatriés doit donc s’appuyer sur les réseaux d’influence existants pour qu’à leur tour, ils contribuent à renforcer ou créer d’autres réseaux directement opérationnels, voire participent à la sensibilisation de chacun de nos compatriotes au rôle qu’il peut avoir dans le développement de son pays.

Ainsi que M. Jean-Yves Durance l’observe, « La diaspora allemande bénéficie d’un dispositif de chambres de commerce à l’étranger, support de toute la politique d’exportation dont les entrepreneurs et les cadres allemands sont les vecteurs. Sans considérer qu’il s’agit forcément là de la solution idéale, nous devons faire de ce sujet une vraie cause nationale pour améliorer l’intégration des Français à l’étranger, en leur donnant le sentiment qu’ils ne sont pas rejetés par leur pays, mais qu’ils en sont au contraire le prolongement. » (213)

Les chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international (CCIFI) semblent vouloir s’inscrire activement dans cette démarche, qui est parfaitement cohérente avec leurs missions premières.

Les chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international

Associations indépendantes de droit local qui regroupent des entreprises françaises et étrangères mais membres de l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international, elles sont 112 chambres réparties dans 82 pays et comptant 32 000 entreprises membres.

Leur vocation est d’animer les communautés d’affaires franco-étrangères en organisant des événements de relations publiques, des rencontres entre leurs membres, des pavillons collectifs dans les foires et salons étrangers, des campagnes de promotions nationales, etc.

Elles permettent à leurs membres d’intégrer un réseau d’entreprises pour échanger des informations commerciales et bénéficier de l’appui et des expertises de ce réseau.

Selon leur bilan 2013, le réseau aurait assuré :

– en France : 700 journées d’informations pays organisées en France en partenariat avec les chambres de commerce et d’industrie, rassemblant 4 100 entreprises participantes ; 121 missions d’entreprises étrangères organisées par les CCIFI en France.

– à l’étranger : 1 771 événements organisés à travers le monde (forums, salons, galas, débats...) ; 1 255 entreprises reçues à l’étranger lors de missions d’étude et de prospection ; 5 261 entreprises accompagnées à l’international (les chambres accompagnent toutes les entreprises à l’international et offrent de multiples services, adaptés à l’avancée de leurs projets et répartis en quatre groupes : l’information, la prospection internationale, l’implantation et la communication.) ; 20 chambres participent à la promotion des salons français (notamment avec Promosalons).

37 chambres proposent des services emploi, dont 17 dans le cadre des comités consulaires pour l’emploi, en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères, qui ont permis de placement de 2 026 personnes.

58 chambres proposent des plateformes de domiciliation (plus de 650 postes de travail disponibles) bénéficiant ainsi à 567 entreprises domiciliées à l’étranger.

Le réseau mène une politique active de communication avec la publication de 80 revues et lettres d’information, de 100 annuaires et guides d’affaires. 111 sites Internet sont reliés au portail des chambres (dont 82 gérés par CCI France International). 

De son côté, « la chambre de commerce de Paris Île-de-France envisage de réfléchir aux moyens de fédérer les anciens élèves des grandes écoles – les alumni –, en commençant par trois pays tests », indique M. Jean-Luc Biacabe. (214)

Cette démarche servirait au moins les intérêts des entreprises qu’elle accompagne. Mais la CCI de Paris-ïle-de-France a l’ambition de passer à un niveau supérieur, déclarant son intention de proposer au ministre des Affaires étrangères de « travailler à l’acculturation de la diaspora afin de l’embarquer dans l’« entreprise France ».

Les associations françaises d’expatriés (telles l’Union des français de l’étranger – UFE – et l’Association démocratique des Français de l’étranger – ADFE –, présentes dans une centaine de pays), l’ensemble du tissu associatif français à l’étranger, les réseaux d’écoles ou d’anciens élèves, les groupes d’intérêt, les sites privés dédiés aux expatriés (comme Lepetitjournal.com ou Mondissimo.com…), contribuent tous à leur niveau à tisser des liens entre expatriés et favorisent l’émergence des communautés françaises, en diffusant actualités et informations utiles pour vivre à l’étranger ou en offrant des cadres d’échanges et de débats. Sans doute contribuent-elles aussi à entretenir l’inconscient « France » parmi nos compatriotes. Toutefois, même si certains prennent des initiatives plus structurantes, ces réseaux sont surtout des relais des intérêts de leurs membres, éventuellement des observateurs, des conseils, parfois des prestataires de services, mais rarement des leviers d’une mobilisation des expatriés français au bénéfice de la collectivité nationale.

Peut-être en partie par défaut d’une dynamique et d’une organisation nationale portée plus haut ? M. Julien Roitman le suggère : « Les anciens de Centrale, de Supélec, de Polytechnique, de l’École des Mines ont pratiquement tous créé des groupes dans chacun des grands bassins industriels du monde, que ce soit à Shanghai, à Los Angeles ou sur la côte est des États-Unis. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où, depuis plus de vingt-cinq ans, toutes les grandes écoles expliquent aux étudiants qu’une expérience internationale est indispensable à un bon profil de carrière. Ces groupes très organisés, qui ont gardé le contact avec leur école, seraient tout à fait prêts à servir de levier. Nous devrions nous inspirer de la conception chinoise, selon laquelle il n’est pas question d’exil mais de diaspora. Même s’ils sont bien implantés dans un endroit du monde, les Chinois conservent un lien culturel, familial, économique même très fort avec leur pays d’origine. Transformer la crainte de l’exil des forces vives en une gestion de la diaspora française serait un moyen de renforcer le poids et l’influence de la France. » (215)

Pour transformer ces réseaux, bien implantés parmi nos ressortissants et parfois très influents, en vecteurs d’une « acculturation de la diaspora française », il pourrait donc être profitable de travailler à les mobiliser, en construisant par exemple avec eux une stratégie de sensibilisation des Français à l’étranger, un discours porteur et une diffusion efficace.

Proposition 20 : Construire avec les principaux réseaux d’influence (notamment les chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international, les associations d’expatriés et les réseaux d’anciens élèves des grandes écoles) une stratégie de sensibilisation de nos compatriotes à la défense des intérêts de la France.

Il serait par ailleurs utile de travailler avec ces acteurs pour rendre les multiples actions et outils que chacun développe en faveur de nos expatriés ou des candidats à l’émigration plus lisibles et plus visibles quel que soit le point d’entrée.

Le site ministériel France-Diplomatie traite toutes les questions administratives et institutionnelles mais aborde peu les autres aspects pratiques et ne permet pas d’identifier les autres offres de services. Côté acteurs privés, on peut repérer quelques coopérations, comme le portail que le site Mondissimo.com offre sur sa page d’accueil à divers opérateurs publics et partenaires privés, ou des manifestions, tel le Forum Expat organisé par les journaux Le Monde et Courrier international, rapprochant de grands acteurs de l’expatriation des éventuels candidats. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, une personne qui cherche à s’informer auprès d’un de ces réseaux se trouve confrontée à un foisonnement de conseils et de pistes sans nécessairement pouvoir les hiérarchiser, ni identifier la diversité des options. Plus qu’un énième guide de l’expatriation, qui ne peut détailler la pluralité des situations à l’étranger, un travail collectif de mise en commun et d’organisation des sources d’information permettrait à ces divers organes d’accompagnement de gagner en efficacité ; des synergies pourraient même émerger. Une coordination plus poussée des multiples dispositifs d’aide aux expatriés serait en tout état de cause un puissant élément de qualité dans la relation de notre pays avec ses ressortissants.

Proposition 21 : Construire avec les principaux acteurs de l’accompagnement des expatriés français une base d’information partagée, et régulièrement actualisée, présentant et mettant en lien les dispositifs publics et les initiatives privées développés pour les aider dans leur installation et dans leur vie à l’étranger.

En termes d’outils faisant lien, M. Jean-Christophe Dumont rappelle que « la France est extrêmement bien équipée avec des médias tels que TV5 Monde, France 24 ou RFI. (…) On pourrait également avoir recours à l’Internet, notamment le web 2.0. » (216)

De fait, l’enquête 2013 de la Maison des Français de l’étranger confirme l’impact des médias français sur nos expatriés : 95 % des personnes consultées déclarent se tenir informées de l’actualité française, d’abord par les médias sur internet, mais la chaîne francophone TV5 Monde est tout de même citée par plus de 40 % d’entre elles.

Considérant l’efficacité de la télévision pour la diffusion de la langue française et de la culture de notre pays, la commission regrette que l’accès à certaines chaînes publiques soit restreint. Elle remarque d’ailleurs que ces médias pourraient aussi jouer un rôle dans une stratégie nationale de sensibilisation des expatriés français.

Cela étant, les premières conditions pour que la France garde un rapport de qualité avec ses ressortissants sont de répondre à leurs besoins de manière satisfaisante et d’entretenir un lien éducatif et culturel actif.

La France est aussi plutôt bien dotée sur ces deux aspects. M. Jean-Christophe Dumont rappelle qu’avec un des plus grands réseaux consulaires au monde et avec le réseau des écoles françaises à l’étranger, elle a « des atouts dont les autres pays ne disposent pas. » Toutes les personnes auditionnées par la commission s’accordent pour souligner leur utilité pour l’ensemble de nos expatriés. Notre pays peut en être légitimement fier. Mais cela ne doit pas le dissuader de rester vigilant sur le maintien de la qualité de ces dispositifs et sur les voies de progrès qui existeraient par ailleurs.

c.  Les conditions pour entretenir un lien de qualité

Accordant traditionnellement une place stratégique à la diffusion de sa culture et de sa langue, la France a développé plusieurs institutions culturelles à travers le monde (Alliances françaises, Instituts français…). Mais les deux piliers de son action en faveur de ses ressortissants expatriés sont son vaste réseau consulaire et un dispositif d’enseignement qui assure la continuité de l’éducation française quelle que soit la mobilité des familles.

Avec 232 postes (consulats, consulats généraux, sections consulaires d’ambassade, chancelleries détachées ou antennes consulaires d’ambassades) épaulés par environ 500 consuls honoraires, le réseau français est le deuxième au monde.

Le réseau consulaire français

Son large éventail de missions est sans équivalent au sein de l’Union européenne :

– trois grandes missions sont assurées par l’ensemble des postes : la protection consulaire, la délivrance des titres d’identité et de voyage et la délivrance des visas ;

– d’autres ne sont assurées que par certains réseaux : l’état civil, le notariat et l’action sociale ;

On relèvera que l’action sociale assurée par le réseau consulaire est plus poussée que ce qu’exige l’article 5 de la Convention de Vienne (secours et assistance aux ressortissants de l’État d’envoi). Les comités consulaires (auparavant comités consulaires pour la protection et l’action sociale) sont consultés sur l’utilisation des crédits d’assurance dont dispose le ministère, qui prend des formes très diverses. Outre les informations sur toutes questions administratives, sociales, juridiques que les Français peuvent solliciter des services consulaires, l’État français assure ainsi :

– des aides et secours divers en faveur de personnes âgées, handicapées, d’aides à l’enfance en détresse, etc. qui se sont élevées à un total de 14,6 millions d’euros en 2012 ;

– des subventions (0,5 million d’euros en 2012) à des organismes d’entraide et de solidarité ou « sociétés françaises de bienfaisance » agissant pour nos ressortissants ;

– des rapatriements sanitaires ou pour indigence (0,6 million d’euros en 2012) ;

– une prise en charge partielle des cotisations à la Caisse des Français à l’étranger pour les plus modestes (0,5 million d’euros) ;

– l’accompagnement des démarches locales des familles françaises en procédure d’adoption internationale ;

– plus de 2 millions d’euros ont été également dépensés en 2012 pour des actions de placement ou de formation professionnelle, avec cependant une efficacité limitée.

– enfin, le réseau consulaire français assure des services qu’aucun État ne rend à ses ressortissants : la transcription des actes d’état civil, l’organisation des Journées de Défense et de Citoyenneté et le recensement des jeunes gens, le traitement des dossiers de demande de bourses scolaires au profit des enfants français scolarisés à l’étranger, et, dans une trentaine de postes, le placement des Français expatriés ou l’aide à l’accès à des formations professionnelles.

Si la France a entrepris d’alléger ce dispositif au sein de l’Union européenne, c’est pour redéployer ses moyens vers les pays émergents ou à fort potentiel, en tirant les conséquences de l’approfondissement de la construction communautaire et de l’intensification des coopérations bilatérales ou multilatérales pour la gestion des questions civiles, matrimoniales etc. Certains consulats généraux européens ont ainsi été transformés en « postes à gestion simplifiée ». Tout en conservant leurs responsabilités en matière de protection de nos ressortissants, ils ont évolué vers un rôle culturel, politique ou économique plus affirmé. Les fonctions principales d’administration des communautés françaises sont regroupées sur de « grands pôles consulaires régionaux » moins nombreux. Ailleurs, de nouveaux postes sont créés en Chine, en Russie et en Inde et la possibilité de « colocaliser » à l’étranger les services de plusieurs États membres de l’Union est en discussion. Le principe d’une présence française universelle est confirmé, mais elle est modulée selon la réalité des besoins et les intérêts de notre pays.

M. Christophe Bouchard confirme la philosophie du dispositif : « Par-delà la diversité des profils, il est important pour le ministère des Affaires étrangères de maintenir un lien fort avec la communauté française à l’étranger. Cette tradition fait la spécificité de la France par rapport à d’autres pays qui estiment n’avoir qu’une responsabilité minimale – délivrance de papiers d’identité et assistance d’urgence – vis-à-vis de leurs ressortissants à l’étranger, surtout s’ils sont très nombreux. C’est parce que la France a toujours considéré que le lien entre ses ressortissants résidant à l’étranger et le pays d’origine doit rester important, qu’elle a développé un important réseau consulaire ainsi que toute une gamme de services consulaires plus large que celle de ses principaux partenaires. (…) L’accompagnement de la mobilité et le maintien du lien civique sont les deux axes principaux de notre action, en dépit de l’extrême diversité des situations des Français à l’étranger. » « C’est la raison pour laquelle, il convient sans doute de réaliser des progrès dans la connaissance sociologique des Français de l’étranger », ajoute-t-il, répondant à la première préoccupation de la commission (217).

Quant au réseau de l’enseignement français à l’étranger, la France n’est certes pas le seul pays à avoir un réseau scolaire à l’étranger, mais il est le seul à disposer d’un service public d’enseignement à l’étranger - même si les frais d’écolage versés par les familles représentent une grande part de ses ressources.

L’enseignement français à l’étranger

Réputé pour la qualité de son enseignement, son attractivité s’exerce au-delà des communautés françaises ou autochtones et le nombre de ses élèves ne cesse de progresser. Sous la pression de la demande et pour couvrir de nouveaux pays, le nombre des établissements est également en augmentation.

En 2009, le réseau était constitué de 453 établissements répartis dans 125 pays et scolarisant environ 240 000 élèves. En 2013/2014, ils sont 488 établissements scolaires, implantés dans 130 pays.

Tous sont homologués par le ministère de l’Éducation nationale et développent une scolarité similaire à la scolarité française. 75 de ces établissements sont gérés directement par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), l’opérateur public pivot de ce réseau placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères ; 156 établissement gérés par des associations de droit privé ont passé une convention avec elle ; et 257 autres sont des établissements partenaires ou « homologués ».

Ils ont scolarisé environ 320 000 élèves en 2013/2014, dont 120 000 Français.

Si le réseau a pour mission première d’assurer la continuité du service public d’éducation en permettant aux enfants français résidant à l’étranger d’accéder à l’enseignement national tout au long de leur scolarité (et même s’ils changent de pays), ce réseau contribue aussi fortement à l’influence de la langue et de la culture françaises en accueillant 62 % d’élèves étrangers en 2014 – un phénomène qui s’accentue également puisqu’ils ne constituaient que 54 % des effectifs en 2009.

Un temps accordé au bénéfice des familles françaises, le principe d’une « gratuité » de la scolarité au lycée a été abandonné en 2012. Le poids de la « prise en charge par l’État » menaçait en effet d’atteindre des niveaux budgétaires insoutenables et le système portait en lui plusieurs risques importants (contradiction avec le droit communautaire, différences de traitement entre expatriés, risque d’éviction des enfants locaux et effet d’aubaine pour les entreprises). (218) Il a été remplacé par un mécanisme de bourses scolaires renforcées visant à assurer l’accessibilité de ces écoles aux familles françaises modestes. Celui-ci est trop récent pour qu’on puisse juger de son efficacité ; mais l’enjeu est capital pour un dispositif public.

Le nouveau système de bourses scolaires

Il a été mis en place à la rentrée de septembre 2013 pour le « rythme Nord » et le sera à la rentrée 2014 pour les pays du « rythme Sud ».

La réforme des bourses scolaires a introduit de nouveaux critères d’attribution, l’objectif recherché étant de prendre en compte la réalité des ressources des familles (revenu net disponible par personne). L’octroi d’une bourse est donc déterminé en fonction de ce qu’il reste à une famille pour vivre, une fois payés les impôts, les charges sociales et les frais de scolarité, par rapport au coût de la vie locale (introduction d’un indice de parité de pouvoir d’achat).

Quoi qu’il en soit, nombre des personnes auditionnées ont tenu à souligner l’importance de ce réseau pour les communautés françaises installées à l’étranger et, plus largement, pour la force du lien que notre pays construit avec leurs enfants.

Le sociologue Denis Colombi en explique les différents enjeux : « Les lycées français à l’étranger sont une institution très importante, pour l’éducation de leurs enfants, parfois aussi pour trouver de l’aide à l’installation – faute de communautés de français sur place –, mais également pour rencontrer d’autres personnes, pas seulement françaises. Dans ces lycées, on rencontre en effet des personnes d’autres nationalités. Cette dernière dimension peut représenter un véritable atout pour un certain nombre d’expatriés. Une spécialiste des ressources humaines m’indiquait que ce qui avait changé dans les motivations de ces départs, c’est le fait qu’ils sont ne sont plus seulement motivés par la carrière d’un des parents, mais aussi par le désir de faire bénéficier ses enfants d’une éducation internationale. Cela peut être un élément d’attractivité des emplois à l’étranger. Dès lors, les lycées français à l’étranger sont importants autant par leur fonctionnement que par les opportunités qu’ils offrent. » (219)

M. Jean-Yves Durance le confirme : « les établissements d’enseignement français à l’étranger sont des points d’ancrage importants pour ces communautés qui, à chaque rentrée scolaire, rencontrent des difficultés pour y inscrire leurs enfants. De nombreuses initiatives, y compris privées, peuvent accroître l’offre éducative française dans les différents pays. En tout état de cause, les établissements d’enseignement sont, comme les postes diplomatiques et les chambres de commerce à l’étranger, des lieux naturels de rassemblement de cette diaspora. » (220) .Lui-même expatrié, M. Arnaud Vaissié, président de l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (UCCIFE), partage ce point de vue : « Les écoles sont un point de focalisation et de passage – souvent obligé – pour tous les Français qui bougent (…), une chance française que n’ont pas les autres pays. C’est une très belle réussite, obtenue avec le consensus de l’ensemble des acteurs. » (221)

Il souligne notamment que le réseau des écoles françaises à l’étranger « a pour avantage de garder les familles dans la sphère culturelle française. Les enfants qui ne sont plus dans un système scolaire français parlent notre langue avec un accent et on peut dire que, culturellement, ils ne sont plus là. La France est souvent pour eux le pays des vacances, mais ce n’est plus le pays au centre de leur vie. Les enfants qui sont allés dans les lycées français se sont créé des valeurs françaises, des amis français, et nous avons une chance de les récupérer. Voilà pourquoi il faut faire vivre le réseau des écoles françaises à l’étranger, alors que ce n’est pas la tendance du moment. Par exemple, il est très difficile d’obtenir des détachements de professeurs français pour partir à l’étranger. »

Proposition 22 : Puissant vecteur de lien entre la France et ses ressortissants, il est primordial de préserver les capacités d’accueil du réseau des écoles françaises à l’étranger, la qualité de son enseignement et son accessibilité à toutes les familles françaises.

L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger

L’agence fonctionne essentiellement avec deux subventions versées par le ministère des Affaires étrangères, la principale étant inscrite au programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence, la seconde inscrite au programme 151 Français de l’étranger.

Ces contributions du budget de l’État ont subi une nette inflexion après 2012, malgré la poursuite du développement du réseau. Mais elles ont été stabilisées en 2014.

Évolution des subventions versées par le ministère des Affaires étrangères

(en millions d’euros)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Programme 185

291,3

415,0

420,8

420,8

422,5

425,0

416,5

Programme 151

66,9

86,1

106,2

119,0

125,5

110,3

118,8

Total

358,2

501,1

527,0

539,8

545,0

535,3

535,3

Source : ministère des Affaires étrangères.

Le budget de l’agence bénéficie, en outre, de ressources propres provenant de deux sources :

– les recettes propres des établissements en gestion directe (essentiellement constituées des frais de scolarité), soit 344,4 millions d’euros ;

– les ressources propres du siège pour un montant de 209,5 millions d’euros (essentiellement la participation des établissements du réseau à la rémunération des résidents et la contribution assise sur les frais de scolarité).

En 2014, l’agence compte 6 353 agents sous plafond budgétaire, en quasi-totalité d’entre eux des personnels titulaires de l’Éducation nationale en position de détachement, ainsi qu’environ 4 600 employés hors plafond rémunérés sur ses ressources propres et qui sont, pour la plupart, des agents de droit local.

Se donner les moyens de préserver la haute qualité de l’existant est un choix stratégique primordial. Cela n’exonère pas notre pays et son administration de travailler également les points de progrès.

Plusieurs temps forts marquent le parcours d’un expatrié : avant son quotidien de résident d’un pays étranger, il y a son départ de France et son installation dans ce nouveau pays ; après, son retour et sa réinsertion dans notre pays. De l’avis général (tel qu’il ressort des auditions et des sondages), nos ressortissants sont plutôt satisfaits de l’aide qu’ils peuvent recevoir de leur pays au cours de leur séjour à l’étranger. En revanche, les autres étapes ne sont pas toujours aussi fluides.

M. Jean-Yves Durance observe notamment que « trop souvent, en raison des tracasseries administratives qu’ils ont dû surmonter pour partir, ce n’est pas sans amertume que les candidats à l’expatriation quittent la France. » (222)

Proposition 23 : Il serait pertinent d’étudier la possibilité de créer un guichet unique (mais décliné sur l’ensemble du territoire) permettant aux Français quittant notre pays pour s’installer à l’étranger de régler l’ensemble des démarches administratives nécessaires (civiles, sociales, fiscales, etc.)

Ce dispositif ne simplifierait pas nécessairement les règles applicables, mais pourrait alléger et accélérer le processus, voire favoriser sa rationalisation.

Pour l’accompagnement des mobilités, la France a mis en place une structure d’information et d’appui, la Maison des Français de l’étranger (MFE), qui intervient en amont des installations. Le ministère a entrepris de faire évoluer ses modalités d’intervention pour améliorer ses performances.

M. Christophe Bouchard explique les évolutions à venir : « La Maison des Français de l’étranger ne ferme pas ; nous voulons au contraire réformer et développer son action. Seule une de ses activités s’interrompt le 31 juillet : l’accueil physique des visiteurs rue de la Convention. À la demande, il y a un an et demi, de la ministre déléguée aux Français de l’étranger, une étude a été réalisée sur le rôle et l’efficacité de cette structure qui employait quatre agents du ministère. Un rapport a mis en évidence que certaines activités se révélaient décevantes en termes d’audience et d’impact, dont cet accueil du public qui concernait en moyenne six à huit personnes par jour – donnée qui ne nous semblait pas à la mesure du nombre de Français susceptibles de s’installer à l’étranger.

« Nous avons donc décidé d’interrompre cette activité et, à partir de la rentrée, d’en développer d’autres, en particulier via internet, outil qui nous permettra de toucher beaucoup plus de monde. Certains ateliers d’aide à la confection de curriculum vitae, organisés deux fois par mois pour une moyenne de quinze personnes, seront désormais réalisés par le biais d’internet afin de toucher deux à trois plus de personnes, pour le même coût.

« Le nom de la Maison des Français de l’étranger changera. Nous ne connaissons pas encore le nouveau, mais il pourrait être : Mission pour l’information sur l’expatriation. L’idée est bien qu’elle touche un plus grand public ; il convient donc d’en moderniser les méthodes de travail. » (223)

Même optimisée, cette aide se limite aujourd’hui à l’étape précédant l’installation. Or, un sondage IPSOS commandité par la Banque transatlantique montrait en mars 2014 qu’une des principales mesures d’aide à l’expatriation souhaitées par les Français serait le développement des services d’accompagnement dans le pays d’installation (pour trouver un logement, faire ses formalités administratives, chercher un travail…).

Si ce peut être un créneau de développement pour des prestataires privés comme les professionnels de la relocation, il n’est pas envisageable d’assurer un service public aussi complet et individualisé. On pourrait néanmoins réfléchir à mieux exploiter la très bonne connaissance des réglementations et des institutions locales que les services consulaires sont amenés à acquérir pour aider les Français nouvellement arrivés à « débroussailler » les démarches qu’on exige d’eux – ce serait d’autant plus envisageable que dans les faits, les services aux résidents assurent souvent spontanément ce rôle de guides.

Proposition 24 : Organiser dans les postes consulaires un service plus structuré d’information et d’orientation sur les institutions et procédures administratives locales.

Entretenir une relation de qualité avec son pays est une condition fondamentale pour nourrir l’attachement de ses émigrés. Cela demande de corriger certains défauts de notre système administratif et peut même justifier de renforcer le service rendu en amont et pendant l’expatriation.

Mais les conditions du retour des expatriés peuvent également avoir un impact sur leur appréciation de ce lien et sur la force et la permanence de leur attachement. M. Arnaud Vaissié le souligne : « L’internationalisation de notre jeunesse est un plus. En revanche, il faut créer les conditions de leur retour, pour éviter qu’ils ne se détachent du pays. » (224)

2. Les enjeux du retour : faire en sorte que nos expatriés veuillent et puissent revenir

Les périodes d’expatriation sont d’abord, on l’a vu, une source d’enrichissement personnel pour nos compatriotes qui ont choisi de partir à l’étranger. Pour qu’elles soient également une source d’enrichissement collectif, pour les entreprises et le pays dans son ensemble, il y a d’évidents intérêts à ce que ces Français reviennent un jour.

Mais quelles sont les tendances aujourd’hui ?

Comme on l’a déjà relevé, les données du registre ne permettent pas de calculer la durée moyenne des séjours de nos expatriés. Mais, par son enquête menée fin 2012, la Maison des Français de l’étranger constatait que :

– une personne consultée sur deux vivait à l’étranger depuis plus de cinq ans au 31 décembre 2012, et près d’une sur trois depuis plus de dix ans. C’est en Afrique du nord et en Europe occidentale que les séjours se prolongent le plus ;

– et que 57 % avaient déjà vécu une précédente expérience d’expatriation d’au moins six mois.

Les durées de séjour semblent s’allonger. Doit-on craindre en conséquence que les retours se fassent plus rares ? Divers sondages montrent plus d’incertitude dans les projets des Français interrogés.

Face à la question d’un retour définitif de cette même enquête de la Maison des Français de l’étranger, près de la moitié des Français expatriés consultés admet une certaine indécision. Près d’une personne sur trois envisage un retour à plus ou moins long terme, tandis que 17 % excluent ce retour en France. La conclusion reste complexe car si le nombre des personnes excluant de revenir progresse sans surprise au fur et à mesure que leur expatriation se prolonge, le nombre des indécis également.

Les déductions de M. Bernard Ramanantsoa, sur les choix des diplômés des écoles de commerce restent ambivalentes : « Par promotion, le nombre d’élèves vivant à l’étranger (…) sont, par exemple, 92 sur les 359 élèves sortis en 1995, 94 sur les 367 que comptait la promotion 2000, et 76 sur 463 pour la promotion 2010. Pour l’instant, il est donc probable que les anciens élèves ayant une première expérience à l’étranger finissent par revenir. Une question plus compliquée est de savoir si cette tendance va perdurer à l’avenir. » (225) M. Julien Roitman est plus affirmatif : « Nous avons demandé aux ingénieurs travaillant à l’étranger s’ils avaient envie de revenir en France : 38 % ne l’envisagent pas
– contre 33 % en 2005 –, 40 % ont la ferme intention de revenir à plus ou moins brève échéance, et 25 % ne savent pas. Quant à la durée des affectations, elle est extrêmement variable puisqu’elle va de deux ou trois ans à vingt-cinq ans
. » (226) La CCI de Paris-Île-de-France, enfin, constate dans son étude « une inflexion de leur intention, qu’il s’agisse de la durée de leur séjour ou de leur désir de revenir en France. » (227)

M. Arnaud Vaissié attire quant à lui l’attention sur des évolutions potentiellement inquiétantes : « les élèves de terminale du lycée français de Londres, qui est réputé comme étant un des meilleurs, (…) partent à 80 % dans l’enseignement britannique ou international. Ils ne rentrent plus en France pour intégrer, comme c’était traditionnellement le cas, des classes préparatoires ou les meilleures universités. » (228)

Il convient toutefois de rester circonspect dans l’interprétation de chiffres fondés sur des bases faibles et prétendant décrire des phénomènes complexes. Pour M. Jean-Christophe Dumont, « cette question du retour des expatriés est très compliquée et je me défie des chiffres qui ont été diffusés ça-et-là, notamment par la chambre de commerce de Paris, car ils ont été établis sur la base d’échantillons très réduits. Je pense qu’il faut être extrêmement prudent en la matière. Je me bornerai à vous indiquer quelques éléments, mais ce sujet mériterait une analyse plus approfondie. Alors que le nombre de diplômés du supérieur français expatriés en Espagne était en forte augmentation entre 2007 et 2010, il diminue depuis, du fait de la détérioration de la situation économique de ce pays. Même si rien ne dit que ces expatriés reviennent en France, ces éléments montrent du moins que mobilité ne signifie pas forcément installation. »

De même, « les statistiques dont nous disposons montrent qu’environ 44 % des Français arrivés en Allemagne en 2012 y étaient toujours un an après, contre environ 41 % en 2011. Mais, en 2012, la proportion pour les autres ressortissants de l’Union et de l’OCDE était respectivement d’environ 50 % et de près de 52 %. » (229)

Il convient notamment de tenir compte d’une profonde transformation des conditions d’expatriation et de considérer leur impact sur les projections de retour : le volume des missions de détachement, qui avaient souvent des durées de moins de trois ans, a beaucoup diminué ; cela pourrait être la principale raison de l’allongement des séjours, ainsi que l’explique M. Jean-Yves Durance : « les expatriés français travaillent désormais majoritairement pour des entreprises étrangères et non plus pour des entreprises françaises. Ce changement de nature n’est pas neutre au regard notamment de la question du retour. En effet, l’expatriation dans le cadre de l’entreprise fait partie du parcours professionnel : les expatriés peuvent revenir. En revanche, le retour de ceux qui travaillent pour une entreprise étrangère ou qui partent fonder une entreprise dépendra du succès de leur parcours à l’étranger. » (230)

De fait, en 2003, 38 % des Français de l’étranger travaillaient pour la fonction publique ou des organisations non gouvernementales ; ils ne sont plus aujourd’hui que 20 %. Le phénomène touche également les entreprises privées qui remplacent de plus en plus souvent les contrats d’expatriation par des contrats locaux – « ce qui modifie le rapport à la mère patrie » conclue M. Jean-Yves Durance.

Il n’est donc pas possible à ce jour de conclure valablement sur l’évolution des retours. Mais force est aussi de constater qu’il n’y a plus d’automaticité du retour. Cette étape ne s’inscrivant plus dans un parcours prédéfini dans le temps, les échéances sont imprécises.

Par ailleurs, nos expatriés peuvent avoir plusieurs raisons très légitimes de rester à l’étranger, voire de s’y installer définitivement, sans que cela soit un rejet de la France. « Il ne faut pas interpréter, comme on le fait trop souvent, le choix de rester vivre à l’étranger comme une façon de « voter avec ses pieds » contre la France et son système. Penser que les expatriés restent à l’étranger parce qu’ils préfèrent, par exemple, le système anglo-saxon est une erreur d’interprétation. », avertit le sociologue Denis Colombi. (231)

Sur la persistance d’un attachement des Français à leur pays, les enquêtes se montrent plutôt rassurantes : la très grande majorité garde un lien actif.

Selon l’enquête de la Maison des Français de l’étranger de 2013, de manière générale, les Français expatriés rentrent régulièrement en France : 20 % déclarent rentrer plus de trois fois par an, et 30 % deux ou trois fois par an. Seul un expatrié sur cinq affirme rentrer moins d’une fois par an, mais cela peut aussi s’expliquer par un coût des transports élevé, surtout pour les déplacements en famille, qui s’accroît avec la distance et est désormais rarement pris en charge par les employeurs. Parmi les répondants au sondage du Lepetitjournal.com, ils sont même 41 % à rentrer trois fois ou plus. Mais il confirme également que l’éloignement géographique espace ces retours.

Selon la même enquête de la Maison des Français de l’étranger, les expatriés interrogés veillent aussi très majoritairement, à 88 %, à préserver un lien privilégié avec la société française (maintien d’attaches familiales, liens professionnels, possessions immobilières etc.). À l’opposé, seuls 2 % rompent tout lien. Il faut toutefois nuancer ce résultat car les expatriés plus détachés vis-à-vis de la France ont probablement été moins sensibilisés à l’enquête. En outre, celle-ci fait apparaître que ce lien s’érode avec le temps, de façon marginale mais sans équivoque : plus l’établissement à l’étranger est ancien, plus le lien se distend. Ainsi 15 % des expatriés de plus de cinq ans déclarent ne pas maintenir particulièrement, ou pas du tout, de lien avec la société française.

Par ailleurs, ce lien peut exister à distance, comme le rappelle M. Jean-Yves Durance : « les moyens de communication modernes permettent désormais de rester en liaison très étroite avec sa famille, ce qui n’était pas le cas il y a quarante ans ». Cela « modifie le ressenti culturel de l’expatriation. » (232)

Malgré tout, il semble toujours rester un réel intérêt, une curiosité forte au moins, si l’on en juge par les 95 % de répondants qui disent se tenir informés de l’actualité française. Elles utilisent en particulier les sites internet des chaînes de télévision ou des journaux français.

Les entretiens menés par le sociologue Denis Colombi l’ont tous confirmé : « Sur le sujet des relations avec la France, les personnes que j’ai rencontrées conservent tous un lien avec la France, ne serait-ce qu’avec son actualité. Ce lien peut être plus ou moins fort : le lien familial est le plus important, et certains retours sont dictés par le vieillissement des parents et par la volonté de passer plus de temps en famille, par exemple quand les grands-parents ne connaissent pas leurs petits-enfants nés à l’étranger. » (233)

Au final, même si les projets de retour sont aujourd’hui plus imprécis qu’il y a dix ans, ou que les jeunes générations envisagent plus facilement d’enchaîner plusieurs mobilités, il n’en reste pas moins qu’à ce jour, dans leur grande majorité, les Français expatriés se réinstallent à terme en France.

En tout état de cause, d’autres liens peuvent se créer indépendamment du rapport à la France : certains marchés du travail sont très localisés, comme plusieurs des entrepreneurs auditionnés l’ont expliqué. L’attachement au pays d’accueil est aussi plus fort pour les expatriés qui y ont créé leurs propres entreprises.

La situation familiale peut également modifier la donne : la rencontre d’un conjoint d’origine étrangère impose inéluctablement de faire un choix de résidence. Or, le cas est fréquent si l’on en juge par le sondage Mondissimo dont 56 % des répondants ont fondé leur famille à l’étranger – ils étaient 48 % en 2005. Un conjoint français peut lui-même retarder le retour s’il a un emploi sur place et n’est pas assuré d’en retrouver en France. Les conjoints de Français à l’étranger apparaissant de plus en plus actifs, à 69 % en 2013 selon l’enquête Mondissimo, alors qu’ils n’étaient encore que 52 % en 2003, une telle situation ne peut que se multiplier.

De la même façon, des motivations objectives peuvent décider du retour en France indépendamment de la qualité du lien avec la société française. Car notre pays présente des avantages comparatifs non négligeables, comme l’explique M. Étienne Wasmer : « Le départ des jeunes Français s’inscrit dans un cycle de vie. Au sortir de l’école, les diplômés n’ont pas encore charge de famille. Quand ils atteignent 35 ans et scolarisent leurs enfants, ils songent que, si les salaires, après impôt, sont plus élevés à l’étranger, les dépenses liées à la famille et à l’éducation y sont également plus lourdes. (…) Il existe peu d’études sur le cycle de vie, mais le coût de la santé ou de l’éducation compte beaucoup dans la décision de se réinstaller en France. » (234)

Quand le retour en France ne s’impose pas pour tirer le plein bénéfice de son expérience internationale. Un cas étudié par le sociologue Denis Colombi l’illustre clairement : « les ressources ou le capital humain – je dis parfois « capital international » – que [la personne] a acquis lors de cette expérience, cette « compétence de traduction » qui, selon ses propres mots, est son « cœur de métier », sont d’abord valorisables en France : le retour lui est presque indispensable pour en profiter pleinement. Si elle s’était installée définitivement à l’étranger, elle aurait perdu tous les avantages de sa mobilité internationale. Elle reste donc attachée à la France, non pas par une simple question d’identité, mais bien par la dynamique proprement économique de son parcours et de sa carrière. (…) Couper complètement les ponts avec la France et le marché du travail français, notamment professionnellement, serait alors dramatique pour ces expatriés, qui perdraient entièrement le bénéfice de leur expatriation. » (235)

En dernière analyse, chaque situation est plus complexe qu’il n’y paraît : « l’attractivité d’un pays est bien difficile à identifier comme une simple somme d’atouts nationaux », conclut-il.

Cela étant, rentrer, retarder sa réinstallation, y renoncer ou repartir peut aussi dépendre des facilités et des difficultés que ces expatriés trouvent ou pensent trouver à leur retour en France.

D’une part, il y a bien sûr le poids des difficultés conjoncturelles : « S’agissant des perspectives de retour, il faudra nous revoir dans dix ou vingt ans pour savoir ce que sont devenus les jeunes Français qui s’expatrient aujourd’hui. Nous pouvons toutefois d’ores et déjà affirmer que leur décision dépendra en grande partie de la situation économique française. Si la période de stagnation, qui dure maintenant depuis six ans, persiste, l’incitation à partir et l’incitation à ne pas revenir seront encore plus aiguës. », observe M. Jean-Luc Biacabe (236). Et ce, d’autant que ces jeunes générations semblent avoir une approche plus mondialisée des choses qui les attache moins à un territoire que leurs aînés : « Nous avons appris aux jeunes à raisonner de manière très ouverte et globale : s’ils trouvent un emploi intéressant en France, ils l’acceptent ; s’ils trouvent mieux ailleurs, ils partent sans état d’âme.», fait remarquer M. Julien Roitman. (237)

Les perspectives en termes d’emploi, notamment, sont primordiales - même si elles doivent être relativisées au regard de ce qui se passe ailleurs : par exemple, « pour les Français partant fonder une entreprise à l’étranger, la perspective de leur retour dépendra de leur réussite ou de leur échec. L’artisan français qui, installé à Shanghai, monte une chaîne de boulangerie a peu de raisons de revenir. Il en sera différemment de celui qui tente sa chance dans la Silicon Valley, où 80 % des jeunes échouent à trouver un emploi, ce qui les incite à revenir » a indiqué M. Jean-Luc Biacabe.

D’autre part, il y a aussi les pesanteurs structurelles de la société française : on ne reviendra pas sur certains décalages (de valorisation des diplômes, de différences salariales etc.) qui ont motivé des expatriations et peuvent de la même façon inciter à rester à l’étranger. On soulignera plus particulièrement la difficulté persistante chez les employeurs français à valoriser les expériences internationales. Le phénomène est largement dénoncé sur les forums d’expatriés : même quand elles sont à l’origine de l’expatriation, nos entreprises ne savent pas encore toujours gérer ces retours.

Le sociologue Denis Colombi témoigne des déceptions fréquentes de ces expatriés partis effectuer une carrière internationale dans la perspective de la valoriser sur le marché du travail français. Souvent, à leur retour, ils éprouvent « le sentiment que leur expérience internationale n’intéressait pas tellement les entreprises et organisations françaises. Certaines grandes entreprises françaises évoquent cette même question sous l’angle, cette fois, des ressources humaines. Les responsables de la mobilité internationale que j’ai rencontrés m’expliquent qu’ils ne parviennent pas toujours à valoriser l’expérience internationale des salariés partis à l’étranger et revenus en France. Ces difficultés sont d’ordre organisationnel. Il est parfois difficile de trouver immédiatement le poste le plus adéquat, s’il n’est pas libre ou si cette affectation suscite des jalousies dans les services, où bien souvent la personne qui revient ne connaît plus personne. C’est une vraie difficulté. » (238)

Certes, les enquêtes de l’INSEE démontrent que, statistiquement, les personnes ayant connu une mobilité à l’international disposent d’avantages, en matière de positions hiérarchiques ou de salaires perçus. Elles finissent donc par valoriser ces parcours. Mais il y a, auparavant, des moments parfois difficiles ou certaines frustrations, à tel point que les employeurs constatent qu’un retour d’expatriation est souvent suivi par un changement d’entreprise – « ce qui est d’ailleurs dramatique pour l’entreprise quittée : envoyer un salarié en expatriation coûte excessivement cher, jusqu’à deux ou trois fois le coût « local » du salarié. C’est alors un investissement perdu »relève le sociologue Denis Colombi.

Il évoque aussi un phénomène plus psychologique : « les personnes qui sont revenues ne sont pas toujours satisfaites, sur le moment, de la façon dont leur expérience internationale est considérée. C’est en partie lié au fait qu’elles appartenaient auparavant à une communauté internationale avec une culture particulière où ce type de parcours intéresse tout le monde, et quand elles rentrent et se retrouvent seules dans leur entreprise ou leur service à avoir voyagé, elles rencontrent moins de questions et de curiosité et en sont un peu déçues. » À travers les forums d’expatriés, elles sont également nombreuses à parler d’un sentiment plus général de décalage vis-à-vis de codes sociaux, de visions culturellement marquées des choses qu’elles n’ont plus partagés depuis des années : un « choc culturel inversé » qui s’avère parfois violent à vivre.

Enfin, si elles ne sont sans doute pas rédhibitoires, les difficultés pratiques du retour peuvent fortement le compliquer, voire le gâcher. Sans même parler de trouver une nouvelle place, un nouveau logement à un prix abordable, la réinstallation en France impose des démarches multiples et parfois complexes. À leur retour, les expatriés se retrouvent souvent dans la situation doublement inconfortable d’être contraints de tout redécouvrir et de ne pas comprendre pourquoi leur pays se montre aussi procédurier à leur égard. Pour peu qu’ils aient connu des cadres de vie plus simples et moins chers, cette expérience peut finir par en décourager certains ou les inciter à repartir – avec le risque qu’ils se détachent totalement de notre pays.

Pour d’autres, même très motivés, le retour peut se transformer en véritable parcours du combattant. M. Jean-Christophe Dumont évoquait ces personnes « dont le désir de revenir en France se heurte à des obstacles particuliers : mariage avec un conjoint étranger, possession d’un patrimoine dans le pays d’accueil, réintégration de leurs enfants dans le système éducatif français alors qu’ils n’ont pas été scolarisés dans des écoles françaises, ou, à l’inverse, maintien de leurs enfants dans un univers scolaire anglophone en France, etc. » (239)

Renforcer les liens avec la communauté française à l’étranger, lui donner envie de revenir en France pourrait donc bien aussi passer par une amélioration des conditions de réinstallation de nos compatriotes. La problématique n’est, après tout, pas si différente de celle posée par l’accueil des talents étrangers – la question des titres de séjour en moins. Des réflexions sont menées pour simplifier l’installation des personnalités qualifiées que la France souhaite attirer. Ne pourrait-on également progresser dans l’accueil de nos propres ressortissants ?

M. Jean-Christophe Dumont suggère une aide au retour pour les situations les plus complexes. Il pourrait déjà être pertinent de réfléchir à un vrai dispositif d’accompagnement des retours, informant des procédures à lancer, guidant les candidats au retour dans leurs diverses démarches, voire les préparant mieux aux « chocs » matériel et psychologique qu’ils pourraient vivre… Un dispositif qui serait plus interactif et personnalisé que les bureaux, sites ou portails internet actuellement proposés – qui ont tout de même le mérite d’exister.

Proposition 25 : Il conviendrait de travailler à la rationalisation et la simplification des diverses formalités exigées lors de la réinstallation de nos compatriotes et d’envisager la mise en place d’un guichet unique pour les principales démarches administratives.

CONCLUSION

Aux termes de ses travaux, la commission d’enquête n’a pas le sentiment que, pour reprendre les termes de l’exposé des motifs de la proposition de résolution à l’origine de sa création, nous sommes en face d’une « situation inquiétante pour l’attractivité économique de la France et préjudiciable à son influence dans le monde ». Bien au contraire.

La majorité des membres de la commission comme bien des personnes qu’elle a auditionnées sont convaincues que la France est riche de ses hommes et de ses femmes, qu’ils résident sur son territoire ou ont choisi de mener leur parcours personnel ou professionnel hors de ses frontières. Pourquoi la France serait-elle le seul pays à s’alarmer d’une situation qui laisse de marbre ses principaux partenaires qui pourtant disposent d’une diaspora autrement plus nombreuse ? Pourquoi faudrait-il, de manière absurde, qu’elle se désole de ce qui est, pour l’essentiel au-delà même du mouvement spontané de la mondialisation, le résultat de politiques volontaristes et librement choisies.

Conclure en ce sens, ce n’est pas sacrifier à une vision exagérément optimiste de la situation actuelle de notre pays. Il serait irresponsable de nier que celui-ci traverse depuis dix ans des difficultés très importantes, tant sur le plan économique que sur le plan social. Cette situation appelle la mise en œuvre de réformes et la commission formule quelques propositions pour renforcer la compétitivité et l’attractivité de la France. Mais, en ce domaine, les réformes nécessaires ont été engagées par le Gouvernement, au travers notamment, mais pas exclusivement, du Pacte de responsabilité et de solidarité et d’une politique aussi résolue qu’ambitieuse de simplification administrative, en particulier en direction des entreprises. Il convient de les laisser produire leurs effets, qui ne peuvent être tous immédiats.

Sur l’aspect fiscal de l’expatriation, qui constituait la préoccupation principale des promoteurs de la commission d’enquête, les choses sont parfaitement claires pour la majorité des membres de celle-ci. La motivation fiscale, d’ailleurs quasiment jamais avouée par les intéressés, n’est ni première ni essentielle. Il ne faut cependant la nier pour une partie ultra-minoritaire des expatriés. Elle encoure une totale réprobation, car comme l’a indiqué le secrétaire d’État en charge des Français de l’étranger : « C’est un fait : alors que la situation budgétaire de notre pays exige les efforts de chacun, certains partent s’installer à l’étranger avec l’unique objectif d’échapper à l’impôt en France. Ceux qui adoptent ce comportement scandaleux et inacceptable refusent le devoir de solidarité entre Français dans un moment particulièrement difficile et mettent à mal notre pacte républicain. Ils se soustraient au paiement de l’impôt alors même qu’ils ont largement profité de structures financées par l’impôt et à la qualité reconnue, qu’il s’agisse des services publics d’éducation, de santé et de formation ou de nos infrastructures. » (240)

Si certaines des critiques adressées à notre système fiscal peuvent être débattues, notamment en ce qui concerne l’instabilité de la norme, la majorité des membres de la commission n’est pas disposée, comme certains pouvaient l’espérer, à « détricoter » la politique fiscale menée depuis le début de la Législature, politique qui obéit à la double exigence du redressement de nos comptes publics et de la justice dans la répartition des efforts qui sont demandés à chacun de nos concitoyens. Elle l’est d’autant moins que, s’agissant de l’optimisation fiscale pratiquée par les grandes entreprises internationales, elle se sent confortée par les évolutions perceptibles tant chez nos principaux partenaires – au premier rang desquels les États-Unis – qu’au niveau des organisations internationales – qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de l’OCDE.

Enfin, comme ses devancières, la commission d’enquête a pu constater la faiblesse et les lacunes de la connaissance que nous avons du phénomène de l’expatriation, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Remédier à cette situation, fort ancienne et largement partagée au-delà de nos frontières, ne serait pas si anecdotique. Ce n’est que par une meilleure connaissance de l’expatriation que nous pourrons nous convaincre que celle-ci constitue une richesse pour notre pays et que nous pourrons mettre un terme aux idées reçues, aussi fausses que communément répandues, qui nourrissent notre tendance au pessimisme.

RÉCAPITULATION DES PROPOSITIONS

Proposition 1 : Améliorer le registre des Français établis hors de France en :

– communiquant davantage sur l’utilité pour les intéressés, et pour leur pays, de s’inscrire au registre mondial ;

– harmonisant les formulaires d’inscription et d’actualisation et standardiser l’enregistrement des données pour que tous les postes consulaires aient le même niveau d’information et le même traitement informatique ;

– étoffant les informations demandées, lors de l’enregistrement comme à son actualisation ou au renouvellement de l’inscription, en faisant préciser notamment les pays de naissance (principal critère de sélection retenu par les bases de données internationale), les niveaux d’études, les emplois occupés (profession et secteur d’activité) et la situation au regard de l’emploi ;

– réduisant les délais (par exemple de cinq à trois ans) pour le renouvellement des inscriptions et l’actualisation des informations individuelles, en utilisant en priorité la voie internet pour ces échanges ;

– prévoyant l’accessibilité des données globalisées du registre en créant une base qui rassemblerait les informations retraitées et serait consultable sur le site du ministère des Affaires étrangères.

Proposition n° 2 : Encourager le recoupement des recensements nationaux, en développant la coopération entre États.

Proposition n° 3 : Encourager la réalisation d’études qualitatives sur la situation et le profil socio-économique des Français à l’étranger, à partir du registre des Français établis hors de France.

Proposition n° 4 : Créer, sous l’égide de l’INSEE, un centre d’information, de recherche et de coopération sur l’émigration, qui pourrait prendre la forme d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS).

Proposition n° 5 : Généraliser les visas pluriannuels à tous les étudiants étrangers.

Proposition n° 6 : Assouplir la condition de ressources aujourd’hui exigée pour la délivrance des visas étudiants.

Proposition n° 7 : Rationaliser l’organisation des agences en charge de la mobilité sortante et de la mobilité entrante des étudiants.

Proposition n° 8 : Encourager les universités et autres établissements d’enseignement supérieur à renforcer leurs stratégies en matière d’ouverture à l’international.

Proposition n° 9 : Améliorer les outils statistiques permettant à l’administration fiscale de mieux mesurer le phénomène du retour en France des redevables de l’ISF et de l’impôt sur le revenu.

Proposition n° 10 : Développer la « relation de confiance » entre l’administration fiscale et les contribuables, notamment pour les personnes physiques et amplifier le recours au rescrit fiscal.

Proposition n° 11 : Encourager les services administratifs à faire évoluer leurs relations avec les entreprises, notamment les plus petites, vers davantage de conseil.

Proposition n° 12 : Réussir la fusion programmée entre l’agence Ubifrance et l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII).

Proposition n° 13 : Progresser vers une stabilisation de l’« horizon fiscal », en s’engageant à ne pas modifier certains paramètres fiscaux stratégiques sur une échelle pluriannuelle.

Proposition n° 14 : Limiter le recours à la rétroactivité de la loi fiscale.

Proposition n° 15 : Pérenniser la French Tech et conserver son ciblage vers les start-up.

Proposition n° 16 : Institutionnaliser et réunir à un rythme régulier le Conseil stratégique de l’attractivité et la Conférence des dirigeants français d’entreprises étrangères.

Proposition n° 17 : Œuvrer au niveau communautaire pour l’adoption de directives européennes plus contraignantes en matière d’imposition des sociétés.

Proposition n° 18 : Soutenir l’action menée par l’OCDE dans le cadre de la lutte contre les pratiques des entreprises multinationales, afin de mettre fin à l’érosion des bases d’imposition et au transfert artificiel de bénéfices vers certains pays ou territoires dans le but de se soustraire à l’impôt.

Proposition n°19 : Introduire une obligation pour les entreprises de déclarer au préalable à l’administration leur schéma d’optimisation fiscale, comme cela se pratique en Grande Bretagne et aux États-Unis.

Proposition n° 20 : Construire avec les principaux réseaux d’influence (notamment les chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international, les associations d’expatriés et les réseaux d’anciens élèves des grandes écoles) une stratégie de sensibilisation de nos compatriotes à la défense des intérêts de la France.

Proposition n° 21 : Construire avec les principaux acteurs de l’accompagnement des expatriés français une base d’information partagée, et régulièrement actualisée, présentant et mettant en lien les dispositifs publics et les initiatives privées développés pour les aider dans leur installation et dans leur vie à l’étranger.

Proposition n° 22 : Préserver les capacités d’accueil du réseau des écoles françaises à l’étranger, la qualité de son enseignement et son accessibilité à toutes les familles françaises.

Proposition n° 23 : Réfléchir à la création d’un guichet unique (mais décliné sur l’ensemble du territoire) permettant aux Français quittant notre pays pour s’installer à l’étranger de régler l’ensemble des démarches administratives nécessaires (civiles, sociales, fiscales, etc.)

Proposition n° 24 : Organiser dans les postes consulaires un service plus structuré d’information et d’orientation sur les institutions et les procédures administratives locales.

Proposition n° 25 : Rationaliser et simplifier les diverses formalités exigées lors de la réinstallation de nos compatriotes et réfléchir à la mise en place d’un guichet unique pour les principales démarches administratives.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission d’enquête a examiné le présent rapport lors de sa réunion du mardi 7 octobre 2014.

M. le président Luc Chatel. À l’occasion de cette dernière réunion de notre commission d’enquête parlementaire, je tiens à vous remercier, mes chers collègues, d’avoir participé à nos travaux pendant six mois.

Nous avons organisé 34 auditions et entendu plus d’une cinquantaine de personnes, que traduisent 400 pages de compte-rendu annexées au rapport final. Lui seront également annexées les contributions que certains d’entre vous ont rédigées.

Je souhaite également remercier les administrateurs de l’Assemblée nationale, autour de M. Philippe Hurtevent, qui ont beaucoup œuvré pour nous aider à remplir notre mission.

M. Yann Galut, rapporteur. Je remercie à mon tour les participants à cette commission d’enquête, dont les débats ont été riches, ainsi que les administrateurs.

Je suis convaincu que la question de l’expatriation des Français doit être analysée avec mesure et sans esprit partisan, afin de ne pas nourrir notre sinistrose et cette forme de délectation morose qui nuit tant à l’image de notre pays à l’étranger.

Comme plusieurs de mes collègues, sur quelques bancs qu’ils siègent, et comme un certain nombre des personnes que nous avons auditionnées, je ne me suis pas retrouvé dans l’emploi du mot exagéré d’« exil » dans l’intitulé de la commission d’enquête. Naturellement, il n’est plus possible de modifier ce titre, qui figure dans le texte de la résolution adoptée par notre Assemblée. Dans mon rapport, je me suis toutefois efforcé de gommer toute idée de stigmatisation de nos compatriotes qui ont décidé de construire leur parcours personnel et – ou – professionnel hors de nos frontières.

Il n’est pas pour autant illégitime de s’interroger sur les raisons de l’expatriation de nos compatriotes et sur ce que celle-ci dit de l’attractivité et de la compétitivité de la France.

Plusieurs personnes auditionnées ont indiqué qu’il ne fallait pas s’inquiéter du fait que le nombre de Français résidant à l’étranger ait augmenté au cours des dernières années – plus rapidement que la population française dans son ensemble – soulignant que cette évolution marquait avant tout un rattrapage et une meilleure insertion de notre pays et de ses ressortissants dans la mondialisation. Il ne faut pas s’en inquiéter car ce phénomène marque d’abord la réussite de politiques volontaristes, librement adoptées par notre pays : la construction européenne – près de la moitié de nos résidents à l’étranger vit en Europe – et l’internationalisation de l’enseignement supérieur, dont Erasmus est le visage.

Cependant, il existe d’autres explications moins positives. On ne peut nier que la situation économique de notre pays, marquée par l’absence de croissance et par un recul de sa compétitivité et de son attractivité au cours des dix dernières années, joue un rôle. Des éléments relevant davantage de la culture ou de l’organisation de la société française ont été également évoqués à plusieurs reprises. Nos compatriotes manqueraient ainsi d’esprit d’entreprendre ou de goût du risque, et la valeur travail déclinerait ; la panne de la mobilité sociale et la culture du diplôme renforceraient également l’attrait de l’étranger.

Il est évident que le rapport de la commission d’enquête ne pouvait pas aborder toutes ces questions dans le délai de six mois qui lui était imparti.

Plus modestement, nous avons souhaité inscrire l’expatriation croissante de nos compatriotes dans le cadre plus global de la mondialisation et avons observé que toutes les économies développées connaissaient un phénomène analogue.

Je ne m’appesantirai pas sur la première partie du rapport qui présente un portrait des Français expatriés, soit une population plus jeune, plus active et plus diplômée que l’ensemble de la population française. Cette partie comporte également des données comparatives, émanant de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – qui confirme le retard de la France par rapport à nos principaux partenaires qui comptent une diaspora plus ancienne et plus nombreuse.

Cette première partie est surtout l’occasion de faire apparaître les lacunes des outils à notre disposition pour acquérir une connaissance fiable et fine de la population des Français de l’étranger. Ces manques ne sont pas propres à la France, mais ils sont dommageables et il conviendrait d’y remédier. C’est pourquoi le rapport présente plusieurs propositions tendant à améliorer d’abord l’instrument principal que constitue le registre des Français établis hors de France : communiquer davantage sur son utilité pour nos compatriotes, standardiser l’enregistrement des données et étoffer les informations demandées pour permettre des approches plus qualitatives. Au-delà du registre, il conviendrait de doter notre pays d’un outil adéquat, au sein de l’Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE – par exemple, permettant de réaliser, selon des modalités rigoureuses, des études qualitatives de la population expatriée.

La deuxième partie du rapport aborde la question du développement de l’expatriation des Français au cours des dernières années. Elle évoque la généralisation de la mobilité internationale des étudiants, qui marque la réussite d’une politique volontariste symbolisée par le programme Erasmus. Mais au-delà de ce programme phare, d’ailleurs renforcé dans le cadre du programme Erasmus + pour les années allant de 2014 à 2020, cette internationalisation des études supérieures s’avère une tendance irrésistible. Elle répond à une triple demande : celle des étudiants, celle des entreprises et celle des commissions d’évaluation des formations et de certification des diplômes, pour lesquelles l’ouverture des établissements à l’international est un signe d’attractivité pour les étudiants et de meilleure qualité relative des diplômes.

En ce domaine, il convient d’être vigilant pour que cette mobilité internationale des étudiants perde son caractère de « marqueur social » – pour reprendre l’expression de la directrice générale adjointe de Campus France. Sans vouloir opposer les grandes écoles et les universités, il est indispensable d’encourager ces dernières à renforcer leurs stratégies d’ouverture vers l’étranger.

En matière d’internationalisation de l’enseignement supérieur, il convient également de ne pas raisonner seulement en termes de mobilité sortante, de ne pas oublier que la France se classe troisième en matière d’accueil d’étudiants étrangers et d’avoir à l’esprit que le nombre d’étudiants venant dans notre pays est plus de quatre fois supérieur à celui des jeunes Français partant étudier hors de nos frontières. À cet égard, il convient d’œuvrer à conforter notre place et l’attractivité de notre enseignement supérieur, en évitant de dresser devant les étudiants étrangers des obstacles administratifs, comme la circulaire Guéant a pu l’être dans le passé.

Après l’internationalisation des études supérieures, le rapport se penche sur celle des parcours professionnels, qui concerne la majorité des Français installés à l’étranger. Au regard des données issues du registre, la population française expatriée est donc majoritairement en âge de travailler, et ses taux d’emploi et d’activité sont très supérieurs à la moyenne nationale.

Cette dynamique s’explique par le fait que les expériences à l’étranger sont reconnues comme un réel atout dans une carrière professionnelle, tant par les salariés que par les entreprises. Les personnes auditionnées ont été unanimes sur ce point. Par ailleurs, le développement des départs d’actifs français à l’étranger répond largement aux évolutions d’un marché du travail devenu mondial. D’ailleurs, il faut souligner que sur ce marché, les Français – nos ingénieurs, par exemple – sont valorisés, voire courtisés dans certains secteurs.

Pour autant, le taux d’expatriation des jeunes diplômés n’a pas connu d’évolution exceptionnelle au cours des dernières années, si l’on en croit les chiffres de la Conférence des grandes écoles – CGE. Il faut donc parler plutôt d’une croissance continue, s’inscrivant dans l’internationalisation des marchés du travail.

Par ailleurs, ces données viennent nuancer l’idée reçue et très répandue, selon laquelle les jeunes diplômés français préféreraient s’expatrier pour créer leur entreprise. Je renvoie sur ce point à l’audition de M. Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC, qui nous a indiqué que les jeunes créateurs savaient certes qu’il leur faudrait un jour développer leur entreprise à l’étranger, mais que leur réflexe était plutôt de créer leur entreprise en France afin de bénéficier d’un environnement qu’ils connaissent bien et de leurs réseaux.

Si la dynamique mondiale joue son rôle, il est illusoire d’ignorer que cette mobilité internationale accrue se trouve aussi encouragée par une moindre attractivité du marché français du travail, notamment du fait du taux de chômage élevé des jeunes ou du poids de la hiérarchie des diplômes en France qu’ont évoqué plusieurs personnes auditionnées.

La troisième partie du rapport s’intéresse à la compétitivité et à l’attractivité de la France. Le premier point abordé est celui de l’exil fiscal, qui était au cœur des préoccupations des promoteurs de la commission d’enquête. Celui-ci n’est pas un phénomène nouveau qui aurait commencé avec l’élection de M. François Hollande ! J’observe en outre que la motivation fiscale du départ n’est presque jamais mise en avant, à l’exception d’une infime minorité.

Sur ce point, la position du rapporteur, et je l’espère celle de l’ensemble des membres de la commission, est claire : il faut dénoncer ces comportements qui marquent un refus du devoir de solidarité entre Français dans un moment particulièrement difficile, comme l’a déclaré devant nous M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé notamment des Français de l’étranger. Les professionnels élaborent à ce sujet beaucoup d’observations empiriques, pour ne pas dire impressionnistes. Néanmoins, la connaissance du phénomène progresse, notamment grâce à l’heureuse initiative du président Gilles Carrez de demander un rapport annuel au ministère des Finances.

Mon rapport exploite ainsi les données figurant dans les deux rapports remis par le ministère des finances, le second datant du 26 septembre dernier.

Il convient tout d’abord de souligner qu’il existe des difficultés techniques réelles qui ne rendent pas aisée la connaissance des départs – ou des retours – des contribuables. Le directeur général des finances publiques l’a expliqué devant nous de manière très claire : les outils de l’administration sont orientés, non vers le suivi statistique, mais vers la gestion de l’impôt lui-même avec un équilibre délicat entre les besoins de l’administration et les obligations déclaratives imposées aux contribuables. Ces obstacles sont réels, et il ne s’agit pas d’une volonté de l’administration de cacher des informations qui seraient gênantes ; les avocats fiscalistes entendus par la commission n’ont d’ailleurs pas contredit la réalité de ces difficultés.

Je renvoie au rapport pour revoir les données plus précises et je m’en tiens à quelques éléments synthétiques.

Le nombre des départs de redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – qui possèdent donc un patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros – a beaucoup augmenté entre 2004 et 2007, avant de s’établir autour de plus de 500 départs annuels – 587 en 2012 ; ces contribuables disposent d’un patrimoine plus élevé que la moyenne des redevables de l’ISF ; de plus, la répartition de ce patrimoine montre une forte concentration. Les déclarations relatives à l’exit tax font apparaître 522 départs en 2011 et 2012, dont 469 ont déclaré une plus-value positive ; le montant cumulé atteint 4,5 milliards d’euros, soit une plus-value moyenne de 9,7 millions d’euros ; là encore, on observe une forte concentration. Le nombre de départs de redevables à l’impôt sur le revenu – IR – augmente depuis 2011, que l’on regarde le nombre total ou seulement les redevables disposant d’un revenu fiscal de référence élevé.

Le rapport s’attache à décrire ce qui dans notre législation fiscale est jugé le plus pénalisant en France et ce qui est présenté comme le plus attractif chez nos voisins : la fiscalité des plus-values mobilières, l’ISF – même si j’observe que les deux derniers avocats fiscalistes auditionnés en ont largement relativisé l’importance –, la fiscalité des stock options et des attributions gratuites d’actions, et les contrôles fiscaux. Symétriquement, ce qui est présenté comme attractif à l’étranger touche à la fiscalité très favorable du patrimoine en Belgique, au régime du forfait fiscal en Suisse ou à celui des non domiciliés au Royaume-Uni.

Cependant, il est indispensable d’aller au-delà des idées reçues sur le système fiscal français. D’une part, il est impossible de faire abstraction des services publics et des transferts sociaux qui sont financés par l’impôt et qui sont la contrepartie des efforts demandés aux citoyens. D’autre part, la fiscalité française n’est pas beaucoup plus lourde qu’ailleurs, notamment pour les revenus moyens. Le rapport présente ainsi une comparaison très éclairante des barèmes de l’IR chez nos voisins. En outre, la France n’est pas la seule à avoir introduit un dispositif du type exit tax.

En matière fiscale, il est indispensable de trouver l’équilibre entre l’exigence du redressement de nos comptes publics, celle de la justice fiscale et l’attractivité de notre pays. Je suis totalement solidaire de cette politique, poursuivie depuis deux ans.

Néanmoins, il existe deux aspects de la question fiscale qui méritent de retenir l’attention et d’être débattus : l’amélioration des relations entre l’administration fiscale et les contribuables – personnes physiques comme entreprises –, le développement d’une « relation de confiance » grâce au rescrit fiscal et un effort de stabilisation de la norme fiscale.

S’agissant de l’attractivité économique de la France, il est incontestable que notre pays a souffert des effets directs de la crise et de l’essor parfois fulgurant des économies émergentes. Les acteurs économiques, français comme étrangers, jugent sévèrement l’évolution de notre économie depuis dix ans et pointent un déficit d’image à l’étranger, une compétitivité affaiblie et un environnement administratif pesant.

Comment établir la part de la mondialisation dans les difficultés que traverse la France pour maintenir son attractivité ? L’approfondissement de la mondialisation entraîne en tout cas la perte de portée progressive du concept de frontière économique.

Dans ce contexte, il est clair que les décisions d’implantation des centres de production et des équipes de direction ne se fondent pas d’abord – contrairement à ce que l’on veut nous faire croire – sur des considérations fiscales, mais sur la localisation de l’activité économique ; cela est vrai pour les grands groupes – je vous renvoie à l’audition du secrétaire général de Total – comme pour les PME ou les start-up. Pour ces dernières, la présence presque obligatoire hors de nos frontières n’est pas forcément négative pour l’activité et pour l’emploi en France ; ainsi, M. Jérôme Lecat nous a expliqué que son entreprise employait 30 personnes dans la Silicon Valley – d’où il ne peut être absent étant donné son secteur d’activité – et 60 en France.

Le rapport ne veut donc pas sacrifier à notre pessimisme national. La France dispose d’atouts dont les principaux, selon les dirigeants d’entreprises internationales implantées en France, sont : la qualité des infrastructures de communication, de transports et logistiques, la taille du marché intérieur, la formation et la qualification des salariés, le tissu industriel, et l’écosystème d’innovation et de recherche et développement – R&D. Ces ressources ne nous dispensent pas de déployer une politique active de renforcement de l’attractivité de la France, qui devrait reposer sur l’amélioration de l’environnement administratif des entreprises – il ne s’agit pas de nier le chemin déjà parcouru ou en voie de l’être mais de s’orienter, comme nos voisins, vers un service administratif organisé davantage en conseil des entreprises, notamment des plus petites, qu’en organisme d’envoi et de réception de formalités administratives –, la stabilisation de la règle fiscale, en évitant les modifications continuelles et en limitant le recours à la rétroactivité fiscale, et le développement de la communication sur les atouts de la France ; seule une stratégie de ce type peut répondre au déficit d’image et, à cet égard, l’initiative de la French Tech constitue un exemple à suivre.

En revanche, mener une politique de compétitivité ne doit pas nous entraîner sur le dangereux terrain de la concurrence sociale et fiscale. Si l’on en juge par les récentes annonces faites aux États-Unis, la France n’est pas la seule à être touchée et à vouloir réagir. En ce domaine, la réponse est à rechercher au niveau international : au sein de l’Union européenne d’abord – je renvoie aux trois enquêtes approfondies lancées par la Commission européenne sur les politiques fiscales d’Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg –, à l’OCDE et au G20 ensuite ; l’OCDE vient ainsi d’élaborer des propositions pour lutter contre les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales en matière d’érosion des bases d’imposition et de transfert artificiel des bénéfices.

Si les règles fiscales engendrent des délocalisations à l’étranger de sièges sociaux ou de centres de décision, la solution ne consiste pas à se livrer à une course perdue d’avance en matière de dumping fiscal, mais au contraire à contraindre les États acteurs de ce dumping fiscal à s’aligner sur des standards internationaux. La France n’est fort heureusement plus isolée dans ce combat.

Enfin, le rapport se termine sur la conviction que la présence de plus de 2 millions de nos compatriotes hors de nos frontières constitue un atout majeur pour notre pays. Il est de notre intérêt de mener ce que certains appellent une « politique diasporique active ». Nous ne partons pas de rien et nous disposons déjà d’outils puissants : des réseaux consulaires et d’enseignement à l’étranger uniques au monde, un système de représentation des Français de l’étranger qui a été rénové et qui s’avère très structuré, et des acteurs économiques soutenant nos entreprises, notamment le réseau des services économiques de l’État ou celui des chambres de commerce et d’industrie – CCI – à l’international.

Le rapport émet quelques propositions visant à renforcer la coordination de tous les acteurs, à sensibiliser nos compatriotes à la défense des intérêts de la France, et à les accompagner dans leurs démarches lors de leur départ et au cours de leur vie quotidienne à l’étranger.

En conclusion, je ne pense pas que, pour reprendre les termes de l’exposé des motifs de la proposition de résolution à l’origine de la création de la commission, nous soyons en face d’une « situation inquiétante pour l’attractivité économique de la France et préjudiciable à son influence dans le monde ». Je nourris même le sentiment contraire. Je suis convaincu que la France est riche de ses hommes et de ses femmes, qu’ils résident sur son territoire ou qu’ils aient choisi de mener leur parcours personnel ou professionnel à l’étranger.

M. Philip Cordery. Je tiens à saluer le remarquable travail du rapporteur, Yann Galut, et de l’ensemble des membres de la commission. Les conclusions et les propositions du rapport redonnent un sens à nos travaux et gomment le présupposé dangereux et stigmatisant envers les Français qui habitent à l’étranger que recelait l’intitulé de la commission d’enquête.

Le rythme de la croissance du nombre de Français partant à l’étranger s’est accéléré ces dix dernières années, mais peut-on qualifier ce phénomène d’exil ? Je ne le pense pas. Il s’agit d’un rattrapage, illustrant la mobilité accrue de la population française ; les déplacements à l’étranger dans les pays du nord ont augmenté de 65 % au cours de la dernière décennie, soit le double que lors de la précédente. Les Français ont longtemps été plus sédentaires que les Allemands, les Britanniques ou les Italiens, et nos compatriotes vivant à l’étranger ne représentent encore que 2,9 % de la population nationale contre 5,2 % des Allemands et 7,6 % des Britanniques.

La plus grande insertion de notre pays dans la mondialisation, évolution positive, découle d’une meilleure connaissance des langues étrangères, du développement de la mobilité européenne via Erasmus et d’une hausse du nombre de diplômés. La sociologie des Français à l’étranger a, elle aussi, beaucoup changé : plus composite, elle diffère fortement de l’image stigmatisante de l’émigré fiscal. La Belgique a connu une forte progression du nombre de Français s’installant sur son territoire – elle est le quatrième pays accueillant le plus de Français –, ceux-ci étant pour la plupart des salariés, soumis au système d’imposition belge, plus lourd sur le travail qu’en France. Ils ne sont donc pas partis pour échapper à l’impôt !

Élu des Français de l’étranger, je suis en contact quotidien avec eux et peux vous assurer qu’ils ne sont pas des émigrés fiscaux, mais plutôt des étudiants, des salariés, des retraités et des familles. Certains peuvent choisir de partir pour payer moins d’impôts, mais beaucoup sont revenus après avoir constaté le prix à payer pour l’éducation et la santé, aux États-Unis notamment, qui les laissait avec un pouvoir d’achat plus faible.

On ne peut pas nier l’exil fiscal, que nous déplorons et combattons, mais il a toujours existé. Depuis deux ans, la réorientation de l’Union européenne engagée par le Président de la République permet d’envisager la convergence fiscale en Europe. Le rapporteur a formulé plusieurs propositions que je soutiens, comme le rapprochement des taux d’impôt sur les sociétés – IS – ou la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales.

Il n’y a pas lieu de douter de l’attractivité de la France ; nous avons abrogé la circulaire Guéant, ce qui a permis le retour d’un certain nombre d’étudiants étrangers, nos universités sont reconnues, et la France constitue le troisième pays en matière d’accueil d’étudiants – plus de 290 000 au cours de l’année universitaire 2012-2013. La mise en œuvre des propositions du rapporteur consolidera ce chiffre grâce à une politique de visa plus adaptée. La fusion des établissements Campus France et de l’agence Europe éducation formation France – 2E2F – permettrait de développer une stratégie intégrée de la mobilité étudiante entrante et sortante ; la thèse de la fuite des cerveaux s’avère nulle et non avenue.

La fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux – AFII –, en cours, créera une force de frappe plus cohérente à l’étranger, surtout que la diplomatie économique déployée par M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international, renforce l’attractivité de notre pays à l’étranger.

Le plus important est de changer le regard porté sur les Français de l’étranger, qui constituent une force vive, un outil d’influence et une richesse pour la France. L’accompagnement de nos concitoyens à l’étranger représente un véritable défi ; les Français établis hors de notre pays affrontent de nombreuses difficultés en matière d’enseignement, de système fiscal, de droits sociaux comme la retraite et de sécurité sociale. À l’image de la démarche de la French Tech, portée aujourd’hui par Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, le rapporteur suggère de créer un observatoire de la mobilité, chargé de mieux connaître et de mieux répondre aux enjeux de l’expatriation, et un guichet unique pour ceux voulant partir et ceux souhaitant revenir. Ces idées sont très intéressantes.

La différence entre l’UMP et la majorité réside dans la peur de la mobilité exprimée par la droite, figée dans son conservatisme, alors que nous souhaitons l’encourager et l’accompagner car nous estimons que les Français de l’étranger représentent une richesse pour notre pays. Je voterai donc avec enthousiasme pour l’adoption de ce rapport.

M. Étienne Blanc. Ce rapport n’est rien d’autre qu’un plaidoyer pour la politique fiscale et sociale du Gouvernement ; à la page 213, il est ainsi écrit que le rapport vise à éviter de la détricoter. Élu dans une circonscription frontalière, je me demande si l’on a bien pris conscience de ce qui se passe dans notre pays : 400 000 Français travaillent tous les jours à l’étranger dans les zones limitrophes des pays voisins, et moins de 10 000 étrangers effectuent le chemin inverse. Il y a quarante ans, les flux étaient exactement inverses. Et on dit que ce phénomène n’est pas grave, que les Français s’exportent et que l’on va créer une agence pour tenter de les faire revenir, mais la réalité dément totalement ce diagnostic. Dans l’Ain et la Haute-Savoie, les 40 start-up créées il y a sept ans se sont toutes installées en Suisse. Tous les sièges sociaux ont quitté cette région ; le siège social de STMicroélectronics s’est déplacé de moins de trois kilomètres pour quitter le pays de Gex et s’implanter en Suisse. On constate également ce phénomène dans la zone d’Archamps en Haute-Savoie. À l’école hôtelière de Lausanne, 70 % des Français d’une promotion ne rentrent pas en France et travaillent à l’étranger.

Dans un pays où 1 % des Français paient 45 % de l’impôt sur le revenu, les chefs d’entreprise et les futurs cadres partent et la substance même de la richesse nationale avec eux. Vous niez totalement cette situation dans votre rapport, monsieur Galut, pour des raisons politiques et idéologiques. Je voterai donc contre l’adoption de ce rapport.

M. Christophe Premat. Ce rapport corrige la vision décliniste que M. Blanc vient d’exposer, à commencer par le titre qui comportait le terme très fort et inadapté d’« exil ».

La création d’un guichet unique pour le retour des Français dans notre pays constituerait une avancée, car ceux-ci sont confrontés à des difficultés – inscription dans une université ou reconnaissance des diplômes étrangers pour travailler – que l’on constate tous les jours.

Campus France fournit des indicateurs de l’attractivité de l’enseignement supérieur et élabore des formations attractives pour les étudiants étrangers. L’une des forces de ce rapport réside dans le rappel de l’effort à mener pour l’enseignement supérieur, notamment dans certaines filières.

Les auditions ont montré que nous manquions de connaissances sur le profil de la population des Français de l’étranger. Parmi vos propositions, monsieur le rapporteur, on retrouve l’idée de davantage communiquer sur le registre consulaire, démarche qui a déjà été enclenchée. Il est difficile pour le ministère des Affaires étrangères et du développement international de disposer d’un outil de prospective permettant de mieux connaître les flux migratoires des Français. Nous devons néanmoins chercher à le développer, car nous avons besoin de nous appuyer sur un état des lieux détaillé pour apporter des réponses aux Français qui souhaitent revenir dans notre pays.

Je voterai pour l’adoption de ce rapport.

Mme Sophie Rohfritsch. Je suis étonnée que ce travail parlementaire ne soit pas l’occasion d’établir un consensus sur l’exil des Français à l’étranger, phénomène de masse dont notre pays souffre durement. Nous aurions dû centrer notre réflexion sur le départ des forces vives de notre pays, et non sur la mobilité choisie des étudiants et des seniors, car celui-ci entraîne une perte de puissance et de visibilité à l’international pour notre pays. Or on a utilisé cette commission d’enquête pour défendre une politique massivement rejetée à l’étranger et en France. Nous aurions pu nous saisir de l’excellent travail réalisé par les services de l’Assemblée nationale et nous pencher sur les moyens de remédier à cette situation ou, à tout le moins, à la reconnaître.

Les auditions ont fait apparaître que les exilés quittaient notre pays en raison de l’environnement réglementaire, fluctuant, instable et source d’imprécisions. Par ailleurs, un étudiant qui se voit offrir un poste à l’étranger et un en France choisira le premier. De plus en plus de centres de décision partent à l’étranger ; la France n’en abrite plus et se trouve également vidée des centres de R&D. Notre pays se désindustrialise ou produit des biens et des services à faible valeur ajoutée. Toute activité qui comporte une forte valeur ajoutée quitte notre pays.

Je voterai contre l’adoption de ce rapport, et ce système de travail s’avère dangereux et ne doit pas être reproduit, sous peine d’une perte de crédibilité définitive.

M. Sergio Coronado. Je ne sais pas qui dévoie la procédure parlementaire et les prérogatives d’enquête et de mission que la Constitution et le Règlement de l’Assemblée nationale nous accordent, mais la proposition de création de cette commission d’enquête était mue par une scandaleuse vision politicienne. J’ai voté pour qu’elle se constitue, mais l’utilisation du terme d’« exil » s’avère inappropriée voire obscène pour quelqu’un comme moi qui ai vécu longtemps sous la protection des Nations unies avec le statut de réfugié politique.

Madame Rohfritsch, vous parlez d’un phénomène de masse, mais comment faudrait-il qualifier la situation en Espagne, au Portugal, au Royaume-Uni ou même en Allemagne ? D’une saignée ? La France n’est pas un pays d’émigration, mais cela ne doit pas nous conduire à considérer tout départ comme un échec que nous « subirions » ou dont nous « souffririons », selon vos termes. Au contraire, je crois que la mobilité accrue d’une partie de notre population et de nos élites constitue une chance pour la France, car elle lui permet de s’inscrire dans ce phénomène désormais ancien qu’est la mondialisation.

Nous regrettions au début de la mission de ne pas disposer de suffisamment de données d’enquête et nous pouvons maintenir ce constat après les auditions. On discute de manière idéologique et démagogique sans éléments statistiques robustes ni enquêtes de chercheurs ; pensons que nous n’avons même pas entendu les responsables du programme eDiasporas qui travaillent sur la connectivité des communautés françaises à l’étranger !

Notre devoir réside dans l’objectivité, dans la distance et dans la nécessité de mener une analyse sur le temps long, car tout n’a pas commencé en 2012. Les auditions les plus denses ont montré qu’une mutation du profil des expatriés s’opère depuis une dizaine d’années – certains ont parlé de « génération Erasmus » –, la France suivant désormais le rythme de l’évolution du monde.

J’ai ressenti un malaise tout au long des travaux de la commission, à mesure que j’entendais que tout départ à l’étranger traduisait un échec de notre pays ; cela ne reflète pas la réalité que les parlementaires représentant les Français de l’étranger vivent. Les expatriés considèrent leur départ comme une richesse engendrée par leur curiosité et leur envie de découverte, et ils ne nourrissent aucune animosité à l’égard de la France.

Mme Rohfritsch illustre bien notre incapacité à concevoir la mobilité comme un atout. Il suffit d’interroger les personnels détachés de l’éducation nationale qui ont travaillé à l’étranger sur le sort peu enviable qui leur est réservé lorsqu’ils reviennent en France. Nous envisageons difficilement l’ouverture à laquelle le monde nous contraint aujourd’hui. Or vivre à l’étranger pendant quatre, cinq ou six ans ne constitue ni une fuite, ni un exil, mais une étape dans un parcours professionnel, universitaire ou personnel.

Monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir rétabli quelque objectivité dans votre rapport dont je soutiens l’adoption. Il y manque tout de même des éléments quantitatifs et qualitatifs sur la population des expatriés français.

M. Frédéric Lefebvre. Au moment de la création de la commission d’enquête, j’avais émis des réserves sur la méthode et sur l’intitulé de notre travail ; on s’est d’ailleurs aperçu que les thématiques traitées dépassaient les seules forces vives. Nous devons combattre le risque de deux formes de caricature : la première tombe dans le déni et affirme que tous les départs sont volontaires, et la seconde ne voudrait voir qu’un tableau où tout le monde quitterait la France en raison de sa politique fiscale. Entre les deux caricatures, il y a la place pour une autre politique !

J’ai beaucoup hésité à participer à la commission : mon collègue Thierry Mariani a décidé de ne pas en être membre, alors que nous avions ensemble pointé les questions que sa création posait. J’ai rédigé une contribution dans laquelle je tente de démontrer la nécessité de changer notre politique publique. Contrairement à ce qu’a dit le rapporteur, l’exit tax constitue une grande erreur, élaborée par le Gouvernement auquel j’appartenais – malgré les réserves que j’avais exprimées, à l’époque – et considérablement durcie par l’actuelle équipe gouvernementale. À l’époque, les start-up quittaient le pays à cause de la fiscalité afin de réaliser leur plus-value à l’étranger ; face à cette situation, on a créé un dispositif qui incite les jeunes entrepreneurs à partir avant même d’avoir créé leur entreprise.

La mobilité représente en effet une chance exceptionnelle pour notre pays : souhaitons-nous réellement une France rétrécie sur l’hexagone où même les frontières de l’Europe font peur ? Je me souviens que l’on culpabilisait les jeunes il y a vingt ans en affirmant qu’ils ne parlaient pas anglais, ne voulaient pas quitter la France et désiraient devenir fonctionnaires ; aujourd’hui, on les culpabilise encore en leur reprochant de vouloir partir. Nous sommes dans une forme de schizophrénie.

Avec l’Internet et les transports à bas coût, le monde se révèle tout petit et nous pouvons ainsi partir facilement à sa rencontre. Mais qui peut profiter de ces opportunités ? Le rapport ne traite pas de ce sujet ; or la mobilité n’est offerte qu’aux élèves des grandes écoles voire aux étudiants de l’université, alors que tellement de jeunes en apprentissage ou provenant de quartiers dits difficiles auraient besoin de découvrir d’autres pays, mais aucune politique n’est développée pour les y aider. À Montréal, de nombreux jeunes Français viennent des quartiers nord de Marseille et du département de Seine-Saint-Denis, et se sont installés au Québec car ils n’avaient pas d’espoir en France ; ils réussissent, sont fiers d’être Français et portent le drapeau de notre pays.

Certains Français vivent cinq ans maximum à l’étranger afin d’enrichir leur expérience, mais d’autres sont installés hors de nos frontières depuis trente ou quarante ans, et il y a lieu de s’en réjouir. Notre pays a d’importants progrès à réaliser dans le domaine de l’exportation, et il est de son intérêt que des Français soient installés à l’étranger pour favoriser les échanges commerciaux avec notre pays.

Le rapport n’évoque pas hélas le déficit dont nous souffrons en matière de lien avec nos compatriotes vivant à l’étranger. Plutôt que de les culpabiliser, nous devrions aider les étudiants munis d’un baccalauréat international à surmonter les obstacles mis par les universités à leur inscription ; de même, l’État se désengage dans les écoles à l’étranger depuis deux ans, ce qui crée de telles difficultés que certains députés socialistes ont voté l’amendement au texte gouvernemental que j’ai défendu sur les bourses scolaires. J’ai entendu M. Matthias Fekl, le nouveau ministre des Français de l’étranger, dire qu’il regarderait les dossiers au cas par cas : on lui en enverra, mais on nous avait déjà tenu le même engagement il y a un an.

S’agissant de l’aide médicale d’État – AME –, la France doit continuer d’être généreuse même si les étrangers doivent payer quelque chose ; en outre, j’ai déposé une proposition de loi pour revenir sur cette situation inacceptable qui veut que nos compatriotes décidant de revenir en France et souffrant d’un problème de santé n’aient pas le droit aux soins immédiats et doivent attendre un délai de carence, contrairement aux étrangers. Nous devons traiter ces sujets ! De même, nous déployons de nombreux efforts pour attirer les investisseurs étrangers en France, mais nous créons de nombreuses difficultés aux Français souhaitant défendre leur patrimoine : nous voyons ainsi partir tous nos châteaux, tous nos vins et tout l’immobilier. Je préférerais que l’on soutienne les Français qui partent à la conquête du monde plutôt que de laisser vendre la France. Que l’on cesse de les culpabiliser et d’inventer des dispositions fiscales folles comme la contribution sociale généralisée – CSG ; en effet, faire acquitter des cotisations sociales par des personnes qui ne bénéficient pas de la protection sociale n’obéit à aucune logique et revient à créer une double imposition, car la CSG n’étant pas un impôt, elle n’entre pas dans le champ des conventions fiscales de non double imposition. Ce système fait d’ailleurs l’objet d’une procédure européenne.

Je voterai contre l’adoption de ce rapport, mais je ne veux pas que l’on caricature notre pays et nos compatriotes qui partent conquérir le monde comme les matelots des XVIe et XVIIe siècles.

Mme Claudine Schmid. Cette commission d’enquête s’était fixée pour objectif d’étudier l’évolution des départs de longue durée ou définitifs de nos compatriotes à l’étranger et de mettre en lumière les raisons qui motivent leur choix. Nous attendions des propositions afin qu’ils trouvent en France ce qu’ils cherchent à l’étranger. Or, monsieur le rapporteur, vous avez contesté cet objectif dès l’introduction de vos propos, et la lecture de votre rapport nous fournit une analyse globale de l’expatriation et de ses bienfaits. Nous comprenons que vous avez rencontré des difficultés dues au manque d’éléments chiffrés dans cette matière ; votre troisième proposition en fait état, et vous suggérez à juste titre d’élaborer des études qualitatives sur la situation et le profil socio-économique des Français de l’étranger. Dans le même but, vous souhaitez créer, par votre quatrième proposition, un centre d’informations.

Votre rapport ne répond pas à l’objectif de la commission ; il faut ainsi attendre sa troisième partie pour que vous traitiez de l’attractivité, de l’économie et de la compétitivité qui s’avèrent les sujets les plus préoccupants.

Nous saluons la proposition de renforcer l’ouverture à l’international des écoles et des universités, de même que vos suggestions en matière de l’entrée en France des étrangers – visas pluriannuels accordés à tous les étudiants étrangers et conditions de ressources pour la délivrance de visas. Nous soutenons également la création d’un guichet unique pour les Français de l’étranger et l’organisation d’un service d’information et d’orientation sur les procédures administratives locales dans les consulats. En tant qu’élue des Français de l’étranger, je me retrouve dans ces suggestions qui les défendent et qui améliorent les services que la France peut leur apporter ; de même, je sais tout ce qu’une expérience professionnelle à l’étranger apporte à une carrière.

Nous n’avons trouvé que sept propositions sur les motivations des départs et sur les offres que l’on pourrait formuler, ce qui est faible alors même que l’on constate qu’une grande proportion des personnes quittant la France sont titulaires d’un master ou d’un doctorat. Parmi vos 25 propositions, 17 sont hors sujet. Votre rapport ne trace aucune perspective pour répondre aux problèmes que vous avez longuement décrits, comme la hiérarchie des diplômes. Monsieur le rapporteur, devant ce faible ratio de propositions pertinentes pour le sujet, les députés UMP n’approuveront pas votre rapport, malgré l’importance de votre travail. Nous remercions le président et tous nos collègues pour l’esprit collectif qui a prévalu durant les auditions et des travaux. Nous remettons une contribution, à annexer à votre rapport, répondant à l’objectif de cette commission d’enquête.

M. Claude Sturni. Comme les autres membres du groupe UMP, ce rapport me déçoit ; il n’effectue pas la synthèse des auditions, mais il traduit votre parti pris d’avoir considéré dès le départ que le thème était mal posé. Plutôt que de lutter contre la sinistrose, nous devons reconnaître les faits et regarder la réalité en face. Renoncer à cela s’avère sans doute plus agréable, mais cela ne permettra pas aux parlementaires de contribuer à faire avancer notre pays. La mobilité internationale constitue un sujet intéressant, mais différent de celui que nous devions traiter. Nous n’avons donc probablement pas optimisé notre temps et les moyens de l’Assemblée nationale.  

Mme Monique Rabin. Je regrette le clivage qui nous sépare ; en effet, la commission d’enquête ne fut ni demandée ni approuvée par la majorité.

Nous avons décidé de nous pencher sur les parcours de l’ensemble des forces vives et, avec mes collègues de la majorité, nous avons récusé le postulat de départ qui visait à démontrer un phénomène d’exil. Ces deux choix étaient très cohérents l’un avec l’autre. Monsieur le rapporteur, vous n’êtes donc pas hors sujet ; les auditions que vous avez organisées furent, pour certaines d’entre elles, partisanes. On accuse le rapport de partialité, mais ce n’est rien par rapport à l’orientation de certaines auditions qui s’avéra totalement déplacée ; je pense notamment à deux séances où les intervenants – dont une personne d’un âge très avancé – n’étaient là que pour dire qu’il fallait quitter notre pays où plus rien ne se faisait. Heureusement que le rapport a arrondi ces prises de position.

Il est important d’avoir évoqué longuement la mobilité, car nous vivons dans un monde ouvert où il n’existe aucune raison pour que seule la circulation des personnes soit entravée quand celle des biens et des capitaux est libre.

Le rapport n’est pas sectaire et reconnaît le départ de certains Français pour des raisons idéologiques, comme cela a toujours existé, les récents exemples du show-business ne devant pas nous induire en erreur sur ce point ; je me souviens ainsi des personnes arrêtées à la frontière suisse en 1981 avec des lingots dans leur voiture.

Il existe un problème de confiance à l’égard de notre pays, et nous devons, comme nous l’a demandé le Premier ministre, porter collectivement la fierté d’une France qui ne va pas si mal que cela.

L’harmonisation fiscale, défendue par le rapport, permettra de répondre à de nombreux problèmes ; d’autres propositions sont déjà mises en œuvre comme la fusion entre Ubifrance et l’AFII qui renforcera l’attractivité de la France à partir du 1er janvier 2015. Monsieur le rapporteur, je souhaiterais aller plus loin que votre intéressante suggestion sur les visas : ces documents doivent être délivrés aux étudiants et aux chercheurs, mais il convient d’allonger la durée du visa au-delà du temps de la formation, comme le font les Allemands, afin de bénéficier d’ambassadeurs de notre pays dans les entreprises étrangères.

La proposition de Frédéric Lefebvre de permettre à des jeunes moins formés de bénéficier d’un séjour à l’étranger est intéressante, surtout que notre formation technique est de qualité. On pourrait en outre adapter le volontariat international en entreprise – VIE – à l’apprentissage.

L’organisation du ministère des Affaires étrangères et du développement international constitue un gage pour la réussite de l’application des propositions du rapport, car elle offre une vision transversale des choses.

Si nous étions tous honnêtes, nous pourrions nous retrouver dans ce rapport et constater, en cette année de centenaire de la création de l’impôt sur le revenu, que c’est uniquement la question fiscale qui nous sépare. Les combats restent les mêmes : l’impôt existe et nous permet d’offrir l’école républicaine à nos enfants et des services, qui constituent des facteurs d’attractivité, comme nous l’ont affirmé bon nombre de chefs d’entreprise.

M. Michel Piron. J’ai été étonné d’entendre des défenseurs de l’économie dite circulaire faire l’apologie de la mondialisation.

Ce n’est pas la mobilité qui se trouve en cause, mais sa nature ! La mobilité voulue diffère de celle qui est subie. Sergio Coronado citait tout à l’heure l’exemple de l’Espagne, où 54 % des jeunes sont au chômage et où la mobilité apparaît bien davantage contrainte que souhaitée ; on peut également ranger le Portugal et l’Italie – où 44 % de la population active de moins de 25 ans est au chômage – dans cette catégorie. Ne jouez pas sur la confusion : nous ne sommes pas des ennemis de la mobilité, mais nous constatons l’existence d’un phénomène de mobilité subie.

Quelles sont les raisons de cette situation ? La fiscalité joue un rôle évident, mais il existe d’autres raisons qu’il convient de déterminer.

J’ai été sensible à l’exposé exemplaire d’Étienne Blanc, élu d’une région frontalière. Comment ne pas être ébranlé par les chiffres qu’il a présentés sur la disproportion entre le nombre de nos compatriotes frontaliers allant travailler à l’étranger et celui des étrangers frontaliers effectuant le chemin inverse ?

J’ai recensé sept ou huit propositions qui visent à améliorer notre capacité de diagnostic sur ces sujets. Je ne suis pas ennemi d’un peu plus de lumière, mais ce rapport fait l’impasse sur les deux interrogations essentielles : reconnaît-on l’ampleur de la mobilité subie ? Quelles en sont les causes ? De ce fait, je voterai contre l’adoption de ce rapport.

M. le président Luc Chatel. Je suis surpris que les première et dernière séances de notre commission aient été en totale opposition au contenu de nos travaux. Mes chers collègues de la majorité, le groupe UMP a souhaité la création de cette commission d’enquête dans un esprit dépassionné. Il nous semblait que le départ de jeunes, de moins jeunes, de forces vives, d’actifs et de centres de décision constituait un réel sujet pour notre économie et pour notre unité nationale. Preuve de notre attitude non partisane, nous avons choisi une période longue, celle de la dernière décennie au cours de laquelle la droite a gouverné pendant huit ans : il ne s’agissait donc pas de stigmatiser la politique du Gouvernement depuis deux ans, mais de développer un regard partagé sur l’un des vrais problèmes de notre pays.

Je regrette donc que l’on ne soit pas capable de nous entendre sur le constat. Or nous devons mesurer ce phénomène au regard de ce qui se passe dans les grands pays développés afin de mieux le combattre. Le Gouvernement actuel aurait peut-être apprécié qu’un rapport de commission d’enquête parlementaire sur un sujet aussi important pour notre économie rencontre l’unanimité et propose des mesures fortes pour renforcer l’attractivité de notre pays.

J’ai essayé de présider cette commission de la manière la plus œcuménique possible, et je déplore que nous retrouvions aujourd’hui les clivages déjà exprimés à l’occasion de notre première séance.

Au cours de ces six mois, nous avons navigué entre omerta et déni. J’ai ainsi rencontré beaucoup de difficultés à faire témoigner certains acteurs économiques majeurs de notre pays qui, en face-à-face, expliquent qu’ils ne peuvent pas faire autrement que de localiser leurs directions financière ou de l’innovation à l’étranger, mais qui refusent de s’exprimer en public sur ces sujets de peur d’être stigmatisés – j’ai ainsi en tête les mots d’un dirigeant d’une entreprise du CAC 40 me disant préférer « rester sous les radars ». Quant au déni, le dernier rapport de la Direction générale des finances publiques indique que 500 contribuables quittent chaque année la France à cause de l’ISF, qui représentait 40 millions d’euros l’année précédant leur départ. Au bout de quelque temps, cela commence à avoir un impact ; entre 2010 et 2012, le nombre de contribuables dont le revenu fiscal de référence dépasse 300 000 euros quittant la France a triplé. Le manque à gagner pour nos finances publiques s’élève à 220 millions d’euros par an. On ne peut pas nier ce phénomène, dont l’appréhension ne recouvre pas la distinction entre la droite et la gauche.

Nous devons regarder en face la mondialisation, la compétitivité de notre économie et l’attractivité du pays. Je suis donc frustré que nous n’ayons pas été capables de dégager un avis commun sur un sujet qui concerne tout le monde, et j’aurais été content d’aider le Gouvernement à agir sur ce sujet.

La convergence fiscale s’avère indispensable ; le Gouvernement reconnaît que l’écart du taux de marge entre les entreprises allemandes et les françaises constitue le sujet majeur. Il s’élève aujourd’hui à dix points, et, comme par hasard, le taux d’IS français est près de dix points supérieur à la moyenne de celui des pays européens.

Le groupe UMP a déposé une contribution comprenant des propositions fortes et qui sera annexée au rapport.

En application de l’alinéa 3 de l’article 144-2 du Règlement de notre Assemblée, la réunion en comité secret de l’Assemblée nationale peut être demandée pendant les cinq jours francs qui suivent l’annonce au Journal officiel du dépôt du rapport d’une commission d’enquête, afin de se prononcer, le cas échéant, sur la publication du rapport. C’est la raison pour laquelle celui-ci doit demeurer confidentiel jusqu’à la fin de ce délai – soit jusqu’au lundi 13 octobre 2014 inclus.

Je mets aux voix l’adoption du rapport.

La Commission d’enquête adopte le rapport.

*

* *

CONTRIBUTIONS

CONTRIBUTION DU GROUPE SOCIALISTE, RÉPUBLICAIN ET CITOYEN

Non, la France ne fait pas fuir ses cerveaux. Non, la France ne fait pas barrage à ses créateurs. Non, la France n’oblige pas à l’exil ceux qui réussissent sur son territoire. Telles sont donc les conclusions de la Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France. Quelle surprise! Conformes à ce que nous nous efforcions de dire avant le début des travaux, elles corroborent ce que toutes les études mettaient également en évidence: la France depuis le 6 mai 2012 n’est pas cet épouvantail pour lequel on voudrait trop souvent par trop d’idéologie la faire passer. Les faits sont têtus et le rapport de la Commission d’enquête les rappelle utilement.

Depuis l’arrivée de la majorité en 2012, il est faux de dire qu’une hausse anormale du nombre d’expatriés se serait produite. Certes, la diaspora française est de plus en plus nombreuse. Certes cette diaspora a augmenté de 35% en 10 ans. Certes, elle compte désormais plus de deux millions de Français installés à l’Etranger. Mais rapportée à la population de notre pays, notre diaspora n’est que la 10e de l’OCDE. Rappelons que le taux d’émigration du Royaume-Uni est quatre fois supérieur à celui de la France. Rappelons également que si notre taux d’émigration augmente peu à peu, c’est qu’il est le signe d’un rattrapage par notre pays d’un processus amorcé depuis longtemps ailleurs. Il est le signe que la France s’ouvre au monde, que la France sait tirer profit de la mondialisation.

Depuis l’arrivée de la majorité en 2012, il est faux de dire que nos jeunes ne pensent qu’à une chose: quitter le pays qui les a vus grandir et qui les a formés. D’ailleurs, plus d’un jeune sur deux envisage de revenir en France dans les cinq ans suivants son départ. La Conférence des grandes écoles n’identifie pas non plus la moindre désaffection des diplômés pour la France. Alors quel sens cela aurait-il d’empêcher nos élèves et nos étudiants de partir se former à l’étranger, d’y représenter la France, et d’être source plus tard, à leur retour d’une richesse réelle et souhaitable pour l’ensemble de nos concitoyens ? Devrions-nous avoir honte que la France et les Français prennent enfin toute la part qui leur revient dans la mondialisation ? Devrions nous avoir honte que nos concitoyens, nos étudiants soient courtisés par des entreprises et des universités de rang international ? L’exception française, ce n’est pas le repli sur soi.

Depuis l’arrivée de la majorité en 2012, il est faux de dire que l’on se bouscule pour fuir au plus vite cet enfer fiscal que notre pays serait devenu. Le nombre de départs de redevables de l’ISF est stable depuis 2006 (autour de 500 par an) et si accélération des départs des plus hauts revenus il y a, reconnaissons qu’elle a commencé en 2010… sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Reconnaissons aussi que cette tendance s’inversera prochainement. Car oui, la politique fiscale conduite par le gouvernement, envers les entreprises notamment, constitue un vigoureux soutien à la compétitivité de nos entreprises et à la réussite des entrepreneurs et des travailleurs.

Nous socialistes, nous condamnons avec la plus grande fermeté ceux qui entendent échapper à l’impôt, car "ceux-là adoptent un comportement scandaleux et inacceptable en refusant le devoir de solidarité entre Français dans un moment particulièrement difficile et mettent à mal notre pacte républicain" selon les récents propos du Secrétaire d’Etat Matthias Fekl lors de son audition. Mais, soulignons que la motivation fiscale n’est ni première ni essentielle pour expliquer l’expatriation. 15 000 dossiers de "retour fiscal" ont d’ailleurs été déposés auprès de l’administration. Ils représentant entre 3 et 4 milliards d’euros.

Nous, socialistes, nous pensons que cette ouverture aux échanges, à l’international, à l’Europe devrait nous réjouir. Cette ouverture contribue au rayonnement de la France dans le monde, à améliorer nos performances à l’étranger, à renforcer notre modèle économique et social, quand le repli sur soi les menacerait. Qu’on se le dise, les chiffres de l’expatriation sont encourageants : les Français ne sont plus casaniers. Les Français savent désormais prendre toute leur part dans la mondialisation. Nous devons en être fiers.

L’article 141 du règlement de l’Assemblée nationale offre à chaque président de groupe d’opposition ou minoritaire le droit de déposer une fois par session une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête qui ne peut être rejetée qu’à la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée.

Nous espérons que cette commission d’enquête mettra fin aux fantasmes de l’UMP sur ces questions : jamais le gouvernement n’a contraint à l’exil certains de nos concitoyens, jamais nous n’avons fait le choix d’un repli sur nous-mêmes. Alors quel sens cela a-t-il de parler d’exil quand nombre d’hommes et de femmes à travers le monde en souffrent réellement chaque jour ? Que dire de la circulaire de Claude Guéant, désormais abrogée, qui aurait détruit une partie de ce qui fait aujourd’hui notre richesse et que nous, nous, entendons promouvoir et encourager ?

Pour la sérénité des débats et pour l’utilité du travail parlementaire, nous, socialistes, nous appelons l’opposition à cesser les postures stériles et idéologiques et à adopter une démarche constructive. Par respect pour la France et les Français, nous l’appelons à reprendre confiance dans la marche de notre pays. Il en va de l’image de la France et de son développement à l’étranger. Nous appelons l’opposition à se joindre à nous dans ce combat au service de la France que menons depuis deux ans et qui dépasse bien des clivages politiques : la chasse aux fraudeurs oui, la chasse aux Français non.

CONTRIBUTION DES GROUPES UNION POUR UN MOUVEMENT POPULAIRE ET UNION DES DÉMOCRATES ET INDÉPENDANTS

« Il faut toujours dire ce que l’on voit.

Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »

Charles Péguy.

Tout va très bien Madame la Marquise

(Paroles et musique de Paul Misraki)

Allô, allô James !

Quelles nouvelles ?

Absente depuis quinze jours,

Au bout du fil

Je vous appelle ;

Que trouverai-je à mon retour ?

Tout va très bien, Madame la Marquise,

Tout va très bien, tout va très bien.

Pourtant, il faut, il faut que l’on vous dise,

On déplore un tout petit rien :

Un incident, une bêtise,

La mort de votre jument grise,

Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien.

Allô, allô James !

Quelles nouvelles ?

Ma jument gris’ morte aujourd’hui !

Expliquez-moi

Valet fidèle,

Comment cela s’est-il produit,

Cela n’est rien, Madame la Marquise,

Cela n’est rien, tout va très bien.

Pourtant il faut, il faut que l’on vous dise,

On déplore un tout petit rien :

Elle a péri

Dans l’incendie

Qui détruisit vos écuries.

Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien.

Allô, allô James !

Quelles nouvelles ?

Mes écuries ont donc brûlé ?

Expliquez-moi

Valet modèle,

Comment cela s’est-il passé ?

Cela n’est rien, Madame la Marquise,

Cela n’est rien, tout va très bien.

Pourtant il faut, il faut que l’on vous dise,

On déplore un tout petit rien :

Si l’écurie brûla, Madame,

C’est qu’le château était en flammes.

Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien.

Allô, allô James !

Quelles nouvelles ?

Notre château est donc détruit !

Expliquez-moi

Car je chancelle

Comment cela s’est-il produit ?

Eh bien ! Voilà, Madame la Marquise,

Apprenant qu’il était ruiné,

A pein’ fut-il rev’nu de sa surprise

Que M’sieur l’Marquis s’est suicidé,

Et c’est en ramassant la pell’

Qu’il renversa tout’s les chandelles,

Mettant le feu à tout l’château

Qui s’consuma de bas en haut ;

Le vent soufflant sur l’incendie,

Le propagea sur l’écurie,

Et c’est ainsi qu’en un moment

On vit périr votre jument !

Mais, à part ça, Madame la Marquise,

Tout va très bien, tout va très bien.

Introduction

Puisque la majorité parlementaire refuse de dire ce que tout le monde voit, puisqu’elle refuse de voir ce que tout le monde voit, les membres UMP et UDI de la commission d’enquête sur l’exil des forces vives françaises, ont décidé de présenter leurs propres conclusions, tirées des constats et des observations rassemblés à l’issue des 34 auditions menées entre avril et septembre 2014.

Notre objectif est d’en finir avec le déni de la réalité et de proposer des changements majeurs afin que les talents français puissent s’épanouir sur le territoire national, afin qu’ils puissent contribuer à la création de richesses et au développement de notre pays.

Evidemment, à l’heure de la mondialisation, l’expatriation est loin d’être un mal en soi. Bien au contraire, cela peut être le fruit d’un choix assumé, une étape importante dans la vie de beaucoup de nos concitoyens. Pour la France, c’est une façon de rayonner à l’étranger.

Encore faudrait-il que les Français qui partent le fassent pour de bonnes raisons, et non par dépit.

Alors que le gouvernement et la majorité parlementaire chantent avec insouciance « Tout va très bien, Madame la Marquise », nous entendons ceux de nos concitoyens qui se sentent obligés de quitter la France pour de mauvaises raisons : à commencer par l’impression que la réussite y est devenue impossible. Du fait d’une mentalité anti-travail et anti-réussite, de la pression fiscale absurde, du chômage de masse persistant, de l’absence de perspectives d’évolution, du poids de la dette sur les générations à venir…

Cette question représente un enjeu essentiel pour l’avenir de notre Nation. Ce n’est pas seulement une question de rentrées fiscales ou de potentiel de croissance. Ce n’est pas seulement un phénomène touchant plusieurs centaines de milliers de Français. C’est un sujet qui touche tous les Français, notamment notre jeunesse. En effet, à l’exil de ceux qui partent à l’étranger pour réussir, s’ajoute un autre « exil », beaucoup plus large et pernicieux : « l’exil intérieur », ce découragement d’un nombre croissant de Françaises et de Français, jeunes ou moins jeunes, qui baissent les bras et se résignent à un lent déclassement, parce que tous les horizons leur paraissent bouchés sur le territoire national !

Nous voulons que tous les Français se sentent pleinement à l’aise en France. Nous voulons que chacun puisse s’épanouir, selon ses talents et son mérite. Nous voulons réconcilier la réussite individuelle et collective et refaire de la France une terre de confiance et de réussite ! Il est temps d’ouvrir les yeux sur la réalité et d’agir !

Luc Chatel et les députés UMP membres de la commission d’enquête sur l’exil des forces vives.

I. SORTIR DU DENI : un constat implacable

Depuis plusieurs mois, le sujet de l’expatriation hors de France de jeunes diplômés, d’entrepreneurs et d’entreprises, d’artistes, de contribuables aisés, occupe les colonnes de la presse nationale et internationale, l’opinion publique étant elle-même alertée par différents signes de départ, soit volontairement discrets, soit plus évidents.

Un certain nombre de chiffres viennent alimenter ces conjectures au sujet d’un exil croissant des citoyens et des entreprises françaises et d’une perte d’attractivité conjointe de notre pays.

Cette question se révèle finalement mal connue, alors même qu’elle constitue un problème majeur pour l’économie française.

Face à ces interrogations légitimes, les députés UMP et UDI ont souhaité la création d’une commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France.

Celle-ci s’est donné pour but d’analyser précisément le phénomène au cours des dix dernières années, ses conséquences sur le plan économique et politique, et d’avancer des propositions fortes qui permettraient à la France de retrouver toute son attractivité.

Certains observateurs ont voulu voir dans l’objet de cette commission d’enquête une stigmatisation des Français établis hors de France ou une incompréhension de la mondialisation et de l’augmentation naturelle des échanges qu’elle entraîne à l’échelle internationale.

Or il ne s’agit pas de tomber dans des clichés obsolètes, en pointant du doigt les Français qui décident de quitter la France : ceux-ci contribuent de toute évidence au rayonnement de notre pays à travers le monde et l’on ne peut que saluer leur esprit d’initiative et leur envie d’entreprendre.

Il est également certain que ces départs à l’étranger, lorsqu’ils s’accompagnent d’un retour en France au bout de quelques années ou lorsque le lien avec la France est intimement conservé pendant l’expatriation, contribuent à terme à l’enrichissement de notre pays, grâce à l’expérience, aux partenariats et aux connaissances acquises à l’étranger.

Il était en revanche primordial de se poser la question suivante : combien, sur ces nombreux départs à l’étranger, sont-ils des départs contraints ? Combien de Français quittent leur pays par dépit, parce qu’ils n’ont pas trouvé en France un environnement favorable à leurs projets et à leurs ambitions?

Car si l’augmentation de ces départs contraints était avérée, il y aurait là un signal inquiétant pour notre pays. Cela voudrait dire que la politique que nous menons est décourageante pour les Français, tant sur le plan fiscal que sur le plan administratif ; cela voudrait dire que la France se prive volontairement d’opportunités économiques et de richesses humaines de premier plan.

Il était donc indispensable de parvenir à distinguer ce qui relève d’une tendance de fond liée à la mondialisation, de ce qui résulte d’une moindre attractivité économique de la France.

Trois axes de réflexion principaux ont été poursuivis lors de cette commission d’enquête : l’exil fiscal, l’exil des activités économiques et de leurs centres de décision (délocalisation de sièges sociaux ou d’activités par des entreprises françaises, mais aussi choix d’entrepreneurs français de créer leur entreprise hors de France), et enfin les enjeux générationnels de l’exil des forces vives, des jeunes diplômés aux retraités.

*******

A. Les grandes tendances de fond 

- En raison de la mondialisation, le départ des Français à l’étranger s’accentue depuis trente ans, alors que la France n’était pas traditionnellement un pays d’émigration. Entre 1,7 et 2,5 millions de Français (selon les sources) vivent aujourd’hui à l’étranger, avec une augmentation régulière de 2 % à 4 % par an ces dix dernières années.

Au sein des pays de l’OCDE, le constat est particulièrement marqué : le nombre de Français expatriés enregistrés a augmenté de 30% entre 2000 et 2012 (source : division des migrations internationales de l’OCDE)

De plus, il existe manifestement une accélération de ce mouvement à l’échelle internationale depuis 2011-2012.

On note ainsi certains pics récents : par exemple, entre 2012 à 2013, les Français ont augmenté de  8% en Australie et de 5,9 % au Canada, pays qui ont une politique particulièrement accueillante sur le plan législatif (source : Direction des Français à l’étranger) ; le nombre de Français s’étant installé au Royaume-Uni en 2011 a bondi de 30 % par rapport à l’année précédente (division des migrations internationales de l’OCDE).

- Aujourd’hui, les Français partent sans savoir pour combien de temps et ne sont plus certains de rentrer en France. Les contrats locaux sont devenus majoritaires alors qu’il y a dix ans, les contrats d’expatriation et de détachement prévalaient.

- Toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées parmi ces expatriés, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. Cela va des non-qualifiés qui ne trouvent pas de travail en France aux cadres dirigeants des grands groupes. La moitié des Français expatriés ont aujourd’hui un niveau de formation inférieur ou égal à bac +3.

- Au-delà de ces départs individuels, on observe une tendance croissance au départ des entreprises, des capitaux, d’importants sièges sociaux (ou du moins certaines de leurs directions), un phénomène d’abord lié à l’internationalisation des échanges, mais pas uniquement.

- Enfin, ce phénomène s’accompagne, en parallèle, d’un ralentissement de l’attractivité française dans certains domaines : si la France reste particulièrement accueillante pour les étudiants étrangers (3ème place mondiale) et relativement pour les chercheurs, il n’en est pas de même pour les diplômés à fort potentiel, pour les cadres dirigeants, pour les fonds d’investissement et les entreprises étrangères qui choisissent de plus en plus depuis trois à cinq ans de différer ou de renoncer à une implantation française.

B. Les grandes catégories d’exil

1/ aux deux extrémités du spectre : jeunes et retraités

- Les jeunes diplômés

On observe une nette accélération de leur mobilité. La crise économique a eu un impact fort sur leur départ à l’étranger.

Certes, ceci s’explique par le fait que les parcours étudiants intègrent de plus en plus un stage à l’étranger, et qu’une première expérience professionnelle à l’étranger est très valorisante sur un CV. Cependant 80 % des jeunes diplômés disposant d’une offre en France et d’une offre à l’étranger privilégient l’étranger, au motif que la réussite au mérite fonctionne mieux ailleurs, que l’innovation et l’entrepreneuriat sont plus valorisés à l’étranger et que les rémunérations sont meilleures (source : baromètre 2014 de l’humeur des jeunes diplômés, Deloitte)

Pour un 1er poste, les salaires bruts de jeunes diplômés sont de 30 à 50% plus élevés à l’international (source : Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur, Conférence des grandes écoles)

Il faut s’inquiéter du fait que 40 % de ces jeunes envisagent de ne pas revenir.

- Les jeunes de façon générale 

Les jeunes partent à l’étranger en raison de la situation du marché de l’emploi en France (22 % de chômage chez les moins de 25 ans en 2014) et de la prévalence, dans notre pays, du diplôme pour pouvoir s’insérer dans la vie active : ils vont donc chercher par leurs propres moyens des sociétés qui recrutent dans des pays qui ne connaissent pas la crise et qui donnent plus leur chance aux non diplômés.

Ils ont tendance à penser qu’ils gagneront mieux leur vie là-bas et payeront moins d’impôts, ce qui ne se vérifie pas nécessairement mais joue un rôle important sur leur état d’esprit.

- Les retraités 

La proportion de + de 60 ans s’étant expatriés à l’étranger entre 2011 et 2013 a augmenté de 10 %. (source : Dir. des Français à l’étranger au Ministère des Affaires étrangères)

La question de l’épargne et du pouvoir d’achat des retraités est au cœur des préoccupations de tous ceux qui décident d’aller prendre leur retraite au soleil. La crise a accentué ce phénomène naissant ; l’accélération des départs s’est encore accentuée depuis un an.

Ces retraités, de tous niveaux sociaux, se laissent séduire par des régimes fiscaux incitatifs (Maroc, Tunisie, Ile Maurice, Thaïlande ; plus récemment Espagne et Portugal) qui leur permettront un meilleur niveau de vie.

Ø On dénombre ainsi 50 000 résidents français au Maroc, où les pensions françaises des retraités sont imposées selon les règles marocaines en bénéficiant d’un abattement de 40 % sur leurs revenus déclarés et d’une réduction d’impôt de 80 % si les sommes sont définitivement rapatriées au Maroc. Il s’agit donc d’une exonération quasi totale d’impôt!

La crise des finances publiques en France a donné à ces personnes le sentiment d’une menace pesant sur leur épargne. Certains ont la crainte de perdre ce qu’ils ont difficilement acquis au cours d’une vie de travail.

Il est intéressant de constater que la profession de conseil en relocation à l’étranger à l’attention des personnes retraitées, dont des représentants ont été auditionnés par la commission d’enquête, n’existait pas il y a cinq ans.

2/ l’exil fiscal

L’exil fiscal, qui existe depuis la création de l’impôt sur le revenu et a toujours été relativement constant, connaît une croissance très importante depuis 2010-2011. Celle-ci est due à de nouveaux éléments : élargissement de l’ISF, nouvelle tranche d’IR à 45% ou alignement des plus-values sur le barème progressif de l’IR.

- On constate d’une part l’augmentation de l’expatriation de patrimoines très importants (mise en lumière par quelques départs très médiatisés).

Ø Après une forte progression entre 2002 et 2006 du nombre de départs enregistrés de redevables de l’ISF (383 en 2002 à 901 en 2006), ce nombre est resté stable jusqu’à 2009, avant de diminuer (800 en 2010 ; 525 en 2011, cette baisse sensible s’expliquant par l’effet statistique du relèvement du seuil d’imposition de l’ISF au titre de l’année 2011 qui écarte les foyers disposant d’un patrimoine net inférieur à 1,3M€).

En ne s’intéressant donc qu’aux départs des patrimoines supérieurs à 1,3 M€ entre 2002 et 2012, on distingue deux périodes : une forte hausse (+155%) entre 2002 et 2006, puis une stabilisation autour de 500 départs depuis 2006, qui repart désormais à la hausse : 20 % de plus de redevables de l’ISF ont quitté la France en 2012 par rapport à 2011.

Ø Le patrimoine net imposable des redevables de l’ISF partis pour l’étranger déclaré l’année du départ a plus que doublé entre 2004 et 2012: il était de 1,7 M€ en 2004, contre 3,7 M€ en 2012. En progression constante sur ces dix années, on constate cependant un infléchissement de ce montant en 2009 (2,2 M€) et un bond très fort en 2011 (3,9 M€ en 2011 contre 2,8 M€ en 2010), en raison du relèvement du plafond.

Ø Le montant total d’ISF acquitté par les redevables au patrimoine uniquement supérieur à 1,3 M€ a lui-même augmenté de 150% entre 2004 et 2012.

Parmi eux, le patrimoine des redevables dont le montant net taxable est supérieur à 3 M€ est composé de 20 % d’actifs immobiliers et de 80 % d’actifs mobiliers (parts sociales, actions, liquidités, meubles, etc.)

Ø Le nombre de foyers partis pour l’étranger et dont le revenu fiscal de référence excède 300 000 € a presque doublé entre 2011 et 2012 (source : DGFIP)

Le marché de l’immobilier haut de gamme s’en ressent : à Paris et dans la petite couronne, le stock de biens disponibles à la vente a doublé ; le marché des résidences secondaires (sud de la France notamment) a diminué de moitié par manque d’acheteurs.

- Mais par ailleurs, l’exil fiscal ne se limite plus aux très grandes fortunes.

Il concerne de plus en plus de jeunes Français, dont certains partent créer leur entreprise à l’étranger et envisagent de ne plus revenir si celle-ci réussit là-bas.

On constate un phénomène nouveau : les professions libérales sont maintenant concernées (avocats, dentistes, etc.), pour des patrimoines inférieurs à 2 ou 3 M€.

Ø Le nombre de contribuables non-résidents assujettis à des impositions françaises entre 2004 et 2014 a augmenté de 17 % entre 2004 et 2014. Entre 2011 et 2013, on constate une nette progression de l’IR et de l’ISF totaux acquittés par ces contribuables non-résidents : l’IR a augmenté de + de 40 %, l’ISF a plus que doublé (source : DGFIP)

3/ l’exil des activités économiques et de leurs centres de décision

- Les entrepreneurs

• Les créateurs d’entreprises : 2 expatriés sur 10 sont des créateurs d’entreprise contre 1 sur 10 il y a dix ans.

Le fait le plus déterminant les incitant à partir à l’étranger est la difficulté d’accéder au financement en fonds propres en France. Fiscalement, ils déplorent le non-sens qu’est l’exit tax, considérant qu’il vaut mieux aller directement créer leur entreprise à l’étranger que subir un tel impôt.

• Les chefs d’entreprise de taille moyenne (TPE et PME) : s’il est facile de créer une entreprise en France, il est difficile de l’y développer. Les chefs d’entreprise sont préoccupés par le contexte dans lequel ils accompagneront la croissance de leur société sur 10 ou 20 ans. Avant même de parler de fiscalité, ils regardent le temps qu’ils passent à gérer les questions administratives : 20% en moyenne contre 7 % à Genève (source : Maxime Boisnard, directeur de la société MRS Management).

Créateurs et patrons d’entreprise ayant fait le choix de quitter la France pour partir à la conquête de marchés étrangers soulignent aussi combien, dans de nombreux cas, cette décision a été provoquée par la difficulté de bénéficier de fonds, non pas sur la création, mais sur le capital-développement, en raison d’un marché français très frileux, contrairement à ce qui se pratique de l’autre côté de l’Atlantique.

Un nombre croissant d’entreprises gardent ainsi leur R&D en France (car celle-ci est bien encouragée) mais délocalisent leur activité commerciale.

Vu d’ailleurs, notre pays est fragilisé par l’instabilité fiscale et réglementaire qui est jugée trop grande par rapport au temps du cycle des investissements étrangers en France, qui ont besoin de visibilité sur 8 à 15 ans au moins : les investisseurs se détournent de notre pays, et les entreprises en croissance n’ont d’autre choix que de les suivre.

- Les centres de décision

Il existe aujourd’hui un mouvement de délocalisation des comités exécutifs de grandes entreprises, très discret et progressif, mais souligné par de nombreux observateurs. De grands groupes délocalisent en ce moment un certain nombre de leurs fonctions dans les pays limitrophes ou au grand international, sans que cela se justifie par des responsabilités opérationnelles dans le pays d’accueil. Même s’ils répugnent à le formuler, la fiscalité française est évidemment une motivation forte à ces mouvements, qui rendent le retour très improbable pour les 20 ou 30 prochaines années au moins.

Pour les mêmes raisons, les entreprises internationales font le choix croissant de ne pas s’installer en France.

Ø La France, qui occupait le 2ème rang européen jusqu’en 2008 en matière d’attraits de sièges sociaux, est aujourd’hui passée à la 5ème place (source : Direction générale de la compétitivité au Ministère de l’Economie)

Ø Le rapport 2013 de l’Agence française des investissements internationaux confirme l’érosion des quartiers généraux européens en France : seuls 5 ont choisi la France en 2013 contre 12 en 2012 et 20 en 2011.

Cela pose un risque pour la France à terme : lorsque le centre de décisions n’est plus en France, les décisions en faveur de notre pays peuvent réellement diminuer.

- Les cadres dirigeants 

Les grandes entreprises peinent de plus en plus à attirer de grands cadres étrangers, car ceux-ci comparent en premier lieu la fiscalité (sur les stock-options, sur les actions de performance) et les systèmes de retraite pour faire leur choix. Le cadre français est moins incitatif ; le système d’actions de performance est notamment devenu très pénalisant.

Pour la même action distribuée à un salarié basé en Belgique, en Grande-Bretagne, en Allemagne et à un salarié basé en France, l’écart de fiscalité est de 1 à 4. Clairement, c’est l’indice d’une baisse de compétitivité du territoire national. Le risque d’un système à deux vitesses existe entre les cadres français ou affectés en France et les autres, à niveau égal de poste, de rémunération et d’incitation. On pousse ce faisant nos cadres supérieurs à quitter la France.

C. Les motifs de cet exil

1/ pour les départs individuels

- L’état d’esprit en France, qui ne valorise pas suffisamment la réussite personnelle

- Un marché du travail sclérosé

- L’ascenseur social qui ne fonctionne plus

- Les perspectives de progression de carrière et de salaires plus élevées à l’étranger

- La peur du déclin et de la baisse du niveau de vie (en ce qui concerne les retraités)

- Le poids de la fiscalité, considérée par certains comme punitive : l’exil fiscal, même s’il est le plus médiatisé, ne concerne finalement qu’une petite proportion de l’ensemble des départs à l’étranger, mais joue un rôle symbolique très important, d’une part parce qu’il concerne d’importants patrimoines personnels, pour des montants considérables, d’autre part parce que l’instabilité fiscale en France, soulignée par de nombreuses personnes auditionnées, entretient un climat de défiance qui encourage autant les jeunes entrepreneurs soucieux de réussir à partir à l’étranger, que les plus fortunés à abriter leurs avoirs à l’étranger après des déclarations désordonnées telles que celles sur la taxe à 75 % ou le « je n’aime pas les riches ».

Ces mêmes raisons justifient le fait que si les étudiants étrangers sont très nombreux à venir faire leurs études en France, la grande majorité repart à l’issue du diplôme pour trouver un poste à l’étranger. La France n’est plus une destination choisie dans la perspective d’un premier emploi. Elle n’offre guère de possibilités d’immigration économique. Seuls 20 % de l’ensemble des étudiants étrangers en France y reste pour un premier poste (source : Campus France)

2/ pour les entreprises et les entrepreneurs

- Les lourdeurs administratives et l’inadaptation du système administratif aux réalités de l’entreprise : c’est un des premiers points évoqués lors de chaque audition.

- La fiscalité, très lourde, qui crée une distorsion de concurrence entre les entreprises françaises et leurs compétiteurs étrangers. Les prélèvements fiscaux sur les entreprises représentent 5 % du PIB en France contre 3 % en Allemagne.

- Le manque d’attractivité de la place française, conséquence directe du point précédent. Les auditions soulignent que tous les grands pays sont obsédés par leur attractivité et mettent en place depuis dix ans des politiques massives (sur le plan fiscal notamment) pour attirer les entreprises, tandis que la France est en vrai décalage sur ce plan, subissant de ce fait un « effet de ciseau » ayant eu des conséquences néfastes entre 2004 et 2014.

- Le manque de souplesse dans le Code du travail, qui rend tout licenciement compliqué et empêche donc l’entreprise de s’adapter conjoncturellement à l’état du marché.

- Les difficultés, dans certains secteurs, à attirer les capitaux nécessaires à leur développement

- Un pays qui donne le sentiment de peu encourager l’innovation et la prise de risque et un marché français par conséquence trop frileux.

3/ un déficit d’attractivité

Ces mêmes raisons justifient, à l’inverse, que la France soit de moins en moins attractive pour les entreprises et les capitaux étrangers.

Le cadre fiscal de la France est trop peu incitatif pour le développement et l’attrait des entreprises étrangères, s’agissant notamment de la fiscalité sur les plus-values.

Il a souvent été souligné au cours des auditions l’importance du facteur psychologique dans cette perte d’attractivité : la France souffre d’un déficit d’image auprès de ses compétiteurs étrangers. Son rayonnement culturel est excellent (patrimoine, gastronomie), mais du point de vue des affaires, les étrangers objectent d’abord que la France a un écosystème instable (la fiscalité y joue une grande part) et un marché du travail peu accueillant. Elle a une image internationale assez fluctuante, liée en partie à son cadre social à l’image non apaisée (manifestations, grèves, etc.) Les 35h ont également marqué durablement les esprits. Enfin, elle donne l’impression de chercher querelle aux gens qui réussissent. L’affaire Dailymotion, la taxe à 75% ont eu des effets désastreux et durables à l’étranger sur les mentalités.

Il existe vraisemblablement un fort écart entre la perception de l’environnement pour entreprendre en France et la réalité. Mais l’image est tenace, et il semblerait par ailleurs que les Français expatriés contribuent pour une part à ce french bashing.

II. Des propositions fortes pour stopper l’hémorragie et redevenir une terre de réussite

Nos propositions ne se fondent pas sur une posture idéologique ou sur les regrets d’une époque révolue. Elles s’inscrivent dans une démarche pragmatique et réaliste. Alors que la majorité parlementaire est dans le déni, nous invitons le gouvernement à ouvrir les yeux sur le monde tel qu’il est.

Ø Nous sommes dans un monde ouvert, caractérisé par la circulation des biens, des personnes et des idées.

Ø Nous sommes dans un monde concurrentiel, où les talents humains sont le premier facteur de puissance.

Ø Nous sommes une nation qui dispose de ressources incroyables et qui peut devenir un des pays les plus attractifs pour ses propres citoyens et pour les talents du monde entier.

Aujourd’hui, on vient en France pour de mauvaises raisons (l’immigration professionnelle est très minoritaire par rapport à l’immigration familiale). En sens inverse, on part de France pour de mauvaises raisons : fuite d’un climat pesant, d’une fiscalité punitive, d’un taux de chômage très fort pour les jeunes, d’une absence de perspectives de croissance…

Nous voulons donc refaire de la France une terre de réussite, où les Françaises et les Français peuvent s’épanouir et exprimer tous leurs talents, afin contribuer à la création de richesses et au rayonnement de notre nation.

Ø C’est une question économique de premier ordre, bien sûr. Pour préparer la croissance de demain, nous avons besoin de Français pleins d’audace, de courage, d’innovation, d’intelligence. Et nous avons besoin de capitaux pour investir.

Ø Mais c’est aussi et surtout une question d’unité nationale ! La France a besoin de tous ses enfants. Nous ne pouvons plus supporter l’idée que pour réussir, de plus en plus d’enfants de France doivent quitter la terre qui les a vus naître et qui les a formés.

L’exil des forces vives de la nation est d’autant plus insupportable que la France dispose d’un potentiel attractif exceptionnel : formation, qualité de vie, culture, environnement, infrastructures, équilibre social, excellence de notre système médical, position centrale dans les échanges… Dans la course à l’attractivité, certains pays partent avec des handicaps beaucoup plus lourds que nous.

Retrouver notre attractivité, c’est d’abord une affaire de volonté politique. Il faut s’attaquer sans faiblir aux freins qui nous paralysent :

Ø Une culture de la défiance et de l’aversion au risque

Ø Un système fiscal pénalisant par rapport à nos voisins européens

Ø Un cadre normatif trop compliqué et trop instable.

Voilà pourquoi nous proposons un triple changement : culturel, fiscal et normatif.

Avant de développer les propositions, nous devons avoir un état des lieux clair du phénomène et un suivi régulier de son évolution.

A. Un préalable : MESURER

Proposition 1 : une mesure fiable et qualifiée des sorties

Le flou statistique sur les entrées et sorties du territoire national n’est plus supportable. La difficulté pour les responsables politiques et les observateurs à disposer de données fiables et mises à jour sur l’exil des Français est le signe du désintérêt trop longtemps affiché pour ces questions.

Nous demandons à l’INSEE de proposer, en lien avec le réseau consulaire français, un outil statistique cohérent pour quantifier l’exil des forces vives et suivre son évolution dans la durée.

Au-delà des aspects quantitatifs, il sera indispensable de développer un outil « qualitatif » pour mieux connaître l’évolution des préoccupations des Français exilés, en fonction des évolutions législatives, fiscales, culturelles…

B. Premier axe : LE CHANGEMENT FISCAL

Loin de la révolution fiscale annoncée, le gouvernement multiplie les ajustements symboliques qui ne contribuent que très marginalement à accroître les recettes des finances publiques, mais créent des ravages économiques (taxation des plus-values, taxe à 75 %, surtaxation du capital, etc.).

L’instabilité fiscale combinée à l’augmentation considérable du niveau des prélèvements obligatoires, font fuir les forces vives autant qu’elles dissuadent les investissements dans l’économie française.

Pour nous, la fiscalité est un moyen au service des objectifs que nous nous fixons : l’emploi, la justice et le financement d’une dépense publique efficace (formation, investissement, etc.).

Proposition 2 : une fiscalité attractive

Parce que nous préférons que l’argent soit investi en France, nous devons en finir avec la pensée unique et les tabous fiscaux qui poussent les gouvernements successifs à prendre des mesures démagogiques qui se retournent contre les intérêts de tous les Français. En effet, la taxe à 75% ou l’ISF coûtent plus qu’ils ne rapportent : ceux qui ne veulent pas payer ont les moyens de partir à l’étranger et l’effort fiscal retombe mécaniquement sur les classes moyennes, puisqu’il faut bien continuer à financer les routes et les écoles. Nous devons donc avoir le courage d’assumer une fiscalité attractive, sans renoncer à l’impératif de justice sociale qui est au cœur de notre contrat social.

S’agissant de l’ISF, il est impératif soit de le supprimer, soit de déplafonner totalement la défiscalisation des investissements dans les PME. Dans la même logique, nous proposons de fusionner, simplifier et déplafonner les outils fiscaux qui permettent d’abonder le capital des entreprises (IR-Madelin, FCPI, FIP)

Pour encourager l’investissement productif en France, nous proposons de mettre en place une fiscalité sur les plus-values qui tienne compte des risques encourus par les investisseurs et de la différence de nature entre une plus-value et un revenu. En clair, nous devons  revenir au prélèvement forfaitaire libératoire, dans le cadre d’une convergence européenne de la fiscalité sur le capital. La France ne peut pas se lamenter sur son niveau de chômage et être le seul pays à prendre toutes les décisions pour faire fuir les capitaux.

Pour rendre la France plus compétitive, il faut construire une convergence fiscale européenne et adapter nos règles fiscales afin de mieux défendre nos intérêts.

Nous proposons que les assiettes et les taux d’impôts sur les sociétés soient progressivement harmonisés pour mettre fin au désavantage des entreprises françaises par rapport à leurs voisins européens. De même, la fiscalité sur les plus-values de cessions d’entreprises et la fiscalité applicable aux packages de rémunération des dirigeants doivent être harmonisées.

Proposition 3 : une fiscalité stable

Parce que la stabilité est la clef de la confiance, nous proposons d’assurer la non–rétroactivité et la stabilité dans le temps des mesures fiscales. Ceux qui veulent créer et investir doivent avoir la certitude que les règles du jeu ne changeront pas au gré des humeurs politiques. Nous proposons donc de réformer la loi organique relative aux lois de Finances (LOLF) et la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, en introduisant deux mesures : la non-rétroactivité des mesures fiscales prises et l’inscription en début de législature dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) d’un volet « programmation fiscale » qui garantissent la stabilité des règles sur 5 ans.

C. Deuxième axe : LE CHANGEMENT « CULTUREL »

On ne quitte pas la France pour un seul motif (fiscal, législatif, etc.) mais souvent en conséquence d’un faisceau de raisons et plus largement d’un sentiment d’étouffement lié à un climat de suspicion à l’égard de la réussite, de la prise de risques, du mérite propre à la France.

Avec ses mots, Gérard Depardieu résume cet état d’esprit démoralisateur : « Les gens sont jaloux du succès. C’est aussi à ajouter au chapitre ‘‘Pourquoi je me barre’’. Les Français préfèrent les Poulidor. Ils tuent leurs idoles. »

Dans notre pays, la réussite est malheureusement souvent regardée d’un mauvais œil. Ce dénigrement systématique de la réussite est aujourd’hui accentué par François Hollande et sa majorité qui trouvent chaque jour de nouveaux boucs émissaires pour masquer leur incapacité à réformer notre pays. Cette vision paralyse la société française, bloque les initiatives de chacun et de tous et suscite la défiance.

L’illustration la plus marquante de cet état d’esprit, c’est la phrase de François Hollande « Je n’aime pas les riches », alors qu’il se classe dans cette catégorie, selon les critères qu’il a lui-même-définis (« 4 000 euros par mois »).

Affirmer publiquement sa haine d’une partie de la population sur la base d’un critère aussi réducteur, c’est bien le signe d’un problème culturel…

Cette vision inspirée de la lutte des classes trouve sa source dans un vieil héritage marxiste qui considère que la réussite des uns se fait au détriment de la réussite des autres. Comme si nous étions dans un jeu à somme nulle. Comme s’il y avait forcément des exploités et des exploiteurs, des dominés et des dominants…

Cessons de voir l’école, l’économie, la politique, la fiscalité comme une guerre de tous contre tous et valorisons le don, la coopération, l’innovation collective, le partage volontaire !

Comment sortir de cette vision dépassée ?

Ø En valorisant toutes les formes de réussite : il n’y a pas qu’un seul modèle de réussite !

o Le salaire mensuel est loin d’être le seul critère d’évaluation de la réussite. Dans une vision très matérialiste, c’est pourtant le critère n°1 de la gauche qui fait reposer tout son analyse des équilibres sociaux sur le niveau de revenu.

o La France doit reconnaître à sa juste valeur tous les talents et saluer avec enthousiasme la réussite intellectuelle, sportive, culturelle, manuelle…

Ø En montrant que la réussite collective et la réussite individuelle sont liées.

o La reconnaissance du mérite est essentielle pour créer une dynamique de succès, dynamique qui rejaillit sur toute la société.

o Certes, le succès d’individus ne suffit pas à faire un succès collectif mais il n’y a pas de réussite collective possible si nous rejetons tous ceux qui entreprennent, créent, innovent, investissent…

o A force d’égalitarisme, on tire tout le monde vers le bas ! De ce point de vue, la décision du gouvernement Valls de supprimer les bourses au mérite est un scandale. De même, la décision de supprimer les notes à l’école sous prétexte de ne pas décourager les moins bons élèves est une bêtise. Plutôt que de supprimer le thermomètre, apprenons aux enfants, aux parents, aux enseignants à s’en servir pour ce qu’il est : un outil pour progresser.

Ø En revalorisant la prise de risque, en donnant à chacun le droit à l’erreur.

o Il est très difficile pour quelqu’un qui veut prendre des risques de trouver de l’encouragement, du soutien, des financements. On le voit notamment dans le domaine de la recherche ou de la création d’entreprise. Il semble parfois que le système fiscal, social, politique encourage les situations de rente.

Ø En s’attaquant au sentiment d’injustice qui grandit chez beaucoup de Français, notamment dans les classes moyennes, qui ont l’impression de payer pour tout, sans rien avoir en retour.

Proposition 4 : Réhabiliter la prise de risque et encourager les innovations de rupture.

Dans les années à venir, notre pays va devoir faire face, comme la plupart des pays dans le monde, à des défis majeurs qui constituent autant d’opportunités de croissance à condition de faire les bons choix et de s’assurer que l’argent investi apportera une rentabilité à la collectivité sous forme de croissance supplémentaire, d’acquisition de positions économiques fortes au niveau mondial et donc d’emplois pérennes.

S’il ne s’agit pas d’abandonner les secteurs traditionnels pour lesquels des innovations, pas forcément technologiques sont toujours possibles (innovations marketing, processus de production, innovation en termes de gestion des ressources humaines …), il est indispensable d’investir massivement et en priorité vers les secteurs producteurs de rupture technologiques qui nous donneront un avantage compétitif mondial.

Aider les PME à déposer des brevets en finançant les conseils en propriété industrielle à l’occasion du premier dépôt de brevet des PME et en développant des produits d’assurance défense-recours pour aider les entreprises à faire face à d’éventuels litiges (contrefaçon ou contentieux liés à la propriété industrielle).

Relancer la logique de financements de la recherche sur projets

- Elaborer une stratégie d’investissement claire concentrée sur quelques filières d’excellence :

- faciliter les interactions entre les différentes technologies de rupture pour renforcer l’effet de levier

- permettre une innervation de l’ensemble des secteurs économiques

- Associer le public et le privé pour un partage des risques et une bonne vision des marchés

- Créer plusieurs fonds d’investissement spécifiques (par filière prioritaire ou par programme d’investissement) pour éviter un monopole et une absence de benchmark. Ces fonds doivent allier public et privé et être susceptibles d’attirer aussi des capitaux étrangers. Ils doivent financer des projets à cycle de développement plus long que ceux que le privé peut financer seul

Un principe de base : tout euro d’argent public investi doit trouver sa contrepartie en financements privés. Des conseils d’administration des fonds comprenant des représentants de l’investisseur public mais aussi des industriels et des spécialistes de la gestion du risque et des personnalités étrangères pour avoir une vision internationale.

- Assurer la rencontre entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée

- Renforcer les coopérations entre les pôles universitaires les plus axés sur l’innovation et les plus attractifs au niveau international et de ces derniers avec les entreprises, en particulier les PME

- Mieux valoriser la recherche fondamentale et professionnaliser davantage la gestion de la propriété intellectuelle avec la création d’entreprises issues des laboratoires d’universités, incubateurs de start-ups créées par des étudiants financés par les universités

Supprimer progressivement les incitations à la détention d’actifs peu productifs pour notre économie : baisser les plafonds des livrets réglementés à l’exception du Livret d’Épargne Populaire (LEP) destiné aux personnes les plus modestes.

Allonger la durée de l’assurance vie reportant l’exonération fiscale de 8 à 12 ans et donner une prime aux contrats « en unités de compte » pour encourager l’actionnariat.

Augmenter le nombre de business angels afin de développer le capital-risque 

Avec seulement 4 000 business angels, la France est très en retard sur ses voisins, notamment la Grande-Bretagne, qui en compte 40 000 et les Etats-Unis, 400 000. Les business angels français bénéficient d’un statut spécial avec la société unipersonnelle d’investissement à risques (SUIR) qui leur donne accès à un ensemble d’avantages fiscaux et protège leurs biens personnels. Mais ce statut les prive de toute possibilité d’association qui leur permettrait d’élargir leur capacité d’investissement.

Il conviendrait donc d’instaurer des sociétés de business angels pour permettre à des investisseurs individuels de se regrouper pour co-investir (Obligation d’un nombre minimum d’associés, réduction d’impôt pour entrée au capital de la société, exonération de plus-values sur cession des actions de PME détenues sous condition de durée de détention (3 ans), exonération de plus-values sur cession des parts de la société de business angels détenues sous condition de durée de détention (8 ans)

Renforcer les obligations des banques pour le financement des PME (avec les fonds issus de l’épargne règlementée laissée à leur disposition (30% de l’épargne collectée), en définissant plus clairement et de manière plus restrictive les entreprises et le type de prêts ciblés dans les textes règlementaires.

Accompagner particulièrement les start-ups, en revoyant notamment les dispositions fiscales qui leur sont applicables, afin de les inciter à se créer et à se développer en France et non pas à l’étranger.

D. Troisième axe : LE CHANGEMENT NORMATIF

L’environnement législatif et surtout son caractère instable sont sources de complexité et de perte de confiance pour les entreprises, en particulier les PME. Le coût de la complexité du droit est estimé entre 3 et 5 % du PIB par l’OCDE. Noyées sous les réglementations, les entreprises ont le sentiment que l’administration est davantage là pour les contrôler de manière pointilleuse que pour les aider à développer leur activité.

Proposition 5 : la simplicité à outrance

Trop d’entreprises, notamment les PME se voient bloquées dans leur croissance, non par manque de dynamisme, mais par peur des réglementations, notamment celles déclenchées en cascade par le franchissement des seuils. Cette complexité engendre souvent le renoncement à des embauches ou à des projets de développement ou d’investissement.

Outre la nécessité de non rétroactivité et la stabilité des règles fiscales qui permettra aux entreprises d’avoir une meilleure visibilité et de meilleures prévisions, il est indispensable d’instaurer une règle d’or de la simplification : toute nouvelle norme créée doit engendrer la suppression de deux normes existantes.

Proposition 6 : une administration qui passe d’une logique de contrôle à une logique de service

Il est essentiel de changer l’état d’esprit de l’administration qui doit passer de sa logique de contrôle qui apparaît pour beaucoup de chefs d’entreprises exacerbée et envahissante à une véritable logique de conseil et de soutien.

Le développement de l’e-administration peut être un outil formidable à cet égard puisque l’administration en ligne oblige à une simplification des procédures et à un changement de paradigme : avec Internet, c’est en effet l’administration qui s’adapte au rythme de vie des Français et non l’inverse ! Les agents voient aussi leur métier renouvelé et les échanges avec les autres administrations s’en retrouvent facilités.

L’e-administration piétine ! Depuis le succès de la déclaration d’impôts en ligne, il manque des grands chantiers pour l’administration en ligne, qui simplifient vraiment la vie des Français et des entreprises !

De même, la multiplication des contraintes pour les PME a été maintes fois dénoncée mais il n’y a toujours pas de guichet unique PME leur permettant d’avoir un seul interlocuteur pour toutes les démarches administratives et fiscales

Conclusion

Lorsque nous déplorons les échecs de la gauche au pouvoir, le gouvernement et la majorité parlementaire ont coutume de critiquer le « french bashing ».

C’est une posture facile que François Hollande et ses ministres ont adopté pour éviter les remises en cause. Mais cette posture ne correspond à aucune réalité !

Lorsque nous faisons un état des lieux sans concession sur les causes de l’exil de nos forces vives, il ne s’agit pas de critiquer la France : nous avons au contraire la conviction que notre pays a tous les atouts pour sortir de la crise !

Il s’agit plutôt de critiquer le grand gâchis qui fait perdre à notre nation du temps, de l’énergie et de la richesse. Un grand gâchis qui décourage de plus en plus de Français, à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières !

Ce grand gâchis n’est pas une fatalité ! Il est le résultat d’une mentalité néfaste et de choix politiques ponctuels que nous pouvons abandonner sans aucun regret, pour retrouver ce qui fait la grandeur et le rayonnement de notre pays !

Le goût de l’excellence plutôt que la complaisance pour la médiocrité,

la reconnaissance du travail et du mérite plutôt que l’enfermement dans l’assistanat,

le combat pour la liberté plutôt que la multiplication des normes et des contraintes,

la solidarité vécue comme un élan de fraternité plutôt que comme une conséquence de la jalousie,

l’encouragement de tous les talents, dans la diversité !

la conjugaison des réussites individuelles et de la réussite collective.

Voilà ce qui fait la force de la France et l’épanouissement de nos concitoyens !

Voilà ce qui doit nous permettre de refaire de notre pays une terre de réussite !

CONTRIBUTION INDIVIDUELLE DE MM. CHRISTOPHE PREMAT, PHILIP CORDERY ET POURIA AMIRSHAHI, MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE, RÉPUBLICAIN ET CITOYEN

Accompagner la mobilité des Français à l’étranger, assurer l’avenir de la France

Parlementaires élus des Français de l’étranger, nous sommes les témoins privilégiés de l’énorme potentiel que représente la mobilité des Français au-delà de nos frontières et considérons au contraire que cette mobilité doit être accompagnée pour promouvoir la France à l’étranger et faciliter le cas échéant le retour de nos compatriotes.

Les travaux de la Commission d’enquête sur l’exil des forces vives ont démontré que la majorité des Français qui choisissent de s’installer à l’étranger ne sont pas contraints et font souvent le choix de revenir.

Nous observons quotidiennement l’extraordinaire diversité de parcours et de trajectoires des Français ayant choisi de s’établir en dehors de nos frontières. Loin des clichés sur les exilés fiscaux et la fuite des cerveaux, les 2,5 millions de Français résidant à l’étranger sont le symbole du dynamisme de notre pays et de sa capacité à s’exporter.

C’est pourquoi la stratégie de l’UMP de créer une commission d’enquête pour montrer que notre pays fait fuir ses talents est étonnante et choquante, elle s’avère être aujourd’hui un échec. Nous avons réorienté le débat de la commission d’enquête comme en témoignent les conclusions du rapporteur, qui formule aussi des propositions pour faciliter et accompagner la mobilité de nos concitoyens. Au lieu de considérer ce mouvement comme un « exil des forces vives », il nous semble plus judicieux de l’aborder comme une opportunité pour renforcer le rayonnement et l’attractivité de la France.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La mobilité internationale dans les pays du Nord a augmenté de 65 % ces dix dernières années et s’est accélérée puisque le nombre total de migrants a augmenté deux fois plus vite que dix ans auparavant. Comparé aux citoyens de nos voisins européens, le nombre d’expatriés français est moindre. 2,9% de Français sont partis à l’étranger contre 5,2 % de la population allemande, 7,6 % des Britanniques et 6 % d’Italiens. Ce phénomène constaté d’accélération du nombre de Français qui partent n’est en réalité qu’une dynamique de rattrapage. Quant aux raisons, elles sont loin d’être liées à un environnement économique défavorable : alors que les taux de croissance allemand ou britannique sont les plus importants dans l’Union, ce sont aussi les ressortissants de ces pays qui sont, proportionnellement, les plus nombreux à l’étranger. Cette mobilité est aussi allée de pair avec l’augmentation du nombre de diplômés dans notre pays.

Le plus grand défi que la France doit relever vis-à-vis des Français à l’étranger n’est pas leur nombre mais leur accompagnement. Nous sommes quotidiennement confrontés aux difficultés que rencontrent nos concitoyens établis hors de France que ce soit en matière de scolarisation de leurs enfants, de fiscalité, de retraites, de sécurité sociale. C’est pourquoi nous travaillons tous ensemble pour trouver des solutions. C’est en permettant à nos concitoyens de mieux vivre leur mobilité que l’économie française bénéficiera des expériences acquises par ces Français.

Chacun de nos compatriotes expatriés est un ambassadeur en puissance de notre culture et de nos intérêts économiques à l’étranger. Plusieurs études montrent qu’il existe une corrélation flagrante entre le volume d’émigration et le flux de commerce. Les investissements français à l’étranger peuvent ainsi se déployer sur de nouveaux territoires de même que les investissements étrangers en France peuvent être nourris par ces mouvements migratoires.

Nous constatons aussi que l’implantation des Français hors de l’hexagone génère un engouement pour l’apprentissage du français comme langue étrangère auprès des populations locales et un relais pour le développement de la Francophonie dans le monde. Des initiatives peuvent ainsi émerger pour faciliter la constitution d’un réseau d’apprentissage du français voire un réseau d’apprentissage en français à l’échelle du globe. Il s’agit là d’un puissant vecteur de promotion de notre culture et de nos valeurs à l’extérieur de nos frontières.

L’initiative européenne lancée par François Hollande lors du Sommet européen sur l’emploi des jeunes, nous paraît essentielle pour soutenir le développement de l’Europe de la formation tout au long de la vie, de l’apprentissage et de l’alternance. Cela suppose de faciliter la validation des périodes d’apprentissage, de favoriser l’accès à des formations diplômantes à distance ainsi que de promouvoir le bilinguisme à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières. La démocratisation de la mobilité internationale ne pourra être mise en oeuvre que par l’augmentation du nombre des bénéficiaires des bourses de mobilité. Les moyens financiers importants mis à disposition par l’initiative garantie jeunesse seront en mesure d’y parvenir. Le dispositif ERASMUS +, voté par le Parlement européen l’année dernière, a pour objectif de diversifier les mobilités européennes et ainsi de généraliser les opportunités à de nouveaux publics. Enfin, face à la myriade de dispositifs permettant la mobilité à l’étranger (Pôle emploi international, EURES, ERASMUS +, Jules Verne, CIDJ, VIE, PCT), il est essentiel d’améliorer l’articulation des acteurs et la diffusion de l’information par la création d’un guichet unique.

A l’instar d’un pays comme le Portugal, la France doit s’équiper de nouveaux outils pour appréhender les flux migratoires des Français. Il s’agit de remédier à l’absence de données fiables et de bénéficier de données précises sur les flux d’émigration, les profils des Français qui s’expatrient et leurs attentes. Il contribuerait à faire émerger une cartographie de ces flux migratoires et permettrait de mieux connaître ces Français de l’étranger afin de les accompagner dans leurs démarches.

L’impatriation ou le retour des Français dans notre pays doit être facilité, quand cela correspond à leur souhait. La mobilité internationale doit être valorisée que ce soit dans les études, l’entreprise ou l’administration. L’ouverture d’esprit, les qualités interculturelles, des méthodes de travail différentes sont autant d’atouts acquis par les Français en mobilité qui ne sont pas encore assez exploités. Ce retour facilité en France passe aussi par la simplification des procédures administratives que ce soit pour les inscriptions à l’école, à la sécurité sociale ou à la mairie. Les droits sociaux acquis dans d’autres pays devraient pouvoir être transférables que ce soit en matière de formation, de chômage et de retraite.

La mobilité est un atout dans le monde globalisé que nous connaissons. Au lieu de la craindre, il nous faut la préparer, l’accompagner et faciliter le retour de nos concitoyens en France qui le désirent.

CONTRIBUTION DE M. FRÉDÉRIC LEFEBVRE, MEMBRE DU GROUPE UNION POUR UN MOUVEMENT POPULAIRE

Dès l’annonce du dépôt de la proposition de résolution visant à créer la commission d’enquête sur «  l’exil  des forces vives de la France », j’ai tenu, avec Thierry Mariani, Député de la 11ème circonscription des Français établis hors de France qui s’associe à cette contribution, à préciser que cette question doit être évoquée avec mesure et sans esprit partisan.

En aucun cas ne doivent être culpabilisés les millions de nos compatriotes qui entreprennent, travaillent et étudient au-delà de nos frontières. Ils sont en effet des porte-drapeaux et des atouts pour notre pays dans la mondialisation.

Je tiens à souligner que toute vision étriquée de l’expatriation, présentée trop souvent comme une perte pour la France, est datée.

L’intitulé de la commission d’enquête est à ce titre particulièrement mal choisi. Il amalgame le départ à l’étranger de nos jeunes diplômés, de nos entrepreneurs et de nos cadres avec une minorité qui fuit une fiscalité toujours plus lourde.

D’autant qu’il omet d’étudier le départ de nos retraités pour des raisons de niveau de vie insuffisant dans leur propre pays.

Nous devons au contraire renforcer les liens avec notre diaspora, qui est une chance pour bâtir la France conquérante que nous voulons. Une opportunité de développer notre commerce extérieur. Une force économique et culturelle dans un monde francophone qui ne cesse de se développer.

Si certains Français quittent la France pour réussir parce qu’ils doutent de leur chance dans notre pays, réfléchissons aux réformes à entreprendre pour que la France soit concurrentielle.

Posons-nous la question des passerelles, de la modernisation, de la simplification, de l’attractivité, du niveau de prélèvements obligatoires, sans tomber dans la triste facilité : caricaturer et dénigrer les Français qui décident l’expatriation.

L’exil est, selon les définitions, l’état d’une personne, l’exilé, qui, volontairement ou non, a quitté sa patrie, sous la contrainte d’un bannissement ou d’une déportation. Il désigne celui qui est dans l’impossibilité de survivre ou sous la menace d’une persécution, et de ce fait, vit dans un pays étranger, avec ce que cela implique de contraintes…

Situation de quelqu’un qui est expulsé ou obligé de vivre hors de sa patrie ; lieu où cette personne réside à l’étranger : « Être condamné à l’exil ».

Situation de quelqu’un qui est obligé de vivre ailleurs que là où il vit habituellement, où il aime vivre ; ce lieu où il se sent étranger, mis à l’écart : « Être relégué dans un exil provincial. »

Le mot « exode » comme le mot « exil », à connotations extrêmement négatives, sont trop forts, même si les chiffres indiquent une nette tendance à la hausse.

La communauté des Français vivant à l’étranger compte quelques 70.000 membres supplémentaires chaque année, soit 3 à 4 % d’augmentation par an. Cette tendance a débuté dans les années 2000 relativisant le seul « effet crise ». Il est à noter que nombre de Français qui arrivent à l’étranger ne sont pas comptabilisés, l’inscription sur les registres consulaires n’étant pas obligatoire.

Dans ma circonscription, le nombre d’inscrits aux consulats a augmenté de 4,4% cette année, soit 13 % de nos compatriotes inscrits au registre des Français à l’étranger, passant au Canada, de 78.647 à 83.295 et aux Etats-Unis, de 125.171 à 129.520.

Comme je m’en suis déjà ouvert au Gouvernement, ces chiffres, qui dénotent une tendance forte, doivent  donc être complétés de ceux, difficilement quantifiables précisément, qui participent d’un mouvement, que je vois s’amplifier, de compatriotes qui ne s’inscrivent pas au consulat compte tenu du discours culpabilisant de la France à leur endroit, voire punitif, en matière fiscale notamment.

Il y a, bien sûr, le chiffre des passeports. Il mêle touristes de passage aux nouveaux arrivants, inscrits ou non.

Sont-ils pour autant des exilés ?

Pour beaucoup, ils entendent revenir en France dans quelques années. Ils montent des business : Transporteurs, commerçants, artisans, conseils, start-up. Ils gardent un lien en France. Tant que la "sur-fiscalisation" qui entend les punir ne les en dissuade pas.

Ajoutons enfin que le recours à une commission d’enquête, procédure réservée normalement aux scandales d ‘Etat, sur lesquels le parlement entend faire la lumière, accentue l’effet culpabilisant de nos travaux.

Je regrette profondément que le choix de la méthode et le choix des mots jettent une forme de discrédit tant sur notre pays que sur nos compatriotes qui, pour l’essentiel, font le choix délibéré, muri, réfléchi, positif, d’embrasser le monde…

Nos jeunes compatriotes y sont de plus en plus nombreux pour étudier, pour travailler. Est-ce un drame ?

La mobilité est facteur d’insertion professionnelle.

Prenons l’exemple de l’Office Franco-Québécois de la jeunesse qui depuis 2005 permet chaque année à des demandeurs d’emplois peu qualifiés de réaliser des stages dans des entreprises québécoises. A leur retour en France près de 80% retrouvent ou : « trouvent » un emploi. Preuve que la mobilité est un facteur de succès quelle que soit sa durée ou sa destination. C’est une chance pour la France et pour nos jeunes compatriotes.

Bien sûr certains jeunes quittent la France parce qu’ils n’y trouvent pas de travail, parce qu’ils n’y voient plus d’avenir ? J’en rencontre. Certains décident de rester définitivement. Mais ils gardent la France dans le cœur. Cette diaspora, nous devons la ressouder au lieu de la culpabiliser.

Elle est une formidable chance qui devrait nous amener à investir massivement dans l’éducation au lieu de reculer sur les bourses et les détachements de professeurs comme le fait aujourd’hui le Gouvernement.

A la France de s’adapter à ce monde qui bouge, à cette jeunesse qui a soif de réussite comme ces jeunes matelots des siècles derniers qui voulaient conquérir le nouveau monde...

Car la mondialisation est une chance pour la France.

Un récent rapport publié dans Forbes montre que le Français sera avec 850 millions de locuteurs, la première langue du monde en 2050.

Ce sont des chercheurs américains qui le disent. Ouvrons les yeux.

Quel bonheur que la jeunesse Française fasse réussir la France dans ce monde qui hisse enfin les couleurs de la francophonie.

Pays de l’immatériel, de l’intelligence, de la culture, notre peuple donne du sens à un monde qui s’uniformise. C’est notre principal atout pour le présent et le futur.

Embrassons ce monde où les distances s’effacent peu à peu. Les transports low cost, l’Internet font du globe un petit terrain de jeux pour les entrepreneurs du monde entier et singulièrement les Français.

Soyons des globe-trotters. Que la France s’adapte, au lieu de se recroqueviller…

Cette commission d’enquête est si symptomatique du nouveau mal français :

Le manque de confiance en nous, en nos forces, en nos capacités à conquérir le monde, à gagner des marchés.

Ces personnes qui partent de plus en plus nombreuses sont souvent jeunes et diplômées, donc en quête d’une meilleure situation professionnelle…

C’est ce qui ressort de cette étude. La moitié de ces expatriés ont un niveau de diplôme bac + 5 minimum, et 57% d’entre eux gagnent plus de 30 000 euros nets par an.

Que l’on retrouve cette population de diplômés parmi les expatriés n’est pas étonnant vu les nombreux accords entre écoles et universités étrangères qui existent aujourd’hui, sans compter les stages obligatoires à l’étranger au programme de nombreux cursus…

Ne feignons pas de nous inquiéter d’un phénomène rassurant.

Mais réparons une inégalité. Donnons aussi la chance aux jeunes des quartiers difficiles, aux jeunes apprentis, à tous ces jeunes Français qui doivent eux aussi avoir accès au monde.

J’ai en mémoire ces jeunes que je rencontre à Montréal, fiers d’être Français, venus des quartiers nord de Marseille ou du 93,  qui réussissent dans un pays qui ne leur reproche pas leurs racines.

Cette jeunesse de France aux racines mêlées, "emprisonnée" dans son milieu d’origine, sans perspectives a le droit, elle aussi, de s’ouvrir au monde.

Voilà un combat que devrait mener la France.

Soulignons aussi la tendance au départ de jeunes entrepreneurs, une catégorie toujours plus nombreuse parmi la communauté des Français à l’étranger. En 2013, près de 2 Français sur 10 installés à l’étranger étaient des créateurs d’entreprises, contre seulement 1 sur 10 dix ans auparavant, en 2003.

Dire que le ras-le-bol fiscal, dû à la charge trop lourde qui pèse sur les entreprises en France, n’y est pour rien serait mensonger. Travailler dur sur un projet d’entreprise et avoir comme perspective d’être "spolié" donne des envies de départ à tant de jeunes qui veulent réussir.

L’exit-tax que le Gouvernement auquel j’appartenais à fait naître et qui depuis est, chaque année durcie, est, à ce titre, une faute.  Comme la fiscalité du patrimoine, exorbitante en France.

Pourtant l’essentiel des jeunes entrepreneurs que je croise à New York, San Francisco, Miami ou Austin sont là pour bénéficier d’un environnement économique, d’un éco-système favorable, plus que d’une fiscalité avantageuse.

Ils apprécient une souplesse du droit du travail, un accès au financement  privé qui rendent tout possible.  

J’y vois, pour l’essentiel, une jeune génération plus mobile qui va chercher les opportunités de business là où elles se trouvent, qui veut réussir, qui cherche des éco-systèmes.

Si des jeunes Français partent faute d’opportunités professionnelles, cette attraction de l’étranger ne concerne-t-elle que les jeunes Français ?

Les jeunes Allemands, les jeunes Anglais, les jeunes Espagnols font de même….

Et comme les jeunes Français, ils choisissent en premier lieu l’Europe.

Résultat d’Erasmus et du sentiment européen de plus en plus fort chez les jeunes, de l’Euro et de la libre circulation des personnes et des biens…

Plus de la moitié des Français qui partent vont dans un autre pays européen. Après 50 ans de construction européenne, le succès des programmes d’échanges internationaux pour étudiants, la naissance d’une économie de la zone euro, qui pourrait sérieusement s’en étonner ? Encore moins s’en inquiéter ?

Nous avons tellement regretté que nos jeunes ne parlent pas anglais, soient casaniers, ne se destinent qu’à la fonction publique, qu’aujourd’hui au lieu de les culpabiliser on devrait les encourager.  C’est pourquoi dans les auditions j’ai systématiquement ramené nos débats vers : comment investir dans cette France qui part à la conquête du monde ?

A côté de cela, la commission d’enquête par son choix de dénomination passe à côté d’un phénomène qui justifie selon moi une analyse approfondie. Dès notre première réunion je l’ai fait remarquer.

Le départ des retraités… Qui ne sont par définition plus les forces vives. Dont certains partent, bien sûr, rejoindre leurs familles, mais qui sont de plus en plus nombreux à partir pour des raisons purement fiscales et de pouvoir d’achat, au Maroc ou au Portugal par exemple. Ils cherchent le soleil à prix abordable, mais vont consommer leurs pensions françaises dans des pays voisins, car ils se paupérisent en France. Loin de moi l’idée de les culpabiliser.

Ils portent eux aussi les couleurs de la France. Mais la France fait-elle ce qu’il faut pour leur offrir un vrai choix ? Il est permis d’en douter.

Plus inquiétante est la situation de compatriotes français à l’étranger qui tout au long de leur vie ont rêvé de revenir passer leur retraite en France. Ils en sont aujourd’hui dissuadés. C’est un investissement Français en France sur lequel nous faisons une croix.

Le cas des États-Unis est symptomatique. Entre l’exit tax américaine et l’imposition à l’ISF en France, les placements venant compléter des petites retraites françaises se retrouvent taxés à la sortie et à l’entrée. Une ineptie et une injustice. Ce sont des « prisonniers de la retraite » comme je les ai baptisés.

Ils sont fonctionnaires internationaux, salariés retraités de grands groupes, veufs ou veuves…

La France a besoin de leur pouvoir d’achat. Nous devons être attractifs. Je propose de les exonérer d’ISF et de taxes sur leur patrimoine. Ainsi ils pourront librement choisir de revenir en France. Pour le bien de notre économie nationale.

Nous posons-nous vraiment les bonnes questions ?

C’est pourquoi je tiens à exprimer ma position sur les enjeux de la fiscalité des Français établis hors de France, la protection sociale des Français établis hors de France, la politique éducative à destination de compatriotes expatriés, la promotion de la culture française et de la francophonie à l’étranger.

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Notre pays doit rompre avec une politique fiscale stigmatisante

La caricature bat son plein sur le sujet de la fiscalité de nos compatriotes expatriés.

Selon nombre des membres de la commission, voire ses initiateurs, les Français établis hors de France se seraient installés à l’étranger pour fuir l’impôt.

Or, cette contre-vérité justifie une politique fiscale qui cherche à les pénaliser, à leur faire payer leur départ. Je défends l’idée qu’il faut mettre fin à cette tendance à la discrimination fiscale, qui constitue une injustice.

Il ne s’agit pas de soustraire les Français au financement de la collectivité nationale mais de s’assurer que chacun d’entre eux soit imposé de manière juste, équitable et en adéquation avec les conventions bilatérales des pays dans lequel ils résident.

Il convient en premier lieu de s’attarder sur le dispositif de l’exit tax qui a été mis en place par le précédent Gouvernement et durci par l’actuel. Nous sommes donc censés avoir un consensus au sein de notre assemblée sur une telle mesure.

Mais lorsque j’étais membre du précédent Gouvernement, je m’étais inscrit en faux contre cette démarche, que je réprouve dans son principe.

L’administration fiscale invente en permanence avec le Parlement des mesures contraignantes alors que nous sommes dans un champ concurrentiel et qu’il ne serait pas absurde de réfléchir à des dispositifs attractifs, notamment quand il s’agit d’acteurs économiques, comme c’est le cas pour l’exit tax.

Je rencontre ainsi régulièrement par exemple des jeunes Français créateurs de start-up, qui ont décidé que ce n’était plus en France qu’il fallait faire prospérer leurs idées et leurs entreprises afin de ne plus réaliser leurs plus-values en France.

Or cette déperdition pour notre pays n’est pas mesurable et les services de la DGFIP ne les mesureront jamais.

Je suis frappé par le côté inquisitorial de la démarche de la DGFIP, qui caractérise aussi celle de cette commission d’enquête, comme en témoigne ses interrogations sur de nouvelles obligations déclaratives à l’heure de la simplification. Je l’ai souligné dans les auditions.

Dans un monde et une économie globalisés, il faut au contraire essayer d’être plus attractif.

De plus, on a tendance à considérer qu’un citoyen qui reste en France, y gagne de l’argent et y paie des impôts est un bon citoyen alors que celui qui décide de partir à l’étranger est un mauvais citoyen, ce qui correspond à une logique de culpabilisation qui justifie ensuite la pénalisation. C’est un cercle infernal.

Il convient, afin d’être objectif, d’établir la liste non exhaustive des situations d’injustice fiscale dans lesquelles sont plongés nos compatriotes à l’étranger, dont beaucoup y sont sans l’avoir vraiment choisi, sur ordre de leur entreprise notamment.

Ils sont assujettis à la CSG-CRDS sur les plus-values immobilières ou les revenus fonciers, ce qui a pour conséquence de taxer les plus-values foncières des Français établis en dehors de l’Espace Economique Européen (EEE) à près de 50 % et, de fait, réalise une forme de double imposition, dès lors que les revenus fonciers et les plus-values immobilières font parfois l’objet – conformément aux conventions fiscales en vigueur – d’une taxation du pays de résidence.

La France sur cette disposition injuste fait d’ailleurs l’objet d’une procédure de sanction par l’Europe. Je soutiens cette procédure. Et les actions qui se multiplient de la part de nombre de nos compatriotes.

Mais on essaye donc de ne leur laisser aucune échappatoire.

Après leur départ, nos compatriotes expatriés, soit laissent leur logement vacant et ils doivent faire face au système de taxe sur les logements vacants instauré par la loi Duflot, soit ils louent afin souvent de payer les études parfois très chères de leurs enfants à l’étranger et ils se retrouvent avec 100 % d’augmentation de ce qu’ils ont à payer sur les revenus fonciers. Et s’ils décident de le vendre, ils ont 50 % d’augmentation sur la plus-value.

Alors qu’une procédure européenne est dirigée contre la France – le secrétaire d’État chargé du budget a accepté de me permettre d’animer un groupe de travail à ce sujet pour trouver une solution, la condamnation de notre pays paraissant inévitable –, nous sommes dans un phénomène de quasi-traque à l’égard de personnes honnêtes qui n’essaient pas d’échapper à l’impôt ou de quitter définitivement la France.

Le Gouvernement vient enfin de constituer les groupes de travail promis.  Pas au parlement comme il s’y était engagé auprès de moi241, mais finalement pilotés par l’administration.  Je ne ferai néanmoins pas de procès d’intention car je veux donner sa chance à cette procédure.  La seule question qui vaille :

Allons-nous enfin rompre avec cette injustice criante dont la seule conséquence est d’inciter nos compatriotes à couper le lien qui les unit à leur pays ?

Parmi les autres dispositifs dissuasifs, on peut citer aussi le « Scellier-Duflot », le fait que certaines charges ne sont plus déductibles, comme les pensions alimentaires. Sans parler de la fiscalité sur les retraites : j’observe aux États-Unis un phénomène qui se développe, celui déjà évoqué  des « prisonniers de la retraite », qui tout au long de leur carrière ont travaillé à l’étranger avec la volonté de revenir en France prendre leur retraite, mais qui, du fait de l’exit tax américaine ajoutée à tout ce que nous avons inventé, ne peuvent plus le faire, sinon ils n’ont plus les moyens de vivre décemment.

Il convient également d’évoquer le dispositif sur les représentants fiscaux accrédités pour les déclarations de plus-values – que l’on pourrait faire évoluer comme l’ont fait d’autres pays européens – , celui sur la redevance audiovisuelle imposée à nos expatriés alors que la France, contrairement à la BBC, trouve le moyen d’empêcher l’accès depuis l’étranger aux programmes de France Télévision, mais aussi sur la dernière mesure inventée par le Gouvernement en matière de bourses, qui intègre les droits à la retraite acquis dans un système de retraite par capitalisation à l’étranger dans les revenus pour déterminer s’ils ont droit à celles-ci. Certains sont de ce fait dans l’incapacité de scolariser leurs enfants.

Avec tous ces dispositifs, c’est donc tous ceux qui veulent simplement réussir et porter l’image de la France dans le monde, ou qui partent sans l’avoir choisi, qui se trouvent pénalisés par une jungle fiscale inquisitoriale, fondée sur la contrainte plutôt que sur l’attractivité.

Il est temps de rompre avec cette tendance suicidaire qui coupe notre pays de ses enfants.

Je tiens à ajouter que le devoir de l’administration, et notamment de l’administration fiscale, est de faire des études d’impact. Elles sont pourtant obligatoires.

Or, je constate l’incapacité de l’administration fiscale, à mesurer l’impact des dispositifs fiscaux, alors que son rôle devrait être d’alerter le Gouvernement et le Parlement au travers de ces études sur les dangers de mesures trop souvent prises à l’aveugle. Je l’ai dénoncé au cours des auditions.

Ce doit être la responsabilité de l’administration aujourd’hui. Ces études sont souvent très mal faites et l’administration n’est pas à même de nous dire l’effet des législations appliquées depuis trois ou quatre ans. Elle le reconnaît elle-même. C’est un comble.

Ne devrait-on pas considérer, dans un pays démocratique, lorsqu’un dispositif dont un certain nombre de capteurs montre les effets négatifs et dont on est incapable de mesurer l’impact exact, qu’il y a lieu de se poser des  questions voire de le suspendre ?

En résumé, je dénonce un système dans lequel Parlement et Gouvernement inventent des dispositifs, au nom de l’affichage, qui sont soi-disant plus contraignants mais qui ont dans la réalité des effets négatifs qu’on est incapable de mesurer.

Or des moyens, il y en a : changeons de logique et entrons dans une société de confiance en essayant d’être attractifs sur le plan fiscal !

C’est le cas de la procédure du rescrit par exemple, qui est vécu par l’administration comme quelque chose de terrible. Je sais combien, lorsque j’étais ministre et que je décidais de l’étendre,  j’ai rencontré des réticences au sein de l’administration; parce que  le rescrit oblige celle-ci à se prononcer à l’avance.

Au lieu d’avoir des textes clairs et de chercher l’attractivité et la confiance, on construit la société que l’on connaît, avec une sorte de police fiscale, qui veut piéger les contribuables, en maintenant parfois volontairement un flou, une complexité, des ambiguïtés.

Quelle erreur. On ne pourra jamais être suffisamment contraignant dans un monde libre pour empêcher tel ou tel contribuable de quitter notre pays.

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Des services consulaires qui ne répondent pas aux attentes de nos compatriotes expatriés

La présence de nombreux Français hors de France constitue également une exigence pour les services consulaires, qui se doivent de fournir des services administratifs de qualité.

Pourtant, les Français établis hors de France ont souvent le sentiment que ces services pourraient être améliorés et qu’un certain nombre de défauts ou de lourdeurs administratives pourraient être corrigés.

C’est une politique efficace au service des expatriés qui doit être mise en œuvre.

Si la loi de finances pour 2013, dans un cadre budgétaire contraint, a préservé les crédits attribués aux consulats, il est indispensable d’améliorer la qualité de services rendus aux Français de l’étranger.

Les Préfectures ont, en France, bénéficié d’une vraie politique de modernisation entre 2007 et 2012, avec le développement d’une charte de qualité juridiquement contraignante, premier niveau de démarche qualité, le référentiel Marianne, qui concerne l’accueil du public, la mise en œuvre d’une démarche de qualité « Qualipref », et une modernisation sans précédent des procédures de délivrance des titres d’identité, notamment grâce à la biométrie.

Les consulats doivent aujourd’hui, pour le service de nos compatriotes, s’engager dans une démarche similaire, avec, notamment, la mise en place d’un service consulaire minimum, reposant sur des permanences horaires décalées d’ouverture au public et la mise en place d’un numéro d’appel unique destiné à communiquer toutes les informations utiles.

Les consulats doivent s’inscrire dans la même démarche que celle engagée sur le territoire national dans les préfectures, dans le cadre de l’extension du référentiel de qualité contraignant « Marianne » aux consulats, et la création d’un dispositif de qualité « qualitconsulat », dont les responsables consulaires devront rendre compte de l’application aux services du ministère des affaires étrangères à travers des indicateurs de performances.

L’instauration de ce service minimum et de cette démarche qualité permettrait de simplifier et d’accélérer les délivrances de titres (passeports, établissement et renouvellement du permis international) et de développer les procédures électroniques et biométriques permettant à nos compatriotes d’obtenir ou de renouveler leurs passeports.

Je regrette que cette commission d’enquête n’ait pas abordé cette question, alors que nous devrions envisager la création au sein des consulats de « Maisons de France », véritables guichets uniques regroupant une offre de services nécessaires aux Français de l’étranger.

Ouvertes aux heures auxquelles les Français peuvent s’y rendre, ces Maisons de France offriraient aussi un bureau pour l’obtention des permis de travail et comprendraient un bureau de l’expatriation afin de faciliter l’arrivée et le retour des expatriés.

Véritable bouquet de services, ces espaces à la disposition des Français permettraient :

- de mieux répondre aux attentes de nos compatriotes en matière de renouvellement de leurs titres d’identité ;

- aux associations qui font vivre la communauté française, de bénéficier de salles de réunions et de services ;

- aux Français cotisant à la Caisse des Français de l’étranger ou bénéficiant des services de Pôle Emploi « Service aux Expatriés » et de la CNAV, un guichet unique de la protection sociale, dont les heures d’ouverture seraient adaptées ;

- et aux jeunes entreprises françaises d’utiliser les services d’une pépinière pour accompagner leur projet économique.

Nous avons incontestablement perdu une occasion de mieux cerner les besoins de nos compatriotes et de proposer des pistes d’actions visant à leur offrir des services adaptés à leur situation particulière, et de moderniser nos services consulaires.

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Prendre en compte les attentes sociales des Français établis hors de France

Définir les modalités d’une protection sociale adaptée.

La protection sociale des Français établie hors de France est essentielle et il est indispensable et conforme au sens de la justice la plus élémentaire que nos compatriotes expatriés bénéficient au minimum de la protection que l’État français accorde aux étrangers présents en métropole.

Cette protection des Français établis hors de France est assurée par la Caisse des Français de l’Étranger (CFE) qui a pour mission exclusive d’assurer les expatriés pour les trois risques principaux de la protection sociale, la maladie, les accidents du travail et les maladies professionnelle, et la vieillesse.

Cette protection peut être rationalisée et améliorée.

Ainsi, le fait de cotiser à la CFE ou à une caisse de protection sociale n’ouvre pas le droit à l’établissement d’une carte vitale, pourtant indispensable à ceux qui se font soigner à l’occasion de leur passage sur le territoire national. Il est nécessaire, afin de respecter le principe d’universalité qui préside à notre système de protection sociale de permettre aux Français établis hors de France, cotisant de manière avérée à la CFE ou à une caisse de sécurité sociale, de bénéficier d’une carte vitale.

Je l’ai obtenu, au début de l’année 2014 pour les retraités. C’est un premier pas mais il conviendrait de l’étendre progressivement, notamment aux fonctionnaires expatriés qui travaillent au sein de nos services consulaires.

En outre, les Français établis hors de France et qui rentrent s’installer définitivement en France peuvent théoriquement bénéficier de la couverture médicale universelle (CMU) dès le premier jour de leur retour, s’ils en remplissent les conditions.

Cette possibilité dérogatoire ne fait toutefois pas l’objet d’une application uniforme par l’ensemble des caisses primaires d’assurance maladie, qui interprètent plus ou moins restrictivement le décret du 1er décembre 1999 relatif à la condition de résidence applicable à la CMU.

J’aurais souhaité que, dans le cadre de cette commission, nous envisagions l’inscription dans le code de la sécurité sociale de l’inopposabilité de la condition de résidence préalable aux demandes de CMU des Français revenant en France à titre définitif.

Par ailleurs, en vertu des règles actuellement applicables, lorsque deux personnes sont pensionnées dans un couple au titre de la CFE, elles doivent supporter deux cotisations intégrales, ce qui peut, pour certains, constituer un obstacle à la protection sociale.

Il aurait été souhaitable d’envisager, dans le cadre de cette commission l’introduction, pour les couples, mariés ou pacsés, une cotisation spécifique réduite à la CFE.

Nos compatriotes établis hors de France, qui attendent également que les services qui leur sont offerts soient rationalisés au sein des services consulaires, dans le cadre d’un guichet unique de la protection sociale, aux heures d’ouvertures adaptées, qui aurait pour mission de regrouper toutes les demandes d’information ou de traitement de dossiers relatifs à la CFE, à Pôle Emploi « Service aux Expatriés », à la CNAV et aux démarches sociales à accomplir dans le cadre d’un retour sur le territoire national.

Prendre en compte les questions des conflits liés à la parentalité.

Les Français établis hors de France sont de plus en plus nombreux. En 2013, ils sont dans le monde, 1,61 million inscrits au Registre mondial des Français établis hors de France, soit 6 % de plus qu’en 2001, auxquels il faut ajouter, selon les projections officielles, près de 900 000 Français non-inscrits. Mon sentiment est qu’ils sont plus nombreux encore...

Lors de son intervention devant l’Assemblée des Français de l’étranger du 12 septembre 2013, le ministre des affaires étrangères estimait, lui-même, que ce chiffre de 2,5 millions de Français expatriés pourrait, dans quelque temps, avoisiner les 3 millions.

Selon l’enquête 2013 de la Maison des Français de l’étranger, 70,8 % d’entre eux sont mariés, pacsés ou en situation de concubinage et 7 % sont divorcés ou séparés. Par ailleurs certains expatriés célibataires se marient soit avec des Français expatriés, soit avec des ressortissants des pays dans lesquels ils séjournent, dans le cadre de couples dits mixtes ou binationaux.

Les ambassadeurs et les consuls de France exercent en effet les fonctions d’officier de l’état civil dans les limites prévues par la législation du pays où ils sont accrédités. Dans la plupart des États, ils sont donc seulement autorisés à marier deux ressortissants français, et pour les cas où l’un des ressortissants n’est pas de nationalité française, transcrivent dans leurs registres les mariages célébrés devant les autorités locales.

Ces unions peuvent, comme sur le territoire national, connaître une fin prématurée, avec toutes les conséquences juridiques, matrimoniales et humaines que cela peut impliquer.

Loin d’être marginal, le taux de divorce des couples expatriés est ainsi supérieur de 40 % au taux de divorce hexagonal. De même, le nombre de séparations de couples mixtes, à l’étranger ou sur le territoire national, est en augmentation constante depuis les années 1990.

Ces situations engendrent des situations conflictuelles ou matériellement compliquées, notamment lorsque l’un des membres du couple séparé décide de revenir sur le territoire national lorsqu’il est expatrié, ou dans son pays d’origine dans le cas des couples mixtes.

De nombreux conflits relatifs au partage de l’autorité parentale, à la garde des enfants, à l’exécution des jugements de divorce et au paiement ou au recouvrement des pensions alimentaires surgissent.

Les parlementaires représentant les Français établis hors de France et la Mission Femmes françaises à l’étranger sont de plus en plus saisis de ces situations, notamment de la part de Françaises expatriées qui ont divorcé et dont l’ex-conjoint, retourné en France, refuse de payer la pension alimentaire prévue dans le jugement de divorce.

Certains pays ont mis en place des agences exclusivement chargée de ces créances alimentaires.

Le Québec dispose pour sa part d’un mécanisme de garantie des pensions alimentaires avec saisie sur salaire et/ou les biens de l’ancien conjoint, mécanisme qui assure à la personne qui reçoit sa pension une sécurité financière.

En outre, par la voie de conventions bilatérales, le Québec a mis en œuvre un mécanisme de réciprocité avec différents États américains qui assurent en lieu et place du Québec la saisie du salaire ou des biens des anciens conjoints indélicats et mauvais payeurs.

Alors qu’il est signataire de la Convention du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille, notre pays fait partie des mauvais élèves en la matière, au détriment de ses ressortissants expatriés ou des français divorcés après un mariage mixte.

Dans le cadre de la loi n°2014-873 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le gouvernement s’est engagé, à ma demande, à mettre en œuvre, à titre expérimental, un département particulier, au sein de la CAF, pour gérer la situation des Français de l’étranger242.

Où en sommes-nous de cette promesse ?

J’aurai souhaité que cette question, et en l’occurrence les conditions de cette expérimentation, avant généralisation du dispositif, soit appréhendé dans la réflexion globale sur l’expatriation.

En outre, l’actualité récente fait état de nombreuses affaires ou des parents binationaux divorcés ou séparés ne respectent pas les règles relatives aux droit de visite, voire ont recours aux déplacements illicites d’enfants en violation de la Convention européenne de Luxembourg du 20 mai 1980 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants.

Afin de lutter contre ces pratiques, la France a conclu des conventions bilatérales d’entraide judiciaire en matière de droit de garde des enfants avec un certain nombre de pays. Les affaires qui ont défrayé la chronique démontrent que le problème reste entier, et qu’il faut renforcer les moyens dont notre pays dispose pour lutter contre ce phénomène.

Au lieu de stigmatiser et de nous limiter au terme restrictif et stigmatisant d’exil, il aurait été préférable de créer une commission sur l’expatriation afin que soit réellement abordé l’ensemble des problématiques auxquelles sont confrontés nos compatriotes vivant hors de France.

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Une politique éducative et culturelle inadaptée à la Mondialisation

- Garantir l’accès aux établissements de l’Agence de l’Enseignement Français à l’Etranger

La précédente majorité avait créé, à la rentrée scolaire 2007, par une instruction de l’AEFE, en vertu du principe républicain de traitement égalitaire de tous les enfants scolarisés, un dispositif de prise en charge des frais de scolarité dans les écoles françaises à l’étranger, dispositif étendu par la suite au bénéfice des lycéens français scolarisés dans le réseau de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE).Ce dispositif réglementaire de « prise en charge » par l’État, sans condition de revenus, des frais de scolarité des enfants français scolarisés dans un établissement d’enseignement français à l’étranger, a été supprimé par l’article 42 de la loi de finances rectificative pour 2012 et le décret du 4 octobre 2012.

En vertu de cette réforme, nombre de familles ont été dans l’obligation, au mois de septembre dernier, d’acquitter des frais de scolarité pour un montant pouvant atteindre jusqu’à 20 000 euros (montant des frais de scolarité au lycée français de New York).

Le Gouvernement a justifié cette suppression, engagement du candidat François Hollande, par une volonté de transfert des crédits affectés à cette prise en direction du mécanisme des bourses scolaires.

La réalité est tout autre, puisque le système des bourses n’a reçu que 50 % des crédits précédemment affectés à la PEC, le budget total de l’aide à la scolarité connaissant une baisse de 12 %.

À travers ces mesures, ce sont essentiellement les familles appartenant aux classes moyennes qui ont dû supporter des frais de scolarité supplémentaires.

Par ailleurs, le Gouvernement a adopté une réforme du système des bourses scolaires, qui s’applique depuis dès la rentrée 2013. Les conséquences pour les familles vivant hors de France, sont très importantes, puisque l’immense majorité des familles a été touchée, certaines perdant plus de 50 % de quotité de bourses.

L’ensemble des parlementaires représentant les Français établis hors de France sont confrontés aux demandes des familles qui, dans leur majorité renoncent à l’AEFE lorsqu’elles sont victimes de cette réforme.

Nos concitoyens expatriés ressentent ces orientations comme une véritable rupture d’égalité, et un abandon de la part de leur pays. S’établissant à l’étranger par nécessité professionnelle, ils ont l’impression de devenir des citoyens de second ordre, ne bénéficiant plus de la solidarité nationale pour garantir l’accès de tous les enfants français à un enseignement gratuit.

Même nos enseignants dans les établissements français ne peuvent plus scolariser leurs propres enfants.

Alerté lors de l’examen des crédits de la mission « Action extérieure de l’État » en loi de finances initiale, le ministre du budget avait, le 6 novembre 2013, indiqué que le Gouvernement était « soucieux de prendre en compte la totalité des cas problématiques que » les parlementaires voudraient « bien porter à sa connaissance, c’est-à-dire des enfants scolarisés à l’étranger qui ne seraient plus pris en charge ou déscolarisés en raison de la réforme ».

Le ministre du budget avait ajouté, qu’il demandait « très concrètement [...] de bien vouloir [...] faire parvenir ces éléments » et s’était engagé à « communiquer toutes les informations et à rectifier la situation de telle sorte que les enfants concernés puissent être scolarisés ».

Cet engagement n’a pas été suivi d’effet et tous les dossiers présentés par les parlementaires des Français établis hors de France se sont heurtés à une fin de non-recevoir du ministère des affaires étrangères et de l’AEFE, alors que les cours de change ont permis au gouvernement de bénéficier d’une marge de 9 millions d’euros de crédits.

Ces 9 millions d’euros de crédits disponibles, le gouvernement a préféré les annuler dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2014 que de les répartir sur les familles qui en avaient besoin.

Je m’y suis opposé en déposant un amendement visant – au contraire – à sauvegarder cette marge de manœuvre, qui aurait été si positive pour nombre de familles243. Malgré le vote à mes côtés de nombreux élus de gauche a été repoussé d’une voix. Occasion manquée !

Je regrette que la commission n’ait pas souhaité poser clairement la question de la restauration de la prise en charge par l’État des frais de scolarité des enfants français scolarisés dans un établissement d’enseignement français à l’étranger.

J’ai noté que le nouveau ministre des français de l’étranger s’est engagé auprès de moi à régler les cas que je lui présenterai. Nous verrons.

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- Favoriser la mobilité étudiante

Si les étudiants des grandes écoles partent autant à l’étranger, c’est aussi parce que cela fait partie de leur cursus.

Notre pays a, hélas, une vision culpabilisante de la mobilité étudiante mais aussi professionnelle alors que, dans le contexte de la mondialisation, ce serait un atout pour les jeunes Français que de travailler quelques années à l’étranger, après y avoir étudié par exemple.

Ils l’ont bien compris d’ailleurs.

Lorsqu’on interroge les étudiants français à l’étranger, ils expliquent qu’ils sont partis, non pas pour fuir la France, comme on l’entend parfois dire, mais parce qu’ils sont conscients que leur avenir est à l’échelle du monde et qu’il leur faut cumuler les expériences. Nos ingénieurs ont très bien compris le profit qu’ils pouvaient retirer de leur profil très généraliste, notamment par rapport aux ingénieurs américains.

Mais nous ne devons pas nous limiter aux grandes écoles. Les universités devraient intégrer davantage la mobilité et la mondialisation. Ce n’est pas seulement une question sociale, mais aussi une question de mauvaise appréhension de la mondialisation.

Notre société et notre système universitaire ont peur de s’inscrire dans la mondialisation.

Le bac international, accepté par certaines grandes écoles, est refusé par beaucoup d’universités. Il y a des individus qui choisissent l’université parce qu’ils préfèrent son mode d’enseignement. Mais ils regrettent qu’elle ne soit pas assez ouverte sur le monde.

Parmi les étudiants français qui viennent aux États-Unis, mais c’est aussi vrai au Canada, beaucoup souffrent que la France n’investisse pas assez dans le système d’accueil des étudiants à l’étranger, contrairement à ce que font d’autres pays, notamment asiatiques, qui mettent en place des systèmes d’entraide pour aider leurs étudiants à trouver un logement, un job…

La question qui doit nous occuper n’est pas seulement celle des étudiants étrangers en France mais aussi celle de nos étudiants à l’étranger, en Europe et partout dans le monde. Je vois très souvent aux États-Unis et au Canada des étudiants français « projetés » dans le système d’enseignement supérieur de ces pays sans aucune aide. Ils sont souvent partis sac au dos, quasiment contre le système de notre pays !

Si la France a une réforme à faire, qu’elle se réorganise pour investir dans la mondialisation, dans la jeunesse qui croit à la mondialisation, pour être plus accueillante… Les initiatives françaises en matière de MOOC (massive open online course) rencontrent un énorme succès dans le monde entier, comme je le constate dans ma circonscription. Le programme d’enseignement mis en ligne par Sciences Po « fait un tabac ». Arrêtons de nous culpabiliser sans cesse ! Investissons dans le système !

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Protéger nos ressortissants des injustices

Au lieu de culpabiliser les Français établis hors de France, nous devrions nous montrer plus vigilants et protecteurs, notamment lorsque la législation des pays d’accueil tends à durcir voire à devenir intrusive,

L’exemple de la loi FATCA et de la négociation du traité permettant son application est révélatrice de cet état de fait.

Dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale entreprise par l’administration Obama, le Congrès américain a voté une loi connue sous l’acronyme de "FATCA" ("Foreign Account Tax Compliance Act").

Cette loi impose aux banques étrangères, sous peine de lourdes sanctions, de renseigner les autorités américaines sur les avoirs et transactions de leurs clients imposables aux Etats-Unis.

Afin de faciliter l’application de ce texte, les Etats-Unis ont négocié, avec un certain nombre de pays alliés, des traités d’échange d’informations. Notre pays a signé un accord de ce type dont l’approbation vient d’être validée par l’Assemblée nationale et promulguée.

En vertu de cet accord, tout national de l’un des deux pays détenant des avoirs financiers dans l’autre pays fera l’objet d’une note d’information relative à son solde bancaire, ses revenus financiers et le montant de ses actifs aux autorités fiscales de son pays d’origine. On passe donc d’un système d’information sur demande à un système d’information automatique.

Les banques françaises servant des clients imposables aux Etats-Unis devront en outre, dans certains cas, respecter la législation financière américaine. Les règles américaines étant bien sûr différentes des règles françaises et européennes, elles nécessitent pour leur respect la création d’un département administratif spécialisé.

Il est clair que le coût administratif alors encouru par l’établissement financier français est hors de proportion avec le profit réalisé sur le portefeuille de la plupart des clients concernés.

En réaction à ces nouvelles contraintes et afin de se soustraire à la lourdeur administrative qui s’en suit, des établissements français ont commencé à notifier à leurs clients imposables aux Etats-Unis la fermeture de leurs comptes.

Nombre de nos concitoyens résidant aux Etats-Unis mais conservant des avoirs en France sont donc priés de retirer leurs actifs, et ce sans possibilité de recours. Certains se trouvent tout simplement dans l’impossibilité d’ouvrir un compte en banque en France.

Tout le monde comprend la nécessité de lutter contre la fraude fiscale et les comptes étrangers non-déclarés. Personne ne plaindra les fraudeurs pris dans les filets; ce sont d’ailleurs bien eux qui sont dans la ligne de mire. Il n’y aura plus d’endroit où se cacher.

Ceci étant, nos concitoyens établis aux Etats-Unis, et même certains français vivant en métropole, subissent de plein fouet un effet secondaire que l’on peut qualifier de pervers.

Ainsi certains Français naturalisés Américains qui décident de revenir en France pour y prendre retraite ne pourront pas y ouvrir un compte titres. Un Français établi aux Etats-Unis mais ayant maintenu des investissements mobiliers en France peut se trouver dans l’obligation de les liquider en dépit de toute planification fiscale légitimement effectuée en amont.

Certains Américains établis en Europe, renoncent désormais à leur nationalité américaine pour échapper à ces contraintes.

Cet état de fait est la conséquence d’un accord mal négocié, qui a été axé, à juste titre, sur la fraude et l’évasion fiscales, mais dont la rédaction trop restrictive n’a pas pris en compte ses possibles effets secondaires.

Si chacun comprend l’impératif de lutter contre la fraude fiscale, tout le monde conviendra que le contribuable respectueux des lois ne doit pas en faire les frais.

C’est pourquoi il est indispensable que les pouvoirs publics rappellent aux établissements financiers leurs devoirs et de ne pas sacrifier leur rôle social attaché à la banque de France et un rappel à ces obligations.

J’ai demandé au gouvernement de prendre toutes les dispositions nécessaires en ce sens.

L’engagement du Gouvernement en séance publique à l’Assemblée Nationale devait être suivi d’actes concrets et les grands réseaux bancaires Français devaient s’engager à ne pas pénaliser les citoyens honnêtes.

Or, aucune suite concrète n’a été donnée à ces engagements !

J’ai invité la France à prendre l’initiative d’une réaction européenne, la situation en Allemagne, par exemple, étant identique. Une solution pourrait être de proposer aux Etats-Unis, comme alternative, de participer à la nouvelle plateforme de l’OCDE sur les échanges automatiques de données, basée sur la résidence.

Le gouvernement n’a pas souhaité s’engager dans cette voie.

Le traitement de cette question, et les conséquences qui découlent de cet accord sur lequel nous n’avons pas été vigilants, témoigne de la nécessité de mieux protéger, pour l’avenir nos compatriotes.

C’est dans cet esprit que j’ai déposé une motion d’ajournement du projet de loi autorisant la ratification de FATCA ou j’ai rappelé ce sont près de 50 000 comptes bancaires qui sont aujourd’hui susceptibles d’être fermés unilatéralement à cause de FATCA.

Parce que chaque Français, où qu’il réside, a le droit, en vertu de la loi à un compte bancaire en France, j’ai invité les Français des Etats-Unis dont les comptes sont menacés de clôture à écrire au Président de l’Autorité de Contrôle Prudentiel par mon intermédiaire.

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Conclusion : Au lieu de vendre la France conquérons le monde…

Occupons-nous des français d’abord mais de tous les Français.

Ceux du grand Paris, ceux de nos provinces, ceux du monde entier, qu’elles que soient leurs racines.

Notre pays ne tourne pas rond. La France dépense des milliards pour les étrangers au lieu d’aider les Français à réussir.

Un jeune français gravement malade qui vit à New York s’il vient en France n’aura pas droit à être soigné gratuitement avant 3 mois alors qu’un étranger en situation irrégulière y a droit immédiatement.

La France ne peut pas, ne doit pas être généreuse asymétriquement.

Battons-nous pour l’égalité, la vraie.

Un investisseur étranger qui achète le patrimoine de la France, nos châteaux, nos vins, sera lourdement avantagé par rapport à un Français qui voudrait conserver son patrimoine à la France du fait de la fiscalité.

La priorité doit être données aux Français où qu’ils vivent !

Les millions de nos compatriotes qui entreprennent, travaillent, étudient ou prennent leur retraite au-delà de nos frontières ne doivent pas être culpabilisés.

Nos compatriotes à l’étranger sont des porte-drapeaux et des atouts pour notre pays dans la mondialisation.

Toute vision étriquée de l’expatriation présentée trop souvent comme une perte pour la France est datée.

Nous devons au contraire renforcer les liens avec notre diaspora.

La priorité devrait être de casser la caricature qui est faite des expatriés.

Il faut mettre un terme au portrait type de l’exilé fiscal, qui fuit un pays avec lequel il n’a plus d’attaches. Ceux-là ne représentent même pas 10% des populations établies à l’étranger.

Et en Amérique du nord nos compatriotes payent, tout confondu, au moins autant d’impôts qu’en France.

Il faut, au contraire valoriser ces portes drapeaux de la France qui font rayonner nos valeurs, notre culture, nos savoir-faire.

Partager leurs expériences c’est bâtir de nouvelles solutions économiques, politiques et sociales pour la France.

Posons-nous la question des passerelles, de la modernisation, de la simplification, de l’attractivité, du niveau de prélèvements obligatoires sans tomber dans la facilité : caricaturer et dénigrer les Français qui décident l’expatriation.

Les jeunes qui portent notre avenir, qui regardent si souvent au-delà de nos frontières, comprennent mieux que quiconque que le « made in France » ne doit pas simplement être défensif, en France, mais doit nous permettre de manière offensive de gagner des marchés partout dans le monde.

Soutenons un cursus à l’étranger pour tous les jeunes Français pas seulement ceux qui sont issus de notre formidable système des grandes écoles.

N’ayons pas peur de les voir partir. Ne les culpabilisons pas. En construisant leur avenir, c’est l’avenir de la France qu’ils construisent.

Engageons-nous résolument dans cette bataille mondiale.

CONTRIBUTION INDIVIDUELLE DE MME MONIQUE RABIN, MEMBRE DU GROUPE SOCIALISTE, RÉPUBLICAIN ET CITOYEN

La proposition de mettre en place une Commission d’enquête sur "l’exil des forces vives" a, dès l’origine, revêtu un caractère partisan. Il faut noter en effet le manque d’enthousiasme de beaucoup de députés de la droite parlementaire à l’égard de ce projet de Commission d’enquête, lors du vote de la résolution.

La Commission installée, les travaux ont été largement biaisés par le choix des auditions qui devaient largement conforter le postulat de départ : disqualifier notre pays et donner raison à celles et ceux qui le quittent pour des raisons économiques et fiscales.

Par ailleurs, on notera le manque d’intérêt des parlementaires, très peu nombreux, à suivre les auditions.

Il ressort de 6 mois de travaux que notre pays est enfin entré dans le concert des nations ouvertes réellement au monde. La mobilité des personnes est désormais encouragée par les grandes écoles, les universités, l’Union européenne, par la mise en place de référentiels de formation faisant une part importante au cursus à l’étranger, et par le soutien financier des grandes collectivités aux étudiants en mobilité. Nous ne pouvons que nous réjouir de cet élan qui a suivi - avec retard – la circulation des biens et de la finance.

En contrepartie de cette mobilité entrante, l’attractivité de nos organismes de formation est avérée, puisque plusieurs milliers d’étudiants étrangers choisissent notre pays et pas seulement par défaut comme l’a pourtant suggéré le Président de la Commission.

Afin d’asseoir cette attractivité à l’international, même si la spécificité des grandes écoles semble toujours reconnue, un lobbying pourrait être effectué auprès de l’Union européenne sur le classement mondial des établissements, trop empreint de culture anglo-saxonne.

Il conviendrait de renforcer notre capacité d’accueil des chercheurs et étudiants : le manque de structure d’accueil, la compréhension de notre culture, l’apprentissage de notre langue doivent faire l’objet d’une attention qu’il convient d’institutionnaliser. Les questions des droits sociaux des chercheurs étrangers, de leur logement, de l’accueil des conjoints et des enfants ont été également pointées.

Évoquer, en premier lieu, la mobilité étudiante entrante et sortante est une manière positive d’exprimer que l’augmentation considérable des Français à l’étranger ne doit pas nous inquiéter.

Nous devons en tirer des propositions fortes sur la construction d’une diaspora, à partir des ambassades, d’autant que très heureusement leur champ de compétences est renforcé avec l’ajout de la diplomatie économique. Il convient de repérer les futurs ambassadeurs que sont les étudiants d’aujourd’hui.

Pour cela la France doit améliorer la connaissance qu’elle a de ces Français qui vivent à l’étranger, mettre en place un service statistique solide - ce point a été dénoncé à plusieurs reprises – une politique moderne de visa, et un accueil renforcé dans ses consulats.

Sur la question singulière des visas, notre pays peut paraître mépriser les étudiants étrangers. Certes, le Gouvernement a aboli la malheureuse circulaire Guéant, dont plusieurs personnes auditionnées nous ont dit les dégâts. Cependant, des mesures doivent être mises en place pour permettre aux étudiants étrangers de rester dans les entreprises qui, après un stage d’étude, leur proposent un poste. L’Allemagne est de ce point de vue plus généreuse, se créant ainsi un réseau de jeunes professionnels qui, rentrés dans leurs pays, n’oublieront pas le pays qui les a formés.

Certaines auditions ont voulu asseoir l’idée que les Français quittent la France pour des raisons économiques ou fiscales. D’autres qu’il n’y avait pas d’espoir pour les jeunes chercheurs, les plus brillants dans notre pays.

Le rapport démontre, chiffres à l’appui, qu’il n’y a pas de fuite objective pour des raisons fiscales.

Il est cependant vrai que des personnes partent.

Notre pays souffre de deux maux: une crise de confiance, y compris chez les milieux les plus éclairés, et la lourdeur des procédures. Le ressenti ne guérira qu’avec une amélioration globale de la situation, et une expression plus positive dont tous les élus et responsables politiques sont comptables.

Par ailleurs, les travaux du Secrétaire d’État à la simplification et l’affirmation d’une volonté de stabilisation des procédures, des lois et des textes réglementaires sont de nature à rassurer, à améliorer notre efficience, sans qu’il soit besoin d’aller vivre et travailler ailleurs.

Un jeune entrepreneur auditionné dans le cadre de cette Commission d’enquête, ayant une double activité sur les États-Unis et la France est venu affirmer avec force son attachement à la France, à son modèle en matière sociale, de services aux particuliers et aux entreprises, son niveau de formation...

Bref, changeons l’intitulé de cette Commission. Une bonne suite de cette Commission d’enquête pourrait être la proposition d’un rapport parlementaire sur l’attractivité réelle de la France.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique de séances tenues par la commission d’enquête
(toutes les auditions ont donné lieu à un compte-rendu public, à l’exception de celle de M. Bernard Charlès, administrateur-directeur général de Dassault Systèmes, le 25 septembre 2014, qui s’est tenue sous le régime du secret).

Audition du 7 mai 2014

À 16 heures 30 : M. Jean-Yves Durance, vice-président et M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France.

M. le président Luc Chatel. Monsieur Durance, vous êtes chargé depuis 2000 des congrès et salons et, depuis 2013, de la mission consultative de la Chambre de commerce et d’industrie – CCI – de Paris-Île-de-France. Quant à vous, monsieur Biacabe, vous avez fait l’essentiel de votre carrière dans des fonctions axées sur l’observation et l’analyse économiques.

Nous avons choisi de vous inviter pour notre première audition, car la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France a publié, en mars dernier, une très intéressante étude, Les Français à l’étranger – L’expatriation des Français, quelle réalité ?, qui s’emploie à mesurer l’importance du phénomène de l’expatriation des Français, examine leurs motivations, analyse l’expatriation sur le plan international et présente des conclusions destinées à élaborer une véritable stratégie en la matière.

Nous avons décidé de nous emparer, dans le cadre de cette commission d’enquête, non tant de la question de l’expatriation en tant que telle que de ce qu’on pourrait appeler la « mauvaise » expatriation. Si l’expatriation peut être une chance pour la France et son économie chaque fois que de jeunes Français partent à la conquête du monde, ce qui nous inquiète, c’est le départ de Français, jeunes ou moins jeunes, voire de retraités, qui ne voient plus d’un œil favorable l’environnement de leur pays.

M. Yann Galut, rapporteur. Messieurs, vous êtes les premiers auditionnés : vous avez compris l’intérêt qui est le nôtre, puisqu’il s’agit, pour nous parlementaires, de comprendre les motivations des Français qui s’expatrient ou s’exilent tout en analysant ce phénomène sur le plan international.

Nous souhaitons également mieux connaître les raisons pour lesquelles des étrangers s’installent en France.

M. le président Luc Chatel. Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Yves Durance et M. Jean-Luc Biacabe prêtent serment.)

M. Jean-Yves Durance, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France. La question du départ à l’étranger des Français, notamment des jeunes Français, s’est imposée depuis un an à dix-huit mois. Le Président de la République a ainsi déclaré le 14 janvier 2014 : « C’est vrai qu’il y a des jeunes qui souhaitent vivre à l’étranger. Je ne vais pas les blâmer. Ils passent deux à quatre ans, voire davantage, dans un pays, mais ils n’ont pas rompu avec leur pays. Ils sont au contraire les ambassadeurs de notre pays partout dans le monde. » Quant au site Atlantico, il titrait : « Exode français : les exilés fiscaux ne sont pas les seuls à quitter le navire. Les bac +5 et les entrepreneurs sont les premiers candidats à l’émigration ». La presse s’est emparée du sujet, avec un regard d’ailleurs souvent parcellaire.

La chambre de commerce et d’industrie de Paris s’est impliquée dans cette réflexion en se posant deux questions : la France dispose-t-elle des talents dont elle a besoin dans un monde qui change très rapidement et dans lequel la course aux ressources humaines est un des éléments fondamentaux de la compétition mondiale ? Pourquoi de jeunes Français si nombreux quittent leur pays alors que la France possède des écoles d’excellence – dois-je rappeler que les trois premières écoles de gestion françaises, HEC, ESCP Europe et l’ESSEC, font partie des toutes premières écoles européennes ?

Nous nous sommes fondés à la fois sur des chiffes, arrêtés en 2011, et sur des enquêtes plus récentes, parfois réalisées par d’autres instances que la chambre, mais que nos services ont validées. Utilisant également des chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l’ONU, nous devons prendre en compte une marge d’incertitude relativement importante, car tous les expatriés ne se sont pas nécessairement déclarés auprès des autorités de leur pays. Toutefois, ces chiffres sont parfaitement utilisables, puisque les comparaisons internationales ou les comparaisons d’une année sur l’autre confirment les tendances qui s’en dégagent. S’il est vrai que le nombre d’expatriés français oscille entre 1,7 et 2 millions de personnes, l’importance de cette marge doit être relativisée, le degré d’incertitude n’ayant pas augmenté avec les années.

Ces chiffres révèlent paradoxalement deux succès politiques pour la France. Il y a vingt ans, les jeunes Français ne connaissaient pas suffisamment l’étranger, ne maîtrisant ni la langue ni la culture des principaux pays : la situation devait évoluer. Monsieur Chatel, vous le savez en tant qu’ancien ministre de l’éducation nationale, les grandes écoles et les universités françaises ont établi des programmes d’association avec des universités étrangères ou des organismes étrangers équivalents à nos grandes écoles : les diplômes multinationaux ont connu un véritable succès. Il serait dommage de remettre en cause une telle dynamique pour quelque raison que ce soit.

Il faut savoir ensuite que 50 % de nos expatriés vivent en Europe, réalisant ainsi, par-delà le programme Erasmus, l’intégration européenne. Des compatriotes, jeunes ou moins jeunes, sont de plus en plus nombreux à s’installer, temporairement ou plus durablement, dans des pays membres de l’Union européenne. Cette intégration humaine est un facteur favorable à la réalisation d’une Europe solide.

Nous constatons en revanche une transformation de la nature de l’expatriation, une évolution de l’origine des expatriés et une inflexion de leur intention, qu’il s’agisse de la durée de leur séjour ou de leur désir de revenir en France. Des enquêtes nous ont permis de chiffrer cette rupture qui nous inquiète.

La couverture médiatique de notre étude, qui a dépassé nos espérances, s’est focalisée sur cet aspect négatif. Alors que nous pensions, à l’origine, intituler cette étude : De l’expatriation à l’émigration, nous avons dû, au vu de ses résultats, nuancer son titre, afin que celui-ci reflète le plus exactement possible la situation, qui est elle-même nuancée.

Si l’étude ne traite pas de l’aspect fiscal, alors même que celui-ci est le plus médiatisé, c’est notamment parce que nous ne disposons d’aucun chiffre pour les années 2012 et 2013 et pour le début de 2014. Quant aux chiffres des années antérieures, ils indiquaient que le nombre d’expatriés fiscaux pleins, pour lesquels les montants des transferts de capitaux sont significatifs, était très faible par rapport à celui de nos compatriotes qui partent s’installer à l’étranger. Certes, la chambre considère l’expatriation fiscale comme très grave, dans la mesure où les expatriés fiscaux sont le plus souvent des dirigeants d’entreprises : l’expatriation de capitaux importants ainsi que des centres de décision – c’est le cas lorsqu’un entrepreneur vend son entreprise et s’installe à l’étranger où il réutilise son capital – représente une perte de substance importante pour la France. Toutefois, tel n’est pas le problème traité par l’étude.

Enfin, l’important est d’avoir à la fois la capacité de développer des talents au service de la France et d’en attirer de l’étranger. Il convient à cette fin de conduire une politique d’attractivité de talents étrangers et d’impatriation de non-Français. Ne nous contentons pas de mesurer le flux d’exportation de talents : il convient de faire la balance entre les sortants et les entrants.

M. Jean-Luc Biacabe, directeur des politiques économiques à la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France. Nous avons conduit cette étude avec l’aide d’un jeune chargé de mission, M. Simon Robert, et le concours de M. François Bost, professeur de géographie économique et industrielle et spécialiste des mouvements migratoires à l’université de Reims Champagne-Ardenne.

Notre dessein était d’objectiver les termes d’un débat très prégnant en nous fondant sur un maximum d’informations et de chiffres incontestables, qu’ils soient d’origine française ou européenne ou proviennent de l’OCDE. Nous souffrons assurément – cela vient d’être souligné – d’un décalage d’informations puisque l’étude décrit une situation qui remonte à deux ou trois ans avec une marge d’incertitude, que j’ai rarement observée, sur le nombre de Français expatriés – l’information la plus importante. Ce nombre est donné à plus ou moins 500 000 personnes ! Il oscille en effet entre 1,7 million – le nombre officiellement retenu par le registre des Français établis hors de France – et 2,2 millions.

Nous avons essayé de répondre aux questions suivantes : qui sont ces Français expatriés ? Pourquoi sont-ils partis ? Reviendront-ils ? La France occupe-t-elle une place atypique dans le paysage de l’expatriation ou s’inscrit-elle dans la tendance générale des pays comparables ?

Les 1,7 à 2,2 millions de Français expatriés ne constituent pas un nombre négligeable, d’autant que, d’après les sources officielles, leur nombre augmente depuis une dizaine d’années de 3 % à 4 % par an : entre 60 000 et 80 000 Français s’expatrient chaque année, un nombre bien plus important que celui des exilés fiscaux.

Si nos chiffres sont imprécis, c’est en raison du caractère volontaire de l’inscription au registre des Français établis hors de France. Les expatriés n’ont tendance à s’inscrire qu’à la veille d’élections importantes, comme la présidentielle ou les législatives. Ils négligent cette démarche s’il n’y a pas de scrutin dans l’année.

Il faut savoir également que plus de la moitié des expatriés quittent la France pour nos voisins européens : la Suisse est la première destination, le Royaume-Uni vient en deuxième. S’agissant du nombre de Français résidant à Londres, les statistiques officielles ne vérifient pas la rumeur selon laquelle la capitale britannique serait devenue la sixième ville de France : il y aurait entre 160 000 et 180 000 Français au Royaume-Uni, la grande majorité résidant à Londres. Tous ceux qui ne sont pas inscrits sur le registre n’apparaissent évidemment pas dans les statistiques.

M. Jean-Yves Durance. Nous n’avons pas compté parmi les expatriés les travailleurs frontaliers.

M. Jean-Luc Biacabe. Selon les statistiques de 2011, les travailleurs frontaliers seraient un peu plus de 315 000 – un chiffre en progression notable. On peut les ajouter aux 1,7 à 2,2 millions de Français expatriés. La majorité d’entre eux travaille en Suisse, les Lorrains privilégiant le Luxembourg ; la Belgique arrive en troisième destination. Ce chiffre de 315 000 est un indicateur, parmi d’autres, d’un appauvrissement relatif, les travailleurs frontaliers trouvant souvent un emploi mieux rémunéré de l’autre côté de la frontière – c’est notamment le cas en Suisse –, tout en continuant de se loger de ce côté-ci pour un coût moindre. Il conviendrait d’intégrer cet indicateur de niveau de vie dans la réflexion globale.

Je tiens également à insister sur un autre changement : alors que, traditionnellement, la population des expatriés était constituée de Français salariés envoyés par leur entreprise, leur proportion se réduit progressivement au profit de celle des Français partis à l’étranger créer leur entreprise. Ces derniers représentaient 8 % des partants en 2003 : ils seraient aujourd’hui 18 %. Par ailleurs, les expatriés français travaillent désormais majoritairement pour des entreprises étrangères et non plus pour des entreprises françaises. Ce changement de nature n’est pas neutre au regard notamment de la question du retour. En effet, l’expatriation dans le cadre de l’entreprise fait partie du parcours professionnel : les expatriés peuvent revenir. En revanche, le retour de ceux qui travaillent pour une entreprise étrangère ou qui partent fonder une entreprise dépendra du succès de leur parcours à l’étranger.

M. le rapporteur. Ce chiffre de 18 % date bien de 2011…

M. Jean-Yves Durance. Ce chiffre relève d’une enquête plus récente. Les créateurs d’entreprise étaient 18 % en 2013 contre 10 % en 2003.

M. Jean-Luc Biacabe. Les motivations des Français partant à la retraite à Agadir et celles de ceux qui vont ouvrir une boulangerie à Shanghai sont évidemment différentes. Il convient de distinguer les motivations relevant du long terme de celles qui relèvent du court terme. L’Europe n’est pas seulement un grand marché intérieur de capitaux et de biens : elle est également devenue un grand marché intérieur de main-d’œuvre. Nous assistons d’ailleurs à un accroissement de la mobilité internationale de la main-d’œuvre, non seulement du sud vers le nord, mais également du nord vers le nord.

Il faut savoir que tous les systèmes de formation intègrent aujourd’hui un parcours à l’étranger. C’était hier déjà le cas de nos grandes écoles : c’est aujourd’hui celui d’écoles de rang intermédiaire.

De plus, les entreprises recrutent des candidats qui ont un vernis international : les jeunes savent qu’une entreprise préférera recruter, à diplôme égal ou à expérience égale, le candidat qui a fait un parcours à l’international.

Enfin, cette mobilité est une traduction concrète du projet européen. Alors que nos compatriotes sont peut-être sur le point d’exprimer à la faveur des urnes leurs doutes ou leurs interrogations sur l’avenir de celui-ci, d’autres Français votent avec leurs pieds. Pour eux, la question ne se pose plus : l’Europe est devenue leur patrie. N’est-on pas, dans ces conditions, en droit de se demander si la notion d’expatriation ne doit pas être revue ?

À côté de ces mouvements de long terme, qui sont irréversibles, il existe des mouvements de court terme, qui dépendent de la situation conjoncturelle française : l’état du marché du travail est, malheureusement, un profond accélérateur du mouvement de mobilité internationale. Vivre dans un pays où 22 % des moins de 25 ans sont au chômage et où les perspectives à l’horizon d’une année demeurent relativement sombres incite à aller voir ailleurs.

Si le structurel est appelé à se prolonger, le conjoncturel dépendra de l’évolution de la situation économique française.

Il faut tenir compte, à l’intersection de ces deux mouvements, de nombreuses autres considérations. M. Durance a évoqué la fiscalité et la réglementation. Il existe également des considérations d’ordre familial ou culturel. Beaucoup de jeunes Français rencontrent leur conjoint à l’étranger. Auparavant, l’expatriation se faisait en couple : aujourd’hui, on part seul et on fait une rencontre sur place. De plus, un grand nombre de jeunes partis à l’étranger sont frappés de voir combien il est souvent plus simple d’y conduire un projet professionnel qu’en France. Nous avons rencontré de jeunes Français vivant à Londres et à Berlin : tous ont souligné que la dictature du diplôme est moins prégnante au Royaume-Uni et en Allemagne qu’en France, ce qui, à la fois, facilite l’entrée sur le marché du travail et permet des carrières beaucoup plus rapides, alors qu’en France il faut non seulement avoir le bon diplôme, mais également attendre pour accéder à des responsabilités.

Je vous ferai part d’une réflexion personnelle : à la primauté du diplôme, qui est ancienne en France, s’ajoute l’interdiction, pour l’entrepreneur français, du droit à l’erreur lors d’un recrutement : à ses yeux, le diplôme représente une garantie. Au Royaume-Uni, au contraire, le marché du travail est plus fluide : il y est plus facile de se débarrasser d’un collaborateur qui aura déçu dans l’exercice de ses responsabilités.

S’agissant des perspectives de retour, il faudra nous revoir dans dix ou vingt ans pour savoir ce que sont devenus les jeunes Français qui s’expatrient aujourd’hui. Nous pouvons toutefois d’ores et déjà affirmer que leur décision dépendra en grande partie de la situation économique française. Si la période de stagnation, qui dure maintenant depuis six ans, persiste, l’incitation à partir et l’incitation à ne pas revenir seront encore plus aiguës. Quant au nombre croissant de Français partant fonder une entreprise à l’étranger, la perspective de leur retour dépendra de leur réussite ou de leur échec. L’artisan français qui, installé à Shanghai, monte une chaîne de boulangerie a peu de raisons de revenir. Il en sera différemment de celui qui tente sa chance dans la Silicon Valley, où 80 % des jeunes échouent à trouver un emploi, ce qui les incite à revenir. Leurs perspectives sont donc différentes de celles de leurs aînés, expatriés par des entreprises françaises. Par ailleurs, beaucoup de jeunes Français, partis pour l’étranger dans le cadre de leur formation, se mettent en couple avec des locaux, ce qui les place devant la nécessité de choisir leur pays de résidence.

Quant à la position comparée de la France, il y aurait quelque 2 millions de Français expatriés contre 4 millions de Britanniques.

M. Jean-Yves Durance. Ce dernier chiffre, qui date de 2010, provient de l’ONU.

M. Jean-Luc Biacabe. Les raisons ne sont pas seulement climatiques – la rumeur court que, à tout moment de l’année, 10 % des Britanniques seraient hors du Royaume-Uni : elles sont également d’ordre culturel. Il est plus facile pour un Britannique de se rendre au Canada, en Australie ou aux États-Unis, de même qu’il est plus facile pour un Français de s’installer au Québec ou au Maroc. Il n’en reste pas moins que, pour une population équivalente, il y a deux fois plus de Britanniques expatriés que de Français. Quant aux Allemands expatriés, ils seraient quelque 3 millions, un nombre qui peut être rapporté à la population, mais qui doit être surtout analysé au regard de la puissance exportatrice allemande. Les Italiens expatriés seraient également 3 millions.

La France, qui n’a connu, tout au long de son histoire, que peu de mouvements d’émigration, s’inscrit aujourd’hui dans un processus de rattrapage – telle est du moins l’interprétation positive du phénomène. Il faut se rappeler que les problématiques de chaque pays sont différentes, même si, je tiens à le répéter, la mobilité internationale est sans aucun doute un des traits majeurs de notre époque.

N’oublions pas non plus que la France attire des étrangers : nos grandes business schools ne rencontrent aucune difficulté à remplir d’étudiants étrangers leur Master in Business Administration – (MBA. Le MBA de HEC qui coûte relativement cher
– entre 50 000 et 60 000 euros par an – serait composé uniquement de Chinois si on les laissait s’y inscrire librement. C’est pourquoi HEC, qui veut attirer les meilleurs étudiants étrangers du monde entier, a mis en place des quotas.

Pour la deuxième année consécutive, Paris a été classé première ville étudiante du monde par un cabinet anglo-saxon. Si les jeunes chercheurs français sont attirés par les moyens des universités américaines, les jeunes chercheurs étrangers sont attirés dans nos organismes de recherche par des statuts plus protecteurs, notamment celui de la fonction publique.

D’après Campus France, 90 % des étudiants étrangers sont très satisfaits de leur séjour en France et un grand nombre d’entre eux souhaiteraient y rester si seulement ils pouvaient trouver un emploi : c’est donc à leur corps défendant qu’ils quittent notre pays. Les entrées et les sorties s’équilibrent.

M. Jean-Yves Durance. Si, en matière d’expatriation, la France est en retard par rapport à ses concurrents, on observe toutefois un allongement de la durée du séjour et une augmentation du nombre des départs : le nombre des Français à l’étranger est donc destiné à augmenter rapidement et de manière quasi mécanique.

Deux raisons de nature conjoncturelle participent de ce double mouvement : la situation économique française qui s’installe dans la durée et l’attraction de revenus plus élevés à l’étranger – en effet, soit les salaires y sont plus élevés, soit le revenu net après impôts y est plus avantageux. Il faut également noter les difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder à un logement intermédiaire dans nos grandes métropoles, notamment dans la métropole parisienne, difficultés qui amoindrissent l’attractivité de notre pays.

Quant aux éléments structurels favorisant la mobilité, il faut souligner la mondialisation et la transformation de la nature des contrats. En 2003, 38 % des Français de l’étranger travaillaient pour la fonction publique ou des organisations non gouvernementales : ils ne sont plus aujourd’hui que 20 %. Les contrats d’expatriation sont de plus en plus souvent remplacés par des contrats locaux, ce qui modifie le rapport à la mère patrie. Enfin, les moyens de communication modernes permettent désormais de rester en liaison très étroite avec sa famille, ce qui n’était pas le cas il y a quarante ans et modifie le ressenti culturel de l’expatriation.

Notons aussi que les premiers à faire du French bashing sont nos compatriotes. Les jeunes qui vivent à l’étranger ne cessent de souligner combien ils sont soulagés de n’avoir pas à vivre en France à l’heure actuelle. C’est pourquoi nous allons approfondir l’enquête sur ce qui représente à nos yeux un sujet de préoccupation majeur, en instaurant notamment une veille attentive : la CCI de Paris-Île-de-France a signé un accord avec l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger – UCCIFE –, en vue d’instaurer un baromètre permettant d’observer et de mesurer la réaction, les attentes et la vision des ressortissants français dans les principaux pays d’expatriation. Ce serait une erreur de freiner les départs : il convient même de les encourager en les facilitant. Ne disons pas à ceux de nos compatriotes qui ont choisi de partir qu’ils trahissent leur pays, mais demandons-leur d’en devenir les ambassadeurs. Trop souvent, en raison des tracasseries administratives qu’ils ont dû surmonter pour partir, ce n’est pas sans amertume que les candidats à l’expatriation quittent la France.

Il faut également faciliter leur retour, sur le plan des démarches administratives ou du logement. Il est primordial pour la mère patrie de nouer un lien très fort avec ses expatriés.

Il convient d’intégrer la diaspora française, qui compte aujourd’hui quelque 2 millions de compatriotes et est destinée à augmenter : considérons ceux qui s’installent durablement, voire définitivement à l’étranger, comme autant d’atouts pour notre pays. C’est ce que font l’Allemagne de manière évidente, l’Italie de manière plus discrète et le Royaume-Uni sur le plan culturel. Les exécutifs de la compagnie Emirates Airlines ou de la compagnie d’Abou Dabi comprennent de nombreux Britanniques. Certes, ils sont indépendants et sont loin du Royaume-Uni : ils n’en portent pas moins l’influence de leur pays. C’est pourquoi nous avons l’intention de proposer au ministre des affaires étrangères de travailler à l’acculturation de la diaspora afin de l’embarquer dans l’« entreprise France ».

Il convient enfin de renforcer, dans la compétition internationale pour les talents, la position déjà favorable, voire envieuse, de la France, notamment de la région capitale. Il faut donner le sentiment à ceux qui arrivent en France qu’ils sont les bienvenus. Les universitaires étrangers et leur famille sont mieux accueillis, s’agissant notamment du logement, dans les universités américaines que dans les universités françaises.

M. le président. Évoquant le manque d’outils fiables pour analyser tous les aspects de l’expatriation, vous avez annoncé un accord avec l’Union des CCI à l’étranger pour instaurer un baromètre : quel serait l’outil le plus fiable ?

Vous avez également souligné que, s’agissant des étudiants, les entrées et les sorties s’équilibrent et que HEC pourrait remplir son MBA avec des étudiants chinois : mais la vraie question est de savoir s’ils placent HEC en tête de leur choix ? Plus généralement, quel est le classement de nos grandes écoles dans la compétition mondiale ? Je préside le groupe d’amitié France-Maroc de l’Assemblée nationale : j’observe que les jeunes Marocains vont faire leurs études aux États-Unis en plus grand nombre que la génération précédente.

Connaissez-vous le taux de retour des jeunes Français ayant fait leurs études et commencé leur carrière professionnelle à l’étranger ?

C’est évidemment une bonne chose que des Français entreprennent à l’étranger : combien d’entre eux auraient entrepris en France ?

M. le rapporteur. Votre étude révèle qu’environ la moitié des Français expatriés ont un niveau de formation inférieur ou égal à bac +3 : l’expatriation ne tente donc pas seulement les Français très diplômés. Quels sont les principaux facteurs qui expliquent l’expatriation des Français moyennement ou peu diplômés ? L’étude évoque l’hypersélectivité du marché du travail français ainsi que l’importance des diplômes ou celle des discriminations à l’embauche à laquelle font face certaines minorités : pouvez-vous apporter des précisions ? Les chances que ces jeunes issus de quartiers dits défavorisés ou de l’immigration ont d’accéder à un emploi seraient-elles moindres en France qu’à l’étranger ? Avez-vous des données à nous fournir – je n’ignore pas les contraintes légales en la matière ?

Votre étude indique également que le statut des Français de l’étranger évolue : la proportion de détachés ou d’expatriés par une entreprise ou une administration diminue au profit des créateurs d’entreprises, qui sont passés de 10 % à 18 % entre 2003 et 2013, et des professions libérales, passées sur la même période de 7 % à 10 %. Quelle est votre appréciation de cette évolution ? Disposez-vous de statistiques équivalentes portant sur les étrangers venus en France créer une entreprise ou exercer une profession libérale ?

L’étude souligne par ailleurs que la France est moins concernée que ses voisins par l’expatriation de ses ressortissants : celle-ci fait-elle également dans ces pays l’objet d’un débat ? Quelle appréciation générale portez-vous sur l’expatriation des Français et son accélération au cours des dernières années ? Le bilan vous semble-t-il positif, notamment au regard, d’une part, de l’apport de nos expatriés au rayonnement de la France à la fois à l’étranger et lors de leur retour et, d’autre part, de l’accueil par la France d’un nombre important d’étudiants et de travailleurs étrangers ?

Quels sont selon vous les principaux points de vigilance ?

Peut-on parvenir à distinguer ce qui relève d’un mouvement de fond lié à la mondialisation et au développement de la mobilité internationale de ce qui pourrait relever d’une moindre attractivité du territoire français ?

Votre conclusion plaide pour une « politique diasporique » : qu’entendez-vous par là ? Pourriez-vous nous en dire davantage sur celle que les Allemands ont mise en place ?

M. Jean-Yves Durance. Si, sur certains points, nous ne vous avons pas fourni d’éléments chiffrés, c’est que nous ne les avions pas.

Nous savons d’autre part qu’il y a des incertitudes – par exemple en ce qui concerne les chiffres de l’ONU que nous avons cités –, car ces données correspondent aux enregistrements dans les ambassades ou les consulats, de nombreuses personnes ne s’enregistrent pas ou ne s’enregistrent qu’en certaines occasions, et l’on ne peut pas les obliger à le faire. On pourrait améliorer les outils statistiques grâce à des sondages, voire par le biais de l’enregistrement des déclarations d’expatriation, mais je ne suis pas très optimiste sur la façon dont nous pourrions procéder. La mise en place d’un observatoire expérimental devrait permettre de mieux appréhender le phénomène. Cela dit, les tendances et les flux priment sur les valeurs absolues.

Si nous ne disposons d’aucun élément sur le choix des étudiants étrangers d’étudier à HEC plutôt qu’à Harvard, nous observons un basculement des jeunes générations vers le monde anglo-saxon, en particulier américain, essentiellement pour des raisons liées à la langue. Les gens ont en effet tendance à aller dans des pays où l’enseignement se fait en anglais, même si la majeure partie des cours de nos grandes écoles sont dispensés dans cette langue. En outre, des universités très riches, comme Harvard, mènent d’importantes campagnes de promotion pour attirer les talents, en payant très largement les professeurs internationaux et les chercheurs « publiants », notamment des prix Nobel, pour accroître leur réputation et figurer en bonne place dans le classement de Shanghai. Certains pays considèrent cet aspect comme un des éléments majeurs de la compétition mondiale.

M. le président. J’ai étendu à tort le débat aux États-Unis, où le coût d’un MBA est quatre à cinq fois plus élevé.

Au sein du réseau européen CEMS – Community of European management schools and international companies –, dont font partie les premières universités et grandes écoles européennes, quelle est la part de marché de HEC ? Concrètement, un étudiant allemand préférera-t-il intégrer l’ESADE à Barcelone, la London School of Economics, l’université Bocconi à Milan ou HEC ? Il serait intéressant de connaître l’attractivité de nos établissements d’enseignement supérieur par rapport à leurs concurrents. La même question se pose dans le cadre d’Erasmus.

M. Jean-Yves Durance. Je n’ai pas la réponse. Nous allons voir si nous disposons d’éléments permettant de répondre à ces questions et, le cas échéant, nous vous les transmettrons. Je rappelle cependant que, dans la catégorie des écoles de management, les écoles françaises, notamment HEC, figurent sans discontinuer depuis quatre ou cinq ans au sommet du classement du Financial Times.

Les étudiants étrangers formés en France et qui ont regagné leur pays ne travaillent pas pour la France, mais ils pourraient à la limite être considérés comme des sortes d’ambassadeurs si l’on réussissait à les intégrer dans un réseau. Cependant, dans la course au talent, plus que les étrangers qui étudient dans nos universités, ce sont les chercheurs et les jeunes venus dans notre pays pour contribuer directement à la création de richesses qui sont prisés.

Nous ne disposons pas, à ma connaissance, de statistiques sur les créateurs étrangers en France. En revanche, dans le cadre d’un groupe de travail avec des chambres métropolitaines européennes, un jeune et talentueux Néerlandais nous a expliqué s’être installé à Londres pour la langue et en raison des facilités liées non pas à la création d’une entreprise – car la France est désormais l’un des pays où cela est le plus facile – mais au fonctionnement de l’entreprise. En France, les entrepreneurs se heurtent à plusieurs difficultés : la paperasse, un climat de suspicion, un état d’esprit particulier. Ces freins expliquent en partie que des jeunes aillent créer leur entreprise à l’étranger. Ils contribuent en tout cas à répandre une image exagérément répulsive de notre pays, qui s’est nettement accentuée depuis deux ans.

Le rôle croissant joué, dans le droit des affaires, par le droit européen, d’une part, et par le droit anglo-saxon, d’autre part, incite les jeunes Français à préparer un double diplôme, facilite leur départ pour l’étranger et, dans le même temps, la venue sur notre territoire de personnes travaillant pour de grandes firmes internationales.

La proportion de 50 % des expatriés non titulaires d’un bac + 3 est évidemment très inférieure à la moyenne française. Mais cela signifie a contrario que 50 % des expatriés sont diplômés bac + 3. Les personnes qui n’ont pas un tel niveau de formation, mais qui sont dotées d’une véritable vocation d’entrepreneur, se lancent dans une aventure individuelle, se retrouvant dans la situation des émigrés irlandais, italiens, polonais qui partaient naguère dans des pays où la croissance était plus forte que dans leur pays d’origine. L’image de la France dans les secteurs du luxe, de la mode et de l’alimentation profite à ces entrepreneurs expatriés, qui à leur tour peuvent renforcer cette image. Ainsi, des Français connaissent des réussites exceptionnelles au Canada, aux États-Unis, en Australie ou en Chine avec des activités aussi simples que la boulangerie et la viennoiserie.

Nous ne disposons pas de chiffres sur les minorités, mais il nous semble que les plus entreprenants, c’est-à-dire les plus ouverts au développement économique et à la liberté que représente la mondialisation, sont ceux qui partent à l’aventure. Pour de nombreux pays, les talents individuels priment sur la reconnaissance du diplôme, et une plus grande flexibilité du marché du travail constitue un facteur de motivation. En France, le haut degré de protection que l’on veut maintenir se traduit, en réalité, par un affaiblissement de la situation de ceux que l’on veut protéger.

M. Jean-Luc Biacabe. Pour dénombrer les Français de l’étranger, l’idéal serait peut-être d’effectuer un recensement. Le sondage est intéressant, mais il me semble nécessaire de se doter d’une vision exhaustive du phénomène au moins tous les cinq ans.

En ce qui concerne les étudiants, je me permets d’être un peu plus affirmatif que Jean-Yves Durance : nos écoles sont très bien classées. Les Chinois ou les Africains ne viennent pas étudier en France par défaut, parce que c’est moins cher ou parce qu’ils parlent français, mais parce que HEC est régulièrement en tête du classement du Financial Times pour les MBA.

S’agissant des retours, nos résultats d’enquête ont montré que la moitié des jeunes expatriés ne savent pas s’ils rentreront un jour en France.

Pour répondre à la question sur les expatriés moyennement diplômés, vous savez que les possesseurs d’un diplôme ont plus de chance de trouver un emploi et que, compte tenu de la situation du marché du travail, moins on est diplômé, plus on est incité à s’expatrier. C’est donc ici moins la logique de fuite des talents, que celle de la fuite des jeunes moins diplômés.

Au sujet des discriminations à l’embauche, vous connaissez l’histoire de ce Franco-Ivoirien diplômé de Polytechnique et qui, faute d’avoir trouvé un emploi à la mesure de ses talents en France – en raison, comme il l’a expliqué dans la presse, de ses origines –, est devenu directeur général de Prudential, numéro trois de l’assurance anglaise.

S’agissant de l’exercice de certaines professions libérales, les barrières à l’entrée en France constituent des freins pour les étrangers, même européens.

Le débat sur l’expatriation pose problème en France, en constituant un indicateur d’une situation difficile. Cela ne semble pas être le cas dans des pays comme le Royaume-Uni, où la reprise est plus affirmée.

Pour ce qui est de la distinction entre conjoncture et structure, nous en reparlerons en 2016. Alors que, en 2011, on pouvait croire que la fin de la crise était imminente, toute une génération peut avoir l’impression, en 2014, qu’elle est sacrifiée. La conjoncture est un accélérateur de la mobilité internationale, qui ira en s’amplifiant dans les deux à quatre ans à venir.

Enfin, un levier en faveur d’une « politique diasporique » réside dans l’action des pouvoirs publics en direction des populations concernées. Les députés représentant les Français de l’étranger le savent : les établissements d’enseignement français à l’étranger sont des points d’ancrage importants pour ces communautés qui, à chaque rentrée scolaire, rencontrent des difficultés pour y inscrire leurs enfants. De nombreuses initiatives, y compris privées, peuvent accroître l’offre éducative française dans les différents pays. En tout état de cause, les établissements d’enseignement sont, comme les postes diplomatiques et les chambres de commerce à l’étranger, des lieux naturels de rassemblement de cette diaspora.

M. Thierry Solère. Je ne comprends pas que l’INSEE ne nous fournisse pas de statistiques précises sur le sujet.

Je suis frappé par l’augmentation de la proportion d’entrepreneurs parmi les expatriés. Pouvez-vous nous fournir une étude statistique sur les Français partis s’installer à l’étranger depuis le début des années 2000 à l’issue de leur formation dans de grandes écoles comme HEC ou l’ESSEC ?

La France a fait l’actualité à l’étranger à l’occasion de l’instauration de la taxe à 75 %. Mais les réalités fiscales doivent être nuancées. À Los Angeles, par exemple, les propriétaires paient à la municipalité une taxe annuelle de 3 % à 4 % de la valeur de leur logement. Avez-vous réalisé une analyse comparée, pour un revenu annuel identique, du montant des impôts acquittés par un entrepreneur en France et par un entrepreneur expatrié ?

Enfin, les acteurs du monde de l’immobilier ont attiré mon attention sur l’augmentation considérable des mises en vente de produits haut de gamme en Île-de-France depuis un an. Ainsi, plus de quarante maisons de la Villa Montmorency sont à vendre, alors qu’il n’y en a habituellement que deux ou trois. Il me semble intéressant de nous pencher sur cet aspect.

M. le président Luc Chatel. Sur ce dernier point, nous avons prévu d’auditionner des agences immobilières spécialisées dans le haut de gamme en Île-de-France.

M. Claude Goasguen. Force est de constater que la France est très en retard sur la connaissance statistique de la mondialisation. Comment peut-elle gérer les problèmes liés à l’expatriation à partir de données intuitives ou parcellaires ? Comment peut-elle s’adapter à la mondialisation en étant à ce point défaillante dans l’évaluation de ses propres citoyens ? Pour des raisons historiques ou idéologiques, elle est le seul pays d’Europe à ne pas tenir de registre communal. L’INSEE travaille sur des évaluations par sondages réévalués tous les cinq ans : compte tenu des fluctuations mondiales, cette méthode « au doigt mouillé » est aujourd’hui totalement dépassée. Vous avez bien du courage de vouloir mettre en place un observatoire, car vous allez vous heurter à la mentalité administrative, qui ne supportera pas que l’on piétine les plates-bandes de l’INSEE ! Celui-ci devra d’ailleurs nous expliquer comment on peut maîtriser les flux si l’on ne connaît ni le nombre des Français installés à l’étranger ni même celui des Français vivant en France, ou si l’on ignore le nombre et l’identité des personnes possédant la double nationalité ! Depuis 1945, nous sommes dans le brouillard le plus opaque.

Notre pays doit dorénavant s’appuyer sur des statistiques fiables, comme le fait par exemple l’Allemagne grâce à des registres communaux où sont inscrits les changements de commune, de pays, de nationalité, les acquisitions de double nationalité, les expatriations et les retours, sans pour autant s’apparenter à une inquisition. Cet aspect devrait être mis en évidence auprès des pouvoirs publics dans le cadre de cette commission d’enquête.

M. Marc Goua. De nombreux jeunes venus d’Afrique francophone, après avoir fait de brillantes études chez nous, sont démarchés par le Canada, en particulier le Québec. Leurs études, prises en charge par l’État, profitent à d’autres, alors qu’ils pourraient devenir, pour notre pays, des vecteurs de flux commerciaux avec l’Afrique.

Monsieur Goasguen, mon père était un enfant de l’Assistance publique et, jusqu’à l’âge de 25 ans, à chaque changement de famille, il devait aller se déclarer en mairie où on le considérait comme un « pestiféré ». Il faut donc faire extrêmement attention quand on parle de registre.

M. Claude Goasguen. Votre remarque est très justifiée, cher collègue, et explique d’ailleurs pourquoi la notion de fichage a toujours eu une connotation très négative dans notre pays, en particulier après ce qui s’est passé pendant la guerre. Aujourd’hui, il est nécessaire non de ficher, mais d’enregistrer des déclarations, et les outils informatiques le permettent. Sans cela, nous ne disposerons jamais d’informations fiables sur les forces vives, ce qui aura pour conséquence d’entretenir toutes sortes de rumeurs. Ce débat est difficile, mais il faudra s’y atteler un jour ou l’autre. Les Pays-Bas ont réussi à mettre en place un dispositif idoine, alors qu’ils ont connu pendant la guerre des problèmes similaires aux nôtres.

M. Jean-Marie Tetart. J’ai bien compris la difficulté de l’analyse statistique ou du simple recensement, au moins sur le plan quantitatif. Disposez-vous d’une analyse qualitative sur les motivations de départ selon les différents continents, en fonction de l’âge et de la formation ?

M. Régis Juanico. La mobilité internationale des jeunes est un facteur déterminant pour la confiance en soi et la mobilité professionnelle. Avec un budget en hausse de 40 % entre 2014 et 2020, le programme Erasmus + va permettre d’augmenter le nombre de jeunes concernés par les programmes de mobilité internationale ou européenne, et de diversifier les profils. Je note également que les pouvoirs publics ont le souci de simplifier l’offre, notamment la gestion par les opérateurs français. Quelle appréciation portez-vous sur leur gouvernance, notamment l’Agence Europe-Éducation-Formation France – 2E2F –, qui s’occupe des programmes scolaires, universitaires, d’apprentissage ou de formation professionnelle, et l’Agence Erasmus Plus Jeunesse et Sport, tournée vers l’éducation non formelle et les jeunes plus fragiles ?

Vous évoquez dans votre étude le volontariat international en entreprise – VIE – ; d’autres formules existent, comme le volontariat international en administration, le service volontaire européen, le volontariat de solidarité internationale, gérés par l’Agence du service civique. Quel regard portez-vous sur leur fonctionnement ? L’information en la matière vous semble-t-elle suffisamment simple pour permettre aux jeunes d’en bénéficier ?

Mme Monique Rabin. Vous suggérez-nous d’améliorer les conditions d’accueil pour attirer davantage d’étudiants ? Je pense en particulier à la bataille culturelle que nous avons d’une certaine manière perdue, puisque c’est le classement de Shanghai qui compte sur le plan international.

En ce qui concerne les conditions d’accueil des chercheurs, la circulaire Guéant a été abrogée. En Allemagne, un étudiant a la possibilité de rester au moins deux ans dans l’entreprise où il a été stagiaire. Devons-nous faire évoluer ce point pour garder ces jeunes que l’entreprise a pris le temps de former ?

Autre question : les anciens volontaires internationaux en entreprise sont-ils plus enclins que d’autres à repartir à l’international ou à créer des entreprises à l’étranger ?

La Suisse figure en tête des destinations de prédilection des expatriés. Cela s’explique-t-il par des considérations financières ?

En ce qui concerne les conditions de réussite, vous avez brièvement fait le lien entre l’entreprise étrangère et le système éducatif. Aujourd’hui, le financement des lycées français à l’étranger baisse sensiblement et nous nous situons moins bien en termes de création de doubles ou multi diplômes. Y voyez-vous également un lien ?

Enfin, que pensez-vous du programme Erasmus Entreprise ?

M. Jean-François Mancel. Votre étude vous a-t-elle permis d’identifier des pays européens où l’outil statistique est plus performant que le nôtre ?

Vous avez indiqué que les Français qui s’expatrient, notamment les jeunes, doivent être les ambassadeurs de leur pays. Pouvez-vous apporter des précisions sur la manière de les inciter à le faire ?

Enfin, vous avez souligné la nécessité de faciliter les départs. Quels sont, en France, les principaux obstacles au départ, par rapport à la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Italie ?

M. Jean-Yves Durance. Le constat que nous vous livrons est certes fondé sur des éléments statistiques insuffisants, sur des enquêtes ou des sondages probablement parcellaires, mais il permet néanmoins de déceler un phénomène et une tendance. L’observatoire que nous allons mettre en place n’a évidemment pas vocation à remplacer l’INSEE. Ce dispositif expérimental s’appuiera simplement sur les chambres de commerce françaises à l’étranger, en tout cas sur celles des pays les plus importants, pour comprendre la motivation de ceux qui arrivent et de ceux qui veulent partir. Il devrait permettre de fournir des éléments d’information pour des actions collectives, aussi bien publiques que privées.

S’agissant des statistiques sur les universités, nous tenterons de vous fournir des informations relatives au classement en matière d’intention, c’est-à-dire sur le ressenti des étudiants à propos de nos fleurons universitaires ou grandes écoles. Nous essaierons également de vous transmettre des éléments sur la sortie des étudiants de nos écoles, même s’il est souvent très difficile d’appréhender ce qu’il en est réellement.

Il existe certainement des études sur la fiscalité payée par les entrepreneurs dans les différents pays. Nous pourrons les rassembler pour en tirer des éléments, même si ce sujet n’était pas au cœur de notre étude.

Sur les binationaux, nous n’avons pas d’élément d’analyse.

Je n’ai pas non plus d’élément d’information sur la mobilité internationale des jeunes, plus précisément sur Erasmus + Jeunesse et Sport.

Notre étude est en réalité l’une des deux faces d’un problème global, avec, d’un côté, le départ des talents et, de l’autre, le départ des centres de décision et des centres de recherche d’entreprises françaises. À cet égard, je vous annonce en avant-première que nous avons décidé de lancer – bien avant l’affaire Alstom ou l’affaire Lafarge – une étude, dont les conclusions seront communiquées à l’automne, visant à mettre en évidence les raisons de l’impérieuse nécessité de conserver nos centres de décision et nos centres de recherche, qu’il s’agisse d’entreprises françaises immatriculées en France ou d’entreprises non françaises ayant installé en France des centres de recherche ou des centres de décision à caractère régional. En effet, le problème du flux des talents est en partie lié à ces centres de décision et de recherche.

Il faut certes améliorer les conditions d’accueil, mais il me semble nécessaire avant tout de réfléchir collectivement à une politique de promotion internationale de l’enseignement supérieur français, même si celui-ci est généralement reconnu. Il est clair que les éléments de langue et d’accueil de la culture française sont essentiels. Au-delà, ce qui est très important à nos yeux, c’est de restaurer la confiance : à cet égard, vous avez eu raison de mentionner les dégâts provoqués par la circulaire Guéant, dont nous subissons encore les conséquences. Si certains viennent pour profiter de l’enseignement français et repartent, d’autres, nombreux, souhaitent rester en France. Comme l’ont montré nos débats avec Campus France, le taux de satisfaction des étudiants étrangers en France est très élevé, hormis en ce qui concerne la possibilité d’y rester quand ils le souhaitent. Or ces talents sont extrêmement précieux : ils peuvent transporter leur culture et créer des réseaux pour nos propres collaborateurs. Je n’ai pas de recettes à vous livrer, mais c’est un axe sur lequel nous sommes prêts à travailler.

Nous n’avons pas d’élément d’information sur les anciens volontaires internationaux en entreprise ; il faudrait interroger ceux qui gèrent ce programme.

Nous ignorons pourquoi la Suisse figure en première place pour les expatriés, mais nous savons qu’il n’y a pas 120 000 exilés fiscaux dans ce pays. Il existe certainement un attrait pour une économie riche, où les rémunérations sont très élevées.

M. le président Luc Chatel. Le salaire médian en Suisse est de 3 200 euros, contre 1 700 euros en France.

M. Jean-Yves Durance. Les expatriés en Suisse ne sont pas seulement des chercheurs et universitaires de très haut niveau, mais probablement des personnes qui s’installent dans des activités multisaisonnières, pour des emplois de service, des emplois commerciaux notamment. Encore une fois, je n’ai pas d’éléments d’information en la matière.

Je n’ai pas non plus de réponse à propos des multi diplômés.

Nous n’avons pas approfondi notre réflexion sur le thème des expatriés ambassadeurs de notre pays, qui rejoint l’analyse de M. le rapporteur sur la diaspora. Mais nous sommes convaincus qu’il y a là un axe de travail, et nous sommes prêts à y contribuer. En effet, lorsque nous cherchons à attirer de grands événements, comme les Jeux Olympiques ou de grands congrès mondiaux, nous avons beaucoup de mal à faire en sorte que les Français qui siègent, en tant que présidents ou vice-présidents, dans les instances qui les organisent, jouent la carte française, comme le font les Anglais ou les Allemands pour leur propre pays.

La diaspora allemande bénéficie d’un dispositif de chambres de commerce à l’étranger, support de toute la politique d’exportation dont les entrepreneurs et les cadres allemands sont les vecteurs. Sans considérer qu’il s’agit forcément là de la solution idéale, nous devons faire de ce sujet une vraie cause nationale pour améliorer l’intégration des Français à l’étranger, en leur donnant le sentiment qu’ils ne sont pas rejetés par leur pays, mais qu’ils en sont au contraire le prolongement.

M. Jean-Luc Biacabe. La chambre de commerce de Paris Île-de-France envisage de réfléchir aux moyens de fédérer les anciens élèves des grandes écoles – les alumni –, en commençant par trois pays tests.

En matière fiscale, le point le plus important pour les entrepreneurs est la fiscalité des plus-values. L’affaire des « pigeons » nous a montré que là est le cœur du problème.

Je ne suis pas compétent pour vous répondre sur les programmes Erasmus, mais nous pourrons vous communiquer des informations transmises par nos collègues de l’enseignement, lesquels sont en première ligne sur le sujet.

La circulaire Guéant a causé, cela a été souligné à plusieurs reprises, des dégâts.

La moralisation des stages semble poser des problèmes. Des étudiants de nos grandes écoles se voient obligés d’aller à l’étranger pour suivre des stages d’une durée de un an, faute d’en trouver en France.

Quant aux statistiques sur les pays les plus performants, les Suisses de l’étranger
– la fameuse « Cinquième Suisse » – sont très nombreux et parfaitement organisés. Les statistiques britanniques sont également très intéressantes, la position d’« oiseaux migrateurs » des Anglais leur valant d’être suivis de très près.

M. le président Luc Chatel. Les entretiens qualitatifs que vous avez menés n’ont porté que sur des Français résidant dans deux pays. Que vous ont appris ces entretiens ?

M. Jean-Luc Biacabe. Comme vous pourrez le constater en lisant le verbatim de ces entretiens, nous avons interrogé aussi bien des entrepreneurs, que des étudiants ou des représentants des Français de l’étranger. Il en ressort que les principaux facteurs incitatifs au départ sont la facilité à travailler à l’étranger, avec une plus grande ouverture, l’absence de barrière en matière de diplômes, et les difficultés d’insertion sur le marché du travail français.

M. Jean-Yves Durance. Cela reflète un air du temps. Le sentiment très négatif, peut-être même au-delà de la réalité, sur le fonctionnement français amène à enjoliver la situation dans les autres pays. Il y a clairement la réalité elle-même et une réalité enjolivée en faveur de l’étranger.

M. Jean-Luc Biacabe. Nombre d’anciens élèves de nos grandes écoles se tournent vers la finance, même si c’est un peu moins vrai ces deux dernières années. Leur seule porte de sortie se trouve être la place financière de Londres, car Paris est en train de devenir une place financière de seconde zone.

M. le président Luc Chatel. Messieurs, nous vous remercions.

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Audition du 13 mai 2014

À 16 heures 15 : M. Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du Cabinet Deloitte

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Marc Mickeler, associé et directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte.

Monsieur Mickeler, le cabinet Deloitte a publié pour la troisième année consécutive un « Baromètre de l’humeur des jeunes diplômés » qui soulève un certain nombre de questions sur l’expatriation, ses motivations et l’attractivité qu’exercent certains pays sur les jeunes. Il nous a donc semblé important de vous entendre dans le cadre de notre commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France.

Certes, l’expatriation est nécessaire à l’époque de la mondialisation, et il est important que les jeunes Français partent à la conquête du monde. Mais il y a aussi une expatriation sans doute subie de contribuables, de jeunes, voire de centres de décision, et le phénomène nous paraît préoccupant pour l’économie française. Cette commission d’enquête a pour objet d’approfondir la question, d’en tirer un certain nombre de conclusions et de faire des propositions.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Marc Mickeler prête serment.)

M. Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de me donner l’opportunité d’échanger avec vous en tant que chef d’entreprise, en tant que recruteur, en tant que formateur et, d’une certaine façon, en tant qu’« essaimeur » de talents au sein de l’économie française. Notre entreprise, qui compte 8 000 salariés en France, y recrute tous les ans entre 800 et 1 000 nouveaux collaborateurs. Nous employons aujourd’hui en France plus de 52 nationalités. C’est une société détenue à 100 % par des capitaux français, une société française, bien qu’appartenant à un réseau international.

Nous recrutons sur un marché mondial, extrêmement compétitif, ce qui nécessite de mesurer tant qualitativement que quantitativement l’attractivité de notre métier et de notre marque, mais aussi celle de notre pays.

Depuis plusieurs années, nous avons élaboré un dispositif de mesures complet, dont le baromètre auquel vous faites référence constitue l’une des briques les plus importantes. Il nous permet en effet de donner « une note d’ambiance » sur la perception des jeunes diplômés et des jeunes expérimentés vis-à-vis des opportunités qui leur sont offertes sur le marché français.

Dans le cadre du sujet qui intéresse votre commission, je souhaiterais partager avec vous quelques constats, vous donner notre sentiment d’entrepreneurs sur les raisons principales qui ont amené à la situation que nous connaissons, et échanger sur les réformes qui nous semblent devoir être engagées de façon prioritaire.

Ces constats résultent aussi bien de l’exploitation du baromètre qui vous a été communiqué que des nombreux échanges que nous avons avec les candidats que nous rencontrons. De fait, pour recruter les 800 à 1 000 collaborateurs dont je parlais, nous recevons 60 000 à 70 000 CV par an. Nous faisons passer entre 3 000 et 4 000 entretiens pour, in fine, retenir 800 à 1 000 collaborateurs que nous recrutons en contrat à durée indéterminée (CDI). En sus de ces 800 à 1 000 collaborateurs, nous offrons tous les ans à 400 à 500 stagiaires l’opportunité de nous rejoindre. Ces derniers constituent une part importante de nos recrutements de demain. Très souvent, en effet, les contrats que nous proposons le sont à des collaborateurs qui ont eu l’occasion de tester, au cours d’un stage, nos métiers, notre entreprise et ses valeurs.

Un premier élément nous semble extrêmement important à noter, par rapport à la tonalité des articles que nous pouvons lire dans la presse et à la tonalité d’un certain nombre de débats : 8 jeunes diplômés sur 10 sont convaincus que la France présente des arguments pour leur avenir professionnel. Cela peut sembler positif, si ce n’est que certains des arguments que mettent en avant ces 80 % de jeunes sont la qualité de vie qu’offre notre pays et la sécurité juridique des contrats de travail.

Parmi les 20 % de jeunes qui ne sont pas convaincus, les principaux inconvénients qu’il y a à travailler en France sont : l’état du marché de l’emploi, l’environnement politique et social et l’état général de l’économie – telle qu’ils la perçoivent. 27 % d’entre eux considèrent que leur avenir professionnel se trouve ailleurs qu’en France. Parmi ces derniers, 45 % envisagent une expatriation supérieure à six ans et 30 % déclarent ne plus vouloir y revenir.

À ces éléments bruts, quantitatifs, je souhaiterais rajouter quelques éléments tirés de notre expérience de recruteurs, au cours des deux dernières années.

Près d’un postulant sur deux disposait d’une offre concurrente à l’étranger (dans un autre bureau de Deloitte ou chez un concurrent). 80 % de ceux disposant d’une telle offre ont décidé d’y répondre favorablement, au détriment des opportunités que nous leur offrions en France. Les trois principales raisons évoquées par ces candidats lorsque nous les avons interrogés sur leur choix final étaient : premièrement, la perception que la réussite au mérite fonctionne mieux ailleurs qu’en France ; deuxièmement, la perception que la valorisation de leur capacité d’innovation et d’entrepreneuriat sera mieux valorisée par leur premier employeur à l’étranger, par rapport à la façon dont nous pourrions la valoriser en France ; troisièmement, les perspectives en matière de rémunération. C’est un élément important, mais pas discriminant. Les deux premiers points sont, quant à eux, essentiels.

À l’inverse, et cela nous semble encore plus inquiétant, nous recevons de plus en plus de candidats dont le cœur des préoccupations tourne autour de notre capacité, en tant qu’entreprise, à satisfaire leur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, dès le début de leur carrière.

Face à ces constats, notre conclusion, que j’ai eu l’occasion et que je partage encore régulièrement avec de nombreux autres recruteurs, représentatifs d’un panel d’entreprises qui vont de la PME à l’entreprise de taille intermédiaire ou aux sociétés du CAC 40, est la suivante : nous disposons aujourd’hui en France d’un vivier toujours important de talents qui ont l’ambition d’innover et de créer. Simplement, leur terrain de jeu est devenu mondial. Le fait qu’ils soient de plus en plus nombreux à envisager l’expatriation est une bonne chose pour l’économie française ; c’est un point de vue que nous partageons avec la chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France, que vous avez auditionnée dernièrement. Mais le fait qu’ils soient nombreux à ne prendre qu’un billet « aller » est une préoccupation. Même si nous ne disposons que de très peu d’éléments statistiques dans la durée, qui nous permettraient d’avoir des certitudes, les éléments déclaratifs qui figurent dans notre baromètre ont de quoi inquiéter les recruteurs et formateurs que nous sommes : plus de 40 % de ceux qui partent nous disent en effet qu’ils n’envisagent pas de revenir. De la même façon, le fait que ceux qui restent privilégient la sécurité et le confort nous inquiète. Aujourd’hui, dans notre pays, l’aversion au risque tue toute capacité à innover. Or, on n’innove pas si on ne sort pas de sa zone de confort. Cela me ramène au constat que je faisais tout à l’heure : nous rencontrons de plus en plus de candidats, jeunes et moins jeunes, qui nous posent des questions sur notre capacité à garantir tout au long de leur carrière un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Ce ne sont pas des comportements qui favorisent l’innovation, la créativité et la croissance.

Quelles raisons peuvent expliquer cet état de fait ? J’en ai relevé trois.

Premièrement, l’ascenseur social est bloqué dans notre pays. La France, où les impôts et les transferts sont parmi les plus élevés au monde, a la particularité d’avoir une mobilité sociale et professionnelle parmi les plus faibles de tous les pays de l’OCDE. Aujourd’hui, plus de 50 % des élèves des grandes écoles sont des enfants de cadres supérieurs ou des enfants de parents exerçant des professions libérales. Le fait d’intégrer telle ou telle grande école en France détermine quasiment une fois pour toutes l’avenir professionnel d’un individu. La France est un pays qui n’offre pas de seconde chance, contrairement aux pays anglo-saxons où avoir vécu un échec est la condition sine qua non pour accéder à un poste de management. Chez nous, l’échec condamne quasiment un individu à subir sa carrière et à ne plus maîtriser sa destinée professionnelle. Lorsque l’on veut être une entreprise innovante, c’est un frein essentiel.

Deuxièmement, nous n’avons pas encore appris – pouvoirs publics, chefs d’entreprise – à penser dans le cadre d’une économie ouverte, tournée vers l’innovation, dans laquelle détruire des emplois est la condition sine qua non pour en créer d’autres, qui seront les moteurs de la croissance. Pour innover, il faut pouvoir partir d’une page blanche. Cela suppose de la flexibilité sur le marché du travail, aussi bien pour embaucher que pour licencier. Le défi majeur auquel nous sommes alors confrontés – pouvoirs publics, partenaires sociaux – consiste à réconcilier la flexibilité et la sécurisation des parcours professionnels. Pour sécuriser un parcours professionnel, il faut assurer le rebond d’un emploi à un autre lorsque l’on détruit un poste, et donc disposer d’un dispositif de formation professionnelle susceptible de permettre en permanence à un collaborateur de se projeter vers un nouveau métier, un nouveau secteur, une nouvelle géographie.

Troisièmement, et c’est ce qui me semble le plus important, il faut réhabiliter la valeur travail et la prise de risque, qui ont été considérablement dévaluées au cours des quinze dernières années. En tant que recruteurs, nous le constatons chaque année. La réussite professionnelle est insuffisamment valorisée aux yeux de ceux qui souhaitent quitter notre pays – et c’est une des raisons principales qui les conduit à partir – alors qu’elle est suspecte et critiquable aux yeux de ceux qui restent, parce qu’ils privilégient leur sécurité et leur confort.

Que doit-on changer ? En premier lieu, il faut « changer de logiciel » en mesurant toutes les réformes à l’aune de la mobilité des individus, entendue au sens large : la mobilité sociale, par la réforme de l’école, de l’université, et une plus grande fluidité entre formation générale et formation professionnelle, ce qui passe par la revalorisation de certains métiers, notamment les métiers artisanaux.

Comme je l’ai lu récemment, être coiffeur à Londres, c’est bien. Être coiffeur français aux États-Unis, c’est génial. Être coiffeur en France, ça l’est beaucoup moins. D’ailleurs qui, parmi vous, rêve que son fils ou sa fille décide de faire carrière dans la coiffure ? Cela devrait nous faire réfléchir.

Les métiers manuels restent extrêmement dévalorisés dans notre pays, alors qu’ils sont au cœur du Mittelstand allemand. On loue les PME innovantes de l’Allemagne, mais il ne faut pas oublier la solidité de son tissu artisanal. Par expérience personnelle, je connais l’Allemagne, et je suis toujours frappé par l’ouverture d’esprit des parents allemands vis-à-vis de leurs enfants, quand ils leur annoncent qu’ils ont envie de se lancer dans une carrière manuelle. En France, nous en sommes encore loin.

Ensuite, il faut adapter en permanence l’offre académique et le besoin des recruteurs. Nous en discutons avec les responsables d’universités et de grandes écoles. Ce discours bilatéral, instauré par certaines entreprises, devrait être encouragé. Il y a encore trop souvent en France des formations académiques de qualité, probablement stimulantes sur le plan intellectuel, mais totalement inutiles sur le marché du travail.

Enfin, il faut abolir toute barrière à l’entrée et favoriser tout ce qui permettra aux jeunes de franchir la première marche de l’escalier qui mène à l’ascenseur social. Il faut favoriser toute forme d’apprentissage, y compris les stages et les études menées conjointement avec des emplois rémunérés. Ce concept, qui a été développé depuis des dizaines d’années dans les pays anglo-saxons, n’est pas du tout structuré en France.

En deuxième lieu, comme je l’ai dit tout à l’heure, pour créer de l’emploi, il faut savoir en détruire. Il faut donc favoriser la mobilité d’un emploi à un autre. Cela implique de procéder à une refonte et à une simplification du droit du travail. Je vous rappelle trois chiffres que vous connaissez sans doute : le code du travail posé sur mon bureau fait 3 299 pages, le code du travail allemand 800 pages et le code du travail suisse 70 !

En troisième lieu, la mobilité internationale ne doit pas être subie : elle doit être encouragée, mais également maîtrisée à travers l’organisation d’une véritable diaspora de l’expatriation française.

Depuis une dizaine d’années, je passe un tiers de mon temps à l’étranger. Je suis surpris, parfois choqué, quand je discute avec les communautés d’expatriés français qui contribuent trop souvent au French bashing. Pour eux, le fait de rester en France vous rend suspect quant à vos capacités professionnelles ! J’observe d’ailleurs que la diaspora française ne raisonne pas du tout comme les diasporas d’autres pays.

En conclusion, de mon point de vue, il n’y a aucune fatalité dans l’expatriation d’un certain nombre de forces vives de notre pays, dès lors que cette expatriation est positive dans leur esprit, qu’elle est datée, et que l’on se donne les moyens de récupérer toute la valeur que vont acquérir les intéressés. Une fois rapatriés, ils pourront faire bénéficier les entreprises françaises de leur capacité à sortir de leur zone de confort et à innover, et de leur envie de contribuer à la croissance de notre pays.

M. le président. Monsieur Mickeler, je vous remercie. Avant de passer la parole au rapporteur et à nos collègues, je voudrais vous poser une question. Vous avez dit que vous receviez 70 000 CV et que vous faisiez passer 3 000 entretiens. Comment sélectionnez-vous les personnes que vous convoquez en entretien ?

M. Jean-Marc Mickeler. Nous sommes un gros recruteur. Aujourd’hui, dès lors qu’il a quatre ou cinq ans d’études post bac et quel que soit son profil, un jeune diplômé candidate chez nous. Il tente sa chance, qu’il ait ou non des compétences pour nos métiers. Le nombre de candidatures d’opportunisme est ainsi très important. Une première étape consiste donc à étudier le profil de ces candidats, leur CV et leur lettre de motivation, pour identifier ceux qui pourraient répondent aux attentes que nous avons exprimées pour les postes que nous cherchons à pourvoir et qui, en outre, font montre d’une motivation pour nos métiers. Cette première sélection faite, nous recevons les candidats, nous leur faisons passer plusieurs entretiens, sachant que, dans notre organisation, c’est l’opérationnel qui va travailler avec la personne qui décide in fine.

M. le président. Si je vous pose cette question, c’est pour attirer votre attention sur la prégnance du diplôme. En tant que parlementaires, nous recevons des gens très importants, qui nous expliquent qu’en France on fait trop attention aux diplômes, on ne valorise pas assez les métiers manuels, on ne donne pas leur chance à de jeunes talents, tout en demandant à un jeune qu’il ait « bac + 12 » pour commencer comme simple commercial dans un grand groupe. Comment repartir dans la bonne direction ?

Ensuite, vous avez dit que, pour être attractif, notre pays devait avoir une économie ouverte à l’innovation. Mais quels sont les critères qui font qu’aujourd’hui un jeune, diplômé ou non, considère que la France est un pays innovant ? N’oublions pas tout de même que la France a le taux de crédit d’impôt recherche le meilleur des pays de l’OCDE.

Enfin, vous avez parlé de recrutement et de l’éventuelle expatriation des jeunes Français. Ma question s’adresse au directeur des ressources humaines d’un groupe international organisé en réseau : aujourd’hui, est-ce que le bureau de Paris est attirant pour vos collaborateurs du bureau de New York, de Londres ou de Berlin ? Attirez-vous facilement des cadres internationaux à Paris quand vous en avez besoin ?

M. Jean-Marc Mickeler. Monsieur le président, je répondrai à votre première question que l’école, en tant que telle, n’a pour nous aucune importance dès lors que le contenu académique dispensé au candidat correspond au contenu académique minimum nécessaire à l’exercice de nos métiers. Nous sommes des commissaires aux comptes, des consultants. Il faut donc que les candidats aient une formation financière minimale, et peu importe qui l’a dispensée.

M. le président. En Grande-Bretagne, les étudiants des grandes universités candidatent dans les grands cabinets d’audit ou de conseil, sans jamais avoir touché à la finance…

M. Jean-Marc Mickeler. Je suis tout à fait d’accord et je vais compléter ma réponse : nous souhaitons d’abord des candidats qui, par l’expression de leur motivation dans leur lettre de motivation, par la réalisation de stages préalables ou soit par leur implication dans des activités périscolaires, montrent leur intérêt pour notre projet d’entreprise et nos valeurs.

Nous recrutons dans plus de 80 écoles et universités différentes, dans plus de 60 filières différentes, y compris dans des filières littéraires. Nous recrutons depuis peu des bacs +2 et +3 que nous accompagnons, sous forme de contrats de professionnalisation, en alternance, pour les amener à bac +5 et leur ouvrir les portes du diplôme professionnel d’expertise comptable. C’est un effort que nous avons engagé en partenariat avec certaines écoles.

Aujourd’hui, nous jouons pleinement notre rôle de recruteurs responsables, en essayant de sortir de ce dogme du diplôme et de l’adéquation parfaite entre le CV et les postes. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés ne réside pas tant dans la capacité des candidats à pouvoir apprendre et participer à notre entreprise, que dans notre capacité à distinguer ceux qui ont vraiment envie de le faire de ceux qui candidatent « industriellement » dans des organisations comme la nôtre. J’observe qu’il y a encore cinq ans, le nombre des candidatures n’était que de 40 000 à 45 000 par an : ce sont là les effets de la crise, même si, historiquement, les cabinets d’audit et de conseil sont de gros recruteurs.

J’en viens à votre deuxième question. Pour un jeune diplômé ou un jeune professionnel, qui a entre zéro et sept ou huit ans d’expérience professionnelle, l’innovation et l’entrepreneuriat sont deux concepts indissociables. Quand ils nous disent qu’ils ne se sentent pas capables d’innover dans notre organisation, cela revient à dire qu’ils ne pensent pas pouvoir entreprendre au sein d’une entreprise française qui, aujourd’hui, ne reconnaît pas suffisamment ce qu’ils sont capables de faire, étant donné leur parcours académique. Ils ont le sentiment d’être marqués par leur parcours d’origine, mais que cela ne sera plus le cas dès qu’ils sortiront du pays et qu’ils seront confrontés à un marché du travail où leurs diplômes, quels qu’ils soient, sont très peu connus en dehors de la France.

En outre – et ils peuvent se référer à l’expérience de leurs congénères embauchés dans les années précédentes – ils ont l’impression que nos organisations sont confrontées à une absence de flexibilité qui risque de les freiner dans certains de leurs investissements. Je vais prendre un exemple très parlant.

Notre entreprise est présente dans plus de 160 pays. Pour assister nos clients, nous avons développé une offre pour nous adapter au monde digital. Cette offre nous a permis de recruter plus de 10 000 personnes dans le monde. Elle fonctionne très bien dans tous les pays anglo-saxons. Mais répliquer cette offre en France implique d’aller chercher de la compétence à l’étranger, parce que celle-ci n’existe pas de façon aussi prégnante dans notre pays. En effet, beaucoup d’entrepreneurs de ce secteur ont commencé leur carrière à l’étranger ou sont allés développer leurs solutions à l’étranger. Par ailleurs, investir aujourd’hui à 100 % sur des compétences et des formations françaises pour construire cette offre en France nécessiterait de faire des arbitrages ailleurs dans notre organisation. Ces arbitrages auraient un coût relativement important en termes de réorganisation de notre entreprise, et le cadre légal et social actuel ne nous permet pas d’avoir cette flexibilité-là. Les candidats le savent.

Cela me ramène au constat que je faisais dans mon propos liminaire : pour investir, pour innover, il faut savoir prendre le risque de détruire ce qui nous semble ne plus avoir d’avenir. On ne peut pas courir tous les lièvres à la fois. Innover, c’est prendre un risque. Ce risque, il faut savoir le financer. Or, dans une organisation comme la nôtre, nous ne sommes pas capables de gérer tous nos portefeuilles, y compris nos portefeuilles historiques, et d’innover autant que nous souhaiterions le faire.

À votre troisième question, je répondrai de façon nuancée. D’abord, et c’est une spécificité française, il est très compliqué, pour un cadre étranger, de venir travailler en France s’il ne maîtrise pas le français – c’est un élément que l’on minore trop souvent. Même dans les groupes internationaux, il y a encore trop de collaborateurs travaillant en France qui ne sont pas à l’aise pour travailler avec un étranger qui ne maîtrise pas notre langue – soit ils n’ont pas envie de faire l’effort, soit ils ne sont pas capables de le faire. À Deloitte France, nous envoyons dans le réseau entre 150 et 200 collaborateurs, mais nous n’arrivons pas à équilibrer cette « balance commerciale ». Pourtant, nous sommes prêts à faire venir des collaborateurs qui ne maîtrisent pas la langue française et à les aider à en acquérir les bases. L’autre problème est que nous sommes une firme de prestations intellectuelles et que nous avons également besoin de l’adhésion de nos clients. Or il est difficile de proposer à nos clients français une équipe dans laquelle certains collaborateurs ne sont pas parfaitement bilingues. Ce n’est pas du tout un problème dans de nombreux pays, y compris européens. Vous pouvez parfaitement aller travailler en Italie, en Espagne ou en Allemagne sans savoir parler italien, allemand ou espagnol. L’anglais suffira. C’est moins le cas en France.

Ensuite, un certain nombre de mesures prises au cours des dernières années ont été interprétées à l’étranger – la diaspora française n’a pas toujours joué un rôle positif en la matière – et perçues par un certain nombre de cadres étrangers comme étant absolument incompatibles avec leurs valeurs et leur développement professionnel. Et donc, ils n’imaginent pas venir dans notre pays.

Je passe sur les effets de la taxe à 75 %, mais je ne peux pas m’empêcher de rappeler le mal provoqué par la circulaire Guéant, en donnant le sentiment que la France faisait preuve d’ostracisme vis-à-vis d’un certain nombre de cultures. Des cadres internationaux considèrent par ailleurs que notre pays refuse la mondialisation des échanges et ne s’inscrit pas dans une dynamique d’ouverture économique. Cela ne reflète pas ma pensée, mais les discussions que j’ai pu avoir à l’étranger. Quelle que soit la valeur des arguments utilisés, nous devons retenir que la façon dont notre pays est perçu nous cause beaucoup de tort et limite notre capacité à attirer ces talents.

M. Yann Galut, rapporteur. Merci, monsieur, pour votre intervention. Vous avez relevé le fait que nos jeunes, qu’ils soient diplômés ou non, cherchaient prioritairement la sécurité. Mais il y a quelques années déjà, à la question : « quel est votre souhait pour votre avenir professionnel ? » un jeune Français sur deux avait répondu : « être fonctionnaire » ! Je comprends tout à fait votre logique, mais les jeunes n’ont pas obligatoirement envie d’être au service de l’entreprise comme c’est le cas dans d’autres pays. Bien sûr, il faut gagner sa vie, mais celle-ci passe aussi par la famille, les enfants ou les sorties. Le phénomène est-il culturel ?

J’observe par ailleurs que notre pays n’arrive pas à donner leur chance à de nombreux jeunes des quartiers ou des zones rurales défavorisées. L’ascenseur social est bien en panne. Celui qui n’a pas fait une grande école, ou dont les parents n’ont pas le réseau qui leur permettra de le présenter au responsable venant de la même école qu’eux, ne trouvera ni emploi, ni même de stage. Je peux illustrer mon propos. Je suis avocat, et dans ma commune de Bourges, j’ai monté, avec des entrepreneurs locaux, une petite structure d’alerte. Nous nous étions en effet rendu compte qu’il y avait toujours trois ou quatre élèves qui restaient « sur le carreau » quand il leur fallait faire le stage de cinq jours, en entreprise ou dans un cabinet d’avocats, qui est maintenant obligatoire en classe de troisième. Il s’agissait souvent de jeunes issus de la diversité. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs l’impression de subir une forme d’incompréhension culturelle, de racisme. Quel est votre sentiment ?

Ensuite, vous nous avez dit que 52 nationalités travaillaient au sein de votre structure. Mais est-ce qu’en France, nous proposons des rémunérations équivalentes à celles d’autres pays ? Et qu’en est-il du temps de travail ?

Vous avez dit aussi que 20 % des jeunes diplômés souhaitaient partir, et que 30 % d’entre eux souhaiteraient partir et ne pas revenir.

M. Jean-Marc Mickeler. 27 % veulent débuter leur carrière à l’étranger, et parmi ces 27 %, 30 % d’entre eux n’envisagent pas de revenir.

M. le rapporteur. Soit 10 % de l’ensemble de ceux qui souhaitent partir, ce qui paraît très important. Mais la CCI de Paris nous a dit la semaine dernière qu’aujourd’hui, 10 % des Anglais se trouvaient en permanence à l’extérieur de leur pays. Faut-il vraiment s’alarmer du nombre des jeunes diplômés français qui n’envisagent pas de revenir, ou se dire que ce pourcentage de 10 % correspond à l’émergence d’une nouvelle génération mondialisée qui décide de tenter l’aventure ? Aujourd’hui, toutes les grandes écoles, comme Sciences Po ou HEC, prévoient, dans leur cursus, qu’une année se passera obligatoirement à l’étranger. D’autres écoles, moins prestigieuses, s’y sont mises elles aussi.

Je terminerai par quelques observations et quelques interrogations. La taxe de 75 % était peut-être dissuasive. Mais s’appliquait-elle aux personnes qui auraient pu venir travailler chez vous ? Servez-vous d’aussi hauts niveaux de rémunération ? La circulaire Guéant a peut-être également joué.

M. Jean-Marc Mickeler. Je suis marié, père de deux petites filles et je tiens beaucoup à garder un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Et donc, loin de moi l’idée de condamner ceux qui poursuivent cet objectif sur la durée de leur carrière ou qui mesurent leur propre réussite à l’accession à cette forme d’équilibre. Je dis seulement que la progression d’une carrière professionnelle se joue lors des premières années. Lorsque nous recrutons de jeunes diplômés, nous leur donnons la possibilité d’apprendre beaucoup, de prendre de nouvelles responsabilités et de s’ouvrir des possibilités. Ce sera ensuite à eux de décider de l’orientation qu’ils voudront donner à leur carrière professionnelle. Mais au départ, nous cherchons des collaborateurs qui ont envie de faire leurs preuves et qui, dans les premières années, considèrent que leur engagement professionnel est une priorité. Et Deloitte n’est pas la seule entreprise à fonctionner de cette façon. Je pense même que c’est la raison d’être de beaucoup d’entreprises qui ont un rôle de formation.

N’oublions pas que le turn over naturel est chez nous de 20 % par an. Cela illustre notre capacité à essaimer des talents formés, des personnes qui ont passé trois, quatre ou cinq ans dans notre organisation. Nous investissons tous les ans 7 % de notre masse salariale dans des actions de formation – ce qui est bien au-delà des obligations légales : formations théoriques, auxquelles s’ajoutent les formations pratiques dans le cadre de missions effectuées sous la direction de personnes plus expérimentées. Nous sommes un « accélérateur de carrière ». Voilà pourquoi nous privilégions les profils qui attendent de nous que nous leur donnions, lors des premières années, un maximum d’opportunités. C’est ce que font aujourd’hui de nombreuses entreprises dites « innovantes » à l’étranger. Et c’est ce qui attire de nombreux jeunes très diplômés, peu diplômés ou pas diplômés. Peu importent les diplômes. C’est une caractéristique générationnelle.

Aujourd’hui, monsieur le rapporteur, je peux admettre que les jeunes diplômés ou les jeunes expérimentés que nous recevons aient pour objectif de parvenir à une forme d’épanouissement, passant par un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Mais j’ai du mal à accepter que certains, à peine sortis de l’école, se préoccupent de savoir comment nos métiers s’accommodent des 35 heures, dans quelle mesure nous pouvons contribuer à leurs frais de bouche – je n’exagère pas – et si nous accompagnons un certain nombre d’actions visant à favoriser leur épanouissement au sein de l’entreprise. Je ne cherche pas à généraliser, mais je remarque qu’il y a quinze ans, ce dernier type de profils était extrêmement peu courant. Si vous interrogez d’autres recruteurs, vous obtiendrez la même réponse : il y a une attrition de la valeur travail – encouragée d’ailleurs par un certain nombre de corps académiques. Nous en avons discuté avec des patrons d’universités et d’écoles.

Sur le deuxième point que vous avez soulevé, je suis tout à fait d’accord avec vous. Voilà pourquoi, depuis maintenant cinq ans, nous avons souscrit, dans les zones défavorisées, des partenariats avec certains lycées ; je pense plus particulièrement à un lycée à Sarcelles, où nous menons des actions d’accompagnement. Nous suivons dans la durée des jeunes collégiens, puis des lycéens, et nous les aidons à apprendre les codes de l’entreprise et à naviguer au sein de la géographie académique française. Nous aidons les établissements à identifier des élèves qui, indépendamment de leur origine sociale, ont le potentiel pour intégrer nos plus belles écoles. Tous les ans, et nous nous en félicitons, nous avons des succès formidables. Nous avons réussi à accompagner des jeunes à obtenir des mentions très bien au bac ou à intégrer Sciences Po, alors même que leurs parents ne parlent pas français.

Nous considérons que nous devons contribuer à lever un certain nombre de barrières. Nous avons été une des premières entreprises en France à lancer une formation d’entreprise autour de l’éducation et de l’accompagnement de certaines populations moins favorisées pour accéder à une éducation de qualité. De la même façon, l’année dernière, nous avons engagé des discussions avec d’autres entreprises géographiquement proches de la nôtre. Notre siège étant à Neuilly-sur-Seine, nous avons discuté avec de nombreuses entreprises de la Défense pour faciliter l’accès d’un maximum d’élèves aux stages de troisième. Nous ne pouvons pas tout faire mais, en tant qu’entreprise, nous faisons en sorte d’avoir un comportement responsable.

Le troisième point que vous avez abordé portait sur les niveaux de rémunération et le temps de travail effectif, en France et ailleurs.

Aujourd’hui, chez Deloitte en France, nous recrutons essentiellement des profils bac +5 ou qui ont vocation à le devenir. Nous rémunérons ces jeunes, en fonction de leur formation et des métiers qu’ils intègrent, entre 32 000 et 42 000 euros bruts par an. Pour savoir ce que cela nous coûte au total, il suffit de multiplier la rémunération en question par 1,45. Le coût total pour Deloitte en France est le même que ce que Deloitte en Angleterre dépensera en Angleterre pour recruter des profils comparables. Sauf qu’in fine, le jeune diplômé recruté à Londres aura dans la poche entre 20 et 25 % de plus que ce que je peux lui offrir à Paris. Que choisira un diplômé de HEC, entre postuler chez Deloitte en France avec 42 000 euros de rémunération brute (soit environ 35 000 euros de rémunération nette avant impôt) et postuler à Londres, avec la même somme en rémunération nette avant impôt ? Il faut avoir de sacrés arguments humains à faire valoir pour dire à ce jeune diplômé qu’il a intérêt à commencer sa carrière à Paris plutôt qu’à Londres. Je ne peux pas être plus précis.

Un autre élément me semble très important : le mécanisme du salaire minimum existant dans notre pays est certes vertueux, mais il nous empêche d’utiliser les compétences de jeunes qui, bien que n’étant pas encore diplômés, pourraient très bien, indépendamment des schémas d’alternance, travailler parallèlement à la poursuite de leurs études. Le système fonctionne parfaitement aux États-Unis et en Angleterre, mais quasiment pas en France. Permettre aux entreprises d’utiliser à temps partiel, sans référence au SMIC, un certain nombre de compétences et donc offrir une première expérience à des étudiants avant même qu’ils soient diplômés, avant même qu’ils ne soient obligés de trouver un stage, serait un moyen de faciliter l’accès aux stages de demain et aux emplois d’après-demain.

Vous m’avez interrogé sur le temps de travail en France et ailleurs. Il est très compliqué de comparer la productivité d’un pays à un autre. Selon moi, la vraie différence tient au fait qu’en France les salariés comptent leurs heures, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. Je n’ai pas de recette miracle à vous proposer aujourd’hui. C’est un constat qui résulte d’une évolution sociétale au cours des quinze dernières années. Je pense qu’il faudra du temps pour que la situation évolue, quelles que soient d’ailleurs les réformes que l’on pourrait imaginer.

Vous m’avez enfin demandé si je trouvais inquiétant que 10 % des jeunes qui souhaitent s’expatrier n’envisagent pas de revenir.

Encore une fois, que le nombre de jeunes qui envisagent de commencer leur carrière à l’étranger ait été multiplié par deux d’une année sur l’autre me semble une bonne chose. Je m’inquiète en revanche des raisons – cf. notre baromètre – qui poussent certains à partir. Pour l’essentiel, ce ne sont pas des raisons positives. Autrement dit, qu’il y ait en permanence 10, 15, voire 20 % d’une classe d’âge qui fassent l’expérience de l’expatriation n’est pas inquiétant. Mais que certains partent parce qu’ils ont l’impression d’y être contraints est préoccupant.

Le fait qu’ils n’envisagent pas de date de retour est une deuxième préoccupation, d’autant plus que l’on sait que la communauté des expatriés qu’ils rejoindront ne tient pas un discours positif. Vous avez cité les 10 % d’Anglais qui s’expatrient en permanence. Mais la situation est tout à fait différente : un Anglais qui s’expatrie reste extrêmement attaché à son pays et n’envisage pas d’en dire du mal.

M. Alain Rodet. Sans nier le problème, je voudrais me faire l’avocat du Diable.

J’ai rencontré deux jeunes diplômés d’une école de commerce. Le premier était parti, très stimulé, à Hong-Kong, pour le compte d’une grande maison de luxe française. Après six mois de travail sous contrat local, il est rentré chez lui. Le second était parti à Toronto dans une grande entreprise. Au bout de dix-huit mois, il ne supportait plus de faire du présentéisme.

J’ai rencontré aussi trois chefs d’entreprises français de 45/50 ans, installés dans le Sud des États-Unis, en Caroline du Nord, près de Charlotte. Ils ne m’ont parlé ni de l’impôt de solidarité sur la fortune, ni des 35 heures, mais ils m’ont parlé du coût de l’assurance maladie et de la scolarité dans un bon établissement outre Atlantique.

J’ai rencontré enfin un Américain qui travaillait dans l’archipel de la Sonde, pour une grande compagnie pétrolière française. Il m’a raconté que le directeur de toute la zone était polytechnicien, le directeur des sites centralien et le directeur de la plate-forme off-shore venait des Arts et Métiers. Et il s’est étonné en demandant : la France serait-elle un pays de castes ? De la même façon, quand on explique à l’étranger que les chambres de commerce offrent des salaires très élevés et un statut bien supérieur à celui de la fonction publique, les gens en restent pantois.

M. Gilbert Le Bris. Premièrement, 57 % des gens sont méfiants à l’égard des employeurs. Cela nous interpelle. Qu’en pensez-vous ?

Deuxièmement, vous avez parlé du French bashing de la diaspora. Au cours de mes missions, j’ai souvent eu l’occasion de rencontrer les membres de notre diaspora en Asie, notamment au Japon, en Chine, à Taïwan, au Vietnam, etc. Ils restent entre eux, ils sont conscients d’appartenir à un pays à forte identité culturelle. En outre, ils ont tendance à exprimer leur déception à l’égard du manque d’audace et d’esprit d’entreprise de leurs concitoyens. Avez-vous la même appréciation ?

M. Claude Sturni. Ma question tourne également autour du France bashing. Concerne-t-il plutôt les jeunes ? Augmente-t-il avec l’âge et l’expérience professionnelle ? Est-il lié au niveau de vie ou aux contraintes fiscales, qui peuvent s’accroître avec la carrière et les revenus ?

M. Jean-Marie Tétart. Cette question nous préoccupe parce que, lors de notre deuxième audition, nous avons entendu parler du ressentiment de la communauté française vivant à l’étranger, quels que soient l’âge et les qualifications de ses membres. Et vous venez de nous dire que cette mauvaise image de la France s’auto-alimentait. De fait, ceux qui quittent le pays parce qu’ils n’y trouvent pas de possibilités d’épanouissement rejoignent une communauté qui, elle-même, renforce ce sentiment. Vous avez remarqué qu’il faudrait du temps pour changer la situation. Mais quelle piste pourriez-vous néanmoins nous suggérer à court terme ?

Mme Sophie Rohfritsch. Il faudrait déjà que nous commencions par pratiquer l’autocensure. À l’intérieur de notre pays, nous avons la même tendance.

Par ailleurs, et même si je caricature vos propos, peut-on dire que ne partent que ceux qui ont envie d’entreprendre ?

M. Jean-Marc Mickeler. J’ai travaillé aux États-Unis, en Allemagne, en Asie, et je suis revenu en France, où je suis très heureux. J’y prends des responsabilités, je voyage beaucoup et je suis convaincu que nous n’avons aucune raison de rougir de ce que nous pouvons proposer, même si nous avons beaucoup de choses à améliorer.

Les médias français ont tendance à chercher – y compris dans nos études – des chiffres qui viennent alimenter le sentiment de défiance vis-à-vis de notre pays. De fait, nous avons à progresser sur de nombreux points. Par exemple, nous sommes perçus comme des gens arrogants dans les pays anglo-saxons, en Asie, et de plus en plus souvent en Europe. Voilà pourquoi je pense que tous ceux qui véhiculent la voix de la France, tous ceux qui représentent notre pays – politiques, chefs d’entreprise, artistes – devraient commencer par faire leur introspection. En effet, l’évolution de la perception que les étrangers ont de notre pays relève en partie de la responsabilité de ces personnalités. Pour ma part, l’une des plus grandes souffrances qui m’ait été infligée à l’étranger est venue du procès d’intention que l’on m’a fait d’être arrogant et de vouloir imposer mes vues. Et cela m’a amené à travailler sur moi-même.

Monsieur Le Bris, il ressort en effet de notre étude que 57 % des personnes interrogées se méfient des employeurs. Mais heureusement, ce pourcentage diminue de façon très significative d’une année sur l’autre, s’agissant de ceux qui sont en poste dans l’entreprise. La méfiance vient plutôt de ceux qui n’ont pas encore la chance d’y travailler. Le problème que nous avons aujourd’hui est d’ailleurs bien de faire franchir aux diplômés cette première marche. L’évolution me semble donc aller dans le bon sens. Mais je tiens à vous faire remarquer que toute défiance vis-à-vis du politique a une incidence immédiate sur la défiance des collaborateurs vis-à-vis du management des entreprises.

Ensuite, monsieur Sturni, le French bashing, n’est pas une question de génération. Il concerne aussi bien les jeunes expérimentés qui sont à l’étranger depuis deux ou trois ans que les personnes ayant une longue carrière d’expatriation derrière eux.

Enfin, monsieur Rodet, j’observe que ceux qui tiennent encore les discours que vous avez mentionnés tout à l’heure sont aujourd’hui très peu nombreux.

Chaque pays a ses avantages et ses inconvénients. Il est avéré que la protection sociale coûte éminemment plus cher dans les pays anglo-saxons qu’en France, qu’il est beaucoup plus compliqué d’avoir des enfants lorsque l’on est en expatriation, ou d’être en contrat local que de travailler en France. Mais les jeunes dont je parlais n’ont pas enfants, ils partent seuls et sont au début de leur carrière. Ils se « fichent » bien, s’ils vont aux États-Unis, de savoir combien leur coûtera leur protection sociale. Ils se disent que lorsqu’ils auront monté leur entreprise et qu’ils gagneront très bien leur vie, ils choisiront le niveau de protection dont ils auront besoin. J’entends ce genre d’arguments, mais je pense qu’ils pèsent de peu de poids chez les jeunes générations.

Revenons sur le French bashing. À vrai dire, je ne m’explique pas pourquoi ces expatriés scient, d’une certaine façon, la branche sur laquelle ils sont assis. Je regrette de ne pas avoir de solution immédiate à proposer, si ce n’est de faire du prosélytisme. Ceux qui, en France, ont des responsabilités managériales et côtoient régulièrement ces communautés doivent s’y employer. Cela dit, mon sentiment est que parmi les communautés expatriées au sein des grandes métropoles internationales, la moins ouverte aux impatriés et la plus mal perçue par les locaux est systématiquement la communauté française. Maintenant, moi qui ne suis pas parisien mais alsacien, j’ai remarqué, lorsque je visite mes bureaux en province, le même antagonisme entre la province et Paris que celui qui peut exister entre l’expatrié et celui qui vit en France.

Aujourd’hui, je trouve inquiétant que des cadres ne veuillent pas rester en France parce que cela ferait planer des doutes quant à leurs capacités professionnelles. Ils n’ont pas de projet, mais demandent à être envoyés l’étranger, pour ne pas perdre leur crédibilité vis-à-vis des clients et de leurs collaborateurs. C’est un discours difficile à entendre, quand vous êtes chef d’entreprise et directeur des ressources humaines d’un groupe en France. En ce domaine aussi, nous avons une responsabilité forte, sur laquelle il nous faut travailler.

Est-ce que ceux qui partent ne sont que des entrepreneurs ? Malheureusement non. Ceux qui partent sont aussi, pour partie, attirés par l’étranger parce qu’ils ne trouvent pas de poste en France. Cela me ramène à mon exemple précédent : si vous êtes coiffeur et que vous allez à Londres, vous trouverez du travail en deux jours. Et si vous êtes cuisinier et que vous allez dans n’importe quel pays européen, vous croulerez sous les offres d’emploi.

Peut-on mener des actions à court terme pour lutter contre le French bashing ? Il ne peut s’agir que de réponses individuelles. Comme je l’explique à mes équipes, nous devons les uns et les autres consacrer du temps et de l’énergie, lorsque nous voyageons, à aller à la rencontre de ceux qui adoptent une telle attitude : nous devons leur expliquer en quoi cette attitude est criminelle et leur montrer qu’ils contribuent à un phénomène de dévalorisation qui finira par se retourner contre eux, quand bien même ils décideraient de faire toute leur carrière à l’étranger.

M. le président. Monsieur Mickeler, je vous remercie.

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Audition du mardi 13 mai

À 17 heures 15 : M. Étienne Wasmer, co-directeur, et M. Pierre-Henri Bono, chercheur, au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP, Sciences Po.)

M. le président Luc Chatel. Le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) est un laboratoire d’excellence, qui a été distingué par un jury scientifique international désigné par l’Agence nationale de la recherche – ANR. Il évalue les politiques publiques dans une perspective interdisciplinaire et bénéficie de soutiens importants de l’État et de l’agence au titre des programmes d’investissements d’avenir. Il réunit une cinquantaine de chercheurs et de professeurs de Sciences Po et d’autres centres de recherche, qui l’ont cofondé. C’est dans ce cadre que M. Étienne Wasmer et M. Pierre-Henri Bono, à qui nous souhaitons la bienvenue, ont publié en mars 2014 une note intitulée Y a-t-il un exode des qualifiés français ?

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Étienne Wasmer et M. Pierre-Henri Bono prêtent serment.)

M. Étienne Wasmer, codirecteur du LIEPP. Nous possédons sur l’expatriation des données moins précises que sur les autres secteurs de la vie économique et sociale, car il est difficile d’appréhender un phénomène extérieur au territoire national. Toutefois, des chiffres permettent de formuler un diagnostic, moyennant quelques réserves et quelques hypothèses.

Des données enregistrent, depuis les années 1980, le taux d’émigration, soit le nombre de personnes nées dans un pays et résidant à l’étranger, rapporté au volume de la population, immigrés inclus, vivant dans le pays de départ. Elles révèlent en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis une tendance à l’émigration. Le taux d’émigration de la France et des États-Unis est cependant inférieur à celui des autres pays. Entre 1980 et 2010, le nôtre passe d’un peu plus de 1 % à plus de 2 %.

C’est sans doute parce que la France n’a jamais été une terre d’émigration que les évolutions récentes nous surprennent. Par ailleurs, si son taux d’émigration augmente, celui-ci reste inférieur à celui du Royaume-Uni, des Pays-Bas ou de l’Allemagne, ce qui peut paraître rassurant. Cette impression se confirme si l’on observe le solde net, soit la comparaison des départs et des arrivées des diplômés du supérieur, baccalauréat inclus. La France est attractive : elle accueille un nombre croissant de personnes qualifiées, et celui-ci est supérieur à celui des personnes nées en France et résidant dans d’autres pays. On ne peut néanmoins établir ce résultat qu’à partir d’hypothèses qui portent sur une vingtaine de pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE.

Ces pays nous envoient moins de diplômés que nous n’en envoyons vers eux. Si la France accuse un déficit vis-à-vis du Canada et des États-Unis, grands attracteurs nets de diplômés, elle reste bénéficiaire par rapport aux autres pays du monde. Je le répète : la France n’est pas un pays d’émigration. La sortie des diplômés, en augmentation, est compensée par les entrées, ce qui se traduit par un solde migratoire très positif pour les plus qualifiés.

Quatre points doivent retenir notre attention.

Si la France semble bénéficiaire nette au niveau mondial pour les diplômés du supérieur, elle ne l’est pas si l’on se limite aux entrées et sorties entre pays de l’OCDE.

L’échelle de définition des qualifications dont nous disposons étant grossière, nous réfléchissons sur l’éducation tertiaire, c’est-à-dire sur les titulaires d’un baccalauréat ou plus, sans savoir ce qu’il en est des « très hauts potentiels » – titulaires d’un doctorat, ingénieurs, innovateurs ou créateurs d’entreprise.

La note mettant l’accent sur les flux nets, plutôt que sur les départs, elle ignore la réflexion sur les moyens de faire revenir ceux qui pourraient le souhaiter.

Enfin, il faut réfléchir au moyen d’attirer les hauts potentiels qui résident à l’étranger.

La question des données disponibles appelle quelques éclaircissements. Le registre mondial des Français établis hors de France apporte des indications précieuses, mais l’inscription à ce registre est le résultat d’une démarche volontaire. Au 31 janvier 2012, il comptait 1,6 million d’inscrits, après avoir augmenté en moyenne de 4 % en dix ans. Les données brutes ne sont pas disponibles en ligne.

Certains biais de sélection ne sont pas faciles à contrôler. Le registre inclut plus spontanément les résidents français qui vivent dans des contrées éloignées, auxquels l’inscription au consulat peut procurer un avantage, par exemple en cas d’accident. Les Français habitant dans des pays très proches sont vraisemblablement sous-déclarés, tout comme ceux qui envisagent une expatriation définitive. Le niveau d’études influe aussi sur le comportement de déclaration, de même que certains événements conjoncturels : on enregistre plus d’inscriptions au consulat avant une élection. Dernière réserve : ces données ne se prêtent pas à une comparaison internationale.

Une mesure alternative, qui demanderait un travail considérable, consisterait à regarder, dans les recensements effectués dans chaque pays vers lequel nous pensons qu’il existe de l’émigration, le nombre de personnes nées en France. Puis on le comparerait à celui des nationaux de ces pays résidant en France. C’est la seule méthode qui procurerait des résultats fiables.

Nous avons utilisé des données financées par l’Union européenne et développées par un centre de recherche allemand, l’IAB (Institut für Arbeitsmarkt- und Berufsforschung). Elles portent sur vingt pays de l’OCDE qui, à l’exception de l’Italie et de la Belgique, représentent les destinations principales : l’Australie, l’Autriche, le Canada, le Chili, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Portugal, l’Espagne, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis.

La base porte sur la population de plus de 25 ans, distingue trois niveaux d’études
– primaire (niveau collège), secondaire (niveau lycée) et tertiaire (toutes les formations de l’enseignement supérieur) – et remonte jusqu’aux années 1980. Elle permet d’évaluer le nombre de Français vivant dans les pays concernés, comme le nombre de personnes nées dans ces pays et résidant en France. Toutefois, elle ne comptabilise pas le nombre de Français dans les anciennes colonies. Elle n’indique pas non plus l’âge de départ des émigrants ; dès lors, on ignore où ils ont fait leurs études et quel pays les a financées.

Une autre base de données concernant cent pays a été établie par l’OCDE, mais elle ne porte que sur l’année 2000. Le rapprochement des deux bases révèle que, pour la France et le niveau d’éducation tertiaire, les personnes vivant dans les dix-neuf pays étudiés par l’enquête de l’IAB représentent 79 % du nombre total de personnes nées en France et vivant à l’étranger. En d’autres termes, pour les plus diplômés, le biais de sous-estimation de l’IAB est de 20 %, dont 12 % concernent la Belgique, l’Italie et Israël. La marge d’erreur de 20 % n’inverse pas les conclusions que j’ai présentées sur le nombre de diplômés accueillis par la France et venant de tous les pays du monde.

M. Pierre-Henri Bono, chercheur au LIEPP. Nous avons approfondi les investigations présentées dans la note pour comparer la situation de la France et celle de ses voisins.

Le volume d’émigration des personnes nées en France a fortement augmenté : il est passé, pour tous les niveaux d’études, de 400 000 en 1980 à 1 million en 2010. Le phénomène a pris de l’ampleur dès les années 1990, avec une plus forte progression pour les personnes qualifiées, dont les départs sont quatre fois plus nombreux en 2010 qu’en 1980. N’oublions pas cependant que, pendant cette période, la France a vu son taux d’éducation augmenter de 150 %.

Le taux d’émigration a peu évolué : entre 1980 et 2010, il est passé de 4 % à 5 %. Au sein de ce volume global, la part des grands pays d’émigration que sont les États-Unis et le Canada diminue régulièrement, notamment au profit du Royaume-Uni et de l’Espagne, ce qui traduit une diversification de l’émigration.

Au niveau d’éducation tertiaire, le taux d’émigration de la France est inférieur à celui de tous les pays considérés, hors États-Unis. Entre 2005 et 2010, ce taux augmente partout, sauf en Allemagne, en Belgique et au Canada. Au Royaume-Uni, il s’élève à près de 20 %. Le taux d’émigration de la France est inférieur à celui du Nord de l’Europe. En Europe du Sud, seule l’Espagne a un taux inférieur au nôtre, mais la base ne comptabilise pas l’émigration vers l’Amérique du Sud. Au niveau mondial, le Japon, la Chine et l’Australie ont un taux inférieur à celui de la France, alors que la Nouvelle-Zélande est une terre de forte émigration.

Si notre pays possède un taux d’émigration très bas par rapport à ses voisins, c’était déjà le cas au début du xixe siècle. Entre 2005 et 2010, il évolue comme celui des autres pays du continent. Au niveau d’éducation tertiaire, le solde migratoire de la France est positif. Jusqu’en 2005, en revanche, il était négatif au Royaume-Uni pour les personnes de ce niveau. Celui de l’Allemagne est également déficitaire pour la même catégorie.

M. Étienne Wasmer. Dans le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur, que nous connaissons bien, beaucoup de Français tentent leur chance à l’étranger, au Royaume-Uni, en Espagne et aux États-Unis. Reste à savoir s’ils vont revenir en France et si, quand ils sont à l’étranger, ils apportent quelque chose à la collectivité nationale. Il semble que ce soit le cas. Pour ne citer qu’un exemple, c’est parce qu’un professeur français s’est expatrié à Berkeley que Sciences Po a développé un partenariat avec cette université.

Une autre question est de savoir si la France fait assez pour accueillir les hauts potentiels. Afin de les séduire, plusieurs pays ont développé des stratégies actives. Le Québec défiscalise, au moins temporairement, une part importante de leurs revenus.

M. le président. Avez-vous distingué l’émigration nécessaire – voire souhaitable dans un contexte mondialisé – et l’exil forcé des jeunes vers des zones de forte attractivité économique ?

Vous regrettez l’absence d’indicateurs précis en matière d’émigration. Quels baromètres faut-il mettre en place pour mieux apprécier le phénomène et, le cas échéant, y remédier ?

Avez-vous observé que, même quand ils reçoivent une proposition en France, les jeunes Français se tournent plus volontiers vers l’étranger ? Selon le cabinet Deloitte, ils sont 80 % à faire ce choix.

La France est-elle capable d’attirer les cadres internationaux ? Comment peut-on stimuler son attractivité ?

M. Étienne Wasmer. Il est très difficile de distinguer expatriation volontaire et départ subi, puisque les bases de données qui recensent la présence d’une personne dans un pays ne disent rien de ses motivations. On peut effectuer des enquêtes ponctuelles : hélas, elles ne sont pas représentatives.

Le départ des jeunes Français s’inscrit dans un cycle de vie. Au sortir de l’école, les diplômés n’ont pas encore charge de famille. Quand ils atteignent 35 ans et scolarisent leurs enfants, ils songent que, si les salaires, après impôt, sont plus élevés à l’étranger, les dépenses liées à la famille et à l’éducation y sont également plus lourdes.

Pour approfondir notre enquête, il nous serait précieux d’accéder aux données de l’administration fiscale. Nous pourrions alors suivre la situation des résidents comme des non-résidents qui établissent une déclaration en France, soit parce qu’ils y perçoivent encore des revenus, soit parce qu’ils y déclarent les revenus qu’ils perçoivent à l’étranger. Ces chiffres nous permettraient de faire la distinction entre expatriation temporaire et définitive. On peut considérer que quelqu’un qui ne remplit plus de déclaration en France a coupé les liens avec le pays.

Le marché du travail n’est pas un critère d’attractivité pour les hauts potentiels, qui ont rapidement accès à l’emploi. La fiscalité leur importe davantage. Certains pays financent par la défiscalisation l’arrivée de hauts cadres internationaux. Ces aides, qui couvrent les coûts d’expatriation et de déménagement, montrent aussi symboliquement, que le pays cherche à développer son attractivité. Ce sont surtout les pays jeunes qui usent de ce procédé. Peut-être la France a-t-elle moins besoin d’envoyer un signal aux étrangers qu’une petite province comme le Québec.

M. Pierre-Henri Bono. Du début du xixe siècle aux années 1970, l’émigration française a toujours été choisie. Il ressort d’un sondage réalisé par l’IFOP en 1946 que plus de 20 % des personnes interrogées désiraient quitter la France. Chez les moins de 35 ans, le chiffre s’élevait même à 38 %. Il signale cependant non un projet véritable, mais un désir ou une velléité d’émigration.

M. le président. Peut-on vraiment comparer l’intention d’émigrer, dans la France de l’après-guerre, et la situation que l’on observe aujourd’hui ? Selon la chambre de commerce et d’industrie de Paris, 50 % des jeunes diplômés – à moins de bac+3 – partent pour l’étranger, parce qu’ils ont du mal à trouver un emploi ou un salaire correspondant à leurs aspirations.

M. Pierre-Henri Bono. Le chiffre cité par le cabinet Deloitte s’entend-il à salaire constant ?

M. le président. Les salaires bruts versés à Londres et à Paris sont équivalents, mais le salaire net est plus important à Londres.

M. Yann Galut, rapporteur. Je vous remercie d’avoir réalisé, sur la question de l’émigration et de l’immigration, une étude scientifique, très différente des fantasmes qui traversent régulièrement la société française. Est-il exact que l’exil des forces vives se soit accéléré depuis deux ans ? Avez-vous déjà des chiffres pour cette période ou faudra-t-il attendre 2015, voire 2016, pour disposer de données précises ?

La notion de « cycle de vie » me semble intéressante. A-t-on étudié l’évolution des choix géographiques au gré des changements de situation familiale, ce qui pose plus généralement la question du pouvoir d’achat d’un expatrié dans un pays étranger ? La crise économique de 2009 a-t-elle fait augmenter le nombre de départs ?

Émettez-vous des réserves sur la méthode retenue par la Banque mondiale pour réaliser l’enquête sur laquelle vous vous êtes appuyés ? Comment les consulats, l’INSEE ou le ministère des Affaires étrangères pourraient-ils améliorer les données existantes ? L’appareil statistique des autres pays est-il plus performant que le nôtre ? Le cas échéant, peut-on s’en inspirer ?

Les économistes Augustin Landier et David Thesmar parlent, à propos de la France, d’« obsession égalitariste », de « bureaucratisation » et du « modèle du chercheur fonctionnaire ». Notre système est-il si anachronique qu’il fasse fuir les meilleurs chercheurs ?

L’expatriation des jeunes concerne-t-elle uniquement les diplômés ? Comment expliquer l’augmentation rapide du nombre de jeunes qualifiés étrangers qui s’installent en France ? D’où viennent-ils ? Quelle est leur nationalité ?

S’il existe en France des freins au retour, comment les lever ? Les étudiants de Sciences Po ont-ils changé depuis qu’ils sont obligés de passer un an à l’étranger ?

M. Étienne Wasmer. Oui : ils reviennent transformés. Les premières années – où je n’enseignais pas encore dans l’institution –, ils se sont plaint des exposés magistraux de leurs professeurs, alors que l’enseignement international se caractérise par une plus grande décontraction, un meilleur taux d’encadrement et un suivi de meilleure qualité. L’enseignement de Sciences Po s’est adapté aux pratiques étrangères.

La France ayant toujours été un pays de faible émigration, elle s’est peu interrogée sur le phénomène, ce qui explique que le débat n’en soit qu’à ses balbutiements. Il faudra se pencher sur le sujet dans les prochaines années, car l’expatriation des diplômés augmente, non seulement parce qu’il y a plus de diplômés – en taux, les évolutions sont moins marquées –, mais aussi parce qu’il est plus facile de vivre à l’étranger aujourd’hui qu’il y a quinze ou vingt ans, grâce au progrès des communications via internet ainsi qu’à l’abondance et au faible coût des transports. Le phénomène des migrations and return migrations a été étudié dans les pays en développement, mais la France a, comme ces pays, des réticences à étudier ce phénomène.

Nous avons souligné les limites de la base de données que nous avons utilisée. Le peigne est trop large, puisqu’il ne mesure pas précisément les niveaux de diplôme, et la base n’est pas exhaustive, puisqu’elle ne considère que dix-neuf pays sur plus d’une centaine.

Paradoxalement, l’émigration des Français est surtout intra-européenne. Le programme Erasmus facilite l’expatriation. Des jeunes qui ont passé un an en Espagne, en Italie ou au Danemark ont acquis une expérience internationale. Ils peuvent facilement s’exprimer dans une autre langue et travailler à l’étranger. C’est une chance que les jeunes Français se situent d’entrée dans un marché européen ou mondial. Il n’y a pas lieu de les retenir ni de limiter des départs inéluctables. En revanche, il faut réfléchir au moyen de les faire revenir dans de bonnes conditions ou d’inciter les étrangers à s’installer chez nous.

Les nombreux diplômés qui arrivent en France viennent des pays situés à l’extérieur de l’OCDE, particulièrement en Asie et en Afrique, mais le Canada ou les États-Unis en accueillent davantage. Cette situation s’explique par l’insuffisante flexibilité qui caractérise, en France, le monde économique ou celui de la recherche. Jusqu’à une date récente, il était difficile aux jeunes diplômés d’obtenir un important budget de recherche dans notre pays. L’Agence nationale de la recherche a fait beaucoup pour mettre à leur disposition des budgets blancs, qui permettent de démarrer rapidement des travaux, mais leur volume est sans commune mesure avec celui qu’on rencontre aux États-Unis, où l’on n’hésite pas à faire confiance, notamment dans les sciences dures, à de très jeunes chercheurs.

Il existe peu d’études sur le cycle de vie, mais le coût de la santé ou de l’éducation compte beaucoup dans la décision de se réinstaller en France. On parle souvent de la concurrence fiscale à laquelle se livrent les États pour attirer les entreprises. Le même phénomène s’observe vis-à-vis des ménages.

Pour l’heure, on constate un déséquilibre fiscal : la France paie des études à des gens brillants, qui, quand ils dépensent peu en termes de santé et d’éducation, travaillent à l’étranger, et reviennent quand ils doivent financer ces dépenses. Qu’en conclure ? Qu’il faut cesser de prendre en charge l’éducation ou la santé, ou que le pays doit être attractif à tout moment de la vie ? C’est là un débat de fond.

Mme Claudine Schmid. Il semble que, lorsqu’elles recrutent, les entreprises ne valorisent pas toujours le fait d’avoir fait carrière à l’étranger. Avez-vous étudié ce phénomène ?

M. Marc Goua. Existe-t-il des chiffres sur les binationaux ? Le retrait de la France en matière d’émigration n’explique-t-il pas nos difficultés en matière de commerce international ? Un petit pays comme les Pays-Bas profite de la présence de ses nationaux à l’étranger.

M. Pierre-Henri Bono. Nous ne disposons pas de chiffres sur les binationaux, puisque notre critère, pour définir l’émigration, est le pays de naissance. Il est beaucoup plus difficile de travailler sur la nationalité.

Un chercheur qui a fait une partie de sa carrière dans une bonne université étrangère, notamment américaine, est vraiment valorisé.

Mme Claudine Schmid. Et en dehors des chercheurs ?

M. Étienne Wasmer. Dans les secteurs en déclin, où il existe une file d’attente avant d’accéder à l’emploi, on propose spontanément les postes aux personnes restées en France, qui bénéficient d’un réseau. On ne constate pas le même phénomène dans les secteurs en expansion. Par ailleurs, si les grands groupes, comme Total, qui peuvent faire une comparaison internationale entre les diplômes, les parcours et les carrières, vont chercher des potentiels à l’étranger, ce n’est pas le cas des plus petites entreprises.

Il existe une corrélation flagrante entre le volume d’émigration et le flux de commerce, comme d’ailleurs de savoir, entre les pays. Quand nous avons des collègues français dans les grandes universités, nous nous invitons et nous échangeons des étudiants, ce qui est un facteur de rayonnement. C’est pourquoi nous défendons dans la note une vision dynamique de l’émigration, en nous demandant à la fois comment en tirer parti, comment éviter de se faire voler nos meilleurs étudiants et comment en attirer.

M. le président. Je vous remercie de cette étude intéressante, qui nourrira nos travaux.

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Audition du mardi 20 mai 2014

À 16 heures 45 : Mme Élisabeth Crépon, présidente de la commission Développements et partenariat de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) et présidente de l’École nationale supérieure des techniques avancées de Paris (ENSTA Paris Tech).

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui Mme Élisabeth Crépon, présidente de la Commission Développements et partenariat de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs – CDEFI – et présidente de l’École nationale supérieure des techniques avancées de Paris – ENSTA Paris Tech.

Madame, merci d’avoir accepté d’être auditionnée dans le cadre de cette commission d’enquête, qui s’intéresse à un sujet que nous considérons comme important pour notre pays, notre jeunesse et notre économie : le départ de nos jeunes diplômés vers l’international. Les jeunes peuvent partir dans le cadre d’études ouvertes à l’international, mais ils peuvent également être contraints de s’expatrier pour trouver un emploi. Quelle est l’ampleur de ce phénomène, dans le monde des étudiants et des jeunes diplômés ingénieurs ? Quel est le degré d’internationalisation des étudiants ? Le départ des jeunes diplômés s’est-il accru depuis quelques années, nous privant ainsi d’un potentiel de création et de croissance ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Élisabeth Crépon prête serment.)

Mme Élisabeth Crépon, présidente de la Commission Développements et partenariat de la CDEFI et de l’ENSTA Paris Tech. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, c’est un honneur pour la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs d’être entendue par cette commission d’enquête.

Mon propos liminaire sera axé sur la politique internationale des écoles d’ingénieurs, qui passe par l’internationalisation des formations, c’est-à-dire la formation des étudiants français à l’international et par l’accueil d’étudiants étrangers au sein des écoles françaises d’ingénieurs et dans les formations d’ingénieurs. Il s’achèvera par quelques données statistiques sur l’insertion des jeunes diplômés des écoles d’ingénieurs en France et à l’étranger.

L’international est un axe stratégique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, et donc des écoles d’ingénieurs. Encouragés par l’État, ceux-ci développent une stratégie internationale qui se décide au plus haut niveau – organes de gouvernance ou conseil d’administration, s’agissant des écoles externes au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Il me semble important de préciser que la stratégie internationale des écoles d’ingénieurs françaises est un des éléments pris en compte par la Commission des titres d’ingénieur – CTI. Cette commission indépendante est en effet chargée d’évaluer les formations dispensées par ces écoles, et de donner son avis sur leur habilitation à délivrer le titre d’ingénieur.

La commission s’appuie sur des documents de référence, dont je tiens à vous citer l’extrait suivant : « La compétitivité à l’international des écoles, des formations qu’elles dispensent et du titre d’ingénieur qu’elles délivrent passe par leur internationalisation. Au sein des écoles françaises, cette politique doit se traduire par l’organisation de relations internationales structurées, la mobilité entrante et sortante des étudiants, notamment par les cursus bidiplômants, des enseignants, notamment par des années sabbatiques, et des personnels, la création de nouvelles formations ou de nouveaux établissements à l’étranger ».

Je voudrais par ailleurs insister sur la demande qu’ont les entreprises vis-à-vis des écoles d’ingénieurs : d’une part, préparer des ingénieurs français à travailler à l’international ; d’autre part, préparer des ingénieurs d’origine étrangère possédant une double culture – acquise dans leur pays d’origine et en France – à travailler, notamment, dans leurs implantations à l’étranger. Les liens entre les écoles d’ingénieurs et les entreprises sont d’ailleurs très étroits, les entreprises participant, par exemple, à la gouvernance des écoles d’ingénieurs, aux différents conseils et à l’enseignement.

Comment cette stratégie à l’international se décline-t-elle dans les écoles d’ingénieurs ? Je commencerai par la préparation des diplômés français à l’international.

D’abord, l’apprentissage des langues : la Commission des titres d’ingénieurs demande que tous les ingénieurs diplômés aient atteint un niveau minimum – B2, selon le référentiel adéquat. Elle porte un intérêt tout particulier à l’apprentissage de l’anglais et conseille l’apprentissage d’une deuxième, voire d’une troisième langue. La plupart des écoles encouragent fortement l’apprentissage d’une seconde langue.

Ensuite, la mobilité des étudiants : c’est une façon de préparer les élèves au contexte international. La commission et les écoles veillent à ce que les étudiants séjournent à l’étranger – séjour d’études ou stage – au cours de leur scolarité. En pratique, ce séjour est d’au moins trois mois.

Je dispose de quelques statistiques sur la durée de ces séjours à l’étranger. Elles sont issues de ce que l’on appelle les « données certifiées CTI », fournies par les écoles, et des enquêtes annuelles de la Conférence des grandes écoles – CGE.

Les données certifiées CTI montrent qu’au cours de leur formation, les étudiants effectuent, dans le cadre d’un échange académique, un séjour d’études à l’étranger d’une durée significative : un trimestre, pour un peu moins de 10 % d’entre eux ; un semestre, pour un plus de 50 % d’entre eux ; et plus d’un semestre, pour 32 % d’entre eux.

Par ailleurs, 35 % des élèves effectuent un stage de un à trois mois à l’étranger, 52 % un stage de trois à six mois, et 13 % un stage de plus de six mois. Les destinations les plus fréquentes sont l’Europe, dans 50 % des cas, l’Amérique du Nord et l’Asie, dans environ 15 % des cas chacune.

Enfin, pour permettre à leurs étudiants d’effectuer ces séjours à l’étranger, les écoles d’ingénieurs ont développé un certain nombre de programmes – programmes de coopération, programmes bilatéraux avec des partenaires étrangers. Elles sont encouragées par la CDEFI à créer des formations en double diplôme. Elles mettent au point des partenariats bilatéraux, participent à des réseaux internationaux et créent des formations conjointes. Elles développent des implantations à l’étranger, qui peuvent accueillir des étudiants français. Les entreprises peuvent entrer dans ces partenariats : partenariats directs entre les écoles d’ingénieurs et les entreprises, ou partenariats avec des établissements étrangers qui intègrent des entreprises.

J’ajoute que dans le cadre de la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche promulguée en juillet dernier, les établissements sont en train de se structurer en communautés d’universités et établissements – COMUE –, qui peuvent être des lieux de développement de politiques internationales, ou de mise en cohérence de politiques internationales sur un même territoire.

Les établissements s’appuient également sur des programmes nationaux et internationaux. Il peut s’agir d’accords de reconnaissance mutuelle, signés entre conférences d’écoles, qui permettent le positionnement des diplômes entre deux pays ; je pense au programme Erasmus+, qui concerne les études ou les stages. Il peut s’agir de programmes conclus entre États ; je pense aux programmes FITEC, et notamment au programme BRAFITEC, signé avec le Brésil, qui comporte des volets de mobilité sortante ou entrante.

Après la formation à l’international des étudiants français, j’en viens à l’accueil des étudiants étrangers. Commençons par quelques chiffres, issus de l’enquête de la Conférence des grandes écoles, et portant sur la période 2006-2013. En 2013, il y avait 13,8 % d’étudiants étrangers dans les écoles françaises d’ingénieurs : 15,9 % dans les écoles publiques, et 8,5 % dans les écoles privées. Le nombre des étudiants étrangers progresse plus vite que l’effectif global des étudiants. En six ans, les effectifs globaux dans les écoles ont progressé de 23 % et l’effectif des étudiants étrangers a progressé de 40 %. 80 % de ces étudiants étrangers sont en formation diplômante : ils ont donc vocation à obtenir le diplôme de nos établissements.

La provenance géographique de ces étudiants est la suivante : l’Asie, avec une progression, en six ans, de 63 % ; l’Afrique, avec une progression de 34 % ; les Amériques, avec la progression la plus forte, soit plus de 110 % ; l’Europe, relativement stable, avec une petite progression de 6 %. Ces étudiants étant soumis à un certain nombre de contraintes administratives, des établissements ont mis en place à leur intention un dispositif d’accompagnement.

Je signalerai enfin que les classements nationaux intègrent systématiquement cette dimension « stratégie internationale », que ce soit en termes de mobilité sortante ou de mobilité entrante.

J’en viens maintenant à mon dernier point : l’insertion professionnelle des diplômés. Les écoles suivent l’insertion professionnelle de leurs diplômés – cela fait d’ailleurs partie des critères de la Commission des titres d’ingénieurs. La Conférence des grandes écoles, quant à elle, mène, à l’intention de ses adhérents, une enquête assez détaillée sur le sujet.

Il ressort des chiffres de l’association Ingénieurs et scientifiques de France
– IESF – que la proportion des diplômés partant à l’étranger pour leur premier emploi est passée de 10 % en 2012 à 12 % en 2013. Je précise que 37 % des jeunes diplômés travaillent en Île-de-France, et le reste en province. Il faut savoir aussi que ces statistiques concernent les diplômés des établissements, et intègrent donc des étudiants étrangers, sans qu’il soit possible de distinguer les uns des autres. En revanche, nous savons que 9 % des étudiants qui ont répondu à l’enquête de l’IESF sont des étudiants étrangers. Cela signifie que la proportion d’étudiants français, diplômés ingénieurs, partant à l’étranger pour leur premier emploi est inférieure à 12 %. Les pays étrangers de destination sont d’abord la Suisse, avec un peu plus de 14 %, le Royaume Uni avec 13,6 %, l’Allemagne avec 13,4 %, puis les États-Unis, avec 8,2 %, etc.

Je dispose de statistiques, fournies par l’enquête de la Conférence des grandes écoles, sur la rémunération en France et à l’étranger pour le premier emploi. La rémunération moyenne est de 36 742 euros pour l’ensemble, contre 46 870 euros à l’étranger.

Si l’on fait le lien entre ces chiffres, on s’aperçoit que le nombre des étudiants français qui occupent un premier poste à l’étranger et le nombre d’étudiants étrangers que nous accueillons dans les écoles d’ingénieurs sont du même ordre de grandeur. Il y a seulement un peu plus d’étudiants étrangers qui rejoignent les écoles d’ingénieurs que d’étudiants français qui quittent la France pour un premier poste à l’étranger.

Enfin, un certain nombre d’écoles ont des réseaux structurés d’anciens à l’étranger, soit individuellement, soit collectivement (par zone géographique). C’est un élément important, un point d’appui pour leur politique internationale.

Cela m’amène à citer l’initiative prise par un groupe d’écoles d’ingénieurs, Paris Tech, qui a signé deux accords avec Ubifrance : l’un en Chine et un autre, à la fin de l’année 2013, au Brésil. Le second, passé entre Paris Tech Alumni, c’est-à-dire les anciens de Paris Tech et Ubifrance pour le Brésil, répond de façon innovante et sur mesure aux besoins des entreprises françaises, entreprises de taille intermédiaire et PME, en mettant à leur disposition, au travers d’Ubifrance Brésil, un réseau de 700 alumni brésiliens et français de Paris Tech, couvrant un large champ d’expertise. C’est une illustration de la contribution d’un réseau d’anciens au développement économiques d’entreprises françaises à l’étranger.

M. le président. Merci madame Crépon. Avant de passer la parole au rapporteur et à nos collègues, je vous poserai quelques questions.

D’abord, nous sommes tout à fait d’accord avec l’idée que les écoles d’ingénieurs s’adaptent à la mondialisation et proposent des parcours internationaux à leurs étudiants. Il est normal que les étudiants qui font leurs études en France puissent bénéficier non seulement de l’apprentissage de l’anglais, mais aussi de parcours d’au moins trois mois – ce qui est d’ailleurs peu par rapport à ce qui est prévu pour les étudiants dans les écoles de management – et de perspectives d’emplois à l’international.

Notre commission d’enquête s’intéresse à ceux qui vivent ces départs de manière contrainte. Constatez-vous un tel phénomène, s’agissant des jeunes ingénieurs français ? Pour quelle raison seraient-ils tentés de partir à l’étranger à l’issue de leurs études ? Un tel phénomène a-t-il tendance à s’accélérer ?

Ensuite, vous avez indiqué que la proportion d’étudiants étrangers dans les écoles d’ingénieurs françaises était de 13 %. Cela me paraît faible, si je me réfère à la proportion d’étudiants étrangers dans les écoles de commerce. Et cela me paraît d’autant plus faible que la France manque d’ingénieurs. Peu de jeunes Français se tournent en effet vers ces métiers d’ingénieurs et certaines écoles ne font pas le plein. Cela veut dire qu’un élève qui termine Maths spé est aujourd’hui quasiment certain d’intégrer une école d’ingénieurs, ce qui n’était pas le cas dans les précédentes décennies. Cela veut dire aussi qu’il y a la place pour accueillir un plus grand nombre d’étudiants internationaux dans notre pays. Je rappelle que l’Asie du Sud-Est forme aujourd’hui les trois quarts des ingénieurs dans le monde. Il y a là un potentiel d’ingénieurs considérable, qui pourraient venir en France. D’où ma question : La France est-elle suffisamment attractive ? Comment se situe-t-elle par rapport à d’autres pays européens ? Que faudrait-il faire pour attirer davantage d’étudiants ingénieurs étrangers ? Nous aurions besoin d’en recruter dans nos entreprises, une fois diplômés.

M. Yann Galut, rapporteur. Madame la présidente, merci pour votre propos introductif. Vous nous avez donné quelques grandes orientations concernant la problématique qui nous intéresse. J’aurais malgré tout quelques questions à vous poser.

Je commencerai par l’accompagnement et l’ouverture à l’international des étudiants français. Les écoles font-elles un bilan qualitatif de ces expériences internationales en cours de cursus ? Comment accompagnent-elles les jeunes diplômés dans leur recherche d’emploi ? Les aident-elles à trouver du travail à l’étranger ?

Je continuerai par l’expatriation des jeunes diplômés. Y a-t-il un exode des diplômés à haut potentiel ? Vos écoles suivent-elles le parcours de leurs diplômés ? Avez-vous évalué la proportion de ceux qui partent à l’étranger, les pays de destination et les secteurs d’activité de prédilection ? Vous nous avez déjà donné quelques éléments de réponse. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Constatez-vous une progression de ce phénomène ? La crise économique de 2009 l’a-t-elle accéléré ? Quels sont, selon vous, les principaux facteurs d’une augmentation des départs à l’étranger ? Qu’est-ce qui attire nos jeunes à l’étranger ? Est-ce une meilleure rémunération ? Les chiffres que vous nous avez donnés sont assez significatifs. Est-ce une autre culture du travail ? Est-ce la France qui déplairait ? Comment vos écoles d’ingénieurs voient-elles cette évolution ?

Nous avons auditionné un responsable du cabinet Deloitte, qui publie depuis quelques années un « Baromètre de l’humeur des jeunes diplômés ». Il en est ressorti que les plus soucieux d’innover et de valoriser leurs compétences préféreraient quitter notre pays. Je trouve inquiétant que nos majors de promotion, que l’élite de nos étudiants des écoles d’ingénieurs, ou d’autres écoles, puissent faire systématiquement le choix de l’étranger. Avez-vous des éléments à nous apporter à ce propos ?

Ensuite, vous avez abordé l’intéressante question du développement du réseau des diplômés expatriés. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Enfin, nous devons aussi nous occuper des étudiants étrangers qui viennent sur notre territoire. Les écoles françaises considèrent-elles qu’il est intéressant d’accueillir des étudiants étrangers ? Ont-elles une stratégie pour les attirer ? Laquelle, avec quel succès ? Avez-vous constaté une augmentation de leur nombre ?

Selon le président Chatel, nous aurions intérêt à favoriser la venue d’étudiants étrangers dans nos écoles d’ingénieurs. Avez-vous constaté une progression de leur nombre au cours de ces dernières années, notamment depuis la crise ? Comment l’expliquez-vous ? Certaines des personnes que nous avons auditionnées nous ont parlé de l’effet négatif qu’aurait eu la circulaire Guéant. L’avez-vous ressenti ?

Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué les contraintes administratives auxquelles sont soumis les étudiants étrangers. La situation s’est-elle améliorée au cours des précédentes années ? Vos écoles font-elles un suivi des étudiants étrangers ?

En dernier lieu, j’ai cru comprendre qu’il y avait davantage d’étudiants étrangers qui viendraient dans nos écoles d’ingénieurs que d’étudiants français qui partiraient à l’étranger. D’où ma dernière question : d’après vous, notre pays est-il attractif pour les étudiants étrangers ?

Mme Élisabeth Crépon. La première question concernait le départ à l’étranger des jeunes diplômés, lequel aurait un caractère contraint, subi. Pour les jeunes diplômés ingénieurs, nous n’avons pas d’élément spécifique qui corrobore ce phénomène.

Je ferai le lien entre le premier emploi occupé par nos jeunes diplômés – tout en précisant que nous suivons l’insertion des ingénieurs français à l’étranger – et le stage. Les formations d’ingénieurs se concluent par un stage en entreprise. Or les statistiques montrent qu’entre 50 % et 60 % de ces stages se transforment en premier emploi.

M. le rapporteur. La proportion est-elle la même en France qu’à l’étranger ?

Mme Élisabeth Crépon. Je ne sais pas, mais je note votre question pour y répondre plus tard.

M. le rapporteur. Il arrive en effet souvent que des étudiants stagiaires qui donnent entièrement satisfaction soient embauchés. Cela pourrait expliquer que certains restent à l’étranger. Il serait intéressant d’affiner l’analyse.

Mme Élisabeth Crépon. Ensuite, une partie des étudiants, en particulier dans le cadre des doubles diplômes, terminent leur scolarité à l’étranger. Là encore, il ne s’agit pas d’un départ subi. Cela existe probablement, mais, très sincèrement, nous n’avons aucun élément nous permettant de nous prononcer dans un sens ou dans un autre.

Maintenant, la proportion d’étudiants étrangers est effectivement de 14 %, en moyenne, dans les formations d’ingénieurs. Elle est en très forte progression – de 40 %. Cela reflète l’attractivité des formations d’ingénieurs, et la mise en œuvre de cette stratégie internationale par nos écoles.

Je voudrais insister sur la visibilité et la reconnaissance, à l’étranger, de la formation d’ingénieurs à la française et du diplôme d’ingénieur. Dans un certain nombre de pays, cette formation à la française est considérée comme une référence. Il nous est d’ailleurs demandé, en tant qu’écoles d’ingénieurs françaises, de travailler en partenariat avec des établissements étrangers sur la création de structures de formation d’ingénieurs délocalisées à l’étranger. Notre système de formation a donc une visibilité réelle à l’international. La CDEFI travaille sur cette visibilité et cette attractivité.

Plusieurs facteurs contribuent à cette attractivité : le développement des programmes de doubles diplômes et de diplômes conjoints ; l’accueil des étudiants, sous une double approche : accueil administratif et dispositif mis en place par les établissements français (logement, accompagnement, éventuellement tutorat) pour faciliter l’insertion dans le milieu académique. Un certain nombre de politiques locales de sites ont été engagées. Les communautés d’universités et établissements, dont j’ai parlé tout à l’heure, constituent des lieux où plusieurs établissements peuvent partager leurs initiatives.

Vous m’avez interrogé sur la circulaire Guéant et les démarches administratives. Depuis deux ans, la situation s’est améliorée et les démarches administratives ont été simplifiées – même s’il y a encore à faire en ce sens. Un titre de séjour pluriannuel a été mis en place pour un certain nombre de formations, évitant à l’étudiant de renouveler tous les ans son titre de séjour. La durée de l’autorisation provisoire de séjour – APS –, qui permet à un étudiant étranger, après ses études, et notamment avec un diplôme bac +5, donc un diplôme d’ingénieur, de rester sur le territoire pour rechercher un travail, a été allongée. C’est un dispositif important pour l’insertion professionnelle des étudiants étrangers en France.

Le bilan qualitatif des séjours à l’étranger fait partie des éléments d’évaluation de la Commission des titres d’ingénieurs. Plusieurs outils sont à la disposition des établissements : la signature d’un contrat d’étude pour les étudiants en mobilité à l’international – qui se fait naturellement dans le cadre des programmes de doubles diplômes ou de programmes conjoints ; la vérification de la cohérence et de l’adéquation de la formation à l’étranger par rapport au cursus, et de la qualité de la formation suivie par l’étudiant. Lorsque cette mobilité internationale se déroule dans le cadre d’un partenariat, la convention qui l’accompagne est assortie d’un certain nombre de clauses – dont le suivi régulier des cohortes d’étudiants et des programmes mis en place.

Vous m’avez demandé si les établissements accompagnaient l’insertion professionnelle de leurs diplômés. Oui, et ils le font notamment à travers ce que j’appellerais un « bureau des carrières ». Les associations des anciens élèves, elles aussi, jouent souvent un rôle dans cette insertion. Avec leurs sections étrangères, elles sont très certainement un point d’appui pour les diplômés qui souhaitent démarrer leur carrière à l’étranger. Cela dit, il n’y a pas, à ma connaissance, de section spécifique dans les écoles d’ingénieurs pour accompagner les étudiants pour une prise de fonctions à l’étranger. Et j’insiste à nouveau sur le rôle du stage de fin d’études, qui est un des vecteurs vers l’insertion professionnelle.

Vous m’avez demandé également si je considérais qu’il y avait un exode des diplômés à haut potentiel vers l’étranger. Les statistiques dont nous disposons montrent une augmentation, mais pas une explosion des départs à l’étranger.

Je dispose de quelques statistiques complémentaires, que je peux vous communiquer. Je pense notamment à l’enquête d’IESF, qui concerne la part des emplois hors de France, en fonction de l’avancée dans la carrière. S’agissant des débutants, de 2008 à 2011, cette part était d’environ 15 % ; en 2012, elle a un peu augmenté, puisqu’elle était de 19 %. Jusque-là, la situation était assez stable. Il faudra regarder ces chiffres avec attention pour savoir si cette augmentation a un sens. Je voudrais insister sur un autre point, même si je n’ai pas les statistiques : une part de ces emplois à l’étranger peut concerner des filiales d’entreprises françaises basées à l’étranger. Dans ce cas-là, on ne peut pas parler d’exode des jeunes talents vers l’étranger.

Pourquoi les jeunes ingénieurs seraient-ils attirés par l’étranger ? Plusieurs raisons ont été évoquées : une meilleure rémunération, une autre culture de travail, la France qui leur déplairait.

Nous sensibilisons nos ingénieurs à la dimension multiculturelle. Cela fait partie de leur formation. J’entends souvent dire qu’ils ont envie de pratiquer une autre culture de travail. Dans cette optique, occuper un poste à l’étranger peut leur apparaître comme valorisable dans le cadre d’une carrière professionnelle ultérieure, à l’étranger ou en France. La découverte d’une autre culture de travail est probablement une raison importante, qui amènerait les jeunes ingénieurs diplômés à choisir de démarrer leur insertion professionnelle à l’étranger.

Seraient-ils attirés par la perspective d’une meilleure rémunération ? Nous n’avons pas d’informations précises à ce sujet.

La France leur déplairait-elle ? Comme je l’ai déjà dit, nous n’avons pas d’informations montrant qu’un pourcentage significatif d’élèves ingénieurs quitterait la France pour cette raison. Les ingénieurs français sont confrontés tout au long de leur formation à plusieurs séjours à l’étranger. Ils entendent également le discours des entreprises qui valorisent une expérience internationale et c’est plutôt dans cette perspective, selon moi, que les jeunes diplômés trouveraient un intérêt à occuper un premier poste à l’étranger.

Vous avez mentionné le fait que celui qui a envie d’innover le fait plus volontiers à l’étranger. Je tiens à signaler les dispositifs récents que nous sommes en train de mettre en place dans les écoles d’ingénieurs pour favoriser l’esprit d’entreprise et d’innovation, et pour accompagner les jeunes, dès leur formation, dans une dynamique de création d’entreprises. Je pense notamment aux labels du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche – par exemple, le label Pépites – qui reconnaissent des dispositifs de formation innovants portés par plusieurs établissements, en particulier dans les communautés d’universités et établissements.

Mme Claudine Schmid. Madame, suivez-vous les étudiants français qui partent à l’étranger ? Savez-vous s’ils reviennent et, si oui, au bout de combien d’années ?

Je voudrais également avoir votre avis sur la politique française qui veut que notre enseignement soit gratuit pour tous. Cela explique-t-il que certains jeunes étrangers viennent étudier en France, et repartent à l’issue de leurs études ? A contrario, si notre enseignement était payant pour eux, viendraient-ils toujours suivre notre formation d’ingénieurs à la française, qui est de très haute qualité ?

Mme Monique Rabin. Le coût des études, en France, est très attractif pour les étudiants étrangers. Il n’empêche que les écoles se battent pour en recevoir. Je voudrais savoir si les réseaux bilatéraux, comme BRAFITEC ou d’autres, permettent de nouer, par la suite, des relations privilégiées entre ces ingénieurs. Ceux-ci deviennent-ils chefs d’entreprise dans le pays partenaire ? Intègrent-ils des structures dans le pays partenaire ? Plus généralement, ces réseaux favorisent-ils le départ des ingénieurs vers ces pays ?

J’aimerais par ailleurs que vous nous donniez votre avis sur le réseau international « n + i », sur lequel j’avais travaillé. Ce réseau d’écoles d’ingénieurs permet des expériences très diversifiées dans différents pays. Je pense que leur point fort est l’accueil. Pour autant, celui-ci reste problématique. Que pensez-vous du fait que nous ne sachions pas accueillir en France les mathématiciens et les informaticiens indiens, qui se trouvent confrontés à une culture très différente de la leur ? Je crois en effet savoir que le taux de retour au pays des Indiens est très important.

Enfin, certaines écoles hésitent à proposer un enseignement en anglais sur un nombre d’heures conséquent. Selon vous, s’agit-il d’un combat d’arrière-garde ?

M. Marc Goua. Madame la présidente, vous me permettrez de ne pas partager votre optimisme concernant la possibilité, pour les étudiants étrangers ayant terminé leurs études, de rester dans notre pays. En effet, il est souvent extrêmement difficile de passer d’une carte d’étudiant à une carte permettent de travailler. Et j’ai remarqué que, dans ma région, nombre d’étudiants, notamment africains, sont littéralement « happés » à la fin de leurs études par le Canada qui les recrute et leur offre immédiatement une carte de séjour définitive.

Mme Élisabeth Crépon. La transformation du titre de séjour étudiant en titre de séjour salarié est effectivement un processus long et compliqué. Mais l’autorisation provisoire de séjour – APS –, a facilité le passage de l’un à l’autre. C’est un des points sur lequel l’accueil administratif a été amélioré.

Par ailleurs, la position de la CDEFI est que les écoles doivent pouvoir mettre en œuvre des formations en anglais, dans la mesure où cette langue est adaptée à de telles formations. Si c’est le cas, les étudiants étrangers qui suivent ces formations doivent suivre, dans le même cadre, une formation à la langue et à la culture françaises.

Je précise que la plupart des étudiants étrangers sont intégrés dans des formations d’ingénieurs enseignées en français, mais que leur préparation linguistique est prise en charge. L’étudiant est en effet accompagné pour atteindre un niveau de français lui permettant de suivre ces formations.

Votre question sur l’accueil des étudiants indiens renvoie à la problématique, plus générale, de l’accueil des étudiants étrangers en France. Les écoles d’ingénieurs ont amélioré leur dispositif d’accueil, notamment dans le cadre d’une démarche collective, en partageant un certain nombre d’actions. C’est ainsi que le programme de bourses d’excellence Eiffel, lancé par le ministère des Affaires étrangères, inclut le respect d’une charte concernant l’accueil des étudiants étrangers. Dans les formations d’ingénieurs, l’accueil est de meilleure qualité chaque année.

Vous avez mentionné les deux programmes BRAFITEC et « n + i ». Le programme BRAFITEC a comme particularité d’associer deux dimensions : une dimension de financement, puisque les étudiants brésiliens sont financés pendant leurs études en France, et notamment pour leur formation linguistique initiale ; un de ses objectifs est de développer des partenariats stratégiques entre des écoles françaises et des établissements étrangers. Les étudiants brésiliens qui viennent étudier en France dans le cadre de ce programme sont sélectionnés, d’une part par les établissements partenaires, d’autre part par les établissements français. Ce sont des étudiants de très haut niveau, qui retourneront dans leur pays, éventuellement après un premier poste en France, et qui seront effectivement amenés à prendre des responsabilités dans leur pays, au sein d’entreprises françaises implantées au Brésil ou au sein d’entreprises brésiliennes. C’est un programme d’excellence. On peut le rapprocher du programme de bourses d’excellence Eiffel, où l’on cible des étudiants de tout premier niveau.

Le programme « n + i » est de nature différente. C’est une expérience plus diversifiée. L’une des grandes forces de ce programme, qui existe depuis de très nombreuses années, est ce semestre spécifique, consacré à l’accueil, académique et culturel, qui permet l’insertion progressive de l’étudiant étranger dans la formation. Je pense que l’expérience de ce programme a aidé les écoles à mettre en place un accueil beaucoup plus pertinent pour les étudiants étrangers.

Plusieurs questions portaient sur le coût de la formation d’ingénieur en France et le retour des étudiants étrangers dans leur pays.

Je ne dispose pas de statistiques précises sur le retour des étudiants étrangers. Je remarque cependant que les étudiants étrangers sont nombreux à occuper un premier poste en France, ce qui signifie qu’ils ne rentrent pas immédiatement dans leur pays.

Ensuite, et de mon point de vue, la qualité du système de formation à la française, formation très particulière reconnue dans de nombreux pays, attire davantage les étudiants étrangers que le faible coût de la formation. À ce propos, les écoles d’ingénieurs se demandent si elles ne vont pas instituer des frais de scolarité plus élevés pour les étudiants étrangers que pour les étudiants français et européens, cette approche entrant dans le modèle économique de financement des établissements et des écoles d’ingénieurs françaises. La question est sur la table et la CDEFI y réfléchit.

M. le président. Je vous remercie.

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Audition du jeudi 22 mai 2014

À 9 heures : M. Julien Roitman, président de l’Association des ingénieurs et scientifiques de France.

M. le président Luc Chatel. Comme son intitulé l’indique, notre commission d’enquête s’attache à mesurer le phénomène d’exil de nos forces vives, en cherchant à faire la part de ce qui participe de l’internationalisation des échanges, de l’ouverture sur le monde et de la légitime volonté des écoles et universités de construire des parcours internationaux, et de ce qui relève de la sinistrose du marché du travail ou de la tentation d’aller chercher ailleurs de meilleures opportunités de carrière.

Vos fonctions au sein de votre association vous permettent d’avoir une bonne vision du sujet qui nous préoccupe. Nous souhaiterions que vous nous brossiez un état des lieux.

Avant de vous laisser la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Julien Roitman prête serment.)

M. Julien Roitman, président d’Ingénieurs et scientifiques de France – IESF. Ingénieurs et scientifiques de France – IESF – est une fédération qui regroupe près de 180 associations d’ingénieurs et diplômés scientifiques – associations d’anciens élèves des écoles d’ingénieurs, vingt-cinq unions régionales, associations scientifiques, techniques et professionnelles,  sociétés savantes. Elle représente la grande majorité des personnes exerçant la profession d’ingénieur. Je précise que nos associations scientifiques regroupent des chercheurs exerçant dans les domaines autres que la santé, la médecine et la pharmacie, eux-mêmes fort bien pourvus en organisations propres.

Selon nos estimations, la France compte plus d’un million d’ingénieurs, soit 4 % de la population active de notre pays : 800 000 sont diplômés des écoles d’ingénieurs et plus de 200 000 sont issus de l’université, au niveau du doctorat ou du master en sciences.

Deux cents écoles d’ingénieurs diplôment chaque année, en France, près de 35 000 ingénieurs. Ce chiffre a doublé en vingt ans, ce qui montre que la profession, sans faire de bruit, a su parfaitement s’adapter aux besoins. Ces écoles accueillent environ 6 000 élèves étrangers, dont près de la moitié retournent dans leur pays après avoir obtenu leur diplôme. Parmi les ingénieurs français nouvellement diplômés, 6 000 occupent leur premier emploi à l’international et un peu plus de 25 000  restent en France, ce qui correspond à peu près aux nouvelles offres d’emploi d’ingénieur sur le marché du travail. L’offre est donc égale à la demande.

Depuis vingt-cinq ans, nous effectuons chaque année une enquête sur la profession d’ingénieur, pour laquelle 50 000 questionnaires sont croisés avec les modèles de l’INSEE. Grâce à cette enquête, nous disposons d’une vision globale de la profession à la fois en pourcentages et en valeur absolue.

Les ingénieurs français qui travaillent à l’international sont un peu plus de 150 000, ce qui représente 15 % de l’effectif total. En 2005, cette proportion était de 13 % et elle augmente régulièrement. L’écrasante majorité, 60 %, exerce en Europe, dont 45 % dans les pays limitrophes – Allemagne, Italie, Belgique. Sur ce pourcentage, 12 % ont choisi la Suisse et 12 % l’Allemagne. Les États-Unis attirent habituellement 15 % de nos ingénieurs mais, depuis quatre ans, la part de ceux qui partent dans le Sud-Est asiatique s’accroît de façon régulière, pour atteindre aujourd’hui 15 %.

Quelles sont les raisons de leur départ ? Un ingénieur sur quatre part à l’international à la demande de son employeur, essentiellement dans les industries extractives et l’industrie chimique ; 32 % ont quitté leur emploi en France pour prendre un poste principalement dans les secteurs de la banque, des assurances et des industries pharmaceutiques ; pour 19 %, il s’agit d’un premier emploi, et cette proportion augmente d’un point chaque année ; 12 % sont partis parce qu’ils ne trouvaient pas d’emploi en France.

Au chapitre des motivations, le salaire est un argument beaucoup plus marginal qu’on pourrait le penser, puisque seulement 10 à 12 % des personnes le mettent en avant. Cela dit, selon nos statistiques, un ingénieur à l’international perçoit un salaire plus élevé de 50 % que celui qui lui serait versé en France métropolitaine. Deux ingénieurs sur trois recherchent une qualité de vie, trois sur quatre sont attirés par une meilleure rémunération, et la moitié environ sont motivés par l’amélioration de leur situation professionnelle et de meilleures perspectives de carrière.

Nous avons demandé aux 850 000 ingénieurs qui travaillent en France s’ils envisageaient de partir à l’international : 70 % d’entre eux sont prêts à le faire s’ils reçoivent une proposition intéressante – 20 % l’envisageant sérieusement dans les deux ou trois ans, les autres le gardant comme une possibilité dans un coin de leur tête –, et 30 % ont répondu par la négative, soit pour des raisons familiales, soit parce qu’ils considèrent que les propositions ne sont pas suffisamment attractives.

Les ingénieurs qui partent travailler à l’international sont plutôt de jeunes hommes, mais la profession ne compte que 20 % de femmes, ce que nous considérons comme un problème. La situation s’améliore lentement, puisque, chez les moins de 30 ans, cette proportion atteint 27 %. Nous ne savons plus quoi inventer pour susciter des vocations féminines.

Partant de ces chiffres, permettez-moi de vous faire quelques suggestions.

Nous avons 150 000 ingénieurs qui travaillent non pas à l’étranger mais à l’international – plus qu’une question de vocabulaire, c’est un état d’esprit : leur espace de vie et de travail, c’est la planète entière. De ce fait, ils constituent un levier extraordinaire qui n’est malheureusement pas actionné. Alors qu’on se plaint de nos difficultés à assurer nos marchés extérieurs et de la méconnaissance par nos entreprises de la culture des autres pays et des réseaux, on sollicite extrêmement peu ces dizaines de milliers de Français qui travaillent sur place, qui connaissent la culture locale et les réseaux. Pourquoi ne pas confier aux ambassades un rôle d’animation pour réunir ces personnes et les utiliser ? À part faire la une des journaux, à quoi bon une visite du Président de la République accompagné d’une centaine de chefs d’entreprises, si on se prive du relais que peuvent assurer des milliers de personnes sur place ?

Tout aussi intéressantes sont les associations d’anciens élèves, qui tissent des réseaux de solidarité en gardant le contact avec nombre d’anciens élèves. Les anciens de Centrale, de Supélec, de Polytechnique, de l’École des Mines ont pratiquement tous créé des groupes dans chacun des grands bassins industriels du monde, que ce soit à Shanghai, à Los Angeles ou sur la côte est des États-Unis. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où, depuis plus de vingt-cinq ans, toutes les grandes écoles expliquent aux étudiants qu’une expérience internationale est indispensable à un bon profil de carrière. Ces groupes très organisés, qui ont gardé le contact avec leur école, seraient tout à fait prêts à servir de levier.

Nous devrions nous inspirer de la conception chinoise, selon laquelle il n’est pas question d’exil mais de diaspora. Même s’ils sont bien implantés dans un endroit du monde, les Chinois conservent un lien culturel, familial, économique même très fort avec leur pays d’origine. Transformer la crainte de l’exil des forces vives en une gestion de la diaspora française serait un moyen de renforcer le poids et l’influence de la France.

Nous avons demandé aux ingénieurs s’ils avaient une expérience de l’international avant leur départ : plus de la moitié avaient déjà fait un stage à l’étranger, un tiers détenait un double diplôme et la moitié avait déjà travaillé à l’international. Seulement 15 % d’entre eux ont évoqué des liens familiaux.

L’attractivité de la France doit être envisagée dans les deux sens : il ne faut pas seulement chercher à retenir les étudiants français, mais il faut attirer des étudiants ou des enseignants étrangers de talent. De ce point de vue, des améliorations demandent à être apportées, même si les choses s’arrangent depuis deux ou trois ans. En premier lieu, il conviendrait de prendre une disposition législative qui permettrait aux étudiants brillants de suivre leurs études en France puis d’y travailler, avant de retourner, à terme, dans leur pays. Outre tisser des liens, l’accueil d’étudiants étrangers de talent aurait pour effet d’attirer également des professeurs étrangers de talent, créant ainsi un cercle vertueux.

Cette démarche aurait une contrepartie financière intéressante pour les écoles d’ingénieurs et les grandes écoles, qui connaissent aujourd’hui des difficultés financières. Peu aidées par les pouvoirs publics, qui consacrent l’essentiel de leurs efforts à l’université, elles souffrent de la diminution de certaines sources de financement telles que la taxe d’apprentissage, qui représente 5 à 10 % de leur budget. Certaines d’entre elles sont prises en tenaille, car la réglementation leur interdit d’augmenter leurs frais de scolarité, ce qui les met dans une situation inconfortable sur le plan international.

Dans le monde anglo-saxon, le niveau des tarifs est l’un des critères d’évaluation de l’enseignement supérieur. Aux États-Unis, les frais de scolarité peuvent s’élever à plusieurs centaines de milliers de dollars, alors que ceux des universités et des écoles français sont très bas. Cette question doit être sérieusement étudiée. Il faut permettre aux directeurs d’écoles d’ingénieurs d’augmenter sensiblement leurs tarifs, quitte à compenser cette hausse par un système de bourse pour les élèves français qui en auraient besoin. Je signale au passage que près de 30 % des élèves des écoles d’ingénieurs sont boursiers, ce qui montre que l’ascenseur social fonctionne.

Une autre amélioration à apporter concerne l’entrepreneuriat. Les ingénieurs et les scientifiques sont des candidats naturels pour créer ou reprendre une entreprise. Or, en France, seulement 4 à 5 % d’entre eux travaillent pour leur propre compte, contre 18 % aux États-Unis, 30 % en Italie et 25 % en Angleterre. Nous avons là une marge de manœuvre importante. Cette tendance n’était pas dans l’air du temps il y a vingt-cinq ans, mais elle progresse. Désormais beaucoup d’écoles d’ingénieurs possèdent un incubateur ; les associations d’anciens élèves créent des groupes d’entrepreneurs et des business angels. Dans l’enquête de l’année dernière, à la question « Avez-vous un projet d’entreprise personnel ? », 11 à 12 % des ingénieurs ont répondu positivement, mais ils étaient plus de 25 % chez les moins de 30 ans. Les pouvoirs publics devraient encourager cette démarche par le biais d’une disposition juridique.

M. le président. Vous ne semblez pas avoir détecté une augmentation importante des départs de jeunes ingénieurs français sous la pression de la conjoncture économique. Pouvez-vous préciser votre réponse sur ce point ?

Aujourd’hui, les trois quarts des ingénieurs dans le monde sont formés en Asie du Sud-Est. Quel est le niveau d’attractivité  de la France ? Notre pays figure-t-il en bonne place dans les choix des étudiants américains et asiatiques candidats à l’international ?

Ce n’est pas la première fois que la notion de « diaspora » est évoquée devant notre commission s’agissant des ingénieurs. Comment animer la nôtre ? Les autres pays utilisent-ils davantage leur réseau ? Existe-t-il des bonnes pratiques que nous pourrions reprendre ?

Enfin, la France attire-t-elle suffisamment d’enseignants étrangers dans ses écoles d’ingénieurs ? Figure-t-elle parmi les pays les plus demandés ?

M. Julien Roitman. Nous n’avons pas d’escadrons d’ingénieurs prêts à s’enfuir à l’étranger. Nous avons appris aux jeunes à raisonner de manière très ouverte et globale : s’ils trouvent un emploi intéressant en France, ils l’acceptent ; s’ils trouvent mieux ailleurs, ils partent sans état d’âme. Les ingénieurs resteront ou reviendront dans notre pays si nous renforçons notre attractivité, si nous améliorons les conditions de travail et les possibilités d’entreprendre. Nous entendons beaucoup parler de fiscalité, mais c’est un aspect relativement marginal de leur choix.

Un million d’ingénieurs sortiraient chaque année des écoles de Chine et d’Inde. Or le terme d’ingénieur recouvre des niveaux d’études très différents. Il y a deux ans, à l’occasion du Prix de la Reine Elizabeth pour les sciences de l’ingénieur, j’ai rencontré l’ambassadeur de Grande-Bretagne. Il a loué l’excellent niveau des ingénieurs français, m’expliquant, afin d’établir une échelle de comparaison, que pour réparer la machine à laver, sa femme faisait appel à un ingénieur. Alors que la formation des ingénieurs dure trois ans, voire quatre, dans un certain nombre de pays, en France, nous considérons qu’elle doit être au minimum de cinq ans après le bac. C’est la raison pour laquelle le niveau des ingénieurs formés en Chine, par exemple, n’est pas comparable à celui des ingénieurs français.

Pour ce qui est de notre attractivité, il suffit de savoir, pour la mesurer, que les grandes entreprises internationales s’arrachent littéralement les ingénieurs français. Gardons-nous de trop attaquer nos écoles d’ingénieurs et nos grandes écoles en les considérant comme des bastions de privilégiés ; elles sont l’un des actifs les plus importants et les plus enviés de la France.

Les patrons des groupes étrangers s’intéressent aux ingénieurs français pour deux raisons principales qui tiennent à notre système original de formation. D’abord, nos ingénieurs sont formés dans des écoles spécifiques, alors qu’ailleurs ils le sont à l’université. Ces écoles sont accréditées par la Commission des titres d’ingénieurs – CTI –, qui a été créée par décret en 1934, et qui autorise les établissements à délivrer le diplôme d’ingénieur en vérifiant la durée de la scolarité et l’immersion au sein d’une entreprise. L’élève ingénieur français a une proximité pratiquement consanguine avec l’entreprise, ce qui le rend très rapidement opérationnel. Ce n’est pas le cas des ingénieurs formés dans les autres pays du monde.

Ensuite, les chefs d’entreprises étrangers retiennent comme autre caractéristique française le fait que nos écoles d’ingénieurs, même les plus spécialisées, dispensent un enseignement extrêmement généraliste : les deux années de classe préparatoire sont consacrées à la méthodologie, les deux premières années d’école à l’acquisition d’une très large culture et la troisième année à la spécialisation. Ainsi, un ingénieur électronicien français qui arrive en Chine ou en Afrique est très rapidement capable de conduire une équipe de génie civil si besoin est. C’est pourquoi nos ingénieurs n’ont aucun mal à se placer à l’international. On vient même les chercher.

Dans les choix qu’ils peuvent faire à l’international, les étudiants et les professeurs étrangers, s’ils trouvent certains attraits à notre pays, se heurtent à la barrière de la langue. L’écrasante majorité des enseignants dispense ses cours en anglais. Aujourd’hui, c’est une possibilité offerte par certaines universités et écoles françaises pour certains enseignements. C’est là un moyen de faire progresser notre attractivité plus efficace que de s’en tenir à un enseignement rigoureusement franco-français. Cela dit, je suis épaté par la capacité des Chinois à assimiler rapidement notre langue.

Pour ce qui est de l’animation du réseau et de la mise en œuvre des bonnes pratiques, nous avons surtout besoin de directives et de la volonté de les appliquer. Je ne connais pas bien le personnel des ambassades françaises, mais il est certainement assez nombreux et compétent pour entraîner la communauté française locale dans une dynamique.

Mme Claudine Schmid. J’approuve totalement vos propos. Nos autorités diplomatiques évoluent dans des cercles très fermés, en totale méconnaissance des populations françaises. C’est à croire que les ambassadeurs ont peur de ces personnes et rechignent à s’appuyer sur elles.

En faisant allusion aux tarifs des écoles américaines, vouliez-vous dire qu’il ne serait pas préjudiciable aux écoles d’instaurer un tarif spécial pour les étudiants étrangers, à tout le moins de ne pas leur accorder la gratuité ?

Les ingénieurs qui partent pour trouver de meilleures conditions de travail recherchent-ils un meilleur soutien financier de leurs travaux ou une plus grande liberté, c’est-à-dire moins de contraintes administratives ?

M. Marc Goua. Quelles sont les filières les plus concernées par le départ des ingénieurs ? Les Français sont-ils plus nombreux que les ressortissants d’autres pays ?

Je suis d’accord avec vous, les Français de l’étranger sont bien mal utilisés. Les récentes réformes, qui placent le commerce sous la coupe du ministère des Affaires étrangères, aideront peut-être à progresser dans ce domaine.

En revanche, je ne partage pas votre optimisme quant à l’intégration dans notre pays d’étudiants étrangers au terme de leur cursus. Il semblerait que le Québec vienne prospecter des étudiants africains de langue française en butte à des difficultés après qu’ils aient suivi des études onéreuses dans notre pays. C’est d’autant plus regrettable que leurs liens avec leur pays d’origine pourraient nous permettre de développer notre économie.

M. Pouria Amirshahi. J’aimerais vous convaincre que la langue anglaise dans l’enseignement supérieur n’entre pas en ligne de compte : lorsque les Chinois viennent en France, c’est pour apprendre le français. D’ailleurs, de nombreuses nations, dont le Québec, recherchent des talents dans notre pays parce qu’ils sont francophones. Notre langue constitue une grande part de notre attractivité. Les Chinois ont limité à 30 % leurs publications en anglais, préférant encourager les étrangers à comprendre leur langue. En Allemagne, la conférence des présidents des universités et grandes écoles a cessé le « tout anglais » à l’université, à l’origine d’une pénurie de cadres francophones et hispanophones utiles à la conquête de certains marchés. Si nous voulons rendre notre pays attractif, c’est notre capacité d’accueil des étudiants et des enseignants étrangers que nous avons intérêt à renforcer.

Quelles sont les filières les plus recherchées à l’international par les nouveaux diplômés des écoles d’ingénieurs ? Disposez-vous d’éléments de comparaison salariaux par pays et par filières ?

Mme Monique Rabin. Alors que l’intitulé de notre commission d’enquête, en particulier l’expression « d’exil des forces vives », a un caractère péjoratif, vos propos sont relativement optimistes.

Avez-vous des statistiques sur les ingénieurs qui reviennent en France après une expérience à l’international, et sur les conditions de leur retour ? Que proposeriez-vous à la représentation nationale pour favoriser ce retour ?

Le mot ingénieur n’a pas le même sens en France qu’en Angleterre et dans le reste du monde, ce qui explique la distorsion de niveau entre le diplôme d’ingénieur français et le diplôme chinois. Sur ce point, nous avons perdu une bataille culturelle. J’ai vu arriver dans ma région de prétendus ingénieurs chinois qui n’avaient pas le niveau attendu et qui ont dû repartir. La France peut-elle se battre au sein de l’Europe pour gagner la bataille des mots, comme elle l’a fait pour la licence et la maîtrise par rapport au bachelor et au master ?

Pour créer une diaspora économique, les pouvoirs publics s’appuient sur les conseillers du commerce extérieur, qui sont généralement des chefs d’entreprise. Pourquoi ne n’intéressent-ils pas aux ingénieurs ?

M. Julien Roitman. Il semble que les ingénieurs qui partent à l’international soient attirés par la perspective de trouver plus de disponibilité, une liberté plus grande, moins de contraintes administratives, et probablement des responsabilités beaucoup plus importantes.

S’agissant des frais de scolarité, j’avance sur un terrain miné car ce sujet est vraiment du domaine des directeurs d’écoles. Il est évident que la France n’a pas vocation à financer les études supérieures des élèves d’autres pays. Il n’y aurait rien de choquant à leur appliquer des tarifs plus élevés, de façon intelligente, en élevant les frais de scolarité pour tous, quitte à mettre en place un système de bourse pour les étudiants nationaux qui en auraient besoin. Les ordres de grandeur en ce domaine sont toutefois très différents : alors que les écoles de commerce privées coûtent près de 18 000 euros par an, Supélec est à 1 800 euros, tandis que les frais de scolarité à l’université sont de 200 euros. Laisser la possibilité aux écoles d’ingénieurs de percevoir 300 euros supplémentaires en frais de scolarité leur permettrait de sortir la tête de l’eau.

Certains secteurs économiques attirent plus volontiers les ingénieurs à l’international. Les industries extractives, qui ont des activités dans les mines ou la recherche pétrolière, emploient un ingénieur sur deux travaillant à l’international, les industries chimiques, un ingénieur sur cinq. Dans ces deux secteurs, il s’agit le plus souvent d’affectations à l’initiative de l’entreprise. Les banques, assurances et institutions financières, emploient un ingénieur sur quatre, et les industries pharmaceutiques, un ingénieur sur trois. Dans ces deux derniers cas, ce sont souvent les ingénieurs eux-mêmes qui ont démissionné pour accepter une proposition plus intéressante à l’international.

S’agissant de la prise en charge du réseau par le quai d’Orsay, il revient à Mme Pellerin de montrer tout ce qu’il est possible de faire.

Un certain nombre d’étudiants africains formés en France sont, en effet, sollicités par le Canada. Si nous voulons des personnes de qualité, il faut leur dire que nous sommes intéressés par leur candidature et leur proposer de venir dans notre pays. Je ne suis pas sûr que nous ayons cette démarche vis-à-vis des grands réservoirs d’étudiants et de professeurs du monde. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche devrait mettre en place un programme en ce sens, en plus des traditionnels programmes d’échanges.

Je suis un fervent défenseur de notre langue, et je n’ai pas préconisé un complet basculement vers l’anglais. Pour autant, proposer certains cours en anglais est un élément de notre attractivité, d’autant qu’il est désormais acquis que la formation de base doit permettre à un jeune de lire, écrire, compter, utiliser un ordinateur et parler anglais.

Parmi les bonnes pratiques dont nous pourrions nous inspirer, je pense à l’année préparatoire mise en place en Israël. Les étrangers qui arrivent dans le pays et qui ne parlent pas l’hébreu passent six mois à un an dans une classe préparatoire pour apprendre la langue. Nous n’avons rien d’équivalent en France. Il serait intéressant de créer un organisme qui serait chargé d’enseigner notre langue de manière accélérée.

Les salaires versés aux ingénieurs qui travaillent à l’étranger sont supérieurs de 50 % à ceux qu’ils toucheraient en France. Dans l’hexagone, le salaire médian est de l’ordre de 52 000 euros ; à l’international, il avoisine les 75 000 euros, pouvant aller jusqu’à 100 000 euros pour un ingénieur de plus de 40 ans. Je ne saurais dire s’il y a des variantes selon les filières.

Le terme de « diaspora » me semble, en effet, préférable à celui d’ « exil ». Nous avons demandé aux ingénieurs travaillant à l’étranger s’ils avaient envie de revenir en France : 38 % ne l’envisagent pas – contre 33 % en 2005 –, 40 % ont la ferme intention de revenir à plus ou moins brève échéance, et 25 % ne savent pas.

Quant à la durée des affectations, elle est extrêmement variable puisqu’elle va de deux ou trois ans à vingt-cinq ans.

À propos de bataille des mots, des Américains nous disaient récemment qu’ils appréciaient les choses extraordinaires que nous faisions en France, mais qu’ils regrettaient l’absence dans notre langue d’un mot pour désigner l’entrepreneur. Sur le terme d’ingénieur, une réflexion est en cours au niveau de l’Europe. Les associations d’ingénieurs de chaque pays européen et la Fédération européenne d’associations nationales d’ingénieurs – FEANI – travaillent sur ces sujets avec la Commission européenne.

D’une manière générale, la tendance est en faveur du modèle français à  bac + 5, y compris aux États-Unis où les études d’ingénieur ne durent que quatre ans. Je souligne, à cet égard, le rôle prépondérant de la Commission des titres d’ingénieurs. Cet organisme paritaire, qui fonctionne remarquablement bien, est considéré comme la meilleure pratique au niveau mondial. De nombreux pays, en Europe et dans le monde, copient notre modèle et les trente-deux membres de la commission sont souvent sollicités par les autres pays, en particulier les pays émergents, pour expliquer leur modèle.

Enfin, si les pouvoirs publics s’appuient sur les conseillers du commerce extérieur, c’est qu’il est plus simple d’identifier les chefs d’entreprise que les ingénieurs salariés. En tout cas, c’est une population, et sans doute pas la seule, qui représente un capital non négligeable.

M. le président Luc Chatel. Merci pour votre participation à nos travaux.

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Audition du jeudi 22 mai

À 10 heures : M. Bernard Ramanantsoa, président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles, et directeur général d’HEC Paris.

M. le président Luc Chatel. Bienvenue, monsieur le directeur général, devant notre commission d’enquête.

Nous nous intéressons à la question de l’exil de nos forces vives, c’est-à-dire au mouvement qui semble conduire au départ un certain nombre de jeunes, d’entreprises ou de centres de décision. Nous voudrions savoir si ce phénomène peut être observé à HEC, et plus généralement au sein des grandes écoles. Bien entendu, nous faisons la part des choses entre, d’une part, l’ouverture naturelle à l’international qui caractérise les grandes écoles et les carrières de leurs étudiants, et, de l’autre, la tendance qui semble apparaître et même s’accélérer depuis quelques années, faisant de l’expatriation une décision plus subie que réellement choisie. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Avant de vous donner la parole, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Ramanantsoa prête serment.)

M. Bernard Ramanantsoa, président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles, directeur général d’HEC Paris. Vous posez une question majeure à laquelle s’intéressent tant la Conférence des grandes écoles – CGE – que HEC Paris. Dans la mesure du possible, je tenterai de séparer, dans mes propos, ce que je sais ou perçois en tant que représentant de la Conférence, et ce que je sais ou perçois en tant que directeur général d’HEC.

Chaque année, et depuis longtemps, la conférence mène une enquête auprès de la dernière et de l’avant-dernière promotion des diplômés de toutes les grandes écoles. L’enquête 2014, qui porte donc sur les promotions 2013 et 2012, n’est pas encore terminée : nous effectuons une relance afin d’améliorer le plus possible le taux de réponse. Je peux cependant vous en présenter d’ores et déjà certains résultats.

S’agissant de la promotion 2013, 20 % des diplômés de commerce et de gestion sont partis à l’étranger, contre 22 % pour la promotion précédente – si toutefois il est possible de comparer les résultats d’une enquête en cours avec ceux d’une enquête terminée. Quant aux diplômés des écoles d’ingénieurs, 13 % d’entre eux ont obtenu un premier emploi à l’étranger. On observe donc cette année une stabilisation du taux de départ des diplômés, faisant suite à une hausse l’année précédente.

Pour ce qui concerne la promotion 2012, la proportion des diplômés de gestion ayant trouvé un premier emploi à l’étranger est plus forte chez les hommes que chez les femmes : respectivement 25 et 21 %. L’écart statistique me semble significatif, même si je n’ai pas vraiment les compétences pour en juger.

Notons que les principaux pays de destination sont le Royaume-Uni et la Suisse : le premier accueille 15 % des partants – 13,6 % des ingénieurs et 16,1 % des diplômés d’école de gestion –, et la seconde 12 %.

De son côté, l’école HEC organise chaque année un sondage de type déclaratif pour connaître le destin de ses diplômés. Ses résultats s’apprécient toutefois différemment selon la période considérée. Entre 2000 et 2013, le nombre d’étudiants exerçant leur premier job à l’étranger a doublé, passant de 16 à 33 %. Mais si on s’intéresse à une période plus brève, on s’aperçoit que, depuis quelques années, ce taux oscille légèrement autour de 30 % : il était ainsi de 30,5 % en 2008 et de 26,9 % en 2010.

Il ne faut pas s’étonner de la différence entre les chiffres d’HEC et ceux de la Conférence des grandes écoles, liée à la nature même de notre école : les élèves de gestion partent, en effet, plus souvent à l’étranger que ceux des écoles d’ingénieurs. En outre, les chiffres que je viens de vous livrer prennent également en compte les élèves étrangers qui repartent dans leur pays d’origine une fois leur diplôme obtenu.

Bien entendu, les résultats varient aussi de façon importante selon la spécialité des élèves. Par exemple, 55 % de ceux qui ont suivi la  majeure Finance au cours de la dernière année de leur scolarité trouvent un premier emploi à l’étranger, essentiellement à Londres et à New York. En revanche, 80 % des étudiants de la majeure Entrepreneurs, dont la vocation essentielle, même si elle n’est pas unique, est de préparer les futurs diplômés désireux de créer leur entreprise, obtiennent leur premier emploi en France.

Nous avons également réalisé, en février, un sondage auprès des élèves de première année d’HEC, qui ne feront donc leur choix professionnel que trois ans plus tard. À la question de savoir s’ils aimeraient démarrer leur carrière à l’étranger, 60 % ont répondu positivement : 31 % parce qu’ils imaginent y trouver de meilleures opportunités de carrière, et 9 % parce qu’ils ont une image négative de la France.

Les enquêtes, qu’elles concernent la Conférence ou HEC, font apparaître un écart de salaire significatif entre les diplômés restés en France et ceux qui s’installent à l’étranger. Selon la Conférence des grandes écoles, le premier salaire, brut et hors primes, est en moyenne de 34 500 euros en Île-de-France, de 31 000 euros en province et de 40 300 euros à l’étranger. J’ignore s’il existe une relation de cause à effet entre cet écart de salaire et le taux de départs, mais ces chiffres – qui ne tiennent pas compte des signing bonus, par définition plus élevés pour les expatriés – me semblent significatifs.

M. le président. Votre école est membre du réseau CEMS, the Global Alliance in Management Education, ce qui rend possible les comparaisons entre différents pays. Que penser des 33 % d’anciens étudiants d’HEC qui entament leur carrière à l’international ? Les étudiants de vos partenaires de la CEMS sont-ils plus nombreux à partir à l’étranger ?

M. Bernard Ramanantsoa. Non.

M. le président. Par ailleurs, il nous intéresse de pouvoir mesurer l’attractivité, le rayonnement de la France, sa capacité à attirer des talents. Je suppose qu’HEC n’a aucun mal à remplir son quota de places réservées aux échanges entre écoles internationales. Mais quel rang votre établissement occupe-t-il dans le choix des étudiants qui participent à ces échanges ?

M. Bernard Ramanantsoa. Je me dois de préciser que les chiffres indiqués ne concernent que les diplômés de la grande école, et pas les étudiants des autres programmes d’HEC, comme ceux du Master of Business Administration – MBA. Le MBA full-time proposé par notre école comprend, en effet, selon les années, entre 85 et 87 % d’étudiants étrangers, ce qui est une façon de répondre à votre question sur l’attractivité de notre pays. Certes, HEC n’est pas la France, mais il n’est pas neutre qu’une telle proportion d’étudiants étrangers soit prête à suivre, pendant seize mois, des études à plein-temps à Jouy-en-Josas, qui n’est pas vraiment Paris.

M. le président. Un tel résultat ne me surprend pas. Mais ma question est plutôt de savoir si HEC, ou plus généralement la France, était le premier choix de ces étudiants.

M. Bernard Ramanantsoa. En moyenne, les étudiants du MBA ont déjà un premier diplôme et quatre ans d’expérience professionnelle. Les étrangers en général, et les Asiatiques en particulier, font d’abord un choix par continent : à l’exception, peut-être, de ceux qui sont pris à Harvard, ils décident de faire un MBA soit aux États-Unis, soit en Europe. Pour nous, la vraie concurrence se joue donc entre grandes business schools européennes. Parmi ceux qui choisissent l’Europe, certains ont très envie d’effectuer leur scolarité à HEC – on peut le mesurer en observant dans quels établissements les élèves envoient leurs résultats au test GMAT (Graduate Management Admission Test) –, d’autres sont plus indifférents.

Une des raisons pour lesquelles certains privilégient la France est la bonne image de son enseignement supérieur – même si elle est moins bonne que celle du Royaume-Uni pour ce qui est de l’enseignement des affaires. Un autre avantage de notre pays, sur lequel nous ne communiquons pas assez, est la densité impressionnante de sièges sociaux qui y sont installés, en particulier à Paris et à La Défense. Les étudiants de MBA en tiennent compte lors de leur choix, car ce sont autant de possibilités de travailler dans la zone où ils auront étudié. Enfin, une particularité d’HEC est de compter plusieurs anciens élèves à la tête de grands groupes internationaux, tels L’Oréal ou Lafarge.

Quant à ceux qui sont a priori indifférents à la destination et mettent HEC en concurrence avec d’autres écoles, ils préféreront, s’ils ont le choix, obtenir leur MBA à l’Institut européen d’administration des affaires – INSEAD – ou à la London Business School. De son côté, HEC est à peu près au même niveau que des écoles dont on entend peu parler mais qui n’en sont pas moins des concurrentes redoutables, les espagnoles IESE et Instituto de Empresa. En termes de parts de marché, nous avons un peu d’avance sur les autres grandes business schools que sont l’université Bocconi en Italie et la Rotterdam School of Management. Je ne parle pas du MBA de l’IMD, en Suisse, dont les élèves ont une plus grande expérience professionnelle.

En tant que grande école, HEC est, avec la London School of Economics – LSE –, l’établissement le plus demandé du réseau CEMS. Cela tient en partie à sa place dans les rankings internationaux et à sa notoriété. Sur ce dernier plan, toutefois, la LSE dispose d’un net avantage, car elle est bien plus connue, même si nous tentons de combler l’écart. Cela étant, il existe des biais : ainsi, l’attrait de l’école espagnole ESADE tient en partie au climat de Barcelone. Symétriquement, les étudiants sont moins nombreux à vouloir se rendre en Norvège.

M. le président. Qu’en est-il des enseignants ? Quelle est la part d’étrangers dans le corps professoral ?

M. Bernard Ramanantsoa. À HEC, ils représentent les deux tiers des enseignants-chercheurs, c’est-à-dire des professeurs permanents. Dans les dernières années, la part des étrangers dans le recrutement est même montée jusqu’à 80 %. D’ailleurs, même les professeurs français ont souvent obtenu leur doctorat à l’étranger.

Si nous examinons de près les nationalités d’origine de nos étudiants, ne serait-ce que pour assurer un certain équilibre au sein des classes, l’approche est différente pour le recrutement du personnel enseignant. Pour ce qui les concerne, l’important est d’avoir publié ou d’être en mesure de publier dans les prochaines années dans les revues classées « A ». À cet égard, les personnes ayant passé leur doctorat dans le monde anglo-saxon sont mieux préparées à publier dans ces revues, elles-mêmes anglo-saxonnes.

Pour les enseignants, l’attrait d’HEC a beaucoup progressé au cours des cinq ou six dernières années, même si nous restons globalement derrière la London Business School
– laquelle, à proposition équivalente, sera préférée par le candidat – et l’INSEAD. Mais il est compliqué de répondre à votre question, car le choix d’enseigner dans telle ou telle école dépend d’un grand nombre de critères.

Le premier est l’environnement scientifique. Il est ainsi plus facile de recruter quelqu’un dans un département jouissant déjà d’une notoriété mondiale, comme le département Finances d’HEC. Les jeunes docteurs préfèrent intégrer une équipe efficace et créditée d’un certain rayonnement.

Quant aux critères matériels, ils sont très divers : il y a la rémunération, bien entendu, mais aussi des aspects liés aux à-côtés. Ainsi, une école en mesure de recruter un couple de chercheurs sera avantagée.

M. Régis Juanico. Vous avez dit que 80 % des élèves de la majeure Entrepreneurs choisissaient de créer leur entreprise sur le sol français : un chiffre impressionnant. S’agissant des élèves connaissant leur première expérience professionnelle à l’étranger, réalisez-vous des enquêtes dans la durée afin de savoir combien d’entre eux rentrent finalement en France, et au bout de combien de temps ?

M. Alain Rodet. Les élèves qui partent à l’étranger choisissent plus volontiers le Royaume-Uni et la Suisse, mais qu’en est-il de l’Asie ? Observe-t-on un engouement plus marqué pour des destinations telles que la Chine, le Japon ou Singapour, ou bien la part des anciens étudiants s’installant dans ces pays est-elle constante ?

Mme Monique Rabin. L’écart de salaire dont bénéficient les élèves qui trouvent un premier emploi à l’étranger atteint environ 30 %, ce qui, au fond, équivaut à ce que la France accorde à ses fonctionnaires expatriés. Rien de plus normal, donc. Avez-vous cependant l’impression que cet écart constitue un critère déterminant ? Cet aspect occupera sans doute une place importante dans les conclusions de notre commission d’enquête.

Je trouve intéressante la question du recrutement des couples. En tant que membre de la Conférence des grandes écoles, observez-vous, sur ce point, des disparités entre les régions ? Certaines d’entre elles ouvrent des maisons d’accueil pour les chercheurs et étudiants étrangers ou leur offrent des conditions matérielles spécifiques, en particulier aux couples. Existe-t-il des études permettant de vérifier que cette politique, qui engage des fonds publics, porte ses fruits ?

Enfin, je suis heureuse d’apprendre que la densité de sièges sociaux était un facteur d’attractivité de la France. Cet argument fait-il l’objet d’une communication de la Conférence des grandes écoles lorsqu’elle participe à des salons internationaux pour promouvoir ses écoles ?

M. le président. Pour ma part, j’avais compris que les anciens élèves travaillant à l’étranger faisaient l’objet d’un recrutement local et n’avaient donc pas le statut d’expatriés.

M. Bernard Ramanantsoa. L’enquête se contente de demander au jeune diplômé combien il gagne.

Je dois préciser que les étudiants de la majeure Entrepreneurs ne sont pas tous destinés à créer leur entreprise. C’est d’ailleurs un phénomène contre lequel nous luttons : alors qu’ils ont souvent choisi cette spécialisation parce qu’ils avaient un projet de création d’entreprise, nombre de ces élèves sont ensuite recrutés par des grands groupes – banques ou entreprises industrielles et de services.

Nous savons qu’environ 17 % des élèves d’une promotion d’HEC créent une entreprise dans les trois ans après l’obtention du diplôme, ce qui est un résultat plutôt bon. Je ne dispose pas de chiffres précis les concernant, mais j’ai souvent l’occasion de les rencontrer, au sein de l’école puis quelques mois après qu’ils l’ont quittée. Beaucoup ne se posent pas la question de leur départ à l’étranger ; leur réflexe est plutôt de s’implanter en France, afin de bénéficier d’un environnement dans lequel ils sont plus à l’aise et pourront plus facilement activer leurs réseaux. En revanche, ils ont tous, dès le début, l’idée qu’il faudra un jour développer leur entreprise à l’international. Cela fait partie de leur premier business plan, celui qui leur permettra de lever des fonds. En outre, et ce ne sera sans doute pas une surprise pour vous, ils se posent assez vite la question de déménager, pour des raisons liées aux charges, fiscales et surtout sociales. Ils se sentent moins libres en France qu’à Londres, par exemple.

À leur sortie, les élèves sont suivis par l’école, puis par l’association des diplômés. Bien sûr, nous travaillons ensemble, mais nos données ne sont pas tout à fait homogènes. Je suis toutefois en mesure de vous indiquer, par promotion, le nombre d’élèves vivant à l’étranger. Ils sont, par exemple, 92 sur les 359 élèves sortis en 1995, 94 sur les 367 que comptait la promotion 2000, et 76 sur 463 pour la promotion 2010. Pour l’instant, il est donc probable que les anciens élèves ayant une première expérience à l’étranger finissent par revenir. Une question plus compliquée est de savoir si cette tendance va perdurer à l’avenir.

Cela me conduit à répondre au sujet de l’Asie : de plus en plus de jeunes diplômés d’HEC sont attirés notamment par les villes de Singapour et de Shanghai. Hong Kong est en perte de vitesse, tandis que l’Inde et le Japon restent des destinations minoritaires.

L’année dernière, au sein de la Conférence des grandes écoles, nous avons été frappés par l’augmentation du nombre d’étudiants partant à l’étranger – même si, comme je vous l’ai dit, les premiers chiffres dont nous disposons cette année montrent que leur part se stabilise. Les salaires sont-ils un critère déterminant ? Oui. Est-ce le seul ? Non. Pour un étudiant, en tout cas un étudiant d’HEC, une première expérience à l’international est considérée comme une très jolie ligne sur un CV. Si, en plus, le salaire est intéressant, c’est encore mieux. C’est ainsi que certains grands groupes s’intéressant aux diplômés de l’école ne parviennent pas à recruter, malgré des salaires attractifs, parce qu’ils ne proposent pas un premier poste hors de nos frontières. C’est ce que je dis à nos partenaires, notamment au sein de la Fondation HEC : s’ils veulent recruter plus d’anciens élèves de l’école, il faut leur proposer de partir très vite à l’étranger, non pas tant pour le salaire que pour l’expérience.

En ce qui concerne les couples, je ne suis pas en mesure de vous répondre. C’est une question compliquée : soit il s’agit d’un couple de professeurs souhaitant chacun être recruté par l’école, soit il s’agit d’un enseignant vivant en couple, auquel cas on peut être amené, quand on veut le recruter, à rechercher un emploi pour le conjoint. Je ne sais pas comment les choses se passent dans les régions, mais nous allons nous y intéresser.

À ce sujet, et pour illustrer les différences culturelles d’un pays à l’autre, je remarque qu’une candidate à un poste d’enseignant à HEC, mère célibataire, a posé comme condition de son recrutement le financement de la scolarité de sa fille, comme si cela était parfaitement habituel.

Enfin, s’agissant de la densité des sièges sociaux, cet aspect ne fait pas l’objet d’une communication par la Conférence des grandes écoles, mais est mis en avant par certaines des écoles qui en sont membres, notamment de commerce.

Mme Claudine Schmid. Si les anciens élèves partent plus volontiers en Grande-Bretagne et en Suisse, c’est peut-être parce que ces pays accueillent de grands laboratoires et offrent de nombreux emplois. Je pense, par exemple, à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, aux laboratoires de recherche de Google et d’IBM, qui emploient de nombreux Français, ou aux industries pharmaceutiques de Bâle. Si nous voulons retenir ces jeunes, ne faudrait-il pas adopter une autre politique à l’égard des entreprises ?

Par ailleurs, n’avez-vous pas le sentiment que les sièges sociaux tendent à être moins nombreux en France, et que les jeunes diplômés qui travaillent à l’étranger ne font que suivre un mouvement général de départ des centres de décision ?

M. Alain Rodet. Lorsqu’ils discutent avec le personnel de l’école, les étudiants qui envisagent de s’installer à l’étranger évoquent-ils les questions relatives à la couverture sociale, à l’assurance-maladie ou aux régimes de retraites, ou s’agit-il de préoccupations qu’ils ne jugent pas de leur âge ?

Mme Monique Rabin. Le ministre Arnaud Montebourg a décidé cette semaine d’augmenter le montant des frais de scolarité pour les étudiants étrangers, estimant que des droits d’inscription trop faibles nuisaient à la réputation de certaines grandes écoles. Qu’en pensez-vous ?

Je reviens sur la question des couples. Malgré mes efforts pour l’y aider, l’École des mines de Nantes n’est pas parvenue à faire venir le spécialiste de haute qualité qu’elle souhaitait recruter, faute d’avoir pu trouver un emploi convenant à son épouse. Outre l’emploi, le régime de retraite et la couverture sociale comptaient d’ailleurs aussi dans le choix du candidat. Il serait peut-être intéressant pour la Conférence des grandes écoles et pour notre commission d’interroger les régions sur les conditions qu’elles offrent aux enseignants étrangers. Ce sont elles, en effet, qui ouvrent des maisons d’accueil, accompagnent les enseignants dans leurs démarches administratives, notamment auprès du préfet, ou les guident dans l’environnement social et salarial.

M. Bernard Ramanantsoa. Je le répète, ce qu’attendent les diplômés qui partent à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne et en Suisse, c’est une ligne sur un CV. Un ingénieur va privilégier un laboratoire qui porte la marque d’une recherche de haut niveau. Et pour un manager, pouvoir justifier d’une expérience à l’étranger dans un grand groupe comme L’Oréal, c’est faire d’une pierre deux coups. Non seulement c’est formateur, mais c’est une référence en termes de marketing, au sens large de l’expression.

Que les étudiants français aient envie de partir à l’étranger, je trouve personnellement que c’est une très bonne chose : cela prouve qu’ils sont ouverts sur le monde et que nos formations sont de qualité. Mais il faut aussi se poser la question de la réciprocité : les étudiants étrangers sont-ils prêts à venir en France ? À cet égard, il faut saluer toute mesure visant à faciliter leur accueil, et au minimum s’étonner de toute initiative susceptible d’y faire obstacle. Selon les périodes, le mouvement est encouragé ou au contraire freiné. Certes, nous ne sommes pas le seul pays à adopter cette attitude, mais c’est une mince consolation.

Non seulement nous devons être capables d’accueillir les étudiants étrangers dans nos établissements, mais nous devons aussi parvenir à les retenir lors de leur première expérience professionnelle. Ce sont des aspects que prend en compte un jeune s’apprêtant à étudier en France, et le fait de pouvoir lui promettre un emploi constitue un atout. D’après mon expérience, la France a une bonne image du point de vue de son enseignement supérieur et de ses formations, mais elle doit aussi être capable d’insérer ses jeunes diplômés dans le tissu économique français ou européen.

Le départ des centres de décision constitue une vraie question. Lorsque le patron des ressources humaines de Schneider s’installe en Asie, il devient plus compliqué de lui « vendre » la marque des institutions françaises, d’autant qu’il n’est pas lui-même français. Il est plus aisé, pour un diplômé d’HEC ou de Polytechnique, de se présenter à un siège social implanté en France que d’avoir la même démarche à Hong Kong auprès d’un directeur des ressources humaines américain : nous n’avons pas la notoriété d’Harvard. Je suis donc inquiet du mouvement de délocalisation des centres de décision, mais surtout des centres de recrutement. C’est pourquoi HEC doit suivre le mouvement et se doter de correspondants à l’étranger afin de mieux faire connaître l’école.

La couverture sociale n’est pas un sujet de préoccupation pour les élèves. En revanche, elle l’est pour les professeurs. À cet égard, nous devons adopter un discours bien plus clair à l’égard des candidats qui observent que les salaires sont plus élevés à Londres, par exemple. Nous commençons à disposer d’algorithmes capables de prendre en compte tous les facteurs, dont la protection sociale et la scolarité des enfants. Il reste que pour faire valoir de tels arguments, nous ne sommes pas encore très bons, d’autant que nous ne sommes pas aidés, tant ces questions sont complexes.

Pour le recrutement des professeurs, les conditions d’accueil sont, en effet, très importantes. Le statut d’enseignant-chercheur étranger est en soi une très bonne chose, et la fluidité des démarches administratives un atout colossal. Ne soyons pas dupes : d’autres pays sont aussi rigoureux ou bureaucratiques que le nôtre, mais une personne victime de tracasseries ne se livre pas à des études comparatives. Notons qu’HEC est sur le point d’ouvrir un bureau avec la préfecture des Yvelines pour faciliter les formalités administratives et régler les problèmes de visa, qui peuvent constituer des points de blocage. Il est destiné aux étudiants, mais les professeurs pourront aussi en bénéficier.

M. le président. Vous avez évoqué l’environnement fiscal et social dans lequel évoluent les créateurs d’entreprise. Disposez-vous de données plus précises ? La France est attractive quand il s’agit de faire des études supérieures, mais, à vous entendre, elle l’est peut-être moins par la suite. Quelles mesures faudrait-il prendre pour retenir les talents sur notre sol ?

Un ancien élève d’HEC est sûr de trouver un emploi ; son éventuel départ ne sera donc pas lié au problème du chômage des jeunes. Qu’en est-il des autres grandes écoles ? Peut-on imaginer qu’un ancien étudiant soit contraint au départ faute de perspectives d’emploi, même après avoir fait des études supérieures ?

M. Bernard Ramanantsoa. D’une façon générale, la variable d’ajustement n’est pas le chômage, mais le nombre d’offres. Les diplômés d’HEC se voient proposer moins d’offres qu’il y a dix ans et, de ce fait, ils sont moins exigeants. Au risque de caricaturer, il fut un temps où ils attendaient d’avoir dix propositions avant de choisir ; aujourd’hui, ils se contentent de trois.

Il en est de même pour les élèves des autres grandes écoles, dont le taux net d’emploi reste très bon. L’ensemble des diplômés finit par trouver un emploi au bout de quelques mois, mais l’ajustement se fait par les salaires. L’année dernière, nous avons publié une courbe qui a eu beaucoup de retentissement : elle montrait qu’en euro constant, le salaire moyen des jeunes diplômés dégringolait depuis dix ans. C’est le simple effet de la loi de l’offre et de la demande.

L’enseignement supérieur est, selon moi, un très beau produit d’exportation, mais on oublie de l’appréhender en ces termes. Il permet de faire rentrer des devises presque sans bouger – il faut tout de même aller chercher les étudiants. Le problème est de déterminer le juste prix pour l’enseignement. Il est vrai que l’argument de la gratuité, aussi sympathique soit-il, a de quoi faire sourire si on est en concurrence avec le monde anglo-saxon : lorsque l’on ignore tout de la tradition universitaire française, on risque d’en déduire que l’enseignement ne vaut pas grand-chose. Cela ne signifie pas, toutefois, que les tarifs peuvent être augmentés sans limite : il existe un prix de marché, déterminé par la concurrence. Par exemple, en comparaison avec leurs concurrentes britanniques, les écoles françaises sont moins chères qu’on ne le croit, même si elles le sont suffisamment pour ne pas paraître « cheap ».

M. le président. Vous n’appliquez pas de tarifs différenciés ?

M. Bernard Ramanantsoa. Si. Selon qu’ils sont ou non européens, les élèves de la grande école paient 12 000 ou 16 000 euros par an.

En ce qui concerne l’environnement dans lequel évoluent les jeunes créateurs d’entreprise, vous êtes sûrement plus qualifiés que moi pour en juger, d’autant que vous bénéficiez d’une vision globale. Ce qui ressort de mes entretiens avec les jeunes diplômés, c’est qu’ils sont stressés par l’instabilité fiscale et sociale et redoutent d’être contrôlés s’ils adoptent une stratégie d’optimisation, sans parler du montant des prélèvements lui-même. Il faudrait sans doute adopter une politique fiscale plus attractive, mais, une fois encore, vos responsabilités vous rendent plus compétents que moi sur ce sujet.

M. le président. Je vous remercie, monsieur le directeur général. Vos propos seront très utiles pour l’élaboration de notre rapport.

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Audition du mardi 27 mai 2014

À 16 heures 15 : M. Antoine Godbert, directeur de l’Agence Europe-Éducation- Formation-France (2E2F).

M. le président Luc Chatel. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le directeur, au sein de notre commission d’enquête qui a pour objectif d’appréhender la réalité de l’exil des forces vives en France.

Vous dirigez l’Agence 2E2F, qui depuis 1995 est mandatée par la Commission européenne pour assurer la promotion et la gestion de nombreux programmes et dispositifs communautaires, en particulier le fameux programme Erasmus.

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Antoine Godbert prête serment.)

M. Antoine Godbert, directeur de l’Agence Europe-Éducation-Formation-France (2E2F). Nous avons décidé d’offrir à un nombre de plus en plus important de jeunes Français la possibilité d’aller se former dans tous les pays du monde, et non plus seulement dans les pays européens. Dans cet esprit, l’Agence 2E2F deviendra dans quelque temps l’Agence Erasmus+ Éducation et formation.

L’Agence 2E2F a pour partenaire l’Agence Erasmus+ Jeunesse et sport, qui, depuis les années 1980, prend en charge les mobilités des plus jeunes. Fondée en 1995, elle s’est installée au début des années 2000 à Bordeaux, où elle a successivement assumé la promotion des programmes Socrates, Leonardo da Vinci et Erasmus et, de 2007 à 2013, du programme Éducation et formation tout au long de la vie.

En 2013, l’agence a financé 75 000 mobilités, dont une moitié concerne des étudiants et l’autre moitié des apprentis, des adultes et tous ceux qui souhaitent acquérir des compétences par le biais d’une mobilité dans un autre pays.

En plus de gérer les fonds octroyés par l’Union européenne pour financer les bourses accordées aux personnes qui désirent se former à l’étranger, l’agence assure la promotion des programmes européens. Elle a, en outre, pour mission de faciliter l’articulation entre les politiques éducatives nationales et les volontés stratégiques de l’Union européenne.

De 2007 à 2013, le nombre des mobilités est passé de 40 000 à 75 000, le nombre d’étudiants concernés passant de 28 000 à 43 000, ce qui traduit une nette augmentation des effectifs concernés.

Nous espérons d’ici à 2020 atteindre les objectifs ambitieux fixés par l’Union européenne, à savoir le passage par la mobilité de 20 % des jeunes poursuivant des études supérieures et de 6 % des jeunes en formation professionnelle.

L’agence consacre 120 millions d’euros à ces 75 000 mobilités. Après la négociation en trilogue de 2013, le programme Erasmus+ verra son budget augmenté de 40 % à l’horizon 2020. Nous utiliserons cette augmentation de la façon la plus rationnelle possible afin de correspondre aux nouveaux impératifs stratégiques de l’Union européenne, aux souhaits de nos ministères de tutelle – ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et ministère du Travail, de l’emploi et de la formation professionnelle – ainsi qu’aux informations stratégiques que nous transmet le ministère des Affaires étrangères.

Si la demande du public étudiant est très forte, il convient sans doute d’aider plus concrètement les publics qui sont moins informés de l’intérêt d’une mobilité. Notre vocation consiste à aider les étudiants à acquérir des compétences spécifiques ainsi que des compétences non formelles, mais elle consiste également à accompagner les publics qui, pour des raisons sociales ou culturelles, ne sont pas attirés par la mobilité.

Nous devons ainsi faciliter la mobilité des apprentis. La mobilité via le suivi d’un stage, qui n’existait pas avant 2006, enregistre aujourd’hui une très forte progression – plus de 25 % par an, contre 6 % pour les mobilités classiques – ce qui témoigne de l’appétence des jeunes pour les entreprises situées hors de France.

Le système, créé en 1987 et renforcé dans les années 1990, a connu un très fort développement dans les années 2000. Il devait permettre à chacun d’entre nous, quelle que soit sa position économique, sociale ou culturelle, d’acquérir à la fois des compétences académiques et des compétences non formelles – capacités d’adaptation, apprentissage de langues étrangères, travail en équipe.

Mieux doté sur le plan budgétaire, le nouveau programme Erasmus+ devrait nous permettre de susciter l’intérêt des chercheurs. Dans ce but, nous avons récemment lancé une revue, le Journal of International Mobility. Selon certaines études, la mobilité – devenue une discipline scientifique qui intéresse désormais les démographes et les économistes et non plus simplement les spécialistes des sciences de l’éducation – devrait augmenter de 25 à 30 % d’ici à 2020.

Le nouveau programme offre également aux 51 agences des trente-trois pays qui composent Erasmus+ la possibilité de financer des partenariats stratégiques. Il apparaît dans nos études qualitatives que les jeunes préfèrent l’Australie à la Slovaquie. Il est important que nous en connaissions les raisons. Quoi qu’il en soit, bien que nous entretenions de bonnes relations avec différents centres d’études comme le Céreq – Centre d’études et de recherches sur les qualifications –, nous détenons peu d’éléments quantifiables, et les statistiques propres à Erasmus+ ne sont que l’une des composantes de l’attractivité, extérieure ou intérieure, d’un pays.

Le système d’échanges est plutôt positif, puisque nous enregistrons plus d’étudiants qui viennent en France que d’étudiants qui en sortent. Cette année, notre pays a reçu 280 000 étudiants, ce qui le place au troisième rang mondial en matière d’attractivité.

Cette ouverture au monde qui ressort de plus en plus fortement de nos enquêtes qualitatives est à mettre en parallèle avec les difficultés que nous rencontrons pour convaincre ceux qui viennent d’un univers moins diplômé et sont moins informés. Le programme Erasmus + est destiné aux étudiants, aux apprentis et aux formateurs. L’objectif quantitatif pour 2020 fixe à 800 000 ou 900 000 le nombre des formateurs qui partiront en mobilité en 2020 – ils sont huit fois moins nombreux aujourd’hui – sur un total de 4 millions de personnes. Ce chiffre est à comparer aux 3,3 millions d’étudiants qui en bénéficient depuis 1987. Pour atteindre cet objectif, le budget consacré à la mobilité bénéficiera d’une augmentation de 40 %.

Nous constatons une dichotomie entre les étudiants classiques qui entendent effectuer leur mobilité dans le monde entier, particulièrement en Chine, au Brésil, en Australie et au Canada, et ceux qui n’ont pas reçu la même formation et inscrivent leur mobilité dans un cadre souvent limité à l’Europe.

Je rappelle que le système Erasmus a été mis en place pour permettre aux jeunes Français d’acquérir des compétences individuelles, mais aussi pour créer de la valeur ajoutée territoriale et développer un sentiment d’appartenance à la citoyenneté européenne. Pour cela Erasmus+ nouera des partenariats stratégiques associant des entreprises, des collectivités et des acteurs académiques autour de projets susceptibles de développer un territoire.

En revanche, ce n’est qu’à l’automne 2014 que nous saurons si nous pouvons mettre en œuvre la dimension internationale du programme et que nous définirons des priorités géographiques, qui pourront être le voisinage de l’Europe, les grands pôles dominant économiquement ou l’Afrique.

Avec mes 90 collègues chargés de gérer les 120 millions d’euros dédiés à la mobilité, nous pensons que le programme Erasmus n’a pas pour but d’encourager les personnes bénéficiant d’une mobilité à s’exiler mais, bien au contraire, à revenir en France après avoir acquis des compétences.

Je citerai trois enquêtes que l’agence a réalisées au cours des derniers mois. La première, menée avec l’Institut TNS Sofres sur l’image d’Erasmus, montre que plus de 80 % des Français, et 90 % des plus jeunes, connaissent le programme. À nous de faire en sorte qu’ils puissent en profiter.

Les deux autres études, réalisées par le Céreq, portent sur la mobilité des chercheurs d’emploi et des apprentis. Elles font apparaître qu’une personne qui a effectué une mobilité Erasmus, Grundtvig, Leonardo da Vinci ou Youth in action divise par trois le temps qu’il lui faudra pour retrouver un emploi et qu’un apprenti qui a effectué une mobilité européenne a plus de chances d’être embauché à un niveau supérieur qu’un apprenti qui serait resté en France. Ces résultats sont encourageants. Selon les études du Céreq, réalisées avec l’Université de Poitiers sur les cohortes 2001, 2004 et 2007, le nombre de ces mobilités, après une décroissance en 2004, a connu un essor en 2007 avec le départ de 0,7 % d’une classe d’âge.

Les entreprises à l’étranger attirent énormément les jeunes, mais si nous voulons que la France conserve son attractivité en matière d’enseignement supérieur, nos entreprises devront entrer de plein pied dans le système, faute de quoi nous n’aurons pas de stages à proposer aux étrangers.

C’est l’un de nos sujets de préoccupation, mais nous espérons que les partenariats stratégiques inciteront les représentants des PME et les collectivités à nous aider à renforcer l’attractivité de notre pays vis-à-vis des apprentis et des professionnels des autres pays, tout en préservant la tradition française qui entend préserver l’équilibre entre le nombre des entrants et le nombre de ceux qui partent.

M. le président. Avez-vous le sentiment qu’un certain nombre de jeunes Français, diplômés ou non, quittent le territoire de façon contrainte ?

La France est-elle attractive pour les jeunes étudiants européens ? Cette attractivité a-t-elle évolué au fil du temps ? Les étudiants allemands, britanniques ou espagnols viennent-il aussi volontiers en France qu’il y a dix ans ?

M. Antoine Godbert. Il existe une compétition entre les différentes agences. Nous nous occupons d’envoyer des Français vers l’extérieur et les agences étrangères nous adressent des étudiants. Nous sommes associés, mais chaque agence a une compétence purement nationale.

M. le président. Il n’y a donc pas de consolidation européenne ?

M. Antoine Godbert. La Direction générale de l’enseignement dispose des chiffres fournis par Eurostat. Ce que nous savons, c’est que la France enregistre peu de fluctuations, contrairement à l’Espagne, qui voit partir de nombreux jeunes après avoir connu le plus haut niveau d’attractivité d’Europe. La France occupe à elle seule 10 % du programme Erasmus et la demande de bourses reste extrêmement forte, et cela vaut également pour les professionnels et les adultes. Notre balance entre mobilité sortante et entrante pour le programme est assez équilibrée. La croissance est plus faible pour les mobilités étudiantes dans les universités, mais la demande des jeunes vers les entreprises est en forte croissance.

Les jeunes disposant d’une formation souhaitent effectuer leur mobilité dans un pays le plus éloigné possible, ce qui suppose un séjour plus long. Quant au taux de retour, il est en corrélation directe avec la distance géographique. C’est la raison pour laquelle la Commission prévoit un subventionnement correspondant à l’échelle géographique.

Le dispositif de mobilité a été créé pour renforcer le sentiment d’appartenance à l’Union européenne. En Europe, les partenariats Erasmus Mundus visent à soutenir la mobilité des personnes détentrices d’un master ou d’un doctorat. Ce programme concerne un nombre peu élevé de personnes, mais la France est leader en la matière.

Pour les personnes les moins qualifiées, nous avons un déficit d’attractivité dû à la faible capacité de nos entreprises à accueillir des stagiaires et à une mauvaise perception de la coopération entre entreprises, collectivités et acteurs académiques. La France souffre de l’absence de structuration du dispositif de formation et de son manque de perméabilité au monde de l’entreprise. Nos collègues étrangers sentent qu’il n’existe pas de parfaite osmose dans notre volonté d’accueillir des étudiants, des apprentis ou des lycéens dans le cadre de la formation professionnelle. Lutter contre l’extrême complexité de notre formation professionnelle sera l’un des défis des partenariats stratégiques.

Nous risquons de voir apparaître certaines différences. Nous notons déjà l’opinion positive des jeunes Espagnols sur la formation professionnelle en Allemagne. Les territoires seront en concurrence quant à leur capacité à proposer un parcours de formation professionnelle pour les jeunes moins qualifiés. Pour faire face à cette concurrence, il nous faut une bonne connaissance statistique de la situation dans les territoires, que nous n’avons pas encore en tant qu’agence nationale. Nous proposons sur le site de l’agence la rubrique Statistics for All qui permet à chaque décideur local de savoir où les échanges sont les plus dynamiques.

M. Yann Galut, rapporteur. Si la France est le troisième pays en termes d’attractivité, quels sont les deux pays qui nous dépassent ? Notre place est-elle constante ?

M. Antoine Godbert. Selon les chiffres de 2011, les États-Unis et le Canada sont plus attractifs que la France.

M. le rapporteur. Avez-vous le sentiment que l’aspiration des jeunes à travailler à l’international est en constante augmentation ?

Avez-vous ressenti les effets de la crise de 2008, tant sur le nombre des départs que des arrivées en France ?

Les jeunes qui partent à l’étranger ont-ils tendance à revenir rapidement en France ou s’expatrient-ils durablement ? Avez-vous mis en place des dispositifs d’accompagnement au retour ?

Le fait d’encourager les formations professionnelles à l’étranger ne risque-t-il pas d’inciter nos jeunes à partir ?

La France valorise-t-elle suffisamment ses étudiants et jeunes diplômés qui ont une expérience internationale ?

Le départ des jeunes à l’étranger est souvent observé à travers le prisme des jeunes très diplômés issus des grandes écoles. Quelles sont les proportions de jeunes de niveau licence, voire de niveau inférieur, qui choisissent de s’expatrier ?

Les jeunes que vous accompagnez à l’étranger quittent-ils la France à cause de sa morosité, et notamment du chômage ?

Le dernier baromètre Deloitte sur l’humeur des jeunes diplômés montre que les plus soucieux d’innover et de valoriser leurs compétences ont une préférence pour l’étranger. Qu’en pensez-vous ?

Au sein du réseau Erasmus, quelle est la place de la France pour les étudiants étrangers ? En quoi notre pays les attire-t-il ? Restent-ils en France pour y travailler ? Quelles sont les motivations de ceux qui ont choisi notre pays et quelle appréciation portent-ils a posteriori sur leur parcours français ? La langue française est-elle un obstacle pour eux ?

M. Antoine Godbert. Les étudiants des grandes écoles sont effectivement de plus en plus attirés par les pays lointains. En revanche, les étudiants en licence travaillent souvent pour financer leurs études et ils sont de plus en plus nombreux à choisir leur destination en fonction de la capacité du pays à leur procurer un emploi. Le système des bourses sous conditions de ressources devrait permettre à tous les jeunes, quel que soit leur niveau, d’obtenir une mobilité dans n’importe quel pays. Un certain nombre de jeunes auraient préféré aller au Royaume-Uni mais choisissent la Pologne ou la Suède, voire l’Estonie ou la Slovaquie parce que le coût de la vie y est moins élevé et qu’ils auront plus de chances d’y trouver un emploi. L’attractivité de la Norvège amoindrie par le niveau de vie de ce pays qui est le plus élevé d’Europe.

On nous met parfois en concurrence avec les Espagnols, mais si le nombre de jeunes Espagnols qui partent à l’étranger a beaucoup augmenté, c’est parce que leur mobilité est probablement liée aussi au désir de s’installer dans un autre pays, essentiellement en Allemagne et au Royaume-Uni.

De nombreux pays, y compris la Roumanie et la Slovaquie, mettent à la disposition des jeunes des cours en anglais pour attirer de plus en plus d’étudiants Erasmus+. En France, mais c’est également le cas en Allemagne, nous sommes convaincus que nous devons proposer des cours à la fois en anglais et dans d’autres langues.

Concernant l’accès des plus défavorisés à un pays étranger, il est vrai que nos collègues étrangers critiquent le manque d’attractivité de notre système de formation professionnelle. Cela dit, le nombre des mobilités dans le cadre d’un stage est en très forte augmentation. Beaucoup de jeunes désirent se qualifier dans une entreprise étrangère pour y acquérir des réflexes qui leur seront utiles sur le marché français de l’emploi.

Pour ce qui est d’évaluer nos différences avec les autres pays, notre système statistique n’est pas suffisamment élaboré pour que je puisse vous répondre mais je dispose de quelques chiffres transmis par la Commission. Jusqu’en 2013, il était demandé aux agences en charge d’Erasmus+ de bien gérer les fonds, car l’élargissement avait mis de nombreuses agences en difficulté, notamment en Bulgarie et en Turquie. Aujourd’hui, en plus de bien gérer les fonds, on nous demande surtout de créer de la valeur ajoutée territoriale. Nous avons engagé des études d’impact et nous nous sommes rapprochés du Céreq afin de mieux répondre aux décideurs – parlementaires, journalistes, chefs d’entreprise – désireux de connaître la valeur ajoutée de nos programmes dans différents territoires.

J’aurai probablement plus de choses à vous dire dans deux ans lorsque le système statistique aura été amélioré, que nous pourrons comparer les études d’impact dans l’ensemble des pays et que nous connaîtrons les résultats des recherches sur la période 2010-2013.

M. Frédéric Lefebvre. Étant un défenseur de la mobilité, je salue le travail que vous accomplissez et je me réjouis d’apprendre que les étudiants français ont la volonté de partir pour embrasser le monde et compléter leur formation. C’est une bonne chose pour notre pays qui doit s’inscrire dans la mondialisation.

La mobilité est-elle plus pratiquée dans les grandes écoles ou dans les universités ?

Combien de bénéficiaires d’Erasmus suivent-ils une formation professionnalisante comme celles dispensées dans les IUT ?

Nos compatriotes ultramarins ont-ils accès à ces programmes ?

Quel est le taux de participation des apprentis français à ces programmes ? Tous les CAP sont-ils représentés ?

Les programmes Erasmus bénéficient-ils aux Français installés à l’étranger ? Sur quels critères ? Des programmes européens adaptés leur sont-ils proposés ?

Je constate dans ma circonscription que de plus en plus de jeunes Français vont effectuer un stage aux États-Unis ou au Canada, dans une entreprise ou une administration, parce qu’il devient de plus en plus difficile de trouver un stage en France, et ce sera de plus en plus vrai puisque la loi que nous avons récemment adoptée interdit les stages de plus de six mois. Les jeunes désireux d’effectuer un stage à l’étranger sont-ils de plus en plus nombreux ?

L’une des études que vous avez réalisées avec l’OFQJ – Office franco-québécois pour la jeunesse – montre que pour les personnes peu qualifiées et les décrocheurs, la mobilité à l’international produit des effets exceptionnels en termes de retour à l’emploi.

Existe-t-il des freins à la mobilité au niveau européen ? Quelles en sont les raisons ?

Mme Nicole Ameline. Nous sommes tous d’accord pour dire que la mobilité est un facteur très positif d’adaptation au monde et à l’emploi, mais où se situe la frontière entre un « séjour Erasmus » et l’expatriation motivée par le mauvais état du marché de l’emploi dans notre pays ?

Disposez-vous d’évaluations sur les choix définitifs des bénéficiaires d’Erasmus ? Combien d’entre eux font-ils carrière à l’étranger ? Quel est le pourcentage de filles ? Disposez-vous de statistiques sexuées sur les candidats à Erasmus ? Quels sont les secteurs professionnels les plus concernés par la féminisation ?

Je partage les propos de notre collègue en ce qui concerne les régions ultramarines et l’intérêt qu’il y aurait à mieux utiliser leur proximité avec les États-Unis ou l’Australie.

Élue d’une région transfrontalière avec le Royaume-Uni, je voudrais savoir si la proximité d’un territoire avec un autre pays produit des effets sensibles sur le plan de la mobilité. Quelles sont les régions concernées par cette proximité ?

Le numérique est peu développé dans notre pays mais il l’est considérablement au Canada. Cette spécialisation est-elle de nature à orienter le choix d’une implantation professionnelle ?

Mme Monique Rabin. Je salue le rayonnement de votre agence et je vous en remercie.

Notre commission d’enquête, comme l’indique son titre, s’intéresse à l’exil des forces vives. On peut parler d’exil pour les jeunes Espagnols qui, à cause de la crise économique, partent sans espoir de retour. Les jeunes Français partent-ils pour les mêmes raisons ou simplement pour enrichir leur cursus et développer leur ouverture d’esprit ?

Nous sommes en train de réfléchir à une nouvelle réforme territoriale. L’agence est-elle en relation avec les régions en ce qui concerne l’accompagnement des jeunes ? Le soutien des régions vous paraît-il suffisant ?

J’ai eu l’occasion de constater à quel point il était difficile de faire partir des apprentis en mobilité, pour des raisons liées à leurs faibles moyens mais également pour des raisons culturelles. À ce titre, les chambres des métiers et les chambres de commerce s’intéressent-elles à votre agence ?

Enfin, l’attirance de nombreux étudiants pour le programme Erasmus Mundus s’explique-t-elle par la nature des formations proposées – œnologie, culture française ? Ces personnes restent-elles dans notre pays ?

Mme Sophie Rohfritsch. Dans un monde idéal, on ne parlerait pas de mobilité au sein de l’Europe puisque nous avons un territoire commun. Il est vrai que dimanche dernier ma naïveté a été balayée…

La stratégie de votre agence a-t-elle évolué pour organiser et valoriser certaines formations – doubles ou triples diplômes, formations conventionnées ? A-t-elle une influence dans les pays qui s’associent à ces nouvelles formes de coopération ?

M. Jean-Marie Tetart. Je viens de découvrir la mobilité pour les formateurs et les bénéficiaires de la formation professionnelle continue. Mais je suppose que si les jeunes ont un besoin spontané de découvrir le monde, ce n’est pas le cas des adultes qui sont installés en tant qu’enseignants. La mobilité n’est-elle pas plus difficile pour une personne qui a une famille et un appartement ? Résulte-t-elle d’un accord entre l’enseignant et l’établissement, l’université ou l’école, ou est-elle spontanée ? Le taux de retour est-il important ? Quels sont les effectifs concernés ?

M. Antoine Godbert. Monsieur Lefebvre, le dispositif existe depuis 27 ans. Les grandes écoles se sont positionnées il y a longtemps et aujourd’hui Erasmus intéresse l’ensemble des universités et des grandes écoles.

Si la mobilité dans les formations courtes est peu développée, nous le devons malheureusement au système français, et M. Luc Chatel, en tant qu’ancien ministre de l’Éducation nationale, le sait parfaitement. Mais la situation peut être améliorée. Les formations courtes, dont les BTS, dépendant du système du secondaire, il est parfois difficile de leur appliquer des mesures destinées aux études supérieures. Erasmus+, qui ne sépare plus le secondaire, le supérieur, les études professionnelles et les formations pour adultes, devrait permettre d’améliorer la mobilité dans les formations courtes.

Tous les établissements qui souhaitent voir des étudiants partir en mobilité doivent détenir une Charte Erasmus+. Selon les statistiques, en 2014, plus de 700 établissements ont demandé à signer cette charte, dont les 90 universités, un certain nombre de grandes écoles, mais malheureusement un nombre encore insuffisant de lycées.

Je suis, comme vous, très attaché à la mobilité des ultramarins. Nous nous sommes beaucoup battus pour la promouvoir avec nos amis espagnols et portugais, mais il est plus difficile de convaincre les Estoniens et les Slovaques de la dimension ultramarine, pour une raison essentielle qui tient aux coûts de la mobilité, qui étaient identiques pour un départ en Polynésie française, en Martinique ou à Courbevoie. Depuis, grâce à la convergence entre différents États, le système de défraiement des voyages est plus favorable aux territoires ultramarins.

Mme Ameline a évoqué les échanges transfrontaliers. Nous aimerions que cette dimension transfrontalière existe dans les régions ultramarines. L’agence est allée en Martinique et en Guadeloupe pour y développer les échanges Erasmus avec la zone Caraïbe et les États-Unis. Certes, les mobilités n’y sont pas aussi importantes que dans les autres régions, mais nous constatons une nette amélioration depuis trois ans, que nous devons à l’investissement sans relâche de mes collègues de ce secteur.

J’ai été auditionné récemment sur cette question par le Conseil économique, social et environnemental – CESE –, dont le rapport, je l’espère, mentionnera que nous avons pris en compte la dimension ultramarine. C’est l’un des aspects les plus importants de l’ouverture au monde. Nous espérons que nos territoires ultramarins pourront, grâce à Erasmus+, développer plus de mobilités : à La Réunion vers l’Afrique du Sud, aux Caraïbes vers les États-Unis, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie vers l’Asie.

Je ne suis pas en mesure de contrôler que les centres d’apprentis envoient leurs élèves en mobilité. Ils doivent présenter des candidats. Nous espérons que l’accès des apprentis à la mobilité se développera, en lien avec les régions.

En ce qui concerne les stages, je ne suis pas certain que ce soit plus facile de faire un stage à l’étranger, mais il apparait que l’on acquiert plus de compétences « mondialisables » à l’étranger, particulièrement dans les PME : capacité de travailler en équipe, utilisation du numérique, connaissance d’un territoire, acquisition de compétences moins académiques.

M. Frédéric Lefebvre. Il serait intéressant de connaître l’impact de la loi relative au développement et à l’encadrement des stages.

M. Antoine Godbert. Vous avez parfaitement raison, mais il est trop tôt pour en chiffrer l’impact.

Les mobilités dans le cadre d’Erasmus durent en moyennes 6,7 mois. Erasmus+ donne à chacun la possibilité de passer un an à l’étranger, en une ou plusieurs périodes, tout au long de la vie. Cela incitera-t-il les étudiants à passer un an dans une société à l’étranger ? Je ne sais pas.

Personne, madame Ameline, ne nous a jamais demandé d’évaluer ce qui relève de l’exil.

Quant au pourcentage de filles concernées par la mobilité, nous ne faisons pas de discrimination.

Mme Nicole Ameline. Ce pourrait être une discrimination positive !

M. Antoine Godbert. Cela ne nous a jamais été demandé par les autorités nationales. Ce que je peux vous dire, c’est que nous assistons à une féminisation de plus en plus nette des mobilités, ce qui s’explique par la présence de plus en plus grande de filles dans l’enseignement supérieur.

Mme Nicole Ameline. Les statistiques sexuées ne sont pas une discrimination, bien au contraire, car évaluer la présence de filles dans telle ou telle formation permet de s’assurer par la suite de l’égalité professionnelle.

M. Antoine Godbert. Il y a un mois, nous avons engagé une étude sur cette question dans le secteur de la formation professionnelle où la féminisation est moins avancée, ce qui est dû à l’impact des familles sur la décision de mobilité. Nos faibles performances dans l’enseignement secondaire peuvent être liées à l’impact des familles dans les milieux moins favorisés, alors que les familles favorisées sont plus habituées à organiser des échanges bilatéraux afin que les jeunes puissent passer six mois à l’étranger. C’est particulièrement le cas des élèves des lycées français à l’étranger. Mais nous n’avons jamais été mandatés pour travailler sur cette dimension.

Madame la présidente, la contribution des régions à l’enseignement supérieur manque d’équité car les efforts sont très différents d’une région à l’autre. Lors de la création d’Erasmus+, il a été décidé que l’Europe contribuerait à la mobilité ainsi que l’État et les collectivités territoriales. Le système a été détourné en 2007 lorsque l’État a décidé de conditionner l’attribution des bourses au niveau de ressources, et les régions ont pris la suite. Soutenir la mobilité relève de la liberté stratégique laissée à chaque président de région. Mais où est l’équité républicaine dès lors qu’un jeune ne peut pas partir en mobilité à cause des choix stratégiques de la collectivité où il habite ?

Oui, nous sommes favorables à la réforme territoriale dans la mesure où elle apportera des ressources aux régions et aux inter-régions, évitant ainsi que les régions les plus pauvres cessent de soutenir la mobilité, ce qui, pour les jeunes, constitue une double peine. Mais pour que nous puissions accorder des bourses plus conséquentes, il faut que l’Europe renforce sa participation et que le Gouvernement décide de sortir de la volumétrie qu’il s’est fixée. Je veux bien gérer 75 000 mobilités, mais il me semblerait plus intéressant de faire évoluer les bourses pour permettre aux jeunes d’effectuer leur mobilité dans les pays de leur choix.

Améliorer la qualité de la mobilité relève d’un choix politique car une mobilité réussie apporte des compétences à un jeune Français lorsqu’il reviendra sur le marché national. En revanche, si elle n’est pas réussie, le jeune peut envisager de rester dans le pays qui l’a accueilli pour y faire tout autre chose.

La place des régions est essentielle. Le budget du nouveau programme Erasmus+ permettra, dans le cadre des partenariats stratégiques, d’engager des projets territoriaux entre les collectivités locales, les acteurs académiques et les entreprises.

Nous regrettons que la loi relative à la formation professionnelle ainsi que la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche aient été adoptées en décalage au moment précis où nous lançons le programme Erasmus+. Mais ces deux textes existent désormais et nous allons nous y adapter.

S’agissant des doubles et triples diplômes, madame Rohfritsch, la défense de la double diplômation est l’un des éléments du nouveau programme Erasmus+. En plus des programmes d’études Erasmus Mundus, réservés aux doctorants et aux mastériens, nous favoriserons désormais les masters conjoints. Les préoccupations de l’Union européenne rejoignent celles du Gouvernement et de tous les pays qui participent au Processus de Bologne.

L’espace de la mobilité dans l’enseignement supérieur en Europe s’est considérablement amélioré depuis 1999 et cela de manière très rapide. En revanche, pour la formation professionnelle, cet espace reste à créer.

Madame Ameline, la dimension transfrontalière n’existe pas en tant que telle dans le nouveau programme, mais, avec nos collègues des pays voisins, nous entendons promouvoir les mobilités transfrontalières afin de renforcer les liens entre collectivités voisines.

Monsieur Tetart, Erasmus a été un succès majeur, c’est pourquoi, avec le soutien des députés européens, nous avons obtenu une augmentation du budget en 2013. En revanche, la mobilité des formateurs est en panne, pour des raisons que vous avez citées, mais également du fait de la difficulté pour l’administration d’intégrer l’idée selon laquelle passer du temps à l’étranger est une plus-value positive. Nous proposons une formation particulière aux jeunes chefs d’établissement, inspecteurs d’académie et directeurs des services départementaux de l’Éducation nationale pour qu’ils comprennent à quel point il est utile de renforcer la motivation des enseignants, dont 10 à 15 % sont très intéressés par les projets Erasmus+.

La mobilité doit être également intégrée dans la formation des adultes. En tant que coordinateur de l’agenda européen pour l’éducation et la formation des adultes, j’ai beaucoup travaillé, avec l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, pour concrétiser les projets du programme Comenius. Tant que l’agenda européen sera piloté par la France, ce programme restera une priorité politique, mais qu’adviendra-t-il ensuite ?

Actuellement nous axons nos efforts sur les jeunes. Si nous voulons que le système soit performant à long terme, dans un monde qui évolue extraordinairement vite, nous devrons renforcer les compétences formelles et informelles. La feuille de route que nous avons mise en place avec tous les acteurs de la formation des adultes permettra, je l’espère, de lutter avec efficacité contre l’illettrisme.

En ce qui concerne les moyens mis en œuvre, 5 % du budget d’Erasmus+ sont consacrés à la formation des adultes et à la lutte contre l’illettrisme contre 25 % à la formation professionnelle, 50 % à l’enseignement supérieur, le reste étant affecté à la dimension internationale et à la mise en place de nouveaux outils d’accréditation.

Je suis naturellement à votre disposition pour vous faire parvenir une présentation plus détaillée du programme Erasmus+.

M. Régis Juanico. Avec mon collègue Jean-Frédéric Poisson, nous nous sommes rendus l’an dernier à Copenhague dans le cadre de la mission menée par le Comité d’évaluation et de contrôle – CEC – de l’Assemblée nationale sur la mobilité sociale des jeunes. Nous y avons rencontré de jeunes apprentis du centre de formation – CFA – de Rouen qui effectuaient un stage de trois semaines dans le cadre de leur brevet d’électricien. Nous avons constaté que cette expérience les avait marqués et nul doute qu’elle facilitera leur insertion sur le marché du travail. Il est clair que de telles expériences doivent être développées.

L’offre de mobilités géographiques doit être plus lisible, c’est pourquoi nous avons suggéré de mettre en place un portail national de la mobilité. Les opérateurs de la mobilité, dont l’Agence française du programme européen « Jeunesse en action », Erasmus+ Jeunesse & sport, l’OFQJ et l’OFAJ – Office franco-allemand pour la jeunesse – ont commencé à se rapprocher, mais qu’en est-il depuis quelques mois ? Ce rapprochement a-t-il amélioré l’efficacité des dispositifs en direction des jeunes ?

M. Antoine Godbert. Sans dévoiler des informations qui seront communiquées dans le cadre du Comité interministériel sur la mobilité qui se tiendra le 18 juin prochain, je crois pouvoir dire que les cinq groupes de travail aboutiront à la création de plateformes régionales, à charge pour les régions et les opérateurs de se mettre d’accord sur les efforts financiers qu’il leur faudra consentir. Il est vrai qu’en matière d’accès à la mobilité, les différences entre les régions sont énormes.

Sur le plan de la formation professionnelle, nous avons essayé de progresser, mais dans un contexte législatif en mutation ce n’était pas évident. Les choses étant plus claires, j’espère que nous pourrons avancer.

L’ordinateur étant le principal outil d’information utilisé par les plus jeunes, il est important qu’ils puissent découvrir la mobilité en un clic sur Internet. Le prochain comité interministériel proposera probablement de créer un outil informatique, dont j’espère qu’il sera aussi pratique que la plateforme sur Internet que nous avons mise en place avec le conseil régional et la direction de la jeunesse de la région Provence Alpes Côte-d’Azur pour développer les mobilités entre l’Europe et les pays méditerranéens. Nous allons essayer de faire progresser d’autres régions. Ainsi, avec le conseil régional de la région Nord, nous nous sommes associés à EuroSkills afin de faciliter les mobilités intra-régionales, que les partenariats stratégiques territorialisés, nous l’espérons, permettront de développer.

Mme Monique Rabin, présidente. Je vous remercie pour l’éclairage intéressant que vous nous avez apporté.

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Audition du mardi 3 juin

À 16 heures 15 : Mme Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus-France (Agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale).

M. Yann Galut, rapporteur. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus France.

Créé en 2010, Campus France est un établissement public chargé de la promotion de l’enseignement supérieur, de l’accueil et de la gestion de la mobilité internationale des étudiants, des chercheurs, des experts et des personnalités invitées.

Notre commission d’enquête a pour objet l’expatriation des Français, notamment des étudiants et des jeunes diplômés. Cependant, nous ne pouvons pas nous désintéresser du mouvement inverse, à savoir la venue en France d’étudiants étrangers.

Au-delà des évolutions quantitatives que vous nous indiquerez, constatez-vous une évolution plus qualitative des motivations ou des attentes des jeunes étrangers qui viennent étudier en France ? Qu’est-ce qui les attire dans notre pays ? D’après ce que vous en savez, la France est-elle leur premier choix ? Bref, comment se place notre pays par rapport à ses partenaires pour attirer chez elle de jeunes étrangers ?

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Béatrice Khaiat prête serment)

Mme Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus France. Campus France a succédé à l’agence EduFrance, à la tête de laquelle j’étais déjà. C’est donc depuis 2000 que je puis dire comment a évolué le rapport des étudiants étranges à la France et si notre pays a su répondre à l’accroissement de la mobilité internationale des jeunes.

L’accueil des étudiants étrangers a lieu dans un univers très concurrentiel. On compte 4 millions d’étudiants en mobilité dans le monde : ce nombre a quadruplé depuis 1975. Et l’Unesco dit qu’il y en aura bientôt 7 millions.

Comment faire pour attirer les étudiants étrangers ? La France a une longue tradition d’accueil, mais elle n’est pas le seul pays à en avoir une. Tous les grands pays développés cherchent à attirer des étudiants étrangers et désormais, tous les pays qui auparavant envoyaient leurs étudiants à l’étranger, cherchent aussi à en recevoir. En 2013, en accueillant 290 000 étudiants étrangers, la France a consolidé sa troisième place, derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne qui en accueillent respectivement 750 000 et 430 000, et devant l’Australie qui en accueille 250 000, l’Allemagne 207 000 et la Russie 170 000. Il y a quinze ans, l’Australie ne figurait pas du tout dans ce palmarès. Il faut savoir également que dès 1925, l’Allemagne créait un organisme ad hoc alors qu’il a fallu attendre 1998 pour que soit créé Edufrance. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont l’avantage que leur confère la langue anglaise. La langue française peut toutefois être elle aussi un avantage, nous y reviendrons.

Comment nous maintenons-nous dans cette compétition mondiale ? Tout d’abord, tout le monde aime la France, ce pays où, comme il se dit, « sky is the limit ». Très rares sont les gens qui n’aiment pas la France et on est sûr qu’un étudiant étranger venu étudier en France repartira en l’aimant. En 2012, Paris a été élue meilleure ville étudiante du monde.

En quinze ans, notre système d’enseignement supérieur a su évoluer de façon très positive. Nos campus, qui étaient horribles, se sont beaucoup améliorés – il suffit de voir Jussieu ! – grâce au Plan Campus, mais aussi à l’investissement des régions. Les services de relations internationales se sont étoffés, leurs effectifs ayant même quintuplé, et ont gagné en professionnalisme. Les services de la vie étudiante ont quasiment tous mis en place des guichets uniques : les étudiants étrangers peuvent ainsi à la rentrée effectuer en un même lieu les démarches concernant le CROUS, la caisse d’allocations familiales, la préfecture… ce qui constitue un progrès considérable. Les CROUS ont aussi mis en place un site internet, Lokaviz, proposant à tous les étudiants, français ou étrangers, des logements dans ses propres résidences ou dans des familles, et développé un dispositif de caution, Clé, qui permet aux étudiants étrangers, moyennant une somme modique, d’avoir accès à une caution. Des régions ont mis en place des dispositifs analogues de caution à leur intention. Les systèmes d’inscription aussi se sont considérablement améliorés : il y a quinze ans, on demandait aux étudiants d’adresser des timbres français, des chèques français… dans des services qui étaient de surcroît fermés l’été. Il existe maintenant des sites internet en plusieurs langues qui ont permis que soit généralisée l’inscription en ligne.

Dans la sinistrose ambiante, il importe de dire aussi ce qui va bien : l’enseignement supérieur français s’est beaucoup amélioré.

Certaines de nos universités proposent aussi maintenant des formations en anglais. Moins de 200 au début, ces formations sont aujourd’hui au nombre de 800. 

Le dispositif des visas aussi a été simplifié. La première année, le visa vaut titre de séjour et bientôt, les titres de séjour vaudront tout le temps des études. Pour un master, il sera valable deux ans, pour un doctorat, trois ans. Le ministère de l’Intérieur lui-même a mis en place des missions pour améliorer l’accueil des étudiants étrangers dans les préfectures.

Nous sommes conscients de nos faiblesses et nous faisons tout pour y remédier. Aujourd’hui, la France a une image très positive auprès des étudiants étrangers. Campus France possède des bureaux dans 200 pays et 400 de nos personnels travaillent à l’étranger. Dans les ambassades de France, il y a aujourd’hui une antenne Campus France.

Grâce à tout cela, la France a pu maintenir sa troisième place mondiale pour l’accueil d’étudiants étrangers.

Pour autant, sa « part de marché » relative a diminué. En effet, alors que la mobilité étudiante dans le monde a augmenté de 31 % depuis cinq ans, le nombre d’étudiants étrangers en France n’a augmenté que de 14 % sur la même période.

Tous les pays émergents souhaitent désormais eux-aussi devenir des pays d’accueil pour les étudiants et beaucoup le sont devenus : c’est le cas de l’Afrique du Sud, de la Malaisie, de la Corée du Sud, des Émirats arabes unis, de Singapour, de l’Arabie Saoudite, du Maroc, de la Turquie, du Brésil, de l’Argentine…

Avons-nous ressenti un quelconque effet de la crise sur l’accueil des étudiants étrangers ? La crise économique qui sévit en Europe n’a pas eu tellement d’impact car le premier pays européen qui envoie des étudiants en France est l’Allemagne. Or, ce pays se porte bien et continue d’envoyer des étudiants chez nous. La Grèce, pour sa part, n’en envoie plus du tout ou très peu. En revanche, l’Italie, bien qu’ayant subi la crise, continue d’en envoyer autant.

En revanche, la crise des printemps arabes a eu un impact. La Syrie, la Libye, la Tunisie, l’Égypte… nous envoient moins d’étudiants. Mais ces crises sont localisées, tandis que presque partout dans le monde se développent des classes moyennes, ce qui constitue un gisement potentiel important d’étudiants étrangers. Ainsi les Émirats arabes unis, l’Iran ou l’Arabie saoudite envoient de plus en plus d’étudiants étrangers dans le monde.

Dans quelle proportion des jeunes étrangers venant étudier en France restent-ils pour leur premier emploi ? Comment améliorer cette proportion ?

La France n’est ni l’Australie ni le Canada. Ce n’est pas un pays où on va étudier pour rester ensuite parce qu’il y a des possibilités d’immigration économique. Une vaste enquête SOFRES portant sur 20 000 étudiants étrangers montre que la France n’est plus une destination choisie dans la perspective d’un premier emploi. Seul un étudiant sur trois qui a choisi la France a fait entrer ce facteur dans les motivations de son choix. En revanche, une fois qu’ils sont en France, les deux tiers aimeraient bien pouvoir y acquérir une première expérience professionnelle. Parmi ces deux tiers, seul un sur trois y parvient, soit 20 % de l’ensemble des étudiants étrangers en France. Mais il s’agit la plupart du temps de stages ou de contrats à durée déterminée et très peu peuvent acquérir une longue expérience professionnelle. On estime que moins de 10 % atteignent au moins deux ans d’emploi en France.

La question du coût d’un étudiant étranger est récurrente, et pas seulement en France. Faire payer davantage les études des jeunes étrangers en France serait-il une bonne idée ?

Je considère que c’est une mauvaise idée et je juge même dommage d’y penser. Si on part du principe que le coût d’un étudiant étranger est le même que celui d’un étudiant français, un étudiant en sciences humaines coûte donc environ 6 000 euros par an, et un étudiant en sciences dures environ 9 000 euros par an. On ne parle jamais du coût d’un étudiant en classe préparatoire, qui s’élève pourtant à 28 000 euros par an – on compte quelque 60 000 élèves de classes préparatoires. Si on veut vraiment trouver de l’argent pourquoi ne pas aller le chercher de ce côté ? Ceci n’est pas de ma responsabilité cependant.

Un étudiant étranger ne représente qu’un coût marginal, les étudiants étrangers ne représentant que 12 % de la population étudiante totale. On peut aussi considérer qu’ils apportent quelque chose à notre pays. Ils apprennent le français, ils dépensent de l’argent en France, ils font venir leurs amis et leurs familles… Il faudrait évaluer tout cela. Beaucoup de pays, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, sont en train d’effectuer ce calcul. Nous allons nous aussi lancer une grande étude avec la SOFRES pour savoir combien d’un côté coûte un étudiant étranger et combien d’un autre côté il rapporte à la France.

Les étudiants étrangers des grandes écoles paient leurs études puisque les grandes écoles sont payantes. Une différenciation des frais n’est pas possible pour les étudiants en provenance des autres pays de l’Union européenne – ils sont 60 000 –, ne peuvent pas payer plus que ne paient les étudiants français. Par ailleurs, il y a les étudiants étrangers auxquels l’État français a accordé une bourse – ils sont environ 10 000 par an – et qui, de ce fait, sont exemptés de frais de scolarité. S’agissant des doctorants, ils sont au contraire rémunérés. Pour ce qui des étudiants en master, il faut savoir qu’en France, un master se fait en deux ans contre un an seulement en Grande-Bretagne, à quoi doit s’ajouter environ une année pour apprendre le français. Si on augmente beaucoup les frais de scolarité il n’est pas certain qu’au total, il ne serait pas moins coûteux d’aller étudier en Grande-Bretagne. Enfin, comme nous accueillons 150 000 étudiants qui viennent d’Afrique et du Maghreb : si on augmentait fortement les droits, il faudrait sans doute en compensation accorder davantage de bourses, si bien qu’au total on dépenserait sans doute davantage.

Il serait par ailleurs inimaginable de faire payer davantage sans améliorer le service rendu. Il faudrait, comme dans les pays anglo-saxons, offrir des campus de toute première qualité, des logements faciles à trouver… Il faudrait aussi une politique de visas plus souple - en Australie, on obtient un visa en 48 heures… Des investissements seront donc nécessaires.

En 2011, la Suède a augmenté très fortement les droits d’inscription pour les étudiants étrangers. Dès l’année suivante, on y dénombrait 79 % d’étudiants étrangers en moins ! Quant à la Grande-Bretagne, il y a deux ans, elle a augmenté les frais d’inscription pour les étudiants britanniques et européens, mais pas pour les étudiants des autres pays. Au final, on le voit, peu de pays ont eu cette « bonne » idée !

Et puisqu’on se plaît en France à toujours se comparer à l’Allemagne, pourquoi ne se compare-t-on pas aussi sur ce plan-là ? En effet, non seulement, l’enseignement y est totalement gratuit mais le pays accorde 50 000 bourses par an – contre 8 000 à 10 000 seulement en France. Si nous voulions soutenir la comparaison avec notre voisin allemand, non seulement il faudrait donc instituer la gratuité mais octroyer davantage de bourses.

S’ils doivent en définitive payer cher, les étudiants étrangers préféreront toujours l’original à la copie et iront étudier dans les pays anglo-saxons. Si nous adoptions le système anglo-saxon, quel serait pour eux l’intérêt de venir en France ?

Il faudrait de plus songer à mettre en place des prêts étudiants comme dans les pays anglo-saxons où il est courant que les étudiants s’endettent pour leurs études. Mais il faut ensuite qu’ils puissent rembourser et donc aient un travail. On voit le cercle vicieux !

Faire payer davantage ne serait vraiment pas une bonne idée. Cela serait difficile à mettre en œuvre et cela ne rapporterait sûrement pas autant qu’on veut bien le croire.

Selon l’enquête TNS menée par Campus France auprès de 20 000 étudiants, 45 % des étudiants ayant choisi la France déclarent avoir hésité avec un autre pays. L’attractivité de la France diminue-t-elle ou est-ce la concurrence entre les pays développés pour attirer les jeunes qui s’est renforcée ?

Les étudiants consultés déclarent avoir hésité en premier avec le Canada puis dans l’ordre les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Belgique – l’Allemagne progressant fortement. Pour autant, la France reste la troisième destination. Même s’ils hésitent, les étudiants continuent de la choisir.

Les facteurs négatifs qui font hésiter les étudiants étrangers sont le manque de débouchés professionnels, notamment par rapport aux États-Unis, au Canada, à la Grande-Bretagne et à l’Australie, le classement de Shanghai dans lequel notre pays est peu présent, la circulaire Guéant qui, même si elle a été abrogée, a donné un signal négatif, la rigidité de la politique des visas ainsi que la politique d’accueil dans les préfectures, la difficulté et le coût du logement. Enfin, je ne crois pas que le résultat du vote aux dernières des élections européennes améliore l’image de la France dans le monde. L’expression d’un tel sentiment nationaliste peut porter un coup à l’attractivité de notre pays.

Celle-ci a beaucoup diminué dans un domaine où elle était traditionnellement forte, la médecine. Les French doctors sont connus dans le monde entier… Comme on a rendu très compliqué de faire des études de médecine en France, les effectifs d’étudiants étrangers en médecine ont diminué de 12 % en 5 ans.

Dans ces conditions, quelles sont les motivations des étudiants étrangers à venir en France ? La langue française constitue-t-elle un obstacle ?

Les principales motivations d’un étudiant étranger pour venir en France sont, tout d’abord, la qualité et la réputation de l’enseignement, en deuxième lieu, le style de vie
– culture, loisirs, gastronomie… –, en troisième lieu, la valeur des diplômes, enfin, l’apprentissage du français ou l’amélioration de sa connaissance. L’apprentissage de la langue vient en effet en dernier. Ainsi des étudiants chinois qui n’ont pas appris le français en Chine ne viendront jamais dans notre pays, sauf si nous développions considérablement les cours dispensés en anglais, et encore n’est-ce pas sûr.

Par ailleurs, la France attire-t-elle surtout des profils « haut diplômés » ou le spectre est-il plus large ?

En réalité, la répartition des étudiants par niveau reste stable : 45 % en licence, 43 % en master et 12 % en doctorat. Une particularité en France est que 40 % des doctorants y sont étrangers : sans les étudiants étrangers, nous n’aurions que très peu de doctorants. 60 % de ces doctorants aimeraient avoir la possibilité de rester en France, mais moins de 20 % arrivent à y acquérir une première expérience professionnelle à l’issue de leur doctorat. Concernant les étudiants de niveau licence et master, nous ne disposons pas vraiment de statistiques.

Le départ des jeunes Français à l’étranger s’accélère-t-il ? Je dirais plutôt qu’il se normalise. Avec 1,6 million de Français expatriés, on est très en-dessous de la Grande-Bretagne qui a 4,8 millions de ses ressortissants à l’étranger, l’Allemagne 4,2 millions et l’Italie 3,5 millions. À plus de 60 %, les Français expatriés sont installés en Europe : Suisse, Belgique, Allemagne, Angleterre…, ce qui correspond aux pays où ils ont fait leurs études. 60 % des étudiants français qui vont faire leurs études à l’étranger le font en Europe, mais l’Europe, qui est un peu notre patrie, n’est plus vraiment l’étranger. Il y a un lien évident entre la destination d’étude et le pays d’expatriation.

La balance entre les jeunes Français qui partent et les jeunes étrangers qui viennent est-elle équilibrée ? Non. En effet, on dénombre 65 000 Français qui partent, tandis que 290 000 étrangers viennent. Toutefois, avec 65 000 jeunes partant étudier à l’étranger, nous nous classons quand même en très bonne position pour l’envoi d’étudiants à l’étranger, puisque seuls la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite en envoient plus que nous. Derrière nous, on trouve les États-Unis, la Malaisie, le Vietnam, l’Iran, la Turquie, l’Italie, la Russie…

Je veux souligner que cette mobilité sortante est un marqueur social considérable. Sur ces 65 000 étudiants, 40 000 en effet viennent des grandes écoles, alors même que le nombre d’étudiants dans ces établissements est infiniment plus faible qu’à l’université.

M. Frédéric Lefebvre. J’ai écouté votre propos avec attention et partage un certain nombre de vos analyses.

S’agissant des frais de scolarité, quel est l’état des discussions et des consultations avec le Gouvernement sur le sujet ?

Notre pays est le troisième au monde pour l’accueil d’étudiants étrangers. Vous avez dit que seul un étudiant étranger sur trois venait en France dans la perspective d’y travailler ensuite, en disant que ce n’était pas beaucoup. Pour ma part, je trouve que ce n’est pas mal. Quelles sont les motivations de ceux qui ne viennent pas pour travailler, et parmi elles quelle est la première ?

Mme Béatrice Khaiat. Sans doute me suis-je mal exprimée. Les étudiants étrangers viennent en France d’abord pour la qualité de l’enseignement ; en deuxième lieu pour le style de vie, la culture, l’image de notre pays…

M. Frédéric Lefebvre. Quels sont les pourcentages pour chacune de ces motivations ?

Mme Béatrice Khaiat. Cela, je ne peux vous le dire exactement.

J’ai dit que parmi les doctorants, qui représentent 12 % du total des étudiants étrangers, un tiers souhaite ensuite rester. Lorsqu’ils arrivent en France, ils n’ont pas l’idée d’y rester, puis une fois qu’ils y ont étudié, un tiers d’entre eux souhaiterait pouvoir continuer d’y travailler.

M. Frédéric Lefebvre. Il serait intéressant que nous disposions d’éléments chiffrés complémentaires.

Mme Monique Rabin, présidente. Vous pourrez, madame, remettre les documents en votre possession à notre commission qui en assurera la diffusion à ses membres.

M. Frédéric Lefebvre. Quels sont les principaux pays d’origine des étudiants étrangers en France ?

Mme Béatrice Khaiat. Le Maroc : 32 000 étudiants ; la Chine : 30 000 ; l’Algérie : 23 000 ; la Tunisie : 12 000 ; le Sénégal : 9 000 ; l’Allemagne : 9 000 ; l’Italie : 8 500 ; le Cameroun : 7 400 ; le Vietnam : 6 300 ; l’Espagne : 6 000 ; la Russie : 5 000 ; le Brésil : 5 000 ; les États-Unis : 4 700 ; le Liban : 4 500 ; la Roumanie : 4 500 ; la Côte d’Ivoire : 4 500 ; Madagascar : 4 500 ; le Gabon : 4 000 ; la Belgique : 4 000 ; le Portugal : 4 000. Ces chiffres émanent du ministère de l’Enseignement supérieur.

M. Frédéric Lefebvre. 60 % des étudiants français qui partent étudier à l’étranger vont en Europe, tandis que les étudiants européens ne constituent qu’une toute petite part des étudiants étrangers qui viennent étudier en France.

Mme Béatrice Khaiat. 50 % des étudiants étrangers viennent d’Afrique, y compris le Maghreb, 17 % d’Asie, 8 % d’Amérique et en effet seulement 25 % d’Europe.

M. Frédéric Lefebvre. Comment a évolué l’attractivité de la France dans le domaine de la recherche, c’est-à-dire pour les doctorants et les post-docs ?

Mme Béatrice Khaiat. Elle est stable. Nous avons toujours 12 % de doctorants.

M. Frédéric Lefebvre. Lors du débat qui a eu lieu au Québec au sujet des frais de scolarité applicables à nos compatriotes que les premiers ministres, le nouveau comme le précédent, ont mis en avant – le sujet est important car il y a 12 000 étudiants français au Québec –, les étudiants français se sont mobilisés, le consulat et moi-même, qui suis le député des Français de l’étranger pour la circonscription d’Amérique du Nord, nous sommes nous aussi mobilisés afin que l’accord de 1978 soit préservé. Cet accord fait que les étudiants français sont avantagés, y compris par rapport à des étudiants canadiens d’autres provinces. D’où d’ailleurs le problème soulevé. La question s’est trouvée aussitôt posée de la contrepartie pour les étudiants québécois en France. Il faudrait d’abord savoir combien ils sont.

Mme Béatrice Khaiat. Très peu nombreux.

M. Frédéric Lefebvre. Je sais que le Gouvernement réfléchit aux frais de scolarité applicables aux étudiants étrangers en France, sachant que les étudiants européens doivent être traités de la même façon que les étudiants français. Traiterait-on les étudiants québécois de la même façon que les étudiants européens, en contrepartie de l’accord de 1978 ?

Campus France a-t-il été officiellement consulté par le Gouvernement à ce sujet ?

Mme Béatrice Khaiat. Non.

M. Régis Juanico. Merci, madame la directrice générale, pour les chiffres que vous avez fournis dans votre propos liminaire et d’avoir dit que les étudiants étrangers ne constituaient pas seulement un coût pour notre pays, mais aussi une richesse, un atout. En effet, soit qu’ils connaissent déjà notre langue, soit qu’ils l’apprennent au cours de leurs études, ils deviendront ensuite des ambassadeurs de notre pays, de notre culture, de notre histoire…

Quelques mots des freins à l’attractivité de notre pays. Y a-t-il eu des améliorations depuis l’abrogation de la circulaire Guéant ? Les conditions assez restrictives de délivrance des visas pour les étudiants étrangers constituent-elles un frein à l’accueil d’étudiants étrangers ?  À l’appui de sa demande, l’étudiant doit justifier d’un hébergement et de ressources minimales de 615 euros par mois, ce qui suppose bien souvent qu’il travaille, cela étant dit, les étudiants français sont aussi nombreux à travailler occasionnellement ou tout au long de l’année pour payer leurs études…

Enfin, quelles relations Campus France entretient-il avec les autres acteurs de la mobilité internationale, notamment les organismes qui s’occupent du départ des étudiants français à l’étranger ? Collaborez-vous au quotidien avec l’Agence Europe-Education-Formation-France – 2E2F– , les responsables d’Erasmus et l’Agence Erasmus jeunesse et sports ?

M. Alain Rodet. Pourriez-vous nous en dire davantage quant à l’incidence du classement de Shangaï sur l’attractivité de notre enseignement supérieur pour les étudiants étrangers ?

Mme Sandrine Doucet. Merci, madame, de votre exposé détaillé qui complète utilement les auditions que j’ai pu mener sur le programme Erasmus pour le compte de la commission des Affaires européennes.

Comment les étudiants étrangers choisissent-ils les universités qu’ils vont fréquenter ? Vous avez rappelé la faible visibilité des établissements français dans le classement de Shanghai. Nous savons aussi les débuts difficiles du classement européen EU Multirank qui repose sur d’autres critères que celui de Shanghai et a le mérite d’intégrer des critères concernant la vie étudiante. Quelle est la visibilité du système universitaire français à l’étranger ? L’un des objets de la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur et la recherche était de l’améliorer.

M. le rapporteur. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur les effets qu’a eus la circulaire Guéant ? Que s’est-il passé depuis son abrogation ?

Campus France aurait-il des préconisations à faire au Gouvernement et aux autorités compétentes pour faciliter la délivrance des visas aux étudiants étrangers ? Une commission d’enquête étant aussi une force de proposition, cela peut nourrir notre réflexion. Nous avons un objectif partagé dans cette commission qui est de renforcer l’attractivité de notre pays et nous savons tous que les étudiants étrangers qui ont étudié dans notre pays en sont ensuite les meilleurs ambassadeurs.

Je n’avais pas réalisé que sur les 60 000 étudiants français qui partent à l’étranger, 40 000 viennent des grandes écoles.

Mme Béatrice Khaiat. Personne ne souligne jamais cet incroyable marqueur social. Je le dis de façon volontiers provocatrice, plus on est pauvre dans notre pays, plus on n’a que le jihad comme opportunité de mobilité. Avec la télévision, avec internet, chacun sait qu’on voyage, voit des images de voyage mais très peu de gens ont de réelles possibilités de voyager…

M. le rapporteur. Je n’avais pas ressenti qu’il y ait une aussi grande différence sociale lorsque nous avons auditionné le responsable du programme Erasmus. L’éclairage que vous nous apportez m’interpelle fortement.

M. Frédéric Lefebvre. Si les étudiants des grandes écoles partent autant à l’étranger, c’est aussi parce que cela fait partie de leur cursus.

Mme Béatrice Khaiat. Dans les écoles de commerce, c’est obligatoire. Mais qui fréquente les grandes écoles ?

M. Frédéric Lefebvre. Il suffirait que les universités intègrent davantage la mobilité et la mondialisation. Ce n’est pas seulement une question sociale, mais aussi de mauvaise appréhension de la mondialisation. Notre société et notre système universitaire ont peur de s’inscrire dans la mondialisation.

Le bac international, accepté par certaines grandes écoles, est refusé par beaucoup d’universités. Il y a des gens qui choisissent l’université parce qu’ils préfèrent son mode d’enseignement. Mais ils regrettent qu’elle ne soit pas assez ouverte sur le monde.

Mme Sandrine Doucet. Comme les étudiants partent à l’étranger à partir de la licence, il faut donc que leurs parents aient pu leur payer des études de niveau bac+3. Cela opère déjà une certaine sélection sociale.

C’est bien aussi une question financière. En effet, avec le programme Erasmus, plus démocratique que son prédécesseur en ce qu’il prévoit un financement supérieur de 60 %, beaucoup plus d’étudiants et surtout des apprentis pourront partir.

Pour ce qui est des grandes écoles, la mobilité à l’étranger est obligatoire pour leurs étudiants.

Mme Béatrice Khaiat. C’est vrai pour les écoles de commerce, moins vrai pour les écoles d’ingénieurs.

Ce que vous dites, monsieur Lefebvre, concernant l’université n’est pas tout à fait juste, car tout étudiant à l’université peut bénéficier du programme Erasmus. Or, beaucoup ne le font pas.

M. Frédéric Lefebvre. Parmi les étudiants français qui viennent aux États-Unis, mais c’est aussi vrai au Canada, beaucoup souffrent que la France n’investisse pas assez dans le système d’accueil des étudiants à l’étranger, contrairement à ce que font d’autres pays, notamment asiatiques, qui mettent en place des systèmes d’entraide pour aider leurs étudiants à trouver un logement, un job… La question qui doit nous occuper n’est pas seulement celle des étudiants étrangers en France mais aussi celle de nos étudiants à l’étranger, en Europe et partout dans le monde. Je vois très souvent aux États-Unis et au Canada des étudiants français « projetés » dans le système d’enseignement supérieur de ces pays sans aucune aide. Ils sont souvent partis sac au dos, quasiment contre le système de notre pays !

Mme Monique Rabin, présidente. Campus France travaille-t-il étroitement avec les régions qui s’investissent tant sur la mobilité « entrante » que sur la mobilité « sortante » et cherchent à combler les manques de la politique de l’État ? Jugez-vous efficace cette politique décentralisée ?

On s’aperçoit sur le terrain qu’il peut y avoir des mobilités à l’étranger tout à fait extraordinaires. Je pense par exemple à celles organisées par les maisons familiales rurales, qui durent entre trois et six mois, dans des pays comme les pays baltes ou de l’ex-Europe de l’Est. Les maisons familiales s’investissent très fortement dans ces projets et, à leur retour, les jeunes connaissent une véritable réussite. C’est peut-être vers de telles expériences qu’il faudrait aller. Ce serait de nature à atténuer l’effet marqueur social dont vous avez parlé.

Un dernier mot sur l’intitulé de notre commission d’enquête. Parler « d’exil des forces vives de France » est très négatif. À titre personnel, j’espère qu’à la fin de nos travaux, nous aurons pu nous accorder sur un autre intitulé car celui-ci vise plutôt l’exil fiscal, l’exil financier, alors qu’ici nous parlons de la dynamique positive que constitue l’échange des hommes, des savoirs et des cultures.

Pensez-vous qu’à travers l’enseignement et la formation que notre jeunesse pourrait suivre à l’étranger, les forces vives de notre pays pourraient s’en trouver happées ou y voyez-vous au contraire un atout ?

Mme Béatrice Khaiat. Je ne pense pas que vous vous interrogiez sur l’opportunité que représente pour un jeune la possibilité d’aller étudier à l’étranger, qui est évidente, mais sur « l’exil des forces vives » qui peut s’en suivre si le jeune reste ensuite à l’étranger.

La France était en retard dans l’expatriation. Il a, hélas, fallu attendre la crise pour que nous rattrapions ce retard. Des diplômés sans travail, des salaires pour les débutants, y compris au niveau des cadres, qui ont drastiquement diminué, des maîtres de conférence titulaires d’un doctorat payés seulement 1 700 euros par mois : voilà ce qui interroge.

Comment dans une économie mondialisée, où on vante la libre circulation des capitaux, pourrait-on entraver la libre circulation des personnes ? Pour ma part, je pense que même si nos jeunes partis étudier à l’étranger ne reviennent pas, ce n’est pas dramatique. L’Inde s’est bien construite avec la Silicon Valley ! Ce n’est pas parce qu’on ne réside pas dans son pays qu’on ne l’aime pas ou qu’on n’a plus de liens avec lui.

Pour le reste, le mot « exil » est, en effet, horrible. J’espère qu’il n’y aura pas d’exil, mais je pense à d’autres raisons.

J’en viens aux autres questions qui m’ont été posées. Non, Campus France ne travaille pas avec l’agence 2E2F. C’est une conception antique que d’avoir deux organismes, l’un qui gère la mobilité « sortante » et l’autre la mobilité « entrante ». Cela n’a aucun sens et d’ailleurs aucun autre pays n’a ainsi deux agences – la Grande Bretagne n’a que le British Council, l’Allemagne le DAAD… Il serait donc logique que Campus France et 2E2F soient regroupés. Toute université qui aujourd’hui noue des partenariats cherche à la fois à faire partir ses étudiants à l’étranger et à faire venir des étudiants étrangers chez elle, et de même pour ses enseignants et ses chercheurs.

La circulaire Guéant a été abrogée fin 2012. Les derniers chiffres dont nous disposons datent de juin 2013, si bien qu’on n’a pas assez de recul pour apprécier les conséquences de cette abrogation. Notre pays a quand même maintenu sa place, mais pour d’autres raisons je pense.

Que pourrions-nous proposer en matière de délivrance des visas ? Les étudiants américains qui voudraient venir étudier le français en France ont besoin d’un visa s’ils souhaitent séjourner plus de trois mois dans le pays. Dès lors, que font-ils ? Ils vont apprendre le français au Québec ! Pourquoi exiger un visa pour une personne souhaitant seulement apprendre le français ? On ne peut pas venir apprendre le français en France si cela ne s’inscrit pas dans un projet d’études. On crée les mêmes ennuis aux Japonais, aux Coréens…, autant de jeunes pourtant à fort pouvoir d’achat qui pourraient venir en France dépenser de l’argent en même temps qu’ils étudieraient ! Quel sens cela a-t-il d’exiger des visas pour les étudiants brésiliens, argentins… ? Pour beaucoup de pays, il faudrait soit carrément supprimer les visas, soit au moins allonger la durée de séjour possible sans visa – jusqu’à neuf mois par exemple. Il faudrait qu’il soit possible de venir apprendre le français en France sans visa.

Campus France a-t-il été saisi officiellement par le Gouvernement de la question des frais de scolarité pour les étudiants étrangers ? Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, dirigé par Jean Pisani-Ferry, conduit une réflexion sur de multiples points, dont la question de savoir s’il faut faire payer davantage les étudiants étrangers. Pour ma part, je ne comprends pas pourquoi on réfléchit à cela dans notre pays qui précisément attire dans le monde par l’idéal de 1789 et sa devise « Liberté, égalité, fraternité ». La France des boutiquiers, elle, n’attire personne, surtout quand il est de surcroît difficile d’y trouver du travail. Si l’on entre dans une logique anglo-saxonne, il faut y entrer totalement. Le risque pour la France est de se retrouver au milieu du gué, à savoir d’appliquer des frais de scolarité analogues à ceux des établissements anglo-saxons, sans proposer en contrepartie les mêmes services.

Comment les étudiants étrangers choisissent-ils leur université ? Campus France possède 200 bureaux dans le monde, soit dans quasiment tous les pays. Non seulement les étudiants peuvent rencontrer un interlocuteur, mais nous avons aussi un site internet en 33 langues. Il suffit de cliquer dans le site sur la discipline et le niveau d’études souhaités, et tous les choix possibles apparaissent. Cela s’est beaucoup amélioré depuis quinze ans : nous y avons travaillé avec le ministère des Affaires étrangères.

S’agissant du classement de Shanghai, très peu d’étudiants s’y intéressent, sauf en Asie où d’une part ils sont habitués aux classements, d’autre part ils ont une forte culture de la compétition, surtout s’ils veulent faire une école de commerce – et la France est bien classée pour les écoles de commerce. Pour le reste, ce classement obnubile les gouvernements, éventuellement rassure les parents, mais ne préoccupe guère les étudiants.

M. Frédéric Lefebvre. L’intitulé de notre commission d’enquête me paraît, comme à vous, particulièrement mal choisi. Dans notre pays, on a, hélas, une vision culpabilisante de la mobilité étudiante mais aussi professionnelle alors que, dans le contexte de la mondialisation, ce serait un atout pour les jeunes Français que de travailler quelques années à l’étranger, après y avoir étudié par exemple. Ils l’ont bien compris d’ailleurs. Lorsqu’on interroge les étudiants français à l’étranger, ils expliquent qu’ils sont partis, non pas pour fuir la France, comme on l’entend parfois dire, mais parce qu’ils sont conscients que leur avenir est à l’échelle du monde et qu’il leur faut cumuler les expériences. Nos ingénieurs ont très bien compris le profit qu’ils pouvaient retirer de leur profil très généraliste, notamment par rapport aux ingénieux américains.

Qu’il existe deux agences me paraît, comme à vous, une aberration. Je ne comprends pas que la France n’investisse pas davantage sur la mobilité et que, comme les autres pays, elle ne resserre pas et ne restructure pas dans cette perspective l’ensemble des acteurs concernés et ne leur assigne pas d’objectifs précis, qui seraient bénéfiques pour tous.

Les étudiants étrangers venus étudier en France en deviennent ensuite les meilleurs ambassadeurs. Mais il est un pays qui ne mesure ni son devoir de réussir dans la mondialisation ni la chance qu’elle a de pouvoir y réussir : c’est la France. Une étude de chercheurs américains, publiée dans le magazine Forbes, indique qu’à l’horizon 2050, on comptera 750 millions de locuteurs français dans le monde, ce qui fera du français la première langue du monde devant l’anglais et le mandarin. Aujourd’hui, on bloque les programmes des chaînes de télévision françaises à l’étranger pour les Français alors même que Al-Jazira crée une chaîne en français, que la Corée et la Chine font de même, qu’aux États-Unis et au Canada, les entreprises, notamment du secteur de l’énergie, ont parfaitement compris que l’avenir, c’était l’Afrique et du coup, demandent à leurs cadres d’apprendre le français et la culture française ! Il y a bel et bien une croissance économique mondiale portée par le français et la Francophonie. Le seul pays à ne pas s’en rendre compte, c’est la France. On coupe nos investissements en matière d’éducation pour les Français à l’étranger – on commet de lourdes erreurs avec le système des bourses, on limite les détachements d’enseignants… On sape un investissement d’avenir au moment même où le monde « calcule français ».

Je tiens à profiter de cette commission d’enquête pour adresser ce message. Si la France a une réforme à faire, qu’elle se réorganise pour investir dans la mondialisation, dans la jeunesse qui croit à la mondialisation, pour être plus accueillante… Les initiatives françaises en matière de MOOC (massive open online course) rencontrent un énorme succès dans le monde entier, comme je le constate dans ma circonscription. Le programme d’enseignement mis en ligne par Sciences Po « fait un tabac ». Arrêtons de nous culpabiliser sans cesse ! Investissons dans le système !

Comment nos chercheurs pourraient-ils avoir envie de faire carrière en France où ils sont sous-payés ? Ils partent aux États-Unis, bien qu’ils regrettent le système français. Ils aimeraient pouvoir continuer de travailler en France, mais ils partent parce qu’on leur offre là-bas des conditions matérielles incomparablement meilleures.

La question qu’il faudrait se poser est de savoir si la France investit assez dans la mobilité, pas si les Français fuient la France.

Mme Béatrice Khaiat. La circulaire Guéant a été abrogée après le changement de majorité en 2012. Pour autant, en dépit de ce qui était dit sur la jeunesse, il n’y a pas eu de grande politique en ce domaine. On a dit qu’on voulait la mettre au centre mais cela n’a pas vraiment été fait. On n’a rien fait en direction de l’Afrique et du Maghreb. L’Allemagne a une arrière-cour et s’en sert. La France aussi a des traditions mais elle est, hélas, plutôt en train de les rejeter. On ne fait que créer des difficultés aux étudiants étrangers voulant venir chez nous. Ainsi au Sénégal, le bureau Campus France ne donne ni numéro de téléphone ni adresse mail : les intéressés doivent se déplacer en personne !

M. le rapporteur. N’avez-vous pas l’impression que c’est une politique qui a été voulue à une certaine époque et qui pourrait être inconsciente aujourd’hui, parce qu’on aurait peur que ces étudiants venant d’Afrique ou du Maghreb…

Mme Béatrice Khaiat. Nous n’avons pas de politique offensive.

M. le rapporteur. …ne restent ensuite sur notre territoire.

Mme Béatrice Khaiat. À force d’avoir peur, on voit ce que cela donne !

On n’a pas demandé à Campus France de réfléchir à ce que devrait être la place de la France dans l’Afrique anglophone et dans l’Afrique francophone, avec quels pays on souhaiterait développer les échanges…

Mme Monique Rabin, présidente. Qu’est-ce qui empêche Campus France d’indiquer un numéro de téléphone et une adresse mail dans son bureau du Sénégal pour les étudiants potentiellement intéressés ?

Je fais le lien avec le commerce extérieur, sujet auquel je m’intéresse beaucoup. Certains pays africains, dont le français était la langue officielle, sont passés à l’anglais… Voilà le genre de conséquence qu’entraînent nos comportements !

Campus France n’est-il pas trop isolé ? Ne s’est-il pas trop isolé ? A-t-il l’ambition d’avoir une politique plus transversale ? Discute-t-il avec les instances chargées du commerce extérieur, de la circulation des biens et des capitaux ? Car, vous l’avez fort bien dit, quel sens cela aurait-il d’entraver la circulation des personnes alors que tout le reste circule librement ? Êtes-vous bridés ? Quelles propositions notre commission d’enquête pourrait-elle faire pour vous aider ?

Mme Béatrice Khaiat. La nouvelle dénomination du ministère des Affaires étrangères qui s’appelle maintenant ministère des Affaires étrangères et du développement international va en ce sens et milite pour moins de cloisons.

S’agissant de notre bureau au Sénégal, si nous ne donnons pas de numéro de téléphone ni d’adresse mail, c’est que de toute façon nous n’aurions pas les moyens nécessaires derrière. Nous ne serions même pas sûrs de pouvoir garantir la sécurité de notre responsable…

C’est à notre tutelle de réfléchir à la politique qu’elle souhaite que nous menions. Campus France n’est qu’un opérateur au service de la politique de la France. Nous pouvons proposer, mais c’est tout. Pour ma part, je déplore qu’il n’y ait pas de réflexion plus vaste engagée sur ce qu’on veut faire en Afrique et au Maghreb. La France n’est pas seule au monde, et pendant qu’elle ne fait rien, la Chine, elle, ne perd pas son temps et est très présente en Afrique par exemple.

Mme Monique Rabin, présidente. Nous en avons terminé avec cette audition. Nous vous remercions, notamment de votre franchise qui n’a pas été pour nous déplaire.

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Audition du Mercredi 4 juin 2014

À 16 heures 30 : M. Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales de l’OCDE

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE.

Monsieur, nous avons jugé important de vous entendre, dans le cadre de nos travaux sur l’exil des forces vives de notre pays, afin de conduire l’analyse la plus précise et la plus objective possible. Nous distinguons bien sûr entre l’expatriation volontaire, nécessaire et légitime, et qui contribue au rayonnement de la France, et l’exil subi de jeunes qui ne souhaitent pas revenir dans notre pays. Nous aimerions que vous nous présentiez les éléments dont l’OCDE dispose à ce sujet.

Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Christophe Dumont prête serment.)

M. Jean-Christophe Dumont, directeur de la division des migrations internationales à la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE. Je voudrais indiquer en préambule que la France n’est pas le seul pays au sein de l’OCDE à s’interroger sur l’expatriation de ses ressortissants. C’est le cas également d’autres pays européens, comme l’Allemagne, qui nous a commandé une étude sur le sujet, ou d’autres pays de l’OCDE, tels que la Corée du Sud.

Je vais vous présenter, non pas une étude, mais un ensemble de données, aussi complètes que possible, que j’ai collectées pour essayer de répondre à vos questions.

Un premier graphique vous indique quelles sont les tendances récentes de l’expatriation française, comparées à celles que connaissent d’autres pays de l’OCDE, en particulier le Royaume-Uni et l’Allemagne. On observe une augmentation du nombre des Français enregistrés, chaque année, dans d’autres pays de l’OCDE, que ceux-ci leur aient délivré un permis de travail ou de résidence ou qu’ils soient inscrits dans le registre de population. Cette augmentation a été d’environ 30 % de 2000 à 2012, l’effectif concerné passant de 75 000 à 100 000 personnes. C’est une augmentation significative mais qui n’a rien d’exceptionnel dans le cadre de l’OCDE. Ainsi les États-Unis ont connu exactement la même progression, le nombre d’expatriés enregistrés passant de 100 000 à près de 140 000. D’autres pays connaissent même des évolutions plus brutales et erratiques. On constate par exemple que l’expatriation allemande a fait plus que doubler avant la crise, principalement à destination de la Suisse, avant de régresser ensuite. Cette influence de la conjoncture se retrouve dans l’expatriation espagnole : alors que celle-ci se stabilisait autour de 25 000 personnes par an jusqu’en 2008, elle a explosé à compter de 2008, triplant en quatre ans.

Si on considère les pays de destination de l’expatriation au sein de l’OCDE, on constate qu’il n’y a pas vraiment une destination de prédilection des migrations françaises. C’est un résultat qui m’a d’ailleurs surpris moi-même. Ainsi les départs pour les États-Unis sont extrêmement peu nombreux – il est vrai que les éléments dont nous disposons ne concernent que les Français qui se sont vu délivrer un permis permanent.

M. le président Luc Chatel. Y a-t-il une définition précise de l’expatriation ?

M. Jean-Christophe Dumont. Hors Union européenne, nos chiffres concernent les ressortissants français qui se sont vu délivrer des permis de séjour ou de travail. À l’intérieur de l’Union, nous nous appuyons généralement sur les registres de population, tout résident étranger ayant l’obligation de s’y enregistrer dans des pays tels que l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou les pays nordiques. Nous avons recours à un autre type de source pour le Royaume-Uni. Ce sont ces mêmes sources de données qui sont habituellement exploitées pour décrire les flux migratoires à l’intérieur de l’OCDE.

En 2012, les Français se sont surtout installés en Belgique, en Allemagne et au Royaume-Uni, et ce en nombre égal, triple de celui qui a été enregistré pour les États-Unis. Autre fait surprenant, on observe une augmentation significative de l’émigration française en Espagne et en Suisse avant la crise.

En utilisant les données des recensements de population dans les différents pays, nous pouvons également déterminer le nombre de personnes de 15 ans et plus nées en France résidant dans un autre pays de l’OCDE. Ces données excluent donc les Français nés à l’étranger et les étrangers naturalisés Français. Elles devraient donc être inférieures aux données consulaires. Or, c’est l’inverse que l’on observe dans plusieurs pays. Alors que, selon les données consulaires, c’est la Suisse qui accueille le plus grand nombre de ressortissants français, ce sont dans ce cas les États-Unis qui viennent très nettement en tête, d’après les données de recensement, suivis de près par l’Espagne où le phénomène a connu une très forte augmentation, avec 41 000 expatriés supplémentaires entre 2000-2001 et 2010-2011. Mais c’est le nombre de ces personnes qui ont choisi de s’installer en Allemagne qui a le plus augmenté au cours de cette période, avec 54 000 expatriés supplémentaires. Le Canada est également une destination attractive, accueillant 30 000 expatriés supplémentaires en dix ans.

En dépit de cette augmentation, les chiffres restent relativement modestes en comparaison internationale. En 2010-2011, on comptabilisait 1,3 million de personnes de 15 ans et plus nées en France résidant dans un autre pays de l’OCDE, à comparer aux plus de 3 millions d’expatriés nés en Allemagne ou au Royaume-Uni. En pourcentage de la population française, cela ne représente pas plus de 2,5 % des Français âgés de 15 ans et plus.

La France se classe au dixième rang des pays d’origine de l’expatriation au sein de l’OCDE. Ce phénomène, certes en hausse, reste donc modeste sur le plan démographique.

Nous avons cherché à déterminer qui étaient les Français expatriés et ce qu’ils faisaient. Nous avons eu la surprise de constater qu’il s’agissait majoritairement de femmes, même si leur part a diminué assez nettement, passant de 56 à 52 % en dix ans. Ce phénomène est encore plus net s’agissant de l’expatriation allemande, où la proportion de femmes est restée supérieure à 55 %.

Deuxième constat, beaucoup moins surprenant : il s’agit très largement d’actifs. Il est intéressant de noter qu’en 2010-2011, près de 75 % des personnes nées en France résidant dans un autre pays de l’OCDE avaient entre 25 et 64 ans, ce qui est nettement plus que pour l’Allemagne et le Royaume-Uni. Cette différence s’explique par le fait que l’expatriation en provenance de ces deux pays est le fait de nombreux retraités, ce qui n’est pas le cas de la France.

La répartition de l’expatriation française par niveau d’études est susceptible de vous intéresser plus particulièrement. Si l’effectif global des personnes nées en France et résidant dans un autre pays de l’OCDE s’est accru de 13 % entre 2001 et 2011, le nombre parmi elles de diplômés du supérieur s’est accru de plus de 60 %. Il y a donc une très nette surreprésentation de cette catégorie dans l’expatriation française. En pourcentage, cette augmentation est bien supérieure à celle qu’on observe pour l’Allemagne et pour le Royaume-Uni, mais les niveaux de départ étaient plus élevés dans ces deux cas. En chiffres absolus, cela représente une augmentation sur dix ans de 220 000 diplômés pour la France, contre 330 000 pour l’Allemagne et 240 000 pour le Royaume-Uni. Ces chiffres retraçant une variation de stock sur dix ans, il s’agit d’une certaine manière de flux nets, puisque cela tient compte des départs et des éventuels retours. On observe donc pour notre pays un flux négatif, mais qui est comparable à celui qui est observé pour les pays voisins.

Sans surprise, ce sont les États-Unis qui accueillent le plus de diplômés du supérieur nés en France, mais le nombre de ceux-ci a surtout augmenté en Espagne, en Allemagne et au Canada. On constate aussi que le nombre de diplômés du supérieur nés en France et expatriés en Italie et en Belgique a augmenté, alors que l’effectif global d’expatriés nés en France résidant dans ces deux pays a diminué. Désormais, ce sont donc principalement de jeunes diplômés du supérieur qui émigrent.

Les personnes nées en France travaillant dans un autre pays européen sont à plus de 70 % des employés. 13 % sont des cadres dirigeants ou des gérants, micro-entrepreneurs inclus, et 27 % exercent des professions intellectuelles et scientifiques, ce qui dépasse largement leur part dans la population française dans son ensemble. On observe à l’inverse une sous-représentation assez nette des professions moins qualifiées, qui tient à l’état de la demande sur le marché du travail des pays d’accueil.

Il est intéressant également de comparer les emplois des personnes qui, nées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, se sont installées aux États-Unis. Si 144 000 personnes nées en France sont employées dans ce pays, ce sont près de 800 000 travailleurs nés en Allemagne et environ 570 000 nés en Grande-Bretagne qui sont dans ce cas. Le nombre de ceux qui exercent des professions qualifiées, notamment dans les technologies de l’information, l’engineering et les sciences physiques et de la vie, est assez modeste, puisqu’ils ne sont pas plus de 15 000, à comparer aux 60 000 environ nés en Allemagne ou au Royaume-Uni. Là encore, si la France participe à ce phénomène de mondialisation qui voit des jeunes qualifiés partir travailler aux Etats-Unis – notamment ceux dont notre pays aurait le plus besoin –, c’est dans des proportions modestes en comparaison de nos voisins.

On constate une hausse du nombre d’étudiants français en mobilité internationale dans un autre pays de l’OCDE. Ils étaient 78 000 en 2011, soit plus que les étudiants originaires d’autres pays de l’OCDE présents en France, qui étaient environ 57 000 – mais l’effectif total d’étudiants étrangers dans notre pays est largement supérieur puisqu’il dépasse le nombre de 250 000.

Le nombre de Français étudiant dans un autre pays de l’OCDE augmente moins vite que le nombre total d’étudiants étrangers dans les pays de l’OCDE. Encore une fois, la France participe à la mobilité internationale, mais dans des proportions qui n’ont rien d’exceptionnel.

Si le Royaume-Uni reste la principale destination de nos étudiants, le Canada et la Suisse apparaissent de plus en plus attractifs, presque au même niveau que les États-Unis.

La part des étudiants étrangers en France reste stable, autour de 6,5 % des étudiants d’origine étrangère présents dans un pays de l’OCDE. En revanche d’autres pays, comme l’Australie, ont connu une augmentation assez importante du nombre d’étudiants étrangers sur la même période. Cette progression est le fruit d’une stratégie des universités australiennes – comme aussi, quoique dans une moindre mesure, des universités britanniques et canadiennes – et d’une politique volontariste du gouvernement australien, qui y voit un moyen d’attirer des personnels qualifiés. L’accueil d’étudiants étrangers représente ainsi le troisième poste d’exportation de l’Australie.

En France, un tiers des permis de travail permanents sont octroyés à des anciens étudiants étrangers. Au total, on comptabilise environ 17 000 changements de statut d’étudiants en 2012, ce qui n’est pas du tout négligeable quand on sait que les effectifs de l’immigration originaire de pays tiers sont un peu supérieurs à 14 000, changements de statut inclus.

En dépit de l’augmentation de 60 % de l’émigration des jeunes diplômés français, le taux d’expatriation de cette catégorie reste relativement modeste, autour de 5 %. Les causes de cette hausse sont à rechercher dans une plus grande ouverture sur le monde, dans la généralisation de l’étude des langues étrangères, dans l’internationalisation des études et du marché du travail qualifié ou encore dans la valorisation de l’expérience internationale par les employeurs comme critère d’embauche. Mais l’évolution peut également refléter des difficultés d’insertion sur le marché du travail français.

Reste à savoir s’il faut s’inquiéter de la hausse du nombre de personnes nées en France et expatriées dans un autre pays de l’OCDE : autrement dit, l’accroissement de la mobilité internationale est-il positif ou négatif pour la France ?

Si on considère le solde migratoire de la France avec les autres pays de l’Union européenne, s’agissant toujours des diplômés du supérieur, on constate qu’il est devenu négatif en 2011, mais dans des proportions extrêmement modestes, l’écart étant d’environ 22 000 personnes. Plus inquiétant, alors qu’en 2000 la France était dans une meilleure situation que l’Allemagne et dans une situation légèrement moins bonne que le Royaume-Uni, ces deux pays bénéficient aujourd’hui de soldes migratoires très positifs. Cette évolution est liée à l’ampleur des flux migratoires intra-européens vers ces deux pays – dans le cas de l’Allemagne, près de 300 000 personnes en 2012 (soit 100 000 de plus qu’en 2011) cependant que le Royaume-Uni a accueilli nombre de Polonais très qualifiés.

La considération du solde migratoire avec l’OCDE dans son ensemble donne toutefois une image assez différente de la situation comparative de notre pays. En effet, les Allemands et les Britanniques s’expatrient assez peu vers les autres pays européens, ayant plutôt tendance à se tourner vers les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Canada. Le bilan est donc nettement moins positif pour ces deux pays, mais il s’est amélioré au cours de la période, du fait notamment des migrations intra-européennes.

En ce qui concerne la France, le bilan est quasiment neutre, mais on observe une légère détérioration au cours de la période, même si ses proportions ne sont pas alarmantes.

Si on considère enfin le solde migratoire avec le reste du monde, la France, qui se situait au quatrième rang en 2000, est désormais cinquième, passant derrière le Royaume-Uni. Elle reste cependant parmi les pays de l’OCDE qui présentent le bilan le plus favorable.

Le tableau est donc en définitive assez contrasté. On pourrait toutefois s’inquiéter si l’on constatait que nos expatriés étaient installés durablement à l’étranger. Or cette question du retour des expatriés est très compliquée et je me défie des chiffres qui ont été diffusés ça et là, notamment par la chambre de commerce de Paris, car ils ont été établis sur la base d’échantillons très réduits. Je pense qu’il faut être extrêmement prudent en la matière. Je me bornerai à vous indiquer quelques éléments, mais ce sujet mériterait une analyse plus approfondie.

Alors que le nombre de diplômés du supérieur français expatriés en Espagne était en forte augmentation entre 2007 et 2010, il diminue depuis, du fait de la détérioration de la situation économique de ce pays. Même si rien ne dit que ces expatriés reviennent en France, ces éléments montrent du moins que mobilité ne signifie pas forcément installation.

Par ailleurs, les statistiques dont nous disposons montrent qu’environ 44 % des Français arrivés en Allemagne en 2012 y étaient toujours un an après, contre environ 41 % en 2011. Mais, en 2012, la proportion pour les autres ressortissants de l’Union et de l’OCDE était respectivement d’environ 50 % et de près de 52 %.

D’autre part, peu de Français acquièrent la nationalité d’autres pays de l’OCDE. Leur nombre reste stable, autour de 8 000 personnes par an, même s’il a très légèrement augmenté. Cela signifie que le lien n’est pas totalement rompu entre les expatriés et la France.

Jusqu’à une date récente, le suivi précis de ces évolutions n’était pas à l’ordre du jour politique et l’on manquait de ce fait d’un outil statistique propre à identifier ces mouvements – rôle que ne peuvent tenir les registres consulaires. L’augmentation des effectifs concernés renforce l’intérêt qu’il y a à se doter d’un tel dispositif. S’ils fournissent une information intéressante, les registres consulaires n’ont pas vocation à assurer l’identification de ces évolutions.

Deuxièmement, il faudrait mieux évaluer la part des éventuels « déterminants négatifs », c’est-à-dire de l’expatriation forcée ou motivée par des raisons économiques ou fiscales. Je ne crois pas qu’on soit aujourd’hui en mesure de le faire : nous disposons, au mieux, notamment dans l’étude de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, d’un faisceau d’indices ténus. Il faut mieux explorer cette question.

Il ne faudrait cependant pas attendre que les conséquences soient clairement négatives pour conduire les politiques nécessaires. Il conviendrait d’ores et déjà de renforcer les liens avec la communauté française à l’étranger. Car c’est l’existence de tels liens qui fait que les intéressés vont continuer à penser France, penser marché du travail français ou penser entreprises françaises. Or, en ce domaine, la France est extrêmement bien équipée avec des médias tels que TV5 Monde, France 24 ou RFI, avec un des plus grands réseaux consulaires au monde et avec le réseau d’écoles françaises à l’étranger. Ce sont des atouts dont les autres pays ne disposent pas. Ainsi, l’Allemagne n’a aucune donnée consulaire sur ses ressortissants à l’étranger. On pourrait également avoir recours à l’Internet, notamment le web 2.0.

Il paraîtrait souhaitable aussi d’envisager une aide au retour des personnes dont le désir de revenir en France se heurte à des obstacles particuliers : mariage avec un conjoint étranger, possession d’un patrimoine dans le pays d’accueil, réintégration de leurs enfants dans le système éducatif français alors qu’ils n’ont pas été scolarisés dans des écoles françaises, ou, à l’inverse, maintien de leurs enfants dans un univers scolaire anglophone en France, etc. Il s’agirait de faire en sorte que ceux qui souhaitent rentrer puissent le faire dans de meilleures conditions.

Il faudrait enfin aider les entreprises françaises, y compris les PME-PMI et les entreprises du secteur public, à recruter dans le vivier des ressources humaines dans les autres pays de l’OCDE.

M. le président Luc Chatel. Vous avez évoqué l’augmentation massive des expatriés originaires d’Espagne et d’Italie sous l’effet de la crise. Avez-vous constaté le même phénomène en France ?

D’autre part, vous n’avez guère évoqué le cas des jeunes Français peu qualifiés. La crise a-t-elle favorisé leur expatriation ?

M. Jean-Christophe Dumont. La détérioration du marché du travail français n’est pas comparable à celle qu’on observe en Grèce, au Portugal ou en Espagne, où le taux de chômage, notamment de chômage des jeunes, est extrêmement élevé. Pour l’instant, nous ne constatons pas d’accélération de l’expatriation, du moins d’après les données les plus récentes dont nous disposions, qui datent de 2012. Il y a globalement une évolution structurelle de l’expatriation, qui prend la forme d’un certain rattrapage. La dimension plus conjoncturelle n’est pas encore présente.

S’agissant des jeunes les moins qualifiés, je ne serais pas surpris que les données des Gallup World Poll Surveys indiquent une augmentation de leur désir d’expatriation. Cela dit, il existe un écart très important entre ces intentions et leur réalisation, notamment du fait de la difficulté pour les non diplômés de trouver du travail, même en Allemagne, voire de l’impossibilité pour eux d’obtenir un visa dans des pays comme les États-Unis ou le Canada.

M. Yann Galut, rapporteur. Des pays comme le Royaume-Uni ou la Suisse vous semblent-ils disposer de dispositifs plus efficaces pour décompter leurs expatriés ? À partir de quelles données statistiques l’OCDE a-t-elle réalisé son étude d’octobre 2012 sur le renforcement des liens avec la diaspora, qui est très documentée sur les populations émigrées vivant dans les pays de l’OCDE, du moins jusqu’en 2006 ? Le même travail a-t-il été effectué à partir des données postérieures à 2006 ?

M. Jean-Christophe Dumont. Les chiffres que je viens de vous présenter, et qui ne sont pas encore publiés, actualisent ces données pour la période 2010-2011.

Il est difficile pour tous les pays de décompter le nombre de leurs expatriés, parce que l’enregistrement n’est pas obligatoire, mais lié à certaines occasions ou nécessités. On voit bien dans nos registres consulaires l’effet des élections ou des situations de crise géopolitique. Nul pays n’a trouvé de solution en la matière. Ainsi, en Espagne, il y a une forte discordance entre les données issues des registres de population – sur lequel les Français doivent s’inscrire – et le registre consulaire – pour lequel l’inscription n’a que peu d’intérêt pour un pays aussi proche de la France.

Paradoxalement, ce sont les États-Unis qui auraient le plus de facilité à établir le nombre de leurs expatriés alors que, pour eux, cette question ne présente aucun intérêt politique étant donné le faible nombre de ces personnes. En effet, tous les ressortissants américains relèvent du fisc américain, quel que soit le lieu où ils habitent. Je ne suis pas sûr qu’ils utilisent ces données pour cet objectif.

La difficulté est aggravée pour la France en raison de l’absence de registre de population. Un tel instrument permet en effet de connaître le nombre de ceux qui s’expatrient, voire leur profil socio-économique et le moment de leur retour.

La création d’un tel instrument statistique ne semblant pas à l’ordre du jour, nous devons envisager d’autres méthodes. On pourrait imaginer un recensement systématique dans les principaux pays de destination et dans ceux qui connaissent une hausse significative du nombre des expatriés français.

Mme Monique Rabin. Selon le graphique relatif aux emplois exercés par les émigrés français en Europe, les emplois de cadres dirigeants et les professions intellectuelles et scientifiques ne représentent que 40 % du total. C’est beaucoup mais cela reste faible par rapport à ce que l’on sait de l’internationalisation de l’enseignement supérieur. Faut-il en déduire qu’il n’y a pas forcément de corrélation entre le nombre de jeunes Français qui étudient dans ces pays et celui des Français qui y travaillent ?

Je souhaiterais également savoir si l’on connaît la durée moyenne d’émigration des Français.

M. Jean-Christophe Dumont. Ce sont là des questions complexes. Je ne pense pas qu’on puisse tirer de ces données les conclusions que vous suggérez : il s’agit simplement d’une photographie des emplois exercés par les personnes nées en France dans les autres pays européens. Il faudrait centrer l’analyse sur la tranche d’âge et le niveau d’étude qui vous intéressent et la limiter aux expatriés récents. Une telle étude est possible, mais porterait sur des échantillons si réduits que ses résultats devraient être interprétés avec la plus grande prudence.

Ce qui est clair, c’est qu’aujourd’hui une période d’expatriation est souhaitable, voire nécessaire, pour espérer une carrière de cadre supérieur et qu’elle est d’ailleurs exigée par certaines grandes écoles, notamment de commerce. En revanche, les éléments dont nous disposons ne permettent pas de déterminer clairement si ces jeunes reviennent. En tout état de cause, cela dépend de ce que les entreprises françaises ont à leur offrir. Mais ce phénomène d’expatriation sur une certaine durée n’a rien d’inquiétant si, en retour, d’autres Européens, des Américains ou des Japonais viennent occuper des emplois de cadre supérieur en France.

M. le président Luc Chatel. Merci beaucoup pour cet exposé très clair.

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Audition du mercredi 4 juin

Á 17 heures 30 : M. Guillaume Bordry, Président de l’Association des directeurs d’IUT et directeur de l’IUT Paris Descartes et M. Stéphane Lauwick, Directeur de l’IUT du Havre et membre du bureau de l’Association des directeur d’IUT

M. le président Luc Chatel. Messieurs, les départs de centres de décision, les exils fiscaux, mais également l’expatriation de nombreux jeunes français nous interpellent. Nous aimerions savoir si vous constatez un tel phénomène parmi les diplômés des instituts universitaires de technologie – IUT. Je précise que nous distinguons les expatriations liées à des parcours d’études à l’international, nécessaires à la fois pour les jeunes et pour le rayonnement de la France, et les départs subis qui peuvent être liés à la conjoncture économique, aux difficultés sur le marché du travail ou encore à des considérations fiscales ou sociales.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande au préalable de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Guillaume Bordry et M. Stéphane Lauwick prêtent serment.)

M. Guillaume Bordry, président de l’Assemblée des directeurs d’IUT
– ADIUT –, directeur de l’IUT Paris Descartes.
Je vous remercie de bien vouloir nous donner l’occasion d’évoquer un sujet qui nous tient à cœur : l’avenir de nos diplômés. Nous nous intéressons à cette population particulière qui forme les cadres intermédiaires, type de profession vers laquelle s’oriente une proportion importante – entre 40 % et 50 % – de nos diplômés. À titre anecdotique, c’est l’un d’entre eux qui m’a accueilli à mon arrivée à l’Assemblée nationale, preuve que nos diplômés peuvent rester en France – et pas forcément pour faire ce pour quoi ils ont été formés.

Sur ce sujet particulier, nous avons pu regrouper des éléments qui nous permettent de répondre aux questions que vous nous avez soumises.

La première question concernait l’accompagnement d’une ouverture à l’international des étudiants français.

Tout d’abord, dans la quasi-totalité des instituts universitaires de technologie – au nombre de 113 en France répartis sur environ 200 sites –, un service des relations internationales incite et accompagne les étudiants dans leurs projets de mobilité, qu’il s’agisse de semestres d’études, de poursuites d’études ou de stages en entreprise à l’étranger. Cette mobilité internationale peut concerner jusqu’à 20 % des étudiants d’un IUT, tel celui de Montpellier. En visant un cycle d’études très particulier, la première ou la deuxième année après le baccalauréat, cette mobilité peut être qualifiée de précoce : elle participe d’une intégration à un parcours d’études, plus que d’une mobilité terminale.

S’agissant de l’exode des diplômés, nous suivons les parcours de nos jeunes grâce à une enquête pilotée par le ministère de l’Éducation nationale, qui examine de manière systématique le devenir de nos étudiants trente mois après l’obtention de leur diplôme universitaire de technologie – DUT. Selon cette enquête, 10 % à 20 %, selon les IUT, de nos étudiants partent à l’étranger une fois diplômés, mais essentiellement, là encore, pour des séjours d’études – il ne s’agit pas d’un départ en vue de travailler. Les expatriations pour le travail, quant à elles, représentent 1 % à 2 % de nos diplômés, avec comme principales destinations l’Europe, à la faveur du programme Erasmus en particulier, puis le Canada, l’Australie et l’Amérique latine. En dépit de la crise, ce chiffre demeure stable : entre 2008 et 2011, 98 % de nos étudiants sont toujours présents sur le territoire national trente mois après leur diplôme. Aussi n’avons-nous pas d’éléments précis sur les motivations des jeunes au départ, dont la proportion reste faible.

Il nous est difficile de développer un réseau de diplômés expatriés, en raison de la situation très particulière des IUT par rapport à des établissements délivrant des diplômes de niveau bac + 5 par exemple.

En revanche, le réseau des IUT organise de manière coordonnée l’accueil d’étudiants étrangers. Ainsi, un grand nombre de nos instituts mène une politique d’accueil d’étudiants étrangers, avec les atouts et parfois les difficultés de chacun des territoires où ils se situent. Ils accueillent environ 10 % d’étudiants étrangers originaires, par ordre décroissant, du Maghreb, de la Chine, de l’Union européenne, et du Mexique avec lequel nous sommes liés par des accords très anciens puisque les IUT français ont contribué à l’élaboration du système d’enseignement technologique mexicain.

Selon les quelques enquêtes menées auprès de cette population particulière, les motivations à venir en France sont : la qualité des formations, une image culturelle particulière de la France et l’opportunité de venir travailler après ses études. Nous notons également, grâce au travail mené par le réseau des IUT et au développement de relations avec des pays émergents, une progression régulière de ce chiffre de 10 %. De surcroît, nos instituts ont développé des dispositifs d’accompagnement particuliers, un tutorat spécifique, notamment une formation au français langue étrangère destinée aux étudiants chinois, thaïlandais et vietnamiens, dispensée dans des centres de langue d’une dizaine d’IUT français.

Votre dernière question portait sur le suivi de ces diplômés étrangers et sur la proportion de ceux ayant trouvé un emploi en France. Nous suivons ces diplômés comme les autres ; nous ne sommes donc pas en mesure de les distinguer trente mois après l’obtention de leur diplôme. Par conséquent, nous ne disposons pas de statistiques fiables sur le devenir particulier de cette sous-population.

En conclusion, cette audition nous permet de montrer que nous ne sommes pas véritablement concernés par le volet exil des diplômés. L’intérêt des étudiants des IUT pour l’étranger s’explique par le fait qu’ils y voient un élément de leur parcours, davantage qu’un lieu d’insertion professionnelle ultérieure. En revanche, le réseau des IUT ne cesse d’attirer des étudiants étrangers. Différents projets, pilotés à la fois par le réseau lui-même et les IUT individuellement, sont menés avec des pays émergents, le Maroc pour le développement de l’alternance et de l’apprentissage, l’Algérie pour la création d’instituts universitaires de technologie. Le système de formation technologique des techniciens supérieurs et des cadres intermédiaires reste un atout pour la France. Produit exportable de notre enseignement supérieur, il peut continuer à aider, à informer d’autres systèmes universitaires intéressés par une dimension très appliquée de la pédagogie, et désireux de promouvoir une connexion permanente entre enseignement universitaire et application professionnelle.

M. le président Luc Chatel. Plus le niveau de qualification des jeunes est élevé, moins ils sont touchés par le chômage. Pouvez-vous nous apporter des éclaircissements sur l’employabilité, la situation des jeunes diplômés d’IUT, de niveau bac + 2, sur le marché du travail ?

Vous avez indiqué ne pas constater d’évolution du chiffre des départs, de l’ordre de 1 % à 2 %. Pouvez-vous nous apporter des précisions en la matière ? Compte tenu des difficultés sur le marché du travail, l’expatriation peut-elle être perçue comme un eldorado ?

M. Guillaume Bordry. En 2008, 2,3 % des étudiants ayant répondu à l’enquête que nous leur avions adressée trente mois après l’obtention de leur diplôme avaient un emploi à l’étranger. Néanmoins, nous ne disposons pas de chiffre pour une proportion importante d’entre eux – 40 % –, puisque 60 % seulement des diplômés ont répondu à cette enquête. Sans doute est-il plus simple pour un étudiant de répondre s’il se trouve toujours sur le territoire national. En 2009, nos anciens étudiants étaient ainsi 1,8 % à travailler à l’étranger ; pour 2010, le chiffre est à peu près similaire. Il s’agit donc d’une proportion relativement faible.

Les IUT proposent des filières tertiaires, liées aux services, et des filières industrielles, sur lesquelles Stéphane Lauwick va vous apporter des précisions.

En cette période de crise, nos étudiants s’orientent davantage vers la poursuite de leurs études, plutôt que vers le marché de l’emploi. Après la réorganisation de l’enseignement supérieur européen en trois ans, ils sont environ 40 % à faire une année d’études supplémentaire après leur diplôme universitaire de technologie, afin d’obtenir une licence professionnelle. L’insertion immédiate après un DUT concerne seulement 15 % à 20 % des diplômés. Aussi la question du marché de l’emploi nécessite-t-elle au préalable d’intégrer cette dimension de poursuite des études.

Nous recevons des demandes régulières d’ouverture dans les universités de filières qui concernent des secteurs pour lesquels la situation de l’emploi est reconnue difficile. Le ministère de l’Enseignement supérieur a la possibilité d’ajourner l’ouverture d’un département dans une filière risquant de conduire les diplômés à une situation de recherche d’emploi infructueuse. Cette possibilité d’ajustement de notre volume de diplômés concerne, en particulier, la filière communication, très prisée des étudiants, mais problématique au regard du marché du travail.

M. Stéphane Lauwick, directeur de l’IUT du Havre, membre du bureau de l’Assemblée des directeurs d’IUT. La situation est à peu près similaire dans les filières industrielles, où les étudiants font le choix de la sécurité. À l’entrée dans l’enseignement supérieur, ils projettent de se qualifier en deux ans, puis une certaine aisance acquise, voire une appétence pour l’acte d’apprentissage les amène à s’adapter à la situation du marché de l’emploi. À cet égard, la notion d’employabilité, que vous utilisez à juste titre, est porteuse de potentialités réelles.

Le taux d’emploi reste élevé dans les filières industrielles. Selon les spécialités, seuls 6 % à 8 % des étudiants n’ont pas trouvé d’emploi trente mois après l’obtention de leur diplôme – taux moindre par rapport à celui de la population ayant un niveau de formation inférieur. Ainsi, dans un contexte de grave crise économique, connu des familles et des diplômés, on assiste à un maintien de l’emploi et des compétences.

M. le président Luc Chatel. En indiquant que 10 % d’étudiants étrangers sont accueillis dans les IUT, vous avez énuméré les critères qualitatifs de l’impatriation. Avez-vous également des critères s’agissant des étudiants qui s’expatrient ? En d’autres termes, connaissez-vous les raisons pour lesquelles ils partent travailler ou étudier à l’étranger ?

M. Guillaume Bordry. Il me semble que la motivation au départ s’explique d’abord par un projet de formation des étudiants à l’étranger, où ils pourront ensuite éventuellement poursuivre leur carrière ou simplement leur vie. Les étudiants en IUT ont la possibilité de s’arrêter à bac + 2 ou de continuer leurs études. On retrouve le même esprit dans cette logique du départ à l’étranger : ils ont la possibilité d’en revenir ou d’y rester. Nous ne disposons pas d’éléments plus précis pour qualifier ces départs.

M. Régis Juanico. Réalisez-vous des études de cohortes, des suivis de longue durée de vos étudiants partis à l’étranger et revenus en France ?

M. Guillaume Bordry. Nous ne disposons que d’une enquête, celle dont je vous ai parlé, qui examine la situation de nos étudiants deux ans et demi après l’obtention de leur diplôme. Entre ces études, nous réalisons des séries chronologiques pour observer les évolutions entre promotions, mais nous ne sommes malheureusement pas en mesure aujourd’hui de suivre plus précisément une promotion sur plusieurs années.

M. le président Luc Chatel. Merci beaucoup, messieurs. Votre contribution sera très utile à l’élaboration de notre rapport.

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Audition du mercredi 11 juin 2014

Á 16 heures 30 : M. Jean-Loup Salztmann, président, et M. Khaled Bouabdallah, vice-président, de la Conférence des présidents d’université

Mme Claudine Schmid, présidente. Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d’université, et M. Khaled Bouabdallah, vice-président, chargé des questions internationales au sein du bureau de la Conférence. Leur audition est la dernière d’une série au cours de laquelle nous avons entendu les responsables des organismes représentatifs de nos établissements d’enseignement supérieur – grandes écoles, écoles d’ingénieurs, IUT –, ainsi que ceux du programme Erasmus et de l’agence Campus France.

Quelle est, messieurs, votre perception du mouvement d’expatriation des jeunes diplômés français ? Au-delà des évolutions quantitatives, constatez-vous des évolutions d’ordre qualitatif tenant à la motivation des intéressés, à la durée de leur séjour à l’étranger et au choix des pays de destination ? Nous souhaiterions également savoir comment nos universités accompagnent l’ouverture à l’international des étudiants français, et quelle politique elles mènent pour attirer les étudiants étrangers.

Avant d’aller plus loin, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Loup Salzmann et M. Khaled Bouabdallah prêtent serment.)

M. Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d’université. La circulation des talents est une spécificité de l’université : au Moyen Âge, étudiants et enseignants effectuaient un circuit entre la Sorbonne, les universités italiennes, espagnoles et du Maghreb afin de se former ou de former. Cette tradition a perduré jusqu’à nos jours, où la France est le troisième pays d’accueil des étudiants étrangers – alors même que certaines tracasseries administratives sont de nature à limiter le pouvoir d’attraction de nos universités.

Les voyages formant la jeunesse, nous poussons nos étudiants à partir à l’étranger durant un semestre ou plus, que ce soit en Europe, comme ils peuvent le faire avec Erasmus, ou ailleurs dans le monde. Nous estimons en effet qu’il est bon pour eux de s’ouvrir aux autres cultures – tout comme nous pensons que notre pays doit accueillir, dans la mesure du possible, les jeunes étrangers qui souhaitent s’y former, car cela contribue au rayonnement culturel et scientifique de la France. Les étudiants venus du monde entier pour se former chez nous deviennent, une fois rentrés dans leur pays d’origine, des ambassadeurs et des clients du nôtre. De même, les jeunes Français qui partent se former à l’étranger connaissent mieux le monde, et cette expérience les aide à devenir des cadres responsables au sein d’entreprises ayant de plus en plus vocation à être internationales.

À nos yeux, si la situation actuelle pose un problème, c’est celui du taux de jeunes Français allant se former à l’étranger, beaucoup trop faible en comparaison de celui d’autres pays tels que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, et nous espérons que des efforts résolus nous permettront de combler notre retard dans ce domaine. Je précise qu’il ne s’agit pas seulement de la formation de nos élites : tout étudiant a intérêt à vaincre son éventuelle appréhension pour devenir, à l’issue du temps passé hors de nos frontières, un citoyen responsable.

M. Khaled Bouabdallah, vice-président de la Conférence des présidents d’université. Je dois vous dire que nous ne nous sentons pas en phase avec l’intitulé de votre commission d’enquête, qui fait référence à l’« exil des forces vives de France ». En effet, le solde entre accueil et départs est pour nous fortement positif. Au classement des pays les plus attractifs pour les étudiants étrangers, la France occupe comme on l’a dit la troisième place, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, et elle reçoit beaucoup plus d’étudiants qu’elle n’en envoie à l’étranger. Il en est de même si l’on considère, plus spécifiquement, les seuls diplômés hautement qualifiés – dans ce domaine, la France occupe le quatrième rang mondial derrière des pays d’immigration connus pour pratiquer de vraies politiques d’attraction, à savoir les États-Unis, le Canada et l’Australie.

Au demeurant, nous ne voyons pas en quoi le fait que les étudiants français aillent se former à l’étranger constituerait un problème : nous n’y voyons pas une forme d’exil, mais plutôt de circulation des talents, qui contribue à l’élévation des connaissances, des qualifications et du niveau de bien-être général. Il est très positif que les individus soient mobiles, a fortiori quand il s’agit des plus qualifiés d’entre eux. Quant aux étudiants, avoir un parcours international fait partie des motivations à la base de leur projet professionnel, et nous les poussons évidemment à pratiquer la mobilité, qu’il s’agisse de se former à l’étranger ou d’y travailler. Nous pouvons être amenés à nous poser certaines questions portant, par exemple, sur le taux de retour des étudiants dans leur pays d’origine, mais certainement pas à remettre en cause le principe même de ce qui contribue à la formation des talents, à l’enrichissement mutuel des cultures et à la compétitivité des entreprises françaises.

Les universités françaises développent, depuis quelques années, la pratique du guichet unique. Grâce à des dispositifs mutualisés – entre les établissements, mais aussi avec les différents services de l’État, notamment les services préfectoraux, qui collaborent de manière efficace et dans un esprit de confiance réciproque –, nous facilitons les premiers pas en France des étudiants étrangers en simplifiant les démarches administratives qu’ils ont à effectuer. M. Manuel Valls, avec qui nous avions évoqué ce point lorsqu’il était encore ministre de l’Intérieur, nous avait fait part de sa volonté d’aller encore plus loin dans ce travail conjoint des préfectures et des établissements universitaires, à l’exemple de ce qui se fait déjà dans d’autres pays européens.

M. Jean-Loup Salzmann. Dans la plupart des disciplines, lorsque nous recrutons un jeune maître de conférences, il est quasiment obligatoire qu’il ait fait un « post-doc » à l’étranger, faute de quoi nous considérons qu’il n’a pas le niveau international requis pour être enseignant-chercheur. Le nombre d’enseignants-chercheurs étrangers recrutés constitue d’ailleurs l’un des indicateurs que la représentation nationale nous demande de lui fournir ; bien évidemment, le fait qu’il soit élevé est considéré comme positif, et nous tenons beaucoup à ce qu’il en soit ainsi.

Mme Claudine Schmid, présidente. Effectuez-vous un suivi du retour des jeunes Français partis étudier à l’étranger ?

M. Jean-Loup Salzmann. Nous disposons effectivement d’études à ce sujet. L’une d’elles émane d’un laboratoire de recherches de Sciences Po, membre de la Conférence des présidents d’université, et s’intitule Y a-t-il un exode des qualifiés français ? Nous vous la communiquerons, ainsi que les enquêtes réalisées par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France et par l’Institut Montaigne, en accompagnant ces documents d’une note de synthèse.

Mme Claudine Schmid, présidente. Avez-vous l’impression que certains de vos étudiants entreprennent un master faute d’avoir trouvé un emploi en France ?

M. Jean-Loup Salzmann. C’est là une question qui nous intéresse beaucoup. Toutes les statistiques montrent que plus le niveau d’études est élevé, plus les chances de trouver un emploi sont importantes, et plus le salaire proposé est élevé – ce dont les étudiants sont parfaitement conscients. Alors que les IUT ont été conçus il y a quarante ans pour délivrer un diplôme d’insertion professionnelle – le DUT –, aujourd’hui moins de 20 % des étudiants titulaires d’un DUT parviennent à trouver un emploi, ce qui les pousse à continuer leurs études. Il en est de même pour les étudiants titulaires d’une licence, qui s’aperçoivent qu’il serait préférable d’obtenir un master, c’est-à-dire de passer du cycle L au cycle M – et pour les étudiants en général, qui ont tendance à aller de plus en plus loin dans leur cursus afin d’accroître leurs chances d’accéder à un emploi plus qualifié et mieux rémunéré.

M. Khaled Bouabdallah. La tendance qui vient d’être évoquée, que je confirme, est également liée à la conjoncture : un contexte économique morose et un taux de chômage élevé vont naturellement avoir pour effet d’inciter les étudiants à prolonger leur parcours universitaire d’une ou plusieurs années. Certes, faire des études a un coût, mais il suffit aux étudiants de se livrer à une analyse comparée des coûts et bénéfices pour se rendre compte qu’il est plus avantageux pour eux de poursuivre leur cursus, ce à quoi nous les encourageons.

M. Yann Galut, rapporteur. Plusieurs des intervenants que nous avons auditionnés précédemment ont appelé notre attention sur les effets de la circulaire Guéant. Quel est votre sentiment sur ce point ? Que pensez-vous de la politique pratiquée par le Gouvernement en matière de visas étudiants depuis 2012 ? Estimez-vous que cette politique va assez loin, ou auriez-vous des préconisations à formuler en termes d’objectifs ou d’un point de vue technique ? Des présidents d’université nous ont dit avoir fait en sorte d’aider les étudiants dans leurs démarches : êtes-vous favorables à de telles initiatives ? Enfin, quelle est votre position dans le débat relatif aux droits d’inscription : estimez-vous qu’il conviendrait de supprimer ou de réduire ces frais pour les étudiants étrangers – sachant qu’à l’heure actuelle, certains pays les augmentent ?

M. Jean-Loup Salzmann. Si nous n’avons pas évoqué la circulaire Guéant dans notre introduction, c’est que nous espérons qu’elle appartient définitivement au passé. Elle a en effet eu des effets extrêmement négatifs pour l’image de la France à l’étranger et la plupart des préfectures ont d’ailleurs travaillé conjointement avec les présidents d’université afin de régulariser la situation d’étudiants diplômés en butte à ces dispositions, tant il était clair qu’interdire, en raison de leur origine, l’accès de notre pays à des personnes qualifiées nuisait à l’intérêt national en nous privant de compétences utiles à notre économie.

Les mesures prises par l’actuel Gouvernement ont commencé à restaurer l’image de la France auprès de nos partenaires étrangers, qu’il s’agisse de l’abrogation de cette circulaire, de la mise en place de visas pluriannuels ou de la décision de donner au visa valeur de carte de séjour pour la première année. Si vous le souhaitez, nous pourrons vous communiquer une note que nous avions rédigée sur ce point en vue du débat qui devait avoir lieu devant la représentation nationale au sujet de l’attractivité de la France, et qui a été repoussé. Nombre de dispositions vexatoires vis-à-vis des étrangers désireux d’étudier dans notre pays subsistent ; nous en avons dressé la liste et avons émis des propositions en vue de leur suppression.

M. le rapporteur. Si je comprends bien, vous avez établi une liste des barrières administratives s’opposant à la venue d’étudiants étrangers en France, et émis des propositions visant à y remédier ?

M. Jean-Loup Salzmann. En effet, et nous avons communiqué ces propositions au ministère de l’Intérieur et au ministère des Affaires étrangères.

M. le rapporteur. À quel moment l’avez-vous fait ?

M. Jean-Loup Salzmann. Il y a quelques mois, quand le sujet a été évoqué en conseil des ministres.

M. le rapporteur. Cette communication a-t-elle été publique ?

M. Jean-Loup Salzmann. Oui, elle a donné lieu à une conférence de presse ainsi qu’à la parution de plusieurs articles dans la presse, notamment dans Les Échos, ainsi que sur le site Educpros.fr. Nous avons alors défendu l’idée selon laquelle les étudiants étrangers doivent être considérés comme les futurs ambassadeurs de notre pays, et non comme des immigrés clandestins.

Pour ce qui est des droits d’inscription, il y a débat. La solution réglementaire actuelle autorise les universités à percevoir des frais supplémentaires lors de l’inscription d’étudiants non-ressortissants de la Communauté européenne, mais le débat n’est pas tranché pour autant. Nous avons été interrogés sur ce point par le ministre des Affaires étrangères, et un rapport sur la stratégie nationale de l’enseignement supérieur va être prochainement remis au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Je ne peux m’avancer sur cette question, dans la mesure où il ne me semble pas qu’elle fasse l’objet d’une position unanime de la Conférence des présidents d’université. Si, dans certains pays – je pense notamment à la Chine –, la quasi-gratuité de l’inscription en France est un signe de mauvaise qualité de l’enseignement, il me semble que le principe d’égalité républicaine s’accorderait mal avec le fait que deux personnes suivant le même cursus se voient réclamer des droits de montants différents.

Mme Claudine Schmid, présidente. Une telle pratique a-t-elle déjà été mise en œuvre par certaines universités ?

M. Jean-Loup Salzmann. Oui.

Mme Claudine Schmid, présidente. Vous serait-il possible de nous communiquer le rapport que vous avez remis au Gouvernement ?

M. Jean-Loup Salzmann. Il ne s’agit que d’une note assortie de propositions, mais nous vous la remettrons.

M. Philip Cordery. Je vous remercie d’avoir souligné l’importance pour les jeunes d’une mobilité qui leur permet d’être mieux armés pour s’insérer dans le monde du travail, en France ou à l’étranger, sans compter qu’elle contribue au brassage des cultures, utile pour affronter la mondialisation.

Au-delà des chiffres, disposez-vous d’informations qualitatives ? Par exemple, quelle est la motivation des jeunes qui partent étudier à l’étranger ? Est-ce l’envie d’acquérir une expérience grâce à cette mobilité, ou plutôt celle de quitter un pays qu’ils estiment insuffisamment attractif du fait de la situation de l’emploi ou du cadre fiscal ? Cependant, à l’inverse, dans un secteur où la mobilité n’est pas toujours choisie du fait du numerus clausus, le taux élevé des retours de Français partis faire leurs études médicales à l’étranger laisse penser que la France est un pays où il peut faire bon exercer…

M. Jean-Loup Salzmann. Étant moi-même professeur de médecine, donc particulièrement concerné par votre question, je vais vous faire une réponse polémique : pour moi, la politique malthusienne pratiquée par l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé au cours des quarante dernières années a pour effet d’inciter les futurs médecins français à effectuer leurs études à l’étranger, avant de revenir s’installer dans notre pays. Ainsi 20 % des médecins nouvellement inscrits à l’Ordre ont obtenu leur diplôme hors de France – et on sait qu’ils seront 30 % dans dix ans. Je n’hésite donc pas à dire que, de ce point de vue, nous avons failli à notre devoir. C’est un problème qu’il conviendra de régler, mais auquel la récente loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a commencé d’apporter des solutions.

Pour ce qui est des motifs de départ des étudiants français, le premier d’entre eux est que nous les y poussons au moyen de divers dispositifs – encore insuffisamment incitatifs –, tels Erasmus ou les conventions d’échanges avec les universités étrangères. Cela étant, les étudiants eux-mêmes sont conscients de l’importance d’acquérir une expérience internationale pour trouver un emploi hautement qualifié. Certains d’entre eux trouvent cet emploi à l’étranger, ce dont je me réjouis. Le phénomène n’est pas nouveau : certains de mes anciens camarades d’université ont monté des sociétés aux États-Unis, où ils ont fait souche ; de même, de tout temps, des étrangers sont venus s’installer en France, ce qui fait que nombre de nos compatriotes sont des descendants d’immigrés – c’est le cas de notre Premier ministre ou de moi-même.

M. Khaled Bouabdallah. Le fait d’aller étudier à l’étranger est souvent le moyen de réaliser un projet personnel, qu’il s’agisse d’acquérir un complément de formation ou une expérience internationale, ou de s’installer ultérieurement dans un autre pays. Nous faisons tout pour favoriser la circulation des étudiants, donc de la connaissance, car cela nous semble une très bonne chose. La semaine dernière, j’ai dîné à Londres avec le directeur général de l’investissement de la banque Morgan Stanley, qui est français. Quand je lui ai demandé s’il avait constaté une augmentation du nombre de jeunes Français s’installant en Angleterre, parfois décrite par la presse comme un exode, il m’a répondu que, s’il avait remarqué l’installation de quelques Français plus âgés – voire inactifs–, les arrivées de jeunes hautement qualifiés ne lui paraissaient, elles, pas plus nombreuses qu’auparavant. Quant à l’effet du contexte économique, il est réel mais n’a rien de nouveau : une personne ne trouvant pas de travail dans sa région a forcément tendance à en chercher dans une autre région, voire à l’étranger.

Le titre de votre commission d’enquête me paraît anxiogène en ce qu’il laisse supposer une fuite de tous nos talents. En réalité, ils ne partent pas tous, et d’autres viennent de l’étranger : la situation n’a donc rien d’inquiétant, bien au contraire.

M. Jean-Loup Salzmann. Si le brain drain peut constituer un risque, c’est plutôt pour les pays peu développés économiquement. Ainsi, on peut comprendre que les étudiants africains francophones soient tentés de rester en France après y avoir fait leurs études, s’ils peuvent y trouver un emploi qu’ils ne trouveraient pas dans leur pays d’origine. Afin de ne pas dépeupler ces pays de leurs élites intellectuelles, il est de notre devoir de travailler avec leurs universités en mettant en place des échanges d’enseignants et des cours à distance – ce qui est aujourd’hui possible grâce aux nouvelles technologies –, afin de former sur place les étudiants concernés.

M. Claude Sturni. S’il est vrai que son intitulé peut donner lieu à plusieurs interprétations, notre commission d’enquête a pour objectif de déterminer si le phénomène d’exil en question est ou non une réalité et, le cas échéant, d’en cerner les causes en vue d’y remédier.

Pour ma part, je me demande si le moment auquel un étudiant effectue une partie de ses études à l’étranger est susceptible d’influer sur sa décision d’y rester ou non. Pouvez-vous nous indiquer si les étudiants français effectuent de préférence leur mobilité à un stade précis de leur cursus, et ce que font en la matière les étudiants étrangers ?

M. Jean-Loup Salzmann. Historiquement, le flux principal a d’abord été constitué par les doctorants et les « post-doc », avant que la création du programme Erasmus ne le reporte sur les masters et, aujourd’hui, le mouvement gagne les étudiants de licence qui, dans certaines universités, se sentent de plus en plus obligés d’effectuer un semestre d’études à l’étranger.

Pour ce qui est des étudiants étrangers venant en France, le plus gros contingent est du niveau doctorat et « post-doc ». Actuellement, près de la moitié des doctorants étudiant dans notre pays sont étrangers et cette proportion tend à croître alors que le nombre de docteurs reste à peu près stable. Les flux ne sont donc pas similaires.

M. Khaled Bouabdallah. Les mobilités intra-européennes encadrées par une convention, qui représentent environ 30 % des mouvements, sont à peu près équivalentes d’un pays à l’autre dans la mesure où elles sont négociées sur la base d’un principe de réciprocité. Pour ce qui est de la mobilité non encadrée, c’est-à-dire des étudiants arrivant en France à titre individuel, la situation est très variable : on en voit qui viennent dès leur première année de licence – essentiellement d’Afrique –, mais on trouve aussi des étudiants en master avec, dans ce cas, une ouverture internationale beaucoup plus large. Nous avons ainsi beaucoup d’étudiants chinois en France – mais très peu de Français en Chine, les flux entre les deux pays étant asymétriques. À l’inverse, nombre de Français partent étudier au Canada – essentiellement au Québec –, tandis que nous n’attirons que peu d’étudiants canadiens : le rapport entre les deux flux est de l’ordre d’un à huit. Sur ce dernier point, la situation peut toutefois changer, car le Québec vient de supprimer une disposition particulièrement favorable aux étudiants français, qui voulait que ceux-ci règlent des droits d’inscription identiques à ceux demandés aux Québécois, donc moins chers que ceux demandés aux étudiants provenant des autres provinces canadiennes et des pays étrangers – le Canada ne pratique pas l’égalité républicaine. Nous devrons nous interroger sur la conduite à tenir en termes de réciprocité.

Mme Claudine Schmid, présidente. Avez-vous une idée de la proportion d’étudiants français partant de manière encadrée par rapport à ceux qui partent à titre individuel ?

M. Khaled Bouabdallah. Je ne connais pas le chiffre précis, mais j’estime qu’au moins 80 % des étudiants français partent dans le cadre d’une convention.

Mme Sandrine Doucet. Quand vous avez parlé d’économie, j’ai immédiatement pensé à l’une de nos plus brillantes économistes, à savoir Mme Esther Duflo, actuellement professeur au Massachusetts Institute of Technology. L’année dernière, au moment de l’examen de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, et plus particulièrement alors que nous débattions de l’article 2 de cette loi, qui introduisait les cours en langue étrangère à l’université, elle avait évoqué dans une interview la capacité de notre pays à rayonner à l’étranger. Sa présence au MIT constitue un brillant exemple de ce que vous désignez par l’expression « circulation des talents » – étant précisé qu’elle fait partie de l’élite de notre village planétaire.

Pensez-vous que l’on puisse imaginer de créer des liens entre les personnalités d’élite, telle Esther Duflo, et les étudiants de niveau master ou licence, afin de décupler l’effet positif de la mobilité ? En d’autres termes, certains talents prestigieux ne pourraient-il pas jouer le rôle d’ambassadeurs, qui fourniraient à nos étudiants une incitation supplémentaire ?

M. Khaled Bouabdallah. Mme Esther Duflo, qui enseigne également au Collège de France, est effectivement une économiste très brillante. Le domaine dans lequel elle exerce présente cependant une particularité en termes de mobilité des étudiants, du fait de l’existence d’un job market, c’est-à-dire d’un marché du travail institutionnalisé des chercheurs en économie. Nombre d’économistes français occupent d’ailleurs des postes prestigieux au sein de grandes universités américaines, certains d’entre eux conseillant même le Président des États-Unis. Reste que de telles personnalités contribuent effectivement au rayonnement de la culture et de la science françaises et, par le symbole qu’elles représentent, ont un rôle d’attraction très important sur lequel nous pourrions nous appuyer.

Au demeurant, les chiffres montrent que la mobilité ne se cantonne pas à un élitisme très étroit, puisque 100 000 étudiants français partent chaque année à l’étranger, tandis que nous en accueillons environ 300 000 venus du monde entier.

La circulaire Guéant restreignait la possibilité de passer du statut d’étudiant à celui de salarié. Il est bon qu’elle ait été abrogée, car le fait que les étudiants étrangers restent un certain temps en France après l’obtention de leur diplôme constitue un enjeu très important. D’une part, on peut considérer que l’expérience professionnelle acquise juste après le diplôme fait encore partie de la formation ; d’autre part, ces jeunes diplômés contribuent par leur présence à accroître la compétitivité des entreprises françaises.

M. Jean-Loup Salzmann. Au sujet de l’attractivité et de la possibilité qu’ont les universités françaises de faire venir des enseignants étrangers, je voudrais évoquer un point, d’ordre réglementaire plutôt que législatif, qui concerne le concours d’agrégation dans les disciplines juridiques, économiques et de gestion – que nous appelons les sections 01 à 06. Alors que, dans d’autres disciplines, on peut facilement obtenir qu’un enseignant étranger vienne occuper un poste en France, cette pratique était jusqu’à présent très compliquée à mettre en œuvre dans ces trois sections, obligeant certains de nos collègues à se livrer à diverses acrobaties réglementaires pour contourner le problème. J’espère que le nouveau décret statutaire relatif aux enseignants-chercheurs, qui doit sortir prochainement, permettra de recourir à la voie normale, à savoir le cadre défini par l’article 46-1 du décret du 6 juin 1984, pour recruter des enseignants-chercheurs étrangers sur ces marchés compétitifs du droit, de l’économie et de la gestion – étant précisé que la filière des juristes a souhaité qu’un contingentement soit maintenu. Cela répondrait à une demande très forte du monde universitaire, relayée notamment par M. Bruno Sire, président de l’université de Toulouse 1. Outre l’expérience apportée par ces enseignants-chercheurs étrangers, il est évidemment préférable pour nos étudiants qu’un cours dispensé dans une autre langue que le français le soit par un professeur dont c’est la langue maternelle.

M. Khaled Bouabdallah. Au CNRS, 30 % des recrutements annuels de chercheurs et d’enseignants-chercheurs sont des recrutements d’étrangers, ce qui est très positif quand on sait que ce marché est caractérisé par une forte concurrence, à la fois nationale et internationale – à l’université, la proportion est de l’ordre de 10 %. En raison du montant des salaires offerts pour ce type de postes aux États-Unis, nous avons du mal à être compétitifs dans ce domaine mais, fort heureusement, la France possède d’autres atouts lui permettant tout de même d’attirer certains profils de grand talent.

M. Jean-Loup Salzmann. J’ai eu dans mon université un professeur extrêmement brillant, M. Didier Fassin. Recruté par l’université de Princeton pour occuper une chaire internationale, ce qui était alors une première pour un Français, il commence à s’ennuyer un peu dans le New Jersey et envisage de revenir en France. Cela montre bien que les écarts de salaire ou les avantages fiscaux ne font pas tout !

M. Régis Juanico. Je veux d’abord dire au président Salzmann et au vice-président Bouabdallah que nous sommes nombreux, au sein de la commission d’enquête, à partager la réserve qu’ils ont exprimée sur son intitulé, en particulier sur le terme « exil », qui fait penser à un départ contraint et ne reflète donc pas tout à fait les motivations pour lesquelles un certain nombre de nos jeunes diplômés effectuent une mobilité en Europe ou ailleurs dans le monde.

Les chiffres que vous avez donnés tout à l’heure, corroborés par une étude réalisée l’an dernier par le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), montrent que l’émigration de nos diplômés est relativement faible par rapport à celle d’autres pays – vous avez cité l’Allemagne, mais je pense aussi au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, où cette émigration est jusqu’à trois ou quatre fois plus importante. La même étude montre également que la moitié des jeunes Français s’expatriant déclarent avoir l’intention de revenir dans notre pays dans les cinq ans. Enfin, comme vous l’avez rappelé, les étudiants français partant chaque année à l’étranger ne sont qu’environ 100 000, alors que nous en accueillons quelque 300 000.

En ce qui concerne les opérateurs de la mobilité internationale, nous avons auditionné Mme Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus France qui, à notre grand étonnement, nous a déclaré qu’aucun travail de coordination n’était effectué entre, d’une part, Erasmus Agence Europe-Éducation-Formation (2E2F) et Erasmus+ Jeunesse et Sport et, d’autre part, Campus France. Nous confirmez-vous ce point et, le cas échéant, pouvez-vous nous indiquer de quelle manière on pourrait parvenir à un réel partenariat entre eux ? Enfin, estimez-vous que les conditions de ressources – 615 euros – et d’hébergement exigées des étudiants étrangers pour obtenir un visa sont de nature à permettre leur venue en France dans des conditions satisfaisantes ?

M. Jean-Loup Salzmann. Les conditions posées pour l’octroi de ces visas font partie des tracasseries administratives que nous dénonçons. Elles sont au demeurant parfaitement inutiles, puisque chacun sait qu’il est possible de les contourner par certains moyens – ainsi, les étudiants ne disposant pas des conditions de ressources exigées recourent-ils à des comptes bancaires créés à cet effet, qu’ils se partagent. Il vaut mieux laisser aux universités le choix de la qualité des étudiants qu’elles souhaitent faire venir, plutôt que de s’essayer à de pseudo-sélections sans aucun intérêt.

M. Khaled Bouabdallah. Pour ce qui est du manque de coordination que vous avez évoqué, je ne suis pas certain d’avoir bien compris la fin de votre question, relative à Erasmus. Après sa fusion avec l’association Egide et sa reprise des activités internationales du CNOUS, l’agence Campus France est devenue un établissement public à caractère industriel et commercial – un EPIC. Nous n’étions pas favorables à une telle évolution, mais nous en avons pris acte et travaillons aujourd’hui avec notre opérateur national en matière de mobilité.

Il nous semble cependant que d’importants progrès restent à faire en matière d’accueil des étudiants. Alors que les CROUS, grâce à un maillage extrêmement dense du territoire et au fait qu’ils géraient à la fois les bourses et l’accueil des étudiants, constituaient le premier guichet auquel les étudiants étrangers pouvaient s’adresser, la reprise des activités internationales du CNOUS par Campus France, qui ne dispose pas du même maillage, a rendu les choses plus difficiles, surtout la première année – d’autant que celle-ci a coïncidé avec l’entrée en vigueur de la circulaire Guéant ! Depuis, les relations entre le CNOUS et Campus France se sont un peu améliorées et des progrès dans l’accueil des étudiants étrangers ont été constatés. Nous considérons pour notre part que la qualité de cet accueil se joue au niveau des services dispensés aux étudiants : il faut que des personnes les prennent en charge et les accompagnent. À cet effet, nous développons des services de type « guichet unique » en collaboration avec les préfectures et les CROUS, et nous efforçons de mobiliser encore davantage ces derniers dans la gestion de l’accueil des étudiants étrangers.

Pour ce qui est d’Erasmus Jeunesse et Sport, pouvez-vous me préciser le sens de votre question ?

M. Régis Juanico. Mme Khaiat nous a dit qu’il n’y avait pas de travail effectué en commun par l’opérateur de la mobilité entrante – l’agence Erasmus – et par celui de la mobilité sortante – Campus France.

M. Khaled Bouabdallah. Je vous confirme cette absence de coordination, que nous déplorons. En ce qui nous concerne, nous travaillons aussi bien avec l’agence Erasmus qu’avec Campus France.

M. Jean-Loup Salzmann. Nous estimons qu’il faudrait un guichet unique, à l’image des guichets « accueil Erasmus » et « sortie Erasmus » mis en place dans nos universités et des guichets uniques mis en place avec les CROUS et avec les préfectures. Campus France est, pour sa part, un très bon organisateur de conventions internationales – à chacun son métier.

M. Khaled Bouabdallah. Pour vous donner une idée de la difficulté et de la complexité des choses, je dois préciser que les services du ministère des Affaires étrangères se substituent souvent aux établissements d’enseignement supérieur dans le choix des étudiants étrangers accueillis en France, en intervenant non seulement en matière de visas, mais aussi en délivrant des bourses à certains étudiants. Depuis des années, nous demandons que ces bourses soient pilotées par les établissements d’enseignement, afin d’arriver à une stratégie véritablement concertée entre eux et l’État.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie tous deux pour cet échange constructif et fructueux.

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Audition du mercredi 11 juin

À 17 heures 15 : M. Pascal Coudin, président de l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) et de M. Marc Bornhauser, président de la commission Fiscalité patrimoniale de l’IACF.

M. Régis Juanico, président. Nous accueillons M. Pascal Coudin, président de l’Institut des avocats conseils fiscaux – IACF –, et M. Marc Bornhauser, président de la commission « fiscalité patrimoniale » de l’IACF. Avec cette audition, nous abordons un sujet qui défraie régulièrement la chronique : l’exil fiscal. On touche là au cœur de la question de l’expatriation dite subie, par opposition à l’expatriation volontaire qui constitue un atout pour notre pays et pour son insertion dans la mondialisation. Certains de nos compatriotes s’estiment en effet contraints de quitter la France à cause d’un système qu’ils jugent trop lourd et trop déresponsabilisant. Comment vous, avocats conseils fiscaux, appréhendez-vous ce phénomène et a-t-il évolué au cours des dernières années ? Quels contribuables touche-t-il principalement ? Quels impôts sont incriminés par ces exilés fiscaux et que recherchent-ils dans les pays dans lesquels ils s’installent ?

Mais, avant de vous donner la parole, je dois, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Pascal Coudin et Marc Bornhauser prêtent serment.)

M. Yann Galut, rapporteur. Je commencerai par une question un peu en marge de notre sujet. Selon l’un de vos confrères rencontré lors d’une conférence sur l’évasion fiscale organisée par l’université Paris Dauphine, on constaterait une multiplication des perquisitions dans les cabinets de fiscalistes. L’ordre de grandeur qu’il m’a donné – une perquisition par semaine – m’a effrayé. Est-ce un fait que votre association a pu vérifier ? Disposez-vous d’informations et, sans citer de noms bien sûr, pourriez-vous éventuellement m’adresser une lettre sur le sujet ?

M. Pascal Coudin, président de l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF). Nous ne tenons pas de statistiques en la matière et je suis incapable de confirmer ou d’infirmer les propos de ce confrère. Reste qu’il y a une augmentation du nombre de perquisitions dans les cabinets d’avocats. Je vous suggère de vous adresser au conseil de l’ordre puisqu’un représentant du bâtonnier assiste à chaque perquisition.

M. Marc Bornhauser, président de la commission « fiscalité patrimoniale » de l’IACF. Nous pourrons poser la question à M. Vincent Nioré, délégué du bâtonnier de Paris pour les perquisitions, qui est intervenu lors de la conférence que nous avons organisée au mois de janvier sur la loi relative à la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

M. Pascal Coudin. J’ai noté que l’un des objectifs de la commission d’enquête était de parvenir à une estimation chiffrée de l’exil fiscal et, éventuellement, du manque à gagner qui en résulte pour le budget de l’État, mais nous ne disposons pas de ces données. En revanche, nous pouvons vous éclairer sur les motivations des particuliers qui songent à établir leur résidence à l’étranger et des entreprises qui envisagent de relocaliser leur siège social. Marc Bornhauser étant spécialisé en fiscalité patrimoniale et moi-même en fiscalité des entreprises, je propose que nous abordions ces deux cas à tour de rôle, en commençant par celui des personnes physiques.

M. Marc Bornhauser. C’est celui des deux sujets qui me paraît être au cœur de vos préoccupations. Je m’exprimerai autant au nom de l’Institut des avocats conseils fiscaux, dont je préside la commission de doctrine « fiscalité du patrimoine », qu’en tant qu’avocat patrimonialiste. J’ai eu le regret d’accompagner un certain nombre de personnes vers des destinations qu’elles estimaient, à tort ou à raison, fiscalement plus favorables pour elles – je dis bien « regret » car vous devez comprendre qu’un client délocalisé est pour nous un client perdu. Nous, avocats fiscalistes, n’encourageons en aucune manière l’exil fiscal de nos clients. Nous sommes favorables à toute mesure propre à les convaincre de rester payer des impôts en France car, sans impôts, nous ne percevons pas d’honoraires !

Trois types d’impôts font fuir les Français.

D’abord l’impôt sur le revenu, au sens large. Mais en fait, il n’y contribue pas vraiment : l’impôt sur les revenus d’activité n’est pas ressenti, en France, comme particulièrement douloureux, avec néanmoins une petite réserve en ce qui concerne la fiscalité sur les dividendes, devenue moins favorable – encore que je n’aie jamais vu un client quitter notre pays pour cette raison. En revanche, j’en ai vu beaucoup le faire à cause de la fiscalité sur les plus-values, point très sensible.

L’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – est le deuxième à pousser les contribuables à partir.

Le troisième, auquel on ne pense pas a priori mais qui devient de plus en plus déterminant, est constitué des droits de mutation à titre gratuit – DMTG. Il y a toujours eu des gens pour aller mourir en Suisse afin de transmettre en franchise d’impôt leur patrimoine à leurs héritiers français, mais nous avons véritablement constaté une vague de départs à partir de 1995, quand le Premier ministre de l’époque, M. Alain Juppé, a plafonné le plafonnement de l’ISF. Certains se sont ainsi mis à payer plus d’impôt sur leur patrimoine que celui-ci ne produisait de revenus ; ils en ont conclu qu’ils n’avaient d’autre choix que de quitter la France.

Les autorités ne sont pas restées inactives face à ce phénomène et, dès avant la fin de la décennie, plusieurs mesures ont été prises pour tenter de limiter l’exil fiscal.

C’est ainsi que la fiscalité des plus-values s’est enrichie de la fameuse exit tax, impôt de sortie, qui a connu un certain nombre d’avatars mais qui, dans sa dernière version, a trouvé sa vitesse de croisière, en harmonie avec la réglementation communautaire.

En matière d’ISF, le contrôle fiscal des non-résidents s’est accentué ; on s’est mis à les traquer pour bien vérifier combien de temps ils passaient en France – en application de la règle des 183 jours popularisée par la presse, en fait bien plus complexe qu’il n’y paraît à appliquer. Quasi tous les délocalisés à fort enjeu fiscal ont fait l’objet d’un examen de leur situation fiscale personnelle – ESFP – pour s’assurer qu’ils étaient bien partis et certains ont subi un redressement.

Quant aux DMTG, le législateur en a modifié l’assiette par l’article 750 ter, alinéa 3, du code général des impôts, introduisant une spécificité que nous ne partageons qu’avec l’Allemagne : les bénéficiaires résidents français se trouvent soumis à l’impôt sur les donations et successions alors même que l’auteur de celles-ci est résident à l’étranger et que les biens transmis ne sont pas situés en France.

Les contribuables, de leur côté, ne sont pas restés insensibles à ces mesures et s’y sont adaptés. Dans les années 1990, nous avions des entrepreneurs en fin de carrière qui vendaient leur entreprise et partaient ; ou d’autres qui, ayant vendu leur entreprise et ne supportant pas le poids de l’ISF qui s’abattait brusquement sur eux du fait qu’ils n’étaient plus exonérés au titre des biens professionnels, décidaient de partir ; nous avions également ce flux qui ne s’est jamais tari de gens qui voulaient mourir à l’étranger pour économiser les droits de succession.

Dans les années 2000, le profil des contribuables tentés par l’exil a changé. De jeunes entrepreneurs ont commencé à quitter la France, particulièrement depuis la réintroduction de l’exit tax. Âgés de 30 à 40 ans, ils sont venus nous voir en expliquant qu’ils ne disposaient que de fonds ne valant pas encore grand-chose, leur entreprise étant financée par de la love money, mais que leur projet avait bien démarré et qu’ils étaient décidés à partir. D’autres, âgés de 25 ans, après avoir réussi HEC ou Polytechnique, souhaitaient créer leur entreprise et, adressés par un ami, nous consultaient sur la fiscalité des plus-values et j’apprenais par la suite qu’ils étaient partis à l’étranger après avoir découvert ce qu’ils auraient à payer en cas de succès et qui leur a paru insupportable. Je n’ai pas encouragé ce calcul car, avant de payer un impôt sur les plus-values, encore faut-il en réaliser – et où a-t-on de meilleures chances d’y parvenir que dans son pays d’origine, c’est-à-dire dans un contexte que l’on connaît et maîtrise ? Mais certains s’installent dans le pays où, à la faveur d’un programme d’échanges avec leur grande école, ils ont effectué une partie de leurs études et où ils se sentent bien.

La modification de l’assiette des DMTG a eu une autre conséquence : de plus en plus nombreux sont ceux qui, s’étant déjà délocalisés, demandent à leurs enfants de partir de France pour pouvoir leur transmettre, en franchise d’impôt de préférence, leur patrimoine. Ce phénomène pernicieux ne fait que prendre de l’ampleur. Soit le cas d’un quadragénaire dont la part d’héritage sera de 5 millions d’euros à la mort de son père, actuellement âgé de 70 ans. Si le père ne prépare pas sa transmission – ce que l’évolution de la législation a rendu de plus en plus difficile –, les DMTG, après abattement d’assiette, se monteront à près de 2 millions d’euros. Ce père ayant une espérance de vie d’environ treize ans, combien le fils, restant résident français, doit-il gagner, net de charges sociales et d’impôt sur le revenu, en plus de ce qu’il gagne déjà, pour que, d’ici au décès de son père, il puisse récupérer une somme d’environ 2 millions d’euros ? En supposant qu’il soit taxé à la plus haute tranche du barème – 45 % – en raison d’un revenu mensuel de 12 750 euros, il devra gagner, en treize ans, 3,6 millions d’euros nets d’impôts, soit un revenu mensuel supplémentaire de près de 23 000 euros. Autrement dit, pour compenser le coût des DMTG, il devra quasiment tripler sa rémunération.

Cet exemple est celui, quelque peu extrême, de quelqu’un qui gagne bien sa vie et qui n’a qu’à tripler sa rémunération, mais quelqu’un qui gagne 3 000 euros par mois paiera certes un peu moins d’impôts mais aura une marche encore plus haute à franchir puisqu’il lui faudra multiplier par dix ou vingt sa rémunération pour récupérer cet avantage. Voilà, mesdames et messieurs, une forte incitation à aller voir ailleurs. Pour les fonctionnaires, les salariés et les professions libérales, c’est même rédhibitoire et ils partent – c’est moins vrai pour les entrepreneurs.

La dénonciation, sans doute à la fin de ce mois, de la convention fiscale franco-suisse en matière de droits de succession est de nature à accélérer ce mouvement puisque les enfants de résidents suisses perdront la protection dont ils bénéficient aujourd’hui. Or ces départs n’apparaissent pas dans les statistiques : les personnes concernées n’ont rien, sinon un bien en nue-propriété, elles ne sont pas assujetties à l’ISF, ne paient pas forcément beaucoup d’impôt sur le revenu et, quand elles partent, elles ne sont pas soumises à l’exit tax. Il reste par conséquent difficile de les identifier, à moins d’aller voir là où résident les héritiers des groupes Carrefour, Auchan, etc. Ils se trouvent pour beaucoup en Belgique – j’en ai aidé un certain nombre à s’y installer – et ils ont passé la frontière sans faire frémir les statistiques puisque leur départ ne présentait aucun enjeu fiscal, au contraire de ce qui se passera au moment où la transmission de patrimoine aura lieu.

Une solution alternative consiste pour les parents à s’installer dans des pays liés avec la France par une convention en matière de droits de succession et de donation et dont la législation ne comporte pas de DMTG ou bien les fixe à un taux très faible. C’est le cas de l’Italie avec un taux de 4 %, de l’Autriche et de la Suède, où il n’y a pas de droits de succession. Or cette solution qui nous arrangerait puisqu’elle permettrait aux enfants de rester en France, je ne parviens pas à la « vendre » ! J’ai eu du mal à envoyer un seul client en Suède ; le niveau de la dette publique italienne fait craindre que le régime fiscal de faveur ne dure pas et, pour ce qui est de l’Autriche, les germanophones sont de plus en plus rares : bref, ces destinations ne sont pas très séduisantes…

La presse a publié de nombreux articles sur l’exil fiscal, mais aucun à ma connaissance sur le phénomène que je viens de décrire, et qui aboutit à une perte de substance. Ce sont en effet des jeunes qui ont fait leurs études en France, souvent payées avec nos impôts, que nous allons perdre pour la raison idiote qu’ils ne parviendront pas à se constituer un patrimoine après impôts comparable à ce qu’ils récupéreraient s’ils ne devaient pas acquitter de droits de succession.

M. Pascal Coudin. La problématique que je vais aborder – celle des transferts à l’étranger de centres de décision d’entreprises – est sensiblement différente de celle qui vient de vous être exposée. Votre attention a sans doute été attirée sur des opérations telles que le rapprochement de Lafarge et de Holcim ou la fusion avortée entre Publicis et Omnicom. Parmi ces opérations, qui n’ont rien d’une nouveauté, il convient de distinguer deux cas de figure, selon que le transfert du siège social se fait ou non à l’occasion d’un rapprochement avec un groupe étranger. Lorsque les deux choses sont liées, l’opération n’est en aucune manière motivée en premier lieu par des considérations fiscales. Il arrive en revanche que celles-ci soient à l’origine de la décision dans le second cas, le transfert du centre de décision pouvant alors s’accompagner d’un transfert des activités.

Supposons qu’un groupe français F et un groupe allemand A tous deux cotés souhaitent « fusionner ». Dans le cadre d’une opération publique d’échange de titres – OPE – une des deux sociétés va proposer aux actionnaires de l’autre de lui transférer leurs titres en échange d’autres qu’elle-même émettra ; ainsi, si F lance une OPE sur A, les actionnaires de A vont transférer à F leurs titres et F va les rémunérer en émettant de nouveaux titres de son capital. Trois scénarios sont dès lors possibles : F lance une OPE sur A ; A lance une OPE sur F ; une nouvelle société – appelons-la par convention la Holdco, pour « holding commune » –, constituée dans un pays tiers, par exemple les Pays-Bas, lance une OPE sur A et F. Les motifs conduisant à choisir un scénario plutôt qu’un autre sont rarement fiscaux ; plus exactement, si des considérations fiscales entrent en compte dans la réflexion devant conduire à une OPE, elles auront bien davantage pour objet de s’assurer de la neutralité fiscale de l’opération que d’obtenir un avantage fiscal.

Prenons le troisième scénario, celui d’une société néerlandaise qui prend le contrôle des deux sociétés française et allemande. Ce choix est d’abord d’ordre politique : le groupe français ne veut pas donner l’impression qu’il passe sous le contrôle d’un groupe allemand et réciproquement ; on choisit donc un pays réputé neutre, chacun estimant alors son orgueil national sauf. Si, je le répète, la décision d’aller dans un pays tiers n’est pas dictée par des considérations fiscales, en revanche, une fois qu’elle est arrêtée, celles-ci peuvent entrer en ligne de compte dans le choix de la localisation de la société holding. Comme on ajoute une société dans la chaîne de distribution des bénéfices, on ajoute en effet des charges fiscales – par exemple cette société Holdco pourra avoir à supporter un impôt sur les dividendes qu’elle recevra ou à payer un impôt quand elle-même redistribuera des dividendes. À ces égards, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Luxembourg offrent des régimes fiscaux avantageux – mais, encore une fois, il ne s’agit que d’éviter un surcoût fiscal par rapport au statu quo ante et non d’obtenir une économie d’impôt. Quoi qu’il en soit, il y aura un double manque à gagner pour le budget français, du fait d’abord de la perte des retenues à la source sur des dividendes que F distribuait à des non-résidents – je rappelle que le CAC 40 est détenu pour moitié par des étrangers. En effet les dividendes que F distribuera à Holdco après l’OPE seront eux exonérés de retenue à la source en application des règles communautaires. Ensuite la retenue à la source que la Holdco néerlandaise prélèvera sur les dividendes versés à des résidents français leur ouvrira droit à un crédit d’impôt en France.

Dans l’hypothèse où la holding n’est pas constituée dans un pays neutre, il s’agit de savoir laquelle des deux sociétés, A ou F, va lancer l’OPE sur l’autre. La décision obéit à des considérations politiques, financières, juridiques puis, en bout de course seulement, fiscales, mais notre fiscalité ne milite pas en faveur du choix de la société française comme tête de groupe. En effet, les dividendes que recevrait F de A seraient taxés pour 5 % de leur montant et quand elle en redistribuera, elle devra payer 3 %, toutes impositions qui n’existent pas dans la plupart des autres pays. En outre, il y aura retenue à la source sur les distributions aux actionnaires non-résidents, contrairement à ce qui se passe, par exemple, au Royaume-Uni. À tout cela s’ajoute que la loi fiscale française est réputée particulièrement instable.

Si la société française devient la société faîtière, on aura donc un surcoût provenant de l’imposition des distributions de bénéfices provenant de la société allemande. Cessant d’être directement distribués aux actionnaires, ils passeraient, après l’OPE, par la société française et seraient alors soumis aux deux impositions successives, de 5 % au moment de leur encaissement par cette dernière et de 3 % à l’occasion de leur redistribution. Si c’est à l’inverse la société allemande qui contrôle la société française, la première ne se verra pas appliquer ces impositions, qui ne concerneront que la seconde.

On retiendra de ces scénarios que la fiscalité n’est pas la motivation première du transfert éventuel d’un centre de décision hors de France et que, d’autre part, ces opérations ne concernent que le capital des sociétés françaises, leurs activités n’étant pas affectées : elles conservent en France leurs établissements et continueront de payer dans notre pays l’impôt sur les sociétés et leurs impôts locaux. Mais il importe aussi de noter que la fiscalité sur la distribution des dividendes ne plaide pas pour qu’une société française soit choisie comme holding dans le cadre d’une OPE.

La fiscalité des dirigeants, quant à elle, est rarement prise en compte dans le choix des modalités de la fusion. Une raison en est sans doute que les dirigeants de groupes multinationaux exercent souvent leur activité dans un autre pays que celui du siège social de la société tête de groupe. Cela étant, il n’est pas inutile de rappeler que, pour ceux qui exercent leurs fonctions en France, la fiscalité sur les rémunérations, notamment sur les stock options et sur les attributions d’actions gratuites, s’est alourdie dans une proportion notable, sans oublier l’effet de la taxe de 75 %, certes ponctuelle mais qui a frappé les esprits.

Radicalement différent des cas de figure précédents est celui d’une société française qui, indépendamment de toute opération de rapprochement avec une autre, décide de transférer son siège ou ses activités hors de France. Cette opération peut, elle, être motivée par des considérations fiscales et conduire à une déperdition de matière imposable pour le Trésor français.

Le transfert du seul siège social ne devrait pas entraîner énormément de conséquences sur la base taxable à l’impôt sur les sociétés en France, puisqu’on applique un principe de territorialité – est imposé en France le bénéfice qui y est réalisé. En revanche, si cette société transfère à l’étranger non seulement son siège, mais également des activités, le résultat de ces dernières cesse d’être imposé en France. Un texte a été adopté il y a deux ans, non pour empêcher ces transferts d’activité, ce qui serait contraire au droit communautaire, mais pour instaurer une exit tax un peu équivalente à celle qui est en vigueur pour les personnes physiques. Ainsi, lorsque des actifs sont transférés hors de France, les plus-values sont soumises à imposition, avec cependant la possibilité d’en étaler le paiement.

M. Philip Cordery. Vous avez précisé que votre profession ne vivait pas de l’exil fiscal et que vous n’aviez pas intérêt à le promouvoir. En revanche, certains de vos collègues de Belgique en font beaucoup pour gonfler le nombre réel de cas et pour donner l’image d’un véritable exil, cela dans le but d’accroître le nombre potentiel de leurs clients. Constatez-vous vraiment une accélération de ces départs depuis deux ans et avez-vous des chiffres permettant de connaître le nombre de personnes quittant la France pour des raisons fiscales ? Vous citiez les Mulliez, mais ils sont installés depuis très longtemps en Belgique, comme du reste la plupart des grandes familles rentières françaises qui vivent dans ce pays.

M. Marc Bornhauser. En effet, nos confrères belges et suisses se régalent de nos malheurs et, s’ils nous font miroiter un partenariat « gagnant-gagnant », on sait ce que valent ces promesses. Ce qu’ils font est humain et j’en ferais autant à leur place. Nous en revenons au principe de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Ainsi ce que nous perdons ici, eux le gagnent. J’ai donc l’idée, pour l’instant latente, d’ouvrir un jour un cabinet secondaire en Belgique ou en Suisse qui pourrait même devenir, à terme, mon cabinet principal : si tous mes clients quittent la France, je serai bien contraint de les suivre pour essayer de continuer à gagner ma vie !

Le phénomène s’est-il accentué ? Paradoxalement, le Conseil constitutionnel a fait beaucoup pour la France ces derniers temps en invalidant le nouveau mode de calcul du plafonnement de l’ISF car force est de constater qu’avec un plafonnement de l’ISF à 75 %, la situation, sans être aussi favorable qu’avec le bouclier fiscal, l’est beaucoup plus qu’avant son instauration. En 2012, au moment du changement de majorité, certains de mes clients m’avaient annoncé leur volonté de partir. Ils ont ensuite très mal vécu la contribution exceptionnelle sur la fortune, cette « resucée » d’ISF, qu’ils ont dû payer le 15 novembre 2012. Or, la décision du Conseil constitutionnel les a fait rester. De même ils se sont montrés satisfaits de la sanction par le Conseil du projet du Gouvernement, qui voulait inclure dans les revenus à prendre en compte pour le calcul de l’ISF les revenus latents des fonds en euros des contrats d’assurance-vie et de capitalisation. Aussi, depuis 2012, n’ai-je pas observé de hausse sensible du nombre d’exils fiscaux dus à l’ISF parmi ma clientèle traditionnelle, composée pour l’essentiel de rentiers âgés.

Pour d’autres, il est maintenant trop tard, le Conseil d’État n’ayant sanctionné qu’à la marge la nouvelle exit tax, ainsi reconnue compatible avec les directives communautaires et avec les engagements internationaux de la France. Il ne reste qu’à en prendre acte et à souffrir en silence.

Enfin, la question du déplacement de la source de la taxation de la richesse concerne davantage les entreprises que les particuliers : il paraît difficile de taxer un particulier ailleurs que dans le lieu où il se trouve physiquement.

M. Philippe Cordery. Dans le cadre de l’Union européenne, une réflexion est menée sur la possibilité de substituer à l’imposition dans le pays de résidence l’imposition dans le pays où la richesse a été produite, ce qui réglerait nombre de nos problèmes d’optimisation fiscale. Ne pensez-vous pas que les conventions fiscales bilatérales devraient s’inspirer de ce principe ?

M. Pascal Coudin. La fiscalité est de la compétence exclusive des États et l’Union européenne ne peut rien en la matière.

M. Philip Cordery. Je pensais plutôt à une modification de l’esprit des conventions.

M. Pascal Coudin. En l’absence de convention, le droit interne prévoit l’imposition en France d’un certain nombre de revenus qui y ont leur source alors même que celui qui les perçoit n’est pas résident français. Il s’agit notamment des revenus immobiliers, des salaires gagnés en France et des plus-values réalisées par un contribuable détenant plus de 25 % du capital d’une société.

Les conventions bilatérales, qui ont pour objet de faciliter les échanges économiques entre les résidents et les États, suppriment certaines de ces impositions. Le plus souvent, l’imposition des plus-values est attribuée à l’État de résidence – d’où l’instauration d’une exit tax. La France pourrait certes renégocier les conventions auxquelles elle est partie mais, puisqu’elles sont bilatérales, ce qu’on gagnera d’un côté, on le perdra de l’autre : la vente par un non-résident d’une participation en France sera certes taxée, mais celle d’une participation à l’étranger par un résident français cessera de l’être.

M. Claude Sturni. Je reste un peu sur ma faim en ce qui concerne l’évaluation quantitative du phénomène : au-delà de quelques exemples bien mis en valeur par les médias, quelle est l’ampleur réelle des transferts à l’étranger de centres de décision d’entreprises, qui semblent plus nombreux que les transferts vers la France ? Avez-vous des chiffres ?

M. Pascal Coudin. C’était implicite dans mon propos : la France est rarement le pays choisi pour y constituer la structure faîtière d’un groupe. Mais je ne suis pas en mesure de vous donner des chiffres sur les délocalisations fiscales. Seule l’administration pourra vous répondre.

M. Claude Sturni. Je préfère que vous le disiez.

D’autres scénarios peuvent être étudiés que ceux que vous avez présentés ; le rapprochement entre deux sociétés françaises dont le siège est en France mais dont les activités se répartissent entre plusieurs pays peut ainsi être l’occasion d’une optimisation.

Pour ce qui est des exilés fiscaux qui rejoignent la Belgique, beaucoup viennent du Nord, ce qui n’entraîne pas vraiment un dépaysement. De même, pour les Alsaciens, il est plus facile de s’installer en Suisse que pour les Bretons. L’éloignement peut être un frein à la mobilité, sauf sans doute pour les grandes fortunes. N’y a-t-il pas une géographie de l’exil fiscal ?

M. Marc Bornhauser. J’alerte ceux de mes clients qui cherchent à quitter la France pour des raisons fiscales sur le traumatisme qu’ils vont vivre : ils vont perdre leurs relations, il va leur falloir en nouer d’autres… Et quand on a 70 ans, il faut être très motivé ou ne pas avoir le choix pour prendre ce type de décision. J’en ai – et je m’en targue – découragé un certain nombre. Et à ceux qui cherchaient à me rassurer en me disant qu’ils ne seraient là-bas qu’officiellement mais continueraient à vivre en France avec de l’argent liquide, je répondais que ce n’était désormais plus possible et que je ne m’occupais que de vraies délocalisations, qui emportent des conséquences et entraînent des contraintes. Je demandais donc à ces clients s’ils étaient prêts à changer totalement de vie, si leur femme y était prête également, car, très souvent, c’est de ce côté-là que cela « coince », les femmes ne voyant pas du tout les choses de la même manière : pour elles, les relations sociales comptent plus que les questions d’argent. J’ai ainsi l’exemple de la conjointe d’un client qui veut revenir en France tant elle s’ennuie ; et pourtant elle n’est qu’à Tournai. Eh bien, Tournai n’est pas Lille ni le « triangle BMW » – Bondues, Marcq-en-Barœul, Wasquehal !

Il est exact que la géographie compte. Le Nord s’est vidé au point qu’une vie à la française s’est recréée à Tournai, à Courtrai et à Orcq, où les exilés fiscaux se retrouvent tous. Dans ce cas, le départ ne présente plus d’inconvénients. En revanche, un habitant de Rennes peut peut-être aller à Jersey, mais vivra un traumatisme s’il s’installe en Belgique. Je n’ai d’ailleurs pas aidé beaucoup de Bretons à se délocaliser hors de France, mais bien plutôt des gens du Nord vers la Belgique, des Lyonnais, des Alsaciens ou des Savoyards vers la Suisse et des Parisiens, eux aussi vers la Suisse et la Belgique mais également vers l’Angleterre. Il est vrai que je n’ai pas vu partir à l’étranger la richesse de province.

M. Claude Sturni. Ce n’est pas parmi les rentiers classiques que vous avez noté la plus forte évolution ces derniers temps. Autrement dit, l’exil fiscal est le fait d’autres catégories, notamment de jeunes, ce qui m’inquiète car il s’agit pour le coup de forces vives, ou de potentielles forces vives…

M. Marc Bornhauser. Je vous le confirme. C’est un problème pour la France. Or vous allez voir qu’avec la dénonciation de la convention franco-suisse, à partir de 2015, il va vraiment se passer des choses qui ne seront pas bonnes du tout pour notre pays.

M. Régis Juanico, président. Que pensez-vous du rapport de la Direction générale des Finances publiques demandé à l’initiative de M. Gilles Carrez et remis au Parlement en janvier dernier, sur l’évaluation des départs pour l’étranger et des retours en France de contribuables ? Cette étude permet-elle une meilleure appréhension du phénomène et ses résultats vous semblent-ils cohérents avec vos impressions de professionnels ? Quelles autres données faudrait-il obtenir de l’administration fiscale pour la compléter ?

Quelle appréciation portez-vous sur le régime dit des impatriés, introduit en 2003 et élargi par la loi de modernisation de l’économie en 2008 ? A-t-il atteint ses objectifs, en particulier celui de renforcer l’attractivité du territoire français et d’encourager l’installation en France de cadres de haut niveau ? Peut-on l’améliorer pour favoriser le retour des expatriés français ? Enfin, peut-on établir un parallèle avec le régime de remittance basis applicable au Royaume-Uni ?

M. Marc Bornhauser. Le régime des impatriés est un bon régime et j’ai des clients, mais peu nombreux, qui sont revenus en France pour en profiter, surtout à partir de 2008, et qui le regrettent. C’est surtout l’exonération d’ISF pendant cinq ans des biens situés hors de France qui me concerne à travers mes clients, et beaucoup moins celle des sur-salaires versés pour compenser la différence de coût de la vie ou l’abattement de 50 % sur les revenu financiers. Certains ont regretté, donc, d’avoir franchi le Rubicon, leurs impôts n’ayant pas cessé d’augmenter depuis leur retour en France et, au bout des cinq ans d’exonération, ils ont été plusieurs à repartir. L’une de leurs principales motivations était l’instabilité fiscale, qui reste un réel problème. Notre profession s’adapte et je peux même démontrer à mes clients que la France est un paradis fiscal – grâce au pacte Dutreil, vous pouvez transmettre votre entreprise dans de meilleures conditions que presque partout ailleurs… Mais quand on considère l’évolution, ces dernières années, de la fiscalité des plus-values, c’est invendable !

M. Pascal Coudin. Le régime des impatriés s’adresse à des gens qui vivent pour l’essentiel de leur travail. L’exil fiscal dont il est question, sous réserve des nouveaux développements signalés par Marc Bornhauser, concerne des gens qui disposent d’un patrimoine dont ils peuvent vivre. Aussi le régime des impatriés ne va-t-il pas éviter un exil fiscal qui a pour objet de réduire la fiscalité qui frappe le patrimoine.

M. Marc Bornhauser. Ce n’est pas ainsi, en effet, que nous allons faire revenir ceux qui sont partis.

J’avais rencontré le président Carrez pour le sensibiliser à l’exil de ces jeunes héritiers en puissance dont je viens de parler. Il semble m’avoir bien entendu, mais il faudrait se livrer à un véritable travail d’enquête pour les trouver : ils sont difficiles à détecter puisqu’ils ne font pas de vagues – ils n’ont pas de patrimoine et ne sont donc pas passibles de l’exit tax. Quand ils partent, cela ne se voit pas – et c’est là que votre commission d’enquête aurait un rôle à jouer.

M. Régis Juanico, président. Je vous remercie.

*

* *

Audition du mardi 17 juin 2014

À 16 heures 45 : Mme Florence Trouillot, directrice du site Expatunited.com et M. Hervé Heyraud, président du site Lepetitjournal.com.

Mme Monique Rabin, présidente. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui des responsables de sites et de médias dédiés aux Français expatriés : Mme Florence Trouillot, directrice de la publication et responsable de la rédaction du site Expatunited.com, lequel se définit comme « un site d’entraide et de réseau pour les expatriés et futurs expatriés français/francophones dans le monde entier » ; et M. Hervé Heyraud, président et fondateur de Lepetitjournal.com, média en ligne présentant à la fois des informations générales et des informations locales dans 43 villes du monde à l’intention de nos compatriotes expatriés.

Cette table ronde devait également réunir M. Henri Bazerque et Mme Sandrine Chauvet, représentants du site Mondissimo.com, mais ils ont fait savoir ce matin auprès du secrétariat qu’ils ne pourraient malheureusement pas être présents en raison de la grève à la SNCF.

L’objet de cette commission d’enquête est de s’interroger sur le phénomène de l’expatriation de nos concitoyens – beaucoup d’entre nous ne sont pas très satisfaits du terme « exil » utilisé dans son intitulé. Il s’agit, comme le répète le président Chatel, de déterminer si ce phénomène et son évolution ne font que témoigner de l’insertion grandissante et souhaitable de la France dans la mondialisation ou si, au contraire, il résulte d’une perte d’attractivité ou de compétitivité de notre pays conduisant nos compatriotes à privilégier un déroulement de leur carrière professionnelle à l’étranger.

Madame, monsieur, il nous a semblé que vos sites Internet respectifs faisaient de vous des observateurs privilégiés de la situation et de l’état d’esprit de nos compatriotes installés à l’étranger. Vous saurez évoquer les raisons de leur départ, l’appréciation qu’ils portent sur leur séjour à l’étranger et leurs intentions quant à un éventuel retour en France. Vous nous direz ainsi quelle photographie on peut faire de la communauté des Français de l’étranger et comment elle a évolué au cours des dernières années.

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Florence Trouillot et M. Hervé Heyraud prêtent serment.)

M. Hervé Heyraud, président du site Lepetitjournal.com. Je suis président et fondateur du site Lepetitjournal.com, journal quotidien en ligne dédié aux Français qui vivent à l’étranger, mais aussi aux francophones locaux, qui sont entre 25 % et 30 % à nous lire. J’ai créé ce site en 2001, à l’époque où j’étais expatrié au Mexique.

L’originalité de notre journal est de présenter à la fois des informations générales, notamment via les dépêches de l’Agence France Presse, et des informations sur les thématiques de l’expatriation, touchant aussi bien à la sphère personnelle, qu’à l’emploi, la carrière à l’étranger, la représentation politique des Français de l’étranger au travers des députés, sénateurs, ministres et conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Notre site propose donc des éditions locales, grâce à des partenaires situés dans 43 villes du monde qui exploitent notre marque. Au contact de notre public, ces derniers font de notre site un vrai journal de proximité, qui peut ainsi donner à la fois des informations générales – politiques, sociales, culturelles, économiques – sur le pays où l’on vit, des informations communautaires – sur les Français dans le pays –, et des informations pratiques, visant à faciliter la vie quotidienne des Français installés sur place et confrontés à la barrière culturelle et linguistique.

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Aujourd’hui, notre poids sur le marché de l’expatriation est assez important : plus de 350 000 personnes nous lisent chaque mois et un peu plus de 20 millions d’articles seront lus cette année – chiffres appréciables pour un média de niche. Notre public continue de croître : le journal existe depuis treize ans, le réseau de partenaires depuis environ sept ans – nous sommes passés de 3 villes partenaires en 2005 à 43 aujourd’hui –, et il reste de nombreuses zones où, nous l’espérons, les expatriés nous connaîtront à l’avenir.

Je suis rentré en France après avoir passé treize ans à l’étranger. Dans notre bureau à Paris, nous produisons une partie des contenus, relisons et validons l’intégralité des contenus des éditions. Nous apportons tous les supports – informatiques, promotionnels, marketing, référencement par les réseaux sociaux, communication interne – à nos différents partenaires. Nous commercialisons de la publicité auprès d’annonceurs internationaux, qui peuvent ainsi toucher aussi bien un expatrié à Mexico qu’un expatrié à Shanghai.

Ainsi, notre modèle repose à la fois sur la transmission de savoir-faire – nous expliquons à nos différents partenaires comment exploiter notre marque – et sur la mutualisation de moyens. Ce modèle fonctionne bien, puisqu’il permet de partager les charges et les revenus, y compris l’inventaire publicitaire.

Comme je l’ai souligné, notre public grandit. Sachant que 2,5 millions de Français vivent hors de l’Hexagone et que nous avons 350 000 visiteurs uniques chaque mois, nous estimons notre part de marché à environ 15 % – mais des Argentins, des Roumains, des Chinois nous lisent également. Selon nous, la progression du nombre de Français de l’étranger va aller croissant, ce qui laisse augurer de beaux jours pour notre journal.

Mme Florence Trouillot, directrice de la publication du site Expatunited.com. Le site Expatunited.com, que j’ai fondé il y a quatre ans, est un réseau social gratuit destiné aux expatriés et futurs expatriés du monde entier. Il permet à ses membres de rechercher des Français par pays, par ville, mais aussi – et c’était l’objectif premier du site – par loisir afin de rencontrer des partenaires de tennis, de football, de peinture, etc. Il s’agit donc d’un réseau social, mais également d’un site d’entraide, notamment entre futurs expatriés et expatriés sur place.

Organisé par pays, le site compte à ce jour 8 500 membres et est présent dans environ 135 pays.

Notre réseau social permet également à la communauté de s’entraider au travers de questions-réponses et de « bons plans », mais aussi d’organiser des événements pour des rencontres sur place.

Expatunited.com a aussi créé il y a quatre ans les « Rendez-vous de l’expatriation », des webconférences destinées aux expatriés et futurs expatriés. Animées environ une fois par mois par des experts, ces vidéoconférences interactives visent à donner des informations à la communauté et surtout de répondre en direct à des questions sur des thèmes liés à l’expatriation, tels que « comment réussir son expatriation », « comment réussir son retour d’expatriation », « la santé sur place ». Le prochain rendez-vous sera organisé le 3 juillet prochain avec l’ambassade du Canada à Paris sur le thème « Toutes les clés pour travailler au Canada ». Ces webconférences – que j’organise depuis un an en partenariat avec lepetitjournal.com – ont beaucoup de succès, car elles permettent aux futurs expatriés ou aux personnes déjà sur place de trouver des réponses à leurs questions.

M. Christophe Premat. Député des Français établis hors de France pour la troisième circonscription – Europe du Nord –, je sais à quel point le petitjournal.com contribue à faire « réseauter » à la fois les Français de l’étranger et les francophones locaux. Ce journal valorise depuis treize ans la dimension d’expatriation, et le réseau social Expatunited.com contribue aussi à l’intégration de ces Français. C’est une force pour notre pays et notre diplomatie économique, si bien que je m’étonne de l’intitulé – « exil des forces vives » – de cette Commission d’enquête.

J’ai participé à l’émission « 24 heures chrono de l’international », organisée en partenariat avec Mondissimo.com. Des événements intéressants émergent, comme les « Trophées des Français de l’étranger », dont lepetitjournal.com est organisateur. Pensez-vous qu’une étude plus approfondie du profil socioprofessionnel des Français de l’étranger nous aiderait à mieux connaître ces réseaux, en particulier leur participation à notre diplomatie économique ? Les outils de connaissance actuels de ces communautés ne semblent en effet pas adaptés.

M. Yann Galut, rapporteur. Nous nous interrogeons sur l’intitulé de notre Commission – « exil des forces vives » –, mais aussi sur l’idée qui circule depuis quelques mois dans notre pays selon laquelle l’expatriation serait due à la situation économique et politique de la France, que fuiraient de plus en plus de nos concitoyens pour ne pas y trouver les opportunités souhaitées.

Quel regard portez-vous sur l’expatriation de nos concitoyens ? Faites-vous la distinction entre l’expatriation volontaire, liée à un désir de découverte ou à une opportunité professionnelle, et l’expatriation subie, notamment par les jeunes créateurs et les personnes victimes du fisc pour lesquels la France serait devenue un enfer ? Pratiquement toutes les personnes auditionnées dans le cadre de cette Commission nous ont indiqué ne pas observer une forte accélération de l’expatriation – ce que certains médias, davantage tournés vers le sensationnalisme que le journalisme, décrivent pourtant comme un « phénomène ».

Il nous a également été dit lors de nos premières auditions que nos concitoyens expatriés pratiqueraient énormément le french bashing, autrement dit qu’ils seraient les premiers à dénigrer la France – contrairement aux Anglais ou aux Allemands expatriés, par exemple, volontiers porte-parole de leur pays. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Nous réfléchissons sur « l’exil des forces vives » ; or l’enquête de mondissimo. com montre que les expatriés seraient de plus en plus âgés. Avez-vous des éléments sur ce point ?

Pouvez-vous nous parler de votre expérience personnelle ? Quelle image nos expatriés ont-ils de la France ?

Enfin, que nous suggérez-vous pour améliorer l’expatriation et le retour d’expatriation ?

M. Hervé Heyraud. Monsieur Premat, merci d’avoir souligné le rôle du petitjournal.com à l’étranger – je suppose que c’est à Londres que vous nous avez connus.

Nous avons organisé ces deux dernières années les « Trophées des Français de l’étranger » au Quai d’Orsay, sous le parrainage de Mme Hélène Conway-Mouret, alors ministre déléguée des Français de l’étranger. L’idée est de mettre en avant des parcours de Français à l’étranger qui ont réussi dans différents domaines – entrepreneurial, social, humanitaire, environnement, art de vivre, enseignement. Cela nous a permis de récompenser des gens extrêmement brillants dont l’engagement est très fort. Sur 415 candidatures cette année, plus d’une centaine étaient particulièrement intéressantes, preuve que ces personnes ont un incroyable talent.

Pour avoir vécu treize ans à l’étranger, j’ai une vision très positive de l’expatriation. Cette expérience a été une grande chance pour moi. En permettant de porter un autre regard sur son pays, de découvrir d’autres cultures, d’autres langues, mais aussi de s’adapter, de se découvrir soi-même, elle est une grande force et une grande richesse.

Les termes employés notamment par la presse – « exil », « fuite » – renvoient effectivement à l’idée d’une expatriation subie – et non choisie. Certes, on peut considérer les départs comme une perte pour la France. Mais ils sont aussi une chance car, comme j’ai pu le constater, les Français de l’étranger restent dans leur très grande majorité attachés à leur pays, ils en sont les premiers ambassadeurs et contribuent ainsi à son rayonnement.

Selon les statistiques, l’expatriation enregistre une augmentation annuelle d’environ 4 % à 5 %. On ne peut donc parler d’exode, même si ces chiffres ne sont pas anodins. Au demeurant, notre pays n’a pas une tradition d’émigration, comme l’Irlande, le Portugal ou encore l’Italie. Et la population française à l’étranger par rapport à la population totale est proportionnellement inférieure à celle de bon nombre de nos voisins européens. Aussi « exil » et « fuite » sont-ils peut-être des mots un peu forts. N’oublions pas non plus qu’une bonne part de binationaux figure parmi les 2,5 millions de Français de l’étranger.

Nous avons le sentiment que la population expatriée traditionnelle – diplomates, professeurs, cadres de grandes entreprises – évolue peu, et ce en dépit de la crise. En revanche, l’attrait de l’étranger chez les jeunes semble évoluer assez fortement. Aussi deux tendances peuvent-elles être observées.

La première est l’attrait de l’étranger lié à la mondialisation de l’emploi. En effet, la plupart des étudiants à l’université ou en grandes écoles passent plusieurs mois à l’étranger dans le cadre de leur cursus – je reçois moi-même plusieurs CV par jour de jeunes souhaitant travailler au Lepetitjournal.com dans les villes où nous sommes présents, notamment Londres, Sydney et Auckland. Cette tendance de départs dans le cadre du cursus éducatif est observée depuis une quinzaine d’années. Pour ces jeunes, l’expatriation ouvre des portes et incite certains d’entre eux à repartir à l’étranger quelques années plus tard.

Deuxième tendance – ce serait une erreur de ne pas le reconnaître – : le départ de jeunes à l’étranger en raison de la situation du marché de l’emploi en France. Nous savons en effet à quel point il est difficile aujourd’hui pour un jeune de trouver un travail dans notre pays. L’important est que ces départs deviennent une chance pour la France et que ces personnes ne coupent pas les ponts avec elle, ce qui suppose qu’elles puissent bénéficier à l’étranger d’une couverture sociale et scolariser leurs enfants dans des établissements français ou bilingues. Nous constatons en effet que les durées d’expatriation ont tendance à s’allonger.

En outre, on retrouve un public qui ne part pas forcément en famille, mais qui va plutôt construire sa vie à l’étranger. Sans doute pourra-t-on mieux mesurer ce phénomène dans dix ou quinze ans. J’ai moi-même constaté que de jeunes stagiaires de Sciences Po ou de Sup de Co se sont installés au Mexique à la fois pour des opportunités de travail, mais aussi parce qu’ils y ont rencontré leur compagne ou leur compagnon.

Ainsi, la population française à l’étranger augmente. Mais elle évolue également dans la mesure où les départs ne sont pas forcément contraints et que les passages peuvent se transformer en installation durable si les gens y rencontrent leur conjoint et commencent à faire leur vie là-bas.

Mme Florence Trouillot. J’ai un peu moins de recul que M. Heyraud, puisque le réseau social Expatunited.com existe depuis quatre ans seulement.

Néanmoins, je pense comme lui que l’expatriation n’augmente pas, et que celle des jeunes est davantage valorisée et facilitée. Le programme vacances travail – PVT –, par exemple, permet aux jeunes de partir dans certains pays. De nos jours, une expérience à l’étranger durant ses études est devenue courante.

Beaucoup de jeunes, mais aussi de retraités consultent le site expatunited.com. Le niveau de vie étant relativement élevé en France, sans doute l’expatriation des retraités est-elle en augmentation.

Enfin, il me semble aussi qu’il y a un peu moins de départs dans le cadre d’une expatriation d’entreprise, et davantage dans le cadre d’un projet personnel d’expatriation.

M. Claude Sturni. Je vous remercie de votre contribution.

La semaine dernière, notre rapporteur a dû partir avant l’issue de la réunion, si bien qu’il n’a pu entendre des spécialistes de la fiscalité expliquer que des considérations fiscales ont un impact grandissant sur les expatriations.

Les résultats de l’enquête réalisée dans le cadre de la cinquième convention Mondissimo montrent que le revenu moyen des Français de l’étranger augmente, que leur projet s’inscrit dans la durée et qu’un nombre croissant de Français fondent leur famille à l’étranger. Une part croissante des personnes interrogées semble ainsi trouver à l’étranger les conditions d’un épanouissement et d’une réussite, y compris sur le plan financier. Pouvez-vous faire des recoupements entre cette augmentation et le profil des personnes qui vous consultent – en termes d’âge et de loisirs ? Est-ce que ce sont des talents, des forces vives que nous perdons ? En tout cas, le recoupement de ces trois éléments de l’enquête m’interpelle.

M. Régis Juanico. Monsieur Sturni, les fiscalistes auditionnés la semaine dernière se sont basés sur des impressions ou sur le constat d’un certain nombre d’expatriations fiscales – plus que sur des analyses chiffrées.

En tant que responsables de sites Internet dédiés aux Français de l’étranger, comment jugez-vous la communication sur les réseaux sociaux des institutions françaises chargées d’informer nos compatriotes expatriés ? Comment pourrait-elle être améliorée ?

Mme Sandrine Doucet. Je suis députée de la Gironde. Depuis des dizaines d’années, nous avons vu se constituer dans le Sud-Ouest – Dordogne, Lot-et-Garonne, Gers – des communautés nord européennes. Ces Européens ont réussi à s’implanter durablement – bien avant l’émergence des réseaux sociaux – et ont aujourd’hui une vie communautaire très organisée.

Les Français de l’étranger constituent-ils eux-mêmes des noyaux durables dans les pays où ils sont installés ? Investissent-ils votre réseau immédiatement après leur expatriation ? Les jeunes le font-ils spontanément dans le cadre de leur mobilité ?

M. Christophe Premat. La moyenne d’âge de la communauté française au Royaume-Uni, par exemple, évaluée à 300 000 personnes, est de 35 ans. Aussi la question de la fiscalité ne touche-t-elle pas vraiment les jeunes qui s’expatrient.

Par contre, il serait intéressant pour la commission de s’interroger sur l’éducation, le décrochage scolaire, la valorisation des compétences. J’ai rencontré beaucoup de jeunes qui, après avoir eu du mal à s’intégrer dans le système éducatif français, ont progressivement repris confiance en eux à l’étranger en y menant un projet, avant de revenir en France. Les nombreux CV qui vous sont envoyés témoignent certainement, non seulement d’une nouvelle culture d’expatriation, mais aussi d’une volonté de compléter sa trajectoire.

Nous aurions également intérêt à valoriser les trajectoires professionnelles, y compris à l’égard des jeunes en lycées professionnels – je pense en particulier aux conventions Leonardo. Cela nous permettrait de dépasser la thématique de l’exil des forces vives, liée à une surreprésentation de diplômés, et de mettre en avant l’apport général de l’expatriation.

Nous devons donc privilégier selon moi la question du système éducatif et du décrochage scolaire – et non celles relatives à la fiscalité et à l’emploi. La jeunesse est la priorité de ce quinquennat. Comment favoriser l’ouverture de notre système éducatif grâce à ces expériences d’expatriation ? Et, à l’inverse, comment valoriser le retour de nos jeunes en France ?

M. Hervé Heyraud. L’exil fiscal est marginal – il concerne une faible part des 2,5 millions de Français à l’étranger. Néanmoins, ce phénomène ne peut être nié car, même si les chiffres exacts ne sont pas connus, il touche des forces vives, des talents, des gens qui auraient pu continuer à exercer en France.

Selon l’étude Mondissimo, la population française à l’étranger est plus âgée. La raison tient peut-être au poids des retraités, plus nombreux aujourd’hui à prendre leur retraite au soleil ou à passer une partie de l’année au Maroc ou en Asie du Sud-Est. Je pense plutôt que la population française à l’étranger rajeunit.

Cela m’amène à la problématique des outils d’évaluation. En effet, les données dont nous disposons, grâce à l’étude Mondissimo et à notre propre sondage réalisé l’année dernière, sont très partielles. Aujourd’hui, je vous fais part de mon ressenti, n’ayant pas beaucoup de chiffres à vous livrer. Nous publions près de 30 000 articles par an, mais ce sont des données qualitatives. Certes, le sondage réalisé chaque année par la Maison des Français de l’étranger est représentatif. Néanmoins, si l’on veut que l’expatriation soit une force, une chance pour notre pays, un important travail de recensement et de qualification de cette population est nécessaire. Une meilleure connaissance des Français de l’étranger est un enjeu majeur pour les pouvoirs publics, car elle permettrait de comprendre comment évolue cette population. La création de cette Commission d’enquête, l’existence d’un secrétariat d’État aux Français de l’étranger et de députés des Français de l’étranger témoignent de l’importance de l’expatriation aujourd’hui, d’autant que le nombre d’expatriés ne va certainement pas diminuer dans les années à venir.

Les Anglais dans le Sud-Ouest vivent en communauté et en réseau ; les Français font de même à Bangkok, à Mexico que je connais bien, ou dans d’autres villes. En arrivant à Bangkok, il suffit de se connecter sur nos sites ou sur celui de l’ambassade ou de la chambre de commerce pour trouver une baby-sitter, un job, ou encore pour rencontrer un partenaire de tennis ou aller voir un match de foot le soir dans un bar. Se connecter aujourd’hui est plus naturel est plus facile qu’auparavant.

Les expatriés commencent souvent par dire qu’ils ne sont pas à l’étranger pour rencontrer d’autres Français ; néanmoins, ils sont très vite ravis de se retrouver en communauté. Pour autant, ils s’intéressent au pays où ils se trouvent. Si le french bashing est une réalité, critiquer la France est un sport national en France aussi.

Je pense que le sentiment d’appartenance à la communauté française, lié à un socle commun de valeurs, de culture et d’éducation, est très fort chez les expatriés. Au vu de l’augmentation du nombre de Français à l’étranger et surtout de l’évolution de cette population – jeunes et retraités –, la vraie question est celle de leur accompagnement par les pouvoirs publics, afin de maintenir le lien avec ces personnes. Faute de quoi, on pourrait se retrouver dans deux ou trois générations avec des gens qui auront des passeports français, mais ne parleront pas français et n’auront aucune idée de l’histoire de notre pays.

M. Florence Trouillot. Pour répondre à la question sur les institutions françaises, je pense que le manque d’information est une réalité. Les « Rendez-vous de l’expatriation » rencontrent un important succès, car les gens sont contents d’avoir un expert à leur disposition pour répondre à leurs questions. Le thème de la santé a beaucoup intéressé les expatriés et futurs expatriés, et notre rendez-vous avec l’ambassade du Canada a mobilisé plus de 1 200 personnes.

Une information me semble donc nécessaire sur toutes les problématiques liées à l’expatriation, mais aussi sur le retour d’expatriation. En effet, le retour d’expatriation est vécu comme une nouvelle expatriation pour ceux qui ont quitté la France depuis de nombreuses années – ils doivent se « réacclimater » à leur pays. Les choses sont particulièrement compliquées pour les femmes d’expatriés lorsqu’elles doivent expliquer à un nouvel employeur français le « trou » qui apparaît dans leur CV. D’où, encore une fois, l’intérêt de valoriser l’expérience à l’international. Cela est valable aussi bien pour les femmes d’expatriés, que pour les jeunes diplômés pour lesquels l’expérience à l’étranger est un réel atout.

Comme M. Heyraud, je pense qu’une vraie entraide existe entre les expatriés français et entre les futurs expatriés – Expatunited.com apporte aussi une aide avant le départ. Je ressens un réel besoin chez les Français à l’étranger de se retrouver, notamment pour discuter de la France, de la politique française, car certains d’entre eux m’ont expliqué ne pas pouvoir discuter de tout avec les étrangers.

M. Hervé Heyraud. Pour se rassurer sur le sentiment des Français de l’étranger, il suffit de les voir sortir le maillot tricolore ! Ils sont derrière leur équipe : c’est un signe important.

Mme Monique Rabin, présidente. J’ai travaillé pendant longtemps au sein d’une région dans le domaine du commerce extérieur et de la mobilité internationale ; pourtant, je n’avais pas entendu parler de vos sites respectifs. Menez-vous une action offensive vis-à-vis des chambres de commerce et d’industrie pour vous faire connaître auprès des entreprises ? Ou bien les entreprises, les jeunes volontaires internationaux en entreprises – VIE –, les stagiaires dans le cadre de l’Alliance française, par exemple, vous découvrent-ils à l’occasion de leur expatriation ? L’organisation des « Trophées de l’expatriation » au Quai d’Orsay témoigne de votre lien avec les pouvoirs publics. Votre image est donc reconnue, mais pas suffisamment du côté des grandes collectivités locales qui traitent également de l’expatriation et du commerce extérieur.

M. Hervé Heyraud. Votre remarque est très pertinente. Notre philosophie est d’être le journal des Français de l’étranger : nous avons donc tendance à ne pas communiquer pour nous faire connaître en France et sommes très peu en amont de l’expatriation. Lepetitjournal.com est le site des expatriés, pas celui des personnes préparant leur expatriation. Les gens peuvent nous trouver via les moteurs de recherche, mais nous n’avons pas entrepris de démarches en lien avec les régions. Notre site est peu tourné vers le commerce extérieur, même si cet aspect renvoie à la mobilité internationale. Par contre, nous travaillons beaucoup avec l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger – UCCIFE.

Certes, il me semble intéressant de réfléchir aux moyens de mieux nous faire connaître en amont, mais tout en segmentant bien notre public au regard de l’impact commercial de nos annonceurs.

M. Florence Trouillot. J’aimerais que mon site soit davantage connu. Mais je l’ai créé avec mes propres moyens et suis seule à m’en m’occuper. L’UCCIFE me connaît également. Pour autant, se faire connaître nécessite sinon un budget, du moins beaucoup de temps. Je fais donc comme je peux avec mes petits moyens.

Mme Monique Rabin, présidente. Vous avez répondu à notre souhait en présentant l’expatriation comme une chance pour notre pays, pour les relations humaines et notre économie. Merci de votre contribution.

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Audition du mercredi 18 juin 2014

À 16 heures 15 : MM. Nicolas Gaume et Julien Villedieu, président et délégué général du Syndicat national du jeu vidéo

M. le président Luc Chatel. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui MM. Nicolas Gaume et Julien Villedieu, qui sont respectivement président et délégué général du Syndicat national du jeu vidéo, secteur où la France a su se faire un nom sur la scène internationale.

Messieurs, peu de temps après la création de notre commission, vous m’avez demandé à être auditionnés, parce que vous considériez que vos métiers étaient directement concernés par le phénomène que nous tentons d’apprécier et à l’aggravation duquel nous souhaitons apporter des réponses.

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Nicolas Gaume et M. Julien Villedieu prêtent serment.)

M. Nicolas Gaume, président du Syndicat national du jeu vidéo. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames messieurs, nous vous sommes très reconnaissants de nous recevoir pour vous parler de ce secteur à la fois très grand public et assez méconnu qu’est celui du jeu vidéo.

Le Syndicat national du jeu vidéo réunit plus de 90 % des entreprises du secteur. Le développement des usages du jeu vidéo s’est accompagné d’un fort accroissement du chiffre d’affaires : en 2002, notre secteur, représentait au niveau mondial 16 milliards d’euros de ventes et en 2014, 51 milliards d’euros, soit une croissance de 280 % en douze ans. De belles entreprises ont eu l’opportunité de se développer. Il y a de très grandes réussites françaises, dont j’aurai l’occasion de vous parler.

Le marché français représentait quant à lui 700 millions d’euros en 2002, 3 milliards en 2014, et représentera sans doute plus de 4 milliards d’euros en 2016. Le nombre de joueurs a été multiplié par trois en dix ans et aujourd’hui, plus de 31 millions de Français jouent aux jeux vidéo. Le groupe le plus actif est constitué de femmes de 30 à 45 ans, qui jouent sur un téléphone mobile ou une tablette ; nous sommes donc bien loin des jeunes adolescents masculins, de 15 à 25 ans, auxquels vous pensez spontanément en matière de pratique du jeu vidéo. Ces femmes ont commencé il y a longtemps avec Tetris, puis avec des jeux sur le web, avec des jeux d’entraînement cérébral sur Nintendo. Aujourd’hui, Candy Crush et 2048, joués sur téléphone mobile et tablette, remportent beaucoup de succès. Les jeux de réflexion et d’action/réflexion sont ainsi les plus vendus et ceux qui rapportent le plus. Le seul jeu Candy Crush, de la société suédoise côtée à Londres, King, a généré plus de chiffre d’affaires que tout Nintendo sur le premier trimestre de cette année.

J’observe par ailleurs que si 31 millions de Français jouent aux jeux vidéo de manière régulière, les autres Français ne jouent pas ou très peu. En ce sens, le domaine du jeu vidéo se distingue de celui de la musique et du cinéma qui intéresse, à des degrés divers, tous les Français. Nous devons en tenir compte.

Mais revenons à notre sujet qui est celui des entreprises, de l’emploi et des forces vives en général. Nous devons relever un triple défi : l’exil de nos talents, de notre jeunesse et de nos entreprises.

Ces chiffres sur la pratique du jeu vidéo sont à mettre en regard avec le fait que depuis les années 1990 un certain nombre d’entreprises ont su prospérer. Je pense à des grands groupes internationaux, côtés à la Bourse de Paris, comme Ubisoft, un des géants français du jeu vidéo, Gameloft, un des leaders du jeu pour téléphone mobile, Bigben Interactive, Innelec Multimédia, etc.

En profitant de l’accès aux capitaux que la Bourse de Paris et le nouveau marché leur ont donné, ces groupes ont su développer, depuis la France, des entreprises dans un domaine où l’essentiel – 2/3 ou 3/4 – des ventes – se fait à l’international. Nous nous trouvons ainsi dans une position assez atypique, avec près de 300 entreprises de toute taille, qui sont pour beaucoup des PME, dont le chiffre d’affaires est réalisé à 80 % à l’exportation. À la différence de ce qui se passe habituellement, nos entreprises se situent donc tout de suite dans une dynamique internationale. Cela veut dire que nous sommes ultrasensibles aux problématiques de concurrence et à la compétitivité de notre écosystème.

Avant de développer cet aspect, je souhaite revenir sur le profil de nos entreprises.

Je vous ai parlé de grands groupes internationaux. Mais nous avons aussi de très nombreuses sociétés de plus petite taille, comme Focus Home Interactive, Quantic Dream, Arcanes, Ankama, Pretty Simple qui, quand elles réussissent, connaissent une forte croissance. Elles peuvent passer de 1 ou 2 millions d’euros de chiffres d’affaires
à 10 ou 20 millions d’euros l’année d’après, puis à 30, 40 ou 50 millions. Leur niveau de croissance, de création de richesses et d’emplois peut-être assez considérable.

M. le président Luc Chatel. Cette croissance est un peu liée au succès d’un jeu.

M. Nicolas Gaume. Évidemment. Mais j’aurais tendance à dire que c’est la même chose lorsque Renault vend un modèle de voiture plutôt qu’un autre.

M. le président Luc Chatel Il n’y a pas forcément de marque-ombrelle dans ces sociétés. On achète, par exemple, le jeu FIFA.

M. Nicolas Gaume. Vous avez raison, monsieur le président. Pour autant, on achète peut-être plus une Captur qu’une Renault.

Un point nous distingue du monde du loisir, du cinéma ou de la musique : nos jeux ont des durées de vie très différentes et certains, destinés au marché de la console, peuvent se vendre à de très nombreux exemplaires. Ubisoft a fait sensation dans un salon professionnel aux États-Unis avec ses derniers titres, et un peu plus tôt, son jeu Watch Dogs a généré des centaines de millions d’euros de recettes lors de son lancement. En outre, un peu comme dans l’industrie des logiciels, d’autres opus, Watch Dogs 2, Watch Dogs 3, peuvent assurer une récurrence de revenus et une perspective potentiellement très différente des autres secteurs du loisir. Enfin, nous avons un bel exemple dans le domaine du jeu en ligne : Ankama, une très belle société de Roubaix, qui a créé 450 emplois dans une ancienne filature au cœur de la ville, a produit un jeu, Dofus, qui tourne depuis plus de dix ans.

Nos entreprises se situent entre la culture et la technologie. Ce peut être d’ailleurs une de nos drames : nous sommes souvent trop « culture » quand nous parlons à l’écosystème numérique, qu’il s’agisse de notre ministre de tutelle ou des institutions, ou de nos collègues des start ups du numérique ; et nous sommes trop « technologies et numérique », pour les gens du monde de la culture, dont notre ministre de tutelle. C’est une de nos spécificités. Mais ce que je voudrais que vous reteniez surtout, c’est le niveau de croissance de ce marché – de 16 à 51 milliards d’euros, soit 280 % d’augmentation des ventes en dix ans – que peu de secteurs connaissent.

Il est également important de souligner que c’est un secteur stratégique pour les grands acteurs du monde du numérique. En effet, aujourd’hui, par exemple, Google et Apple font l’essentiel de leurs profits sur téléphone mobile avec du jeu vidéo. Apple est même devenu l’un des premiers acteurs, si ce n’est le premier acteur, du jeu vidéo dans le monde. On dit que Sony reste viable grâce à sa Play Station. Microsoft a également investi massivement dans ce domaine. Les premières années de croissance de Facebook auraient été aussi liées aux jeux vidéo.

Dans l’écosystème électronique, informatique, web, numérique en général, le jeu vidéo a une place très forte. La France y est reconnue pour son savoir-faire, son expertise et elle a été récompensée par de nombreux prix. Quantic Dream a été primé aux BAFTA, le jeu Dishonored de la société Arcanes a été élu le meilleur jeu de l’année 2012, Criminal Case de Pretty Simple meilleur jeu Facebook dans le monde entier en 2013. Sans oublier Watch Dogs et Assassin’s Creed d’Ubisoft qui sont des succès internationaux.

Nous avons donc de belles entreprises et un marché en croissance. Mais le paradoxe est que nous enregistrons depuis quinze ans un exil très soutenu et continu de nos collaborateurs. À la fin des années 1990, notre secteur comptait environ 25 000 salariés. Ce chiffre a été divisé par deux depuis, alors que le marché augmentait de 280 %. On peut se demander pourquoi. Vous comprenez maintenant pourquoi nous souhaitions vous apporter notre témoignage.

C’est un secteur relativement jeune. Nos formations, qui touchent aussi bien au numérique qu’au culturel, sont excellentes. Une partie de nos forces est constituée d’ingénieurs, les mêmes que ceux qui vont travailler dans des entreprises de technologie. L’autre partie vient des écoles d’animation – Gobelins, Sup Info Com, etc. – ou du cinéma et de la musique. Nos talents sont extrêmement appréciés dans le monde entier. On trouve, dans la Silicon Valley, en Chine, au Canada, des Français dans tous les personnels clé des entreprises du monde des jeux vidéo.

M. Julien Villedieu, délégué général du Syndicat national du jeu vidéo. Je voudrais compléter le propos de Nicolas Gaume. L’un des particularités de notre secteur est en effet que plus de 80 % de la production de nos entreprises est destinée au marché international. La France représente aujourd’hui 5 % du marché mondial, quels que soient les types de jeu commercialisés. Nécessairement, les entreprises françaises qui évoluent sur notre territoire se trouvent directement en concurrence avec des sociétés qui sont situées dans d’autres pays à travers le monde. En outre, les distances physiques entre les pays sont amoindries, voire disparaissent de par la dématérialisation quasiment complète de la production – 60 à 70 % des contenus.

La concurrence acharnée que l’on vit à travers le monde se porte sur les talents. Or le salaire moyen, en France, tourne autour de 33 000 euros alors qu’au Canada, par exemple, il tourne autour de 46 000 euros. Quand je parle de salaire moyen, je vise un salaire médian, dans notre secteur d’activité, soit la production de jeux vidéo, pour des fonctions classiques de développement, et versé à des ingénieurs et à des infographistes. En outre, notre population de salariés est extrêmement jeune : aujourd’hui, l’âge moyen des personnes employées dans les entreprises de production de jeux vidéo tourne autour de 30 ans. Comme celles-ci ne sont pas encore établies, familialement parlant, elles se laissent assez facilement tenter par une expérience à l’international, dans des sociétés, des environnements qui ont été développés au fil des ans dans des pays très attractifs. On peut citer le Québec qui,
en l’espace de quinze ans, alors que la France perdait 50 % de ses effectifs, est passé
de 500 à 16 500 salariés.

M. Nicolas Gaume. On l’a dit, le jeu vidéo est devenu un secteur stratégique pour les grands acteurs que sont Sony, Samsung, Microsoft, Nintendo, Apple, etc. De ce fait, les institutions et les gouvernements de certains pays en ont pris acte et ont décidé de mener des politiques extrêmement agressives. C’est ce qui s’est passé au Québec, où un crédit d’impôt relativement généreux a permis pendant une quinzaine d’années de rembourser près de la moitié des masses salariales des entreprises qui s’y installaient. Et l’on peut rajouter à cela un droit du travail extrêmement simple et un environnement stable, ce qui n’est pas le cas de la France.

Pour autant, si le Canada a eu une politique très agressive, notamment vers l’espace francophone que représentait la France, d’autres pays, notamment au sein de l’Union européenne, ont su lancer des dynamiques très différentes. Et si vous devez retenir l’exemple canadien comme emblématique de cette politique d’investissement stratégique et de la fuite de talents qui s’est opérée à son profit, vous ne devez pas oublier des pays comme la Finlande. En 2009, celle-ci comptait 1 000 salariés dans le secteur. En 2014, dans la seule ville d’Helsinki, il y en avait 2 400. Ainsi, en cinq ans, la masse salariale a plus que doublé.

Nous sommes bien conscients que, par rapport à d’autres secteurs professionnels et d’autres domaines d’activité, le nombre de salariés dont on parle – 25 000 – est assez modeste. Mais ce sont des jeunes, qui représentent la fine fleur de nos écoles de création entendue au sens large – architecture, animation, image – et de nos écoles d’ingénieurs. Ce sont des talents très difficiles à faire revenir. Au niveau de notre association, nous avons lancé un certain nombre d’initiatives. Le paradoxe est que nous avons du mal, en tant qu’entrepreneurs restés en France, à recruter. Il est pour nous très difficile de constater qu’un de nos collaborateurs est plus désireux d’aller travailler aux États-Unis, au Canada, en Corée ou en Finlande où on lui fait un pont d’or, que de rester en France.

M. Julien Villedieu. On déplore aujourd’hui – et le phénomène s’accélère – une perte d’attractivité et de compétitivité de notre pays dans un secteur en très forte croissance. Cela inquiète les professionnels en France. Nous ne sommes pas résignés, nous aimons notre pays, nous aimons produire des jeux vidéo en France, parce que nous avons une histoire dans ce secteur d’activité. Si nous sommes présents devant vous aujourd’hui, c’est pour vous alerter sur cette situation qui n’est pas une fatalité et à propos de laquelle nous souhaiterions vous faire quelques propositions.

M. Nicolas Gaume. Il faut également être conscient que nous sommes dans un marché d’offres, un marché où les productions, l’innovation et la recherche-développement exigent des financements assez lourds, contrairement à d’autres secteurs du digital et du numérique qui tournent autour des services. Les sites de e-commerce, par exemple, peuvent se développer et prospérer avec la consommation et les dépenses de leurs clients. De notre côté, nous devons investir de façon conséquente. Aujourd’hui, les jeux pour consoles Play Station 4 ou X Box one coûtent entre 30 et 60 millions d’euros à concevoir et réaliser, et autant à fabriquer et à « marketer ». Des entreprises comme Ubisoft ou Focus Home Interactive doivent investir, pour les très grosses productions, plusieurs millions ou plusieurs dizaines de millions d’euros. Pour les entreprises qui font des jeux pour mobiles ou des jeux en ligne, les dépenses sont sans doute plus lissées, et les montants initiaux plus bas. Néanmoins, les exigences de financement atteignent facilement plusieurs millions d’euros.

Une des raisons pour laquelle nous avons su développer une industrie en France est que nous avons eu à notre disposition, dans les années 1990, des outils de financement assez remarquables. Malgré des défauts, le nouveau marché et les outils de « capital-risque » qu’ont mis en place un certain nombre de ministres, dont M. Dominique Strauss Kahn, ont eu un effet positif sur notre secteur. Après l’explosion de la bulle internet, au début des années 2000, les capitaux ont délaissé la France. Dans notre secteur, ils sont allés en Allemagne, en Angleterre, et ils ne sont pas revenus en France. Cela a permis à certains acteurs de se développer et d’attirer des talents. Mais nous parlions du téléphone mobile au début de cette audition : si Helsinki a su développer une activité assez forte, c’est parce que, dans le sillage de Nokia, une société finlandaise, se sont créés des fonds et des financements dans le domaine du mobile.

Aujourd’hui, comme d’autres secteurs du numérique, nous connaissons un désastre en matière de financement. Mais nous, nous ne trouvons pas de capitaux. En France, les fonds de l’espace public nous sont interdits car notre secteur est considéré comme trop volatil par les dirigeants et les responsables de la Banque publique d’investissement (BPI), comme par les ministres à Bercy – M. Montebourg et d’autres. Il y a une part de vrai, dans la mesure où nous sommes liés au domaine de l’entertainement. Pour autant, nous trouvons absolument criminel que nos talents – ingénieurs, créatifs – et nos entreprises n’aient pas accès à ces financements.

Enfin, les financements internationaux ne souhaitent pas aller en France. Ils ont une image désastreuse de notre écosystème français en termes de stabilité, de productivité, de compétences – compétences collectives. Ce sont sans doute des préjugés. Mais préjugés ou pas, quand un fonds américain, anglais ou asiatique, veut investir en Europe, il va plus volontiers en Allemagne ou en Finlande qu’en France. Nous rencontrons donc un vrai problème de financement.

M. Julien Villedieu. Il y a une quinzaine d’années, la France était dans
le top 4 ou 5 des producteurs de jeux vidéo. Elle est aujourd’hui classée huitième par le nombre de ses employés. Et elle est sur la pente descendante, sous la double pression des pays nordiques et des pays du sud-est asiatique. Nous enregistrons un exil soutenu, effectivement dramatique. Les salariés de nos équipes viennent se former pendant deux ou trois ans, puis partent à l’étranger. Nous parvenons à les récupérer quelques années plus tard, car notre pays a l’avantage de permettre de construire une vie familiale et une vie sociale dans de bonnes conditions. C’est un avantage. Reste que nous nous heurtons à ce phénomène d’exil, dans un marché pourtant en croissance, avec de très beaux acteurs.

M. Nicolas Gaume. Pour résumer, nos entrepreneurs ne demandent qu’à continuer à se battre : 80 % à l’export ; un marché en croissance de 280 %. Et pourtant, nous sommes passés en quinze ans de 25 000 à moins de 12 000 emplois.

En tant que professionnels, nous espérons faire évoluer les lignes en attirant à nouveau en France des financements qui vont aujourd’hui en Asie, en Amérique et en Europe, mais plutôt en Finlande ou en Allemagne qu’en France. Ce n’est pas un problème de coût du travail ou d’environnement, mais essentiellement un problème de stabilité – un vrai enjeu pour nous. Les investisseurs asiatiques ou américains ne comprennent pas notre droit du travail en raison de sa complexité et s’interrogent sur l’utilité d’un certain nombre de dispositifs – pourtant comparables à ceux des pays scandinaves, mais qui leur semblent là-bas plus lisibles.

Par ailleurs, certains écosystèmes ont résolument décidé d’investir dans ce secteur. Nous parlions du Canada, mais il y en a beaucoup d’autres. Dans ces conditions, nous devons continuer à être les meilleurs et les plus efficaces. Or notre productivité n’est pas toujours comparable avec celle d’entreprises coréennes, japonaises, chinoises ou finlandaises.

M. le président Luc Chatel. Avant de céder la parole à notre rapporteur et aux collègues qui souhaitent s’exprimer, je souhaiterais que vous me donniez quelques précisions.

Premièrement, vous nous avez dit avoir assisté à une perte d’attractivité de votre secteur depuis une quinzaine d’années. Y a-t-il des étapes marquantes sur ces quinze dernières années ? Quelles décisions auraient contribué à cet exil ?

Deuxièmement, pourriez-vous nous donner des précisions à propos du crédit d’impôt proposé par le Québec ? En France, nous avons un système de crédit d’impôt-recherche qui est assez réputé à l’international. Je souhaiterais comparer les deux systèmes.

Troisièmement, pourriez-vous nous donner des précisions sur l’évasion des capitaux dont vous nous avez parlé ? On nous dit qu’il y a de l’argent en France, des financiers prêts à investir dans des entreprises à forte croissance. Ils ne le font pas forcément lorsqu’il y a des risques. Il n’empêche qu’on peut trouver des liquidités. Comment concrètement, orienter ces liquidités vers les entreprises de votre secteur ? Quelles décisions faudrait-il prendre pour y parvenir ?

M. Nicolas Gaume. Nous sommes des industriels de l’immatériel et du digital, et nous sommes atypiques dans la mesure où les mises de fonds dont nous avons besoin sont beaucoup plus significatives que celles qui sont nécessaires à une start-up de taille moyenne. En conséquence de quoi, nous présentons trop de risques pour les fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) qui seraient en mesure de traiter le niveau d’investissement dont nous avons besoin, et trop gros pour les fonds communs de placement à risques (FCPR) qui seraient dans notre champ d’action. Et si l’on se tourne vers des outils de financement de bas de bilan, comme ceux que la BPI est en train de mettre en place, on nous fait savoir que notre secteur est trop atypique, trop difficile pour être financé.

Si vous parlez aux dirigeants de ces institutions, des gens parfaitement respectables, ils vous disent que ce n’est pas le cas. Mais dans la réalité, nous n’avons aujourd’hui aucun type de financement adapté, et quand nous essayons d’en mettre en place, nous nous heurtons à des querelles byzantines – pour savoir qui fait quoi et comment. La vérité est qu’il n’y a pas aujourd’hui, en France, de financement en capital dans notre domaine. Il y a bien quelques rares acteurs privés. C’est ainsi que le fonds Ine Invest a investi 3 millions d’euros dans la société Pretty Simple – laquelle est passée en trois ou quatre ans de quelques millions d’euros de chiffre d’affaires à plus de 30 millions, et a créé une centaine de CDI en plein cœur de Paris. Mais c’est malheureusement une exception. Dans le même temps, en Finlande et en Allemagne, des financements beaucoup plus significatifs étaient consacrés au secteur du jeu vidéo. On y créait beaucoup plus d’emplois, alors qu’en France, on en détruisait.

En bref, nous n’avons pas d’outils de financement adaptés et nous présentons un profil de risques assez atypique et donc particulièrement anxiogène pour certains. Mais si c’est une réalité pour nous, ce n’en est pas une en Allemagne, en Finlande, en Corée ou au Canada.

M. le président. Luc Chatel. Est-ce que, dans ces pays, il existe des outils de financement dédiés au secteur des jeux vidéo ?

M. Nicolas Gaume. Pas nécessairement, même s’il y en a quelques-uns au Canada ou en Finlande.

Nous avons une culture de bas de bilan. Dans les années 1980 et 1990, notre financement s’est fait par l’intermédiaire du système bancaire. Notre métier se finance par le haut de bilan. Clairement, nous sommes dans un secteur industriel. En effet, comment dire « oui » à une PME qui n’a pas de chiffre d’affaires, qui a besoin de 3 millions d’euros pour démarrer son activité et dont le potentiel de réussite est de 1 sur 10, 20 ou 100 ? Dans notre culture d’investissement en capital, c’est très difficile, alors que ça l’est beaucoup moins en Corée, aux États-Unis ou au Canada.

Les dispositifs qui ont été mis en place, FCPI et FCPR, ont été forgés par rapport à une typologie d’entreprises plutôt industrielles, matérielles. In fine, nous avons des outils qui drainent des capitaux, mais pour les FCPI et les FCPR, nous n’entrons pas dans les cases.

Par ailleurs, la culture d’investissement de la plupart de ces fonds – comme celle de la BPI – est une culture prudentielle. Nous sommes trop petits pour donner à ces outils l’envie de s’adapter ou de prendre en compte nos spécificités – et ce, malgré nos potentialités.

Je vais vous donner l’exemple d’Ubisoft, une entreprise exceptionnelle de notre secteur. Il se trouve qu’un de ses concurrents, une société américaine, Electronicars, avait acheté un bloc d’actions supérieur à celui des fondateurs, qui faisait d’elle le premier actionnaire de cette entreprise française. Le Fonds stratégique d’investissement (FSI) a eu l’occasion d’étudier ce dossier, et c’est le fonds souverain québécois qui a racheté ce bloc. Donc, aujourd’hui notre fleuron français, côté à la Bourse de Paris, a parmi ses principaux actionnaires le fonds souverain québécois.

Nous avons donc un secteur en croissance, très compétitif, qui peut s’enorgueillir de magnifiques réussites malgré un taux de mortalité élevé, mais qui se trouve ballotté entre un excès de prudence, et l’absence d’outils ou l’inadaptation de ceux qui sont mis à sa disposition.

M. Julien Villedieu. Monsieur le président, vous vous êtes interrogé sur le crédit d’impôt-jeux vidéo québécois. Je précise tout d’abord que le Québec n’est pas le seul territoire au Canada où il y ait un crédit d’impôt. En effet, l’Ontario et la Colombie britannique ont mis en place des dispositifs équivalents. Pendant un certain nombre d’années, les entreprises ne se demandaient pas si elles devaient s’installer dans tel ou tel pays dans le monde, mais dans quel État ou province canadienne elles allaient le faire. C’était bien compliqué pour nous.

La bonne nouvelle, c’est que le crédit d’impôt-jeux vidéo québécois a baissé. Il y a une dizaine d’années, il permettait de financer plus de 45 % des salaires dès lors que le jeu était produit en langue française. Il est ensuite passé à 37 % pour un jeu en langue française et à 30 % pour un jeu en langue anglaise. Et en ce début de semaine, nous venons d’apprendre qu’il allait passer à 30 % pour un jeu en langue française et à 24 % pour un jeu en langue anglaise. Ainsi le déficit de compétitivité entre le crédit d’impôt-jeux vidéo français – car il en existe un, mis en place en 2007 – et le crédit d’impôt-jeux vidéo québécois va-t-il se résorber.

M. Julien Villedieu. Le crédit d’impôt-jeux vidéo français n’en a pas moins été extrêmement utile. Il a permis d’endiguer la fuite des talents à l’étranger et de préserver d’importantes équipes de production. Malheureusement, il est extrêmement contraignant, beaucoup plus lourd que le crédit d’impôt canadien qui est relativement simple et dont la procédure est assez rapide.

Notre crédit d’impôt est soumis aux règles d’exemption sur les aides d’État et ressort d’un certain nombre de critères culturels. Nous avons obtenu l’assouplissement de ces critères, par un vote qui est intervenu à la fin de l’année 2013 à l’Assemblée nationale et au Sénat. Lorsqu’il sera notifié à la Commission européenne, notre crédit d’impôt-jeux vidéo retrouvera la vigueur qu’il avait perdue. Il faut dire que le secteur du jeu vidéo évolue très rapidement.

Il est urgent que cette notification ait lieu afin que les entreprises puissent bénéficier de ces dispositions. Le crédit d’impôt-jeux vidéo français reste un très bon outil pour une certaine catégorie de projets et d’entreprises.

M. Nicolas Gaume. Nous avons réagi, en particulier avec des parlementaires, et l’Assemblée nationale a beaucoup travaillé pour connaître notre secteur et l’accompagner. Malgré tout, la mise en place du moindre dispositif est d’une grande complexité chez nous, alors que l’écosystème québécois fait preuve d’une agilité absolument déconcertante. Il nous a fallu plus de huit ans de discussions pour nous faire connaître de la représentation nationale, rencontrer les ministres et mettre au point un dispositif conforme aux règles françaises et européennes. En revanche, un petit pays comme le Québec n’a besoin que de trois mois pour mettre en place un dispositif quasiment sur mesure.

Dès lors que l’on exporte 80 % de notre production et que notre marché national ne représente que 5 % du marché mondial, on se trouve confronté à notre déficit de compétitivité. Bien sûr, nous avons réussi à mettre au point quelques outils. Mais même les avancées obtenues l’année dernière, qui ont été célébrées par nos deux ministres de tutelle, Mmes Aurélie Filipetti et Fleur Pellerin, n’ont toujours pas été notifiées à Bruxelles. Nous espérons que l’année prochaine, le dispositif sera fonctionnel. Mais les contraintes sont si nombreuses – surtout en comparaison avec ce qu’offre le Canada – que c’en devient déprimant.

M. Julien Villedieu. D’autres pays se sont inspirés du Canada. C’est ainsi que Singapour met en place aujourd’hui des dispositifs permettant de faire 50 % d’économie sur les salaires pour attirer les entreprises de jeux vidéo.

M. Julien Villedieu. Les États-Unis ont mis en place des dispositifs de crédit d’impôt dans leurs différents États. Certaines régions asiatiques, comme la Corée, sont elles aussi très proactives.

M. Yann Galut, rapporteur. Merci, messieurs, d’avoir fait la démarche de nous contacter et de venir nous rencontrer aujourd’hui. Je vous écoute avec une grande attention et je suis sensible à vos propos. Sans être un spécialiste de la question, j’avais cru comprendre que le secteur du jeu vidéo était un secteur en pointe de notre industrie, qu’elle soit matérielle ou immatérielle. Nous souhaitons regarder avec vous comment nous pourrions vous soutenir et faire en sorte que les choses progressent. Notre intérêt commun, dans cette commission, en tant que parlementaires, est de maintenir l’emploi dans notre pays.

Cela dit, je ne parviens pas à faire la part de ceux qui quittent la France de manière subie, dans les équipes dont vous parlez, et la part de ceux qui la quittent de manière choisie, parce qu’ils veulent aller à la découverte de la mondialisation et qu’ils sont attirés par d’autres régions, comme la Silicon Valley, La Mecque des jeux vidéo. À la télévision, on voit souvent des jeunes de 25 ou 30 ans, qui sont à fond dans leur passion et décident de partir pour l’étranger. Qu’en est-il ?

J’entends ce que vous dites sur le Canada et le Québec. J’ai moi-même observé autour de moi que certains sont très attirés par ces pays : le droit du travail y est simple, il est facile d’y trouver du travail et on peut très rapidement changer d’entreprise. Mais au bout de quelques années, certains décident de rentrer, en raison de la cherté de la santé
– 4 000 dollars canadiens pour une petite opération – et de l’éducation – plusieurs milliers de dollars d’inscription dans une école publique. Le système social et le système éducatif de ces pays dont très différent des nôtres. Avez-vous entendu parler de ce phénomène ?

Nous sommes évidemment conscients des lourdeurs administratives de notre pays. M. Thierry Mandon vient d’être nommé Secrétaire d’État pour tenter de simplifier notre système. Que nous soyons de gauche ou de droite, nous avons la volonté d’alléger les procédures. Le Gouvernement nous a dit que le crédit d’impôt-recherche (CIR) pouvait répondre aux besoins des entreprises qui innovent. Qu’en dites-vous, de manière concrète, en tant que chefs d’entreprise ? Que pensez-vous du crédit d’impôt-recherche, mais aussi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ? Y a-t-il eu des progrès de faits ?

En tant que rapporteur, je suis preneur des propositions concrètes qui pourraient nous aider à avancer et à conserver ce secteur très important des jeux vidéo, étant entendu que ces propositions doivent s’inscrire dans le cadre budgétaire contraint que vous connaissez.

J’ai bien compris que le nombre de vos salariés avait été divisé par deux en quinze ans. Mais je voudrais savoir si des salariés d’autres pays viennent s’installer en France.

Enfin, est-ce que l’industrie du jeu vidéo est implantée sur tout le territoire ? Certaines régions ont-elles imaginé des dispositifs spécifiques avec le soutien des collectivités locales ? Certaines écoles se sont spécialisées autour de mini Silicon Valley ou de pépinières d’entreprises ? Pouvez-vous nous faire une cartographie de l’industrie du jeu vidéo dans notre pays ?

M. Julien Villedieu. Monsieur le rapporteur, merci pour l’attention que vous apportez à notre secteur et pour vos questions.

L’une d’entre elles portait sur l’expatriation subie ou voulue. Vous devez savoir qu’aujourd’hui, pour être compétitifs sur un marché du divertissement, nous devons produire les meilleurs jeux, et pour cela, il nous faut les meilleurs salariés. Ceux-ci, dans leur majorité, sortent de nos meilleures écoles. Ils revendiquent donc les postes les plus intéressants et la meilleure situation professionnelle. Or ce n’est pas en France qu’ils peuvent espérer les obtenir. En effet, le nombre de projets produits dans notre pays diminue, par manque de capitaux. Il y a donc une part d’expatriation voulue, parce que la dimension internationale est naturelle dans le monde du jeu vidéo. Mais il y a aussi une part d’expatriation subie, parce que pour avoir les meilleurs postes, il faut quitter notre pays. Cela dit, certaines personnes reviennent, comme nous le constatons aussi. Ce phénomène est dû à l’attractivité qu’exerce notre pays en raison, notamment, de son système de protection sociale.

En revanche, les équipes de production étrangères ne viennent pas dans notre pays. Pour nous, l’enjeu est non seulement de permettre à nos salariés de se construire et de travailler dans notre pays, mais aussi de faire en sorte que des entreprises comme Electronic Arts, Microsoft, Sony, Nintendo, Activision et d’autres installent leurs studios de production en France.

M. Nicolas Gaume. C’est terrible pour nous. Les entreprises vont en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Suède, en Finlande, mais pas en France. Le PDG d’une entreprise comme Activision Blizzard qui fut pendant longtemps une filiale de Vivendi ne voulait pas investir dans la production française. Une entreprise comme King, qui a développé Candy Crush, a développé un studio à Barcelone avec un appétit féroce. Or je ne pense pas que les niveaux de protection sociale et d’imposition espagnols soient disruptifs par rapport à ceux de la France.

M. le rapporteur. J’ai vu, dans un reportage, que nous avions à Paris l’un des meilleurs studios au monde pour tout ce qui a trait aux jeux vidéos.

M. Julien Villedieu. Je ne dis pas que nous n’avons pas de bonnes équipes ni de bonnes entreprises. Nous en avons même d’excellentes, mais malheureusement, elles sont de moins en moins nombreuses. Il faut comprendre que le jeu vidéo est une affaire d’écosystème. Le Québec a réussi à créer un écosystème, un hub mondial de production de jeux vidéo. Ce n’est plus le cas de la France, et c’est ce que nous devons retrouver.

Notre vigueur reviendra avec l’attractivité de notre pays d’un point de vue fiscal, d’un point de vue social, et donc d’un point de vue sociétal. C’est aussi l’image que le jeu vidéo a dans notre société qui est en question. Certes, des progrès ont été faits depuis dix ou quinze ans. Il n’empêche qu’aujourd’hui encore, quand vous écoutez nos responsables politiques, ils ont encore du mal à s’exprimer sur ce média et sur ce divertissement. Il subsiste dans notre pays un complexe par rapport aux jeux vidéo, ce qui n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons ou du Sud-Est asiatique.

M. le président Luc Chatel. Si, demain, nous proposions au Gouvernement de créer un cluster de jeux vidéo, quels leviers faudrait-il activer ?

M. Nicolas Gaume. D’abord, la compétitivité de l’écosystème, qui passe par le coût du travail et la stabilité de l’environnement social.

M. le président Luc Chatel. Ce n’est pas propre au jeu vidéo.

M. Nicolas Gaume. Non, mais cet aspect est déterminant pour notre secteur, dans la mesure nous n’avons pas d’économie nationale. Quel que soit le nombre de leurs salariés, nos entreprises ne peuvent exister qu’en ayant au moins une dimension européenne, américaine et européenne, voire américaine, européenne et asiatique. Aucun autre secteur n’est aussi sensible que le nôtre à la compétitivité de l’écosystème.

M. Julien Villedieu. Aujourd’hui, nos salariés prennent l’avion du jour au lendemain pour partir travailler à Shanghai, Montréal ou ailleurs.

M. Nicolas Gaume. La mobilité est très forte dans notre secteur du jeu vidéo. On ne peut pas dire que le marché soit en décroissance, puisque le chiffre d’affaires est passé de 16 à 51 milliards d’euros en une douzaine d’années. Mais que le nombre de nos salariés soit passé de 25 000 à moins de 12 000, constitue tout de même un vrai problème.

Ensuite, nous avons un crédit d’impôt pour les jeux vidéo, obtenu grâce au concours de nombreuses bonnes volontés – ministres, représentation nationale, entreprises. Mais c’est malheureusement un outil plus défensif qu’offensif, très lourd et complexe, qui n’a pas permis d’inverser le mouvement.

Dans le même esprit, le crédit d’impôt-recherche est un très bon outil. Sa complexité est sans doute acceptable dans un écosystème franco-français, mais pas au regard de ce qui existe dans d’autres pays. Et surtout, depuis le début de cette année, sans doute en raison du contexte budgétaire, nombre de nos crédits d’impôt sont « retoqués » par les administrations et les contrôles fiscaux se multiplient. Au lieu de nous dire qu’on n’a plus les moyens d’accorder de crédit d’impôt-recherche, on rend celui-ci inopérant, on refuse les dossiers, etc. Et cela prend du temps : selon nos calculs, l’entrepreneur d’une PME de moins de cinquante personnes passe un jour par semaine à traiter des problématiques liées à l’instabilité juridique et économique de notre pays – contre trois heures en Allemagne et moins de deux en Finlande.

Le CICE, quant à lui, est assez peu opérant pour nos entreprises. Cela s’explique par la faible moyenne d’âge des salariés…

M. Julien Villedieu… et par le niveau élevé des salaires.

M. Nicolas Gaume. En effet, ce sont des salaires de cadres, avec de fortes progressions. En France, le salaire d’un jeune qui débute aura doublé au bout de cinq ans.

Je répondrais ensuite à M. le rapporteur que nos entreprises sont déployées sur tout le territoire. Il n’y a pas de cluster français. Un tiers des entreprises sont implantées à Paris, mais les deux autres tiers se trouvent en région : beaucoup dans le Nord-Pas-de-Calais, en Rhône-Alpes, autour de Montpellier, Bordeaux, un peu à Nantes et à Rennes, mais aussi à Clermont-Ferrand et Strasbourg. Deux pôles de compétitivité ont traité le jeu vidéo : Imaginove pour la région Rhône-Alpes et Cap Digital pour Paris et la région parisienne. Sur ces deux zones, on trouve de belles entreprises de notre secteur, mais finalement, il y a en a partout.

M. le rapporteur. Vous n’avez pas été retenus comme filière d’avenir ?

M. Julien Villedieu. Non.

M. le rapporteur. Vous aviez candidaté ?

M. Nicolas Gaume. Pas au sens où vous l’entendez. Nous avons tendu la main, mais nous ne sommes pas allés dans un processus très formel.

Le problème est sans doute dû au fait que notre secteur est perçu, comme je l’ai déjà dit, comme trop culturel pour le numérique, trop numérique pour le culturel. Nous sommes « à cheval » entre la rue de Valois et Bercy, entre la DGCIS (Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services) et le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Certes, tous manifestent leur intérêt pour le jeu vidéo. Mais quand il s’agit de rentrer dans le concret, il semble que nous n’existions plus. M. le directeur général de la BPI vous dirait que notre secteur est tout à fait intéressant. Mais quand il faut mettre en place des dispositifs adaptés, plus rien ne se passe. Les faits sont là.

M. Claude Sturni. Avant d’avoir été frappé par le cumul des mandats, j’étais président de la commission « culture » à la région Alsace, et je m’étais un peu intéressé au sujet.

Pour vous, le secteur du jeu vidéo est une « industrie de l’immatériel », un secteur atypique, avec des salaires élevés, des actifs délocalisables, et qui ne profite guère des dispositifs existants, parce qu’inappropriés. Je pense que vous avez raison. Mais je souhaiterais avoir quelques précisions supplémentaires.

Premièrement, votre industrie nécessite un certain environnement de travail, une certaine logistique : infrastructures, accès au haut débit, etc. Les conditions sont-elles bonnes en France, par rapport à d’autre pays, comme le Canada ou Singapour ?

Deuxièmement, ce sont des marchés mondiaux. J’imagine que le français n’est pas la première des langues utilisées. Est-ce un handicap pour nos talents français ?

Troisièmement, les talents existent, mais beaucoup s’en vont. Les entreprises existent, mais elles-mêmes partent. N’y a-t-il pas des entreprises françaises qui, comme dans beaucoup d’autres industries, créent des filiales à l’étranger pour optimiser leur implantation mondiale ? Vous n’en avez pas du tout parlé.

Enfin, nous attirons dans nos écoles et dans nos centres de formation des étudiants étrangers. A-t-on des éléments quantitatifs sur les centres d’excellence qui forment ces talents ? Savons-nous ce que ces jeunes deviennent, une fois diplômés ?

M. Nicolas Gaume. Effectivement, monsieur le député, nous n’avons pas parlé des entreprises françaises qui s’implantaient à l’international. Mais elles existent. Ainsi, Ubisoft, qui est une de nos plus belles entreprises françaises, a créé à Montréal une filiale et a été un des acteurs majeurs de la croissance du nombre de salariés au Québec. De très nombreux Français sont partis travailler chez Ubisoft. Aujourd’hui, il y a à peu près 1 200 salariés en production chez Ubisoft en France, et un peu plus de 3 500 au Québec. De la même façon, Gameloft a des studios de développement dans plusieurs pays. Même de toutes petites PME s’implantent à l’étranger. Cyanide, qui est une très belle entreprise de la région parisienne, a une antenne au Canada. La démarche est logique pour ces entreprises : elles vont au plus proche des marchés tout en tirant parti des écosystèmes existants.

Maintenant, est-ce que les dirigeants d’Ubisoft aimeraient avoir davantage de salariés en France qu’au Canada ? Je peux vous affirmer avec force que oui. Et je vous encourage vivement à recevoir M. Yves Guillemeau, le PDG d’Ubisoft, qui pourra vous en parler. Je tiens d’ailleurs à lui rendre hommage, pour avoir conservé un nombre significatif de salariés en France ; il l’a fait parce qu’il y a chez nous des talents exceptionnels, mais aussi parce qu’il l’a voulu. Et c’est précisément notre rôle d’association professionnelle de souligner que la situation est déséquilibrée et de déplorer que les entreprises n’aient pas davantage envie de se développer en France.

Inutile de répéter ici à quel point nous sommes attachés à notre pays. La France dispense une formation de qualité, très généraliste. L’industrie du jeu vidéo est une industrie de prototypes : à chaque projet que nous lançons, nous devons inventer une chaîne de fabrication, des dispositifs très innovants qui mêlent l’innovation électronique, la créativité et l’ingénierie logicielle dans ce qu’elle a de plus technologique. Or nous avons des ingénieurs qui ont un minimum de culture créative, artistique et générale. À l’inverse, nous avons des créatifs qui ont été confrontés aux problématiques technologiques et scientifiques.

C’est une de nos forces. Les pays anglo-saxons, les États-Unis, les pays asiatiques ont des filières beaucoup plus verticalisées. Cette force, il faut la préserver. Évidemment, nous avons aussi des défauts : une tendance à être un peu trop dans la théorie, pas assez dans le pragmatisme et dans les projets ; mais les choses sont en train de changer.

Quoi qu’il en soit, les filières de formation sont très nombreuses. Il serait intéressant que vous puissiez prendre contact avec un certain nombre de dirigeants d’écoles. Je pense notamment à M. Stéphane Natkin, directeur de l’École nationale du jeu et des médias interactifs numériques, établissement public situé à Angoulême, qui dépend du Conservatoire des arts et métiers – CNAM – et de l’Université de Poitiers. M. Natkin pourra vous dire où vont ses étudiants. Mais il y a d’autres écoles consulaires ou privées, également de grande valeur.

Ensuite, nos infrastructures, qu’il s’agisse de la connexion et du haut débit, ou des transports (TGV, avions), sont plutôt de qualité. Il est clair que des géants comme Nexon, NCsoft et tant d’autres, ont pu prospérer en Corée, à Singapour, à Shanghai ou ailleurs, parce qu’ils ont trouvé sur place une infrastructure haut débit, en mobile, autant qu’en internet filaire et câblé. Mais nous ne sommes pas un pays en retard de ce point de vue. Bien sûr, on pourrait espérer avoir mieux.

Enfin, la langue anglaise est une base fondamentale. On pourrait regretter qu’il n’y ait pas de formations en langues asiatiques, notamment en chinois, au niveau secondaire. En effet, aujourd’hui, nos pays de croissance sont la Corée, la Chine, un peu moins le Japon, et l’Asie du Sud-Est. La maîtrise de ces langues permet de comprendre la culture de ces pays et de lier des relations d’affaires. Un certain nombre de nos entreprises se sont installées en Asie. Ubisoft, par exemple, est présente en Chine. Mais, précisément, faute de maîtrise de la langue, les entrepreneurs français qui se sont expatriés ont parfois du mal à embaucher des talents français, ou à guider des entreprises françaises à se développer là-bas.

M. Christophe Prémat. Merci pour votre intervention. Votre tableau de la filière du jeu vidéo est assez noir. J’aimerais apporter plusieurs nuances et faire quelques remarques.

Aujourd’hui, il est dans les gènes des jeunes générations de partir à l’étranger et d’acquérir à la fois une langue et une expérience, surtout dans des secteurs stratégiques. Moi qui représente les Français qui vivent en Europe du Nord (dont les pays nordiques et scandinaves), j’ai rencontré des entrepreneurs qui, quelques années après avoir créé une entreprise à l’étranger – parfois dans le secteur des jeux vidéo – revenaient en France. Ils ne le faisaient pas seulement pour des questions d’environnement social et éducatif. À ce propos, je tiens à souligner qu’il y a au Québec des assurances maladies et des écoles gratuites. Il en est de même dans les pays scandinaves.

Quoi qu’il en soit, il serait intéressant de suivre la trajectoire des Français qui reviennent dans notre pays. Ceux que vous avez formés reviennent en France avec des compétences, des langues, une ouverture, des réseaux, des marchés qui sont également nécessaires pour les entreprises restées sur place. Il me semblait important de le préciser. Les jeunes qui partent peuvent revenir, ne serait-ce que parce qu’ils sont attachés à la France.

Certes, on a du mal à évaluer le nombre de ceux qui reviennent au pays. Et on n’incite pas forcément les Français à revenir. Je pense donc qu’il serait intéressant de davantage « muscler » le retour en France.

Par ailleurs, on peut regretter que l’Organisation internationale de la francophonie ait attendu quarante ans pour se doter d’une direction des affaires économiques. Mais heureusement, on réfléchit aujourd’hui à des normalisations qui devraient avoir un impact sur l’internationalisation de l’économie. Il faut en effet essayer de voir quels marchés on peut pénétrer grâce aux normes francophones. C’est une vraie question.

Ensuite, plutôt que de poser la question de l’exil des forces vives, il serait intéressant de réfléchir sur l’attractivité de la France vis-à-vis des investisseurs étrangers. Là encore, on se heurte à la barrière linguistique. Il y a quelques années, pourtant, le ministère des Affaires étrangères avait mené une campagne destinée, entre autres, à introduire un peu de multilinguisme et d’anglais dans les entreprises, pour attirer chez nous de nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences.

Nous devons faire preuve de plus d’agressivité pour rendre notre pays plus attractif, si nous voulons soutenir l’internationalisation de notre économie. J’ai bien compris ce que vous avez dit sur la nécessité de simplifier le droit du travail et d’alléger les procédures administratives. Mais ce n’est pas propre au secteur du jeu vidéo et je me demande si on ne risque pas, en se focalisant sur ce problème, de se tromper de débat.

Ma dernière remarque portera sur l’emploi. Il y a des entreprises qui se créent à l’étranger et des jeunes qui y partent pour trouver un emploi. On peut s’en féliciter. Mais quand ils reviennent – et cela nous ramène à la question de la trajectoire – ils créent de l’emploi, faisant souvent preuve d’innovation en matière de management. Je pense qu’il ne faut pas négliger cet aspect.

M. Julien Villedieu. Merci pour vos commentaires.

Je remarque qu’il est plus facile de traiter la question du retour si l’on se place du point de vue de l’individu que du côté des entreprises. La force de notre secteur est qu’il se régénère en permanence en créant de nouvelles entreprises. Aujourd’hui, plus d’un tiers de nos sociétés ont moins de deux ans d’existence. Ce sont donc des sociétés très jeunes, parfois créées par des jeunes à la sortie de leur école. Ces derniers se rendent rapidement compte que s’il est facile de créer une société en France, il est beaucoup plus contraignant de la développer. Nous assistons donc à l’exil de nombreuses entreprises à l’étranger. M. Steve Ballmer, l’ancien PDG de Microsoft, disait d’ailleurs : « Créez votre société en France et développez-la aux États-Unis ». Cette phrase peut prêter à sourire, mais, dans notre industrie du jeu vidéo, c’est une réalité : beaucoup de jeunes entrepreneurs passent un an à créer leur société en France et partent. Or il est quasiment impossible de faire revenir une entreprise en France.

Cela dit, vous avez raison d’insister sur l’attractivité de notre pays. Nous avons à cœur de réussir à inverser les phénomènes que nous constatons aujourd’hui, et à enclencher une dynamique vertueuse. Si nous sommes là aujourd’hui devant vous, c’est parce que nous sommes convaincus que la France est un pays extrêmement attractif, capable de créer encore des champions dans notre secteur, comme Ubisoft et d’autres. Mais il faut aussi que les entreprises étrangères aient la volonté de s’installer ici. Pour y parvenir, il y a beaucoup à faire, notamment dans le domaine de la fiscalité, du cadre du travail, et de la stabilité. Ce n’est pas spécifique à notre secteur, mais si l’on veut attirer les décideurs étrangers, il faut s’en préoccuper.

M. Nicolas Gaume. J’insiste encore : la nature internationale et immédiate de notre activité et le fait que nous ayons un tissu de PME nous rendent particulièrement sensibles à ces aspects.

Monsieur le député, nous sommes profondément attachés à l’ouverture au monde de notre pays. Nous ne sommes pas dans une logique défensive. Nous sommes extrêmement conquérants, et nous pensons aussi que, dans l’absolu, les jeunes qui reviennent nous apportent énormément.

Maintenant la réalité est que nous sommes passés de 25 000 à moins de 12 000 salariés, pendant que notre marché croissait de 280 %. C’est insensé et extrêmement frustrant.

Nous avons nous aussi réfléchi à des propositions concrètes pour amener les Français expatriés à revenir mais, comme Julien Villedieu l’a dit, s’il n’y a pas de projets en France, ils ne reviendront pas. Notre souhait le plus cher est donc que les entreprises aient la capacité de monter des projets, de faire venir des talents, de les faire prospérer en France, de les envoyer dans des filiales à l’étranger ou dans d’autres entreprises, et qu’ils reviennent.

Nous aimerions également attirer des entreprises étrangères en France. Là encore, pour y parvenir, il y a beaucoup à faire. Pour l’illustrer, j’évoquerai devant vous la question des visas. J’avais fait venir dans une de mes entreprises un directeur général canadien, marié à une Japonaise. Ils durent se lever à quatre heures du matin pour aller solliciter un visa de travail à la préfecture de Paris, où ils furent traités comme du bétail. Pour quelqu’un qui est payé 120 000 euros par an, et dont la femme est très soucieuse du rapport aux autres et de la forme, il y avait de quoi être dégoûté et il est reparti à Vancouver. J’avais fait venir également un ingénieur finlandais d’origine roumaine, à un moment où les Roumains n’étaient pas bien considérés dans les médias. Il n’a pas fait venir sa famille en France et après des difficultés pour obtenir une carte de sécurité sociale, il a démissionné et est reparti à Helsinki. Nous sommes très désireux de faire en sorte que tout se passe bien. Mais c’est la réalité de notre pays.

Enfin, vous avez parlé des normes. Nous sommes dans un écosystème et nos entreprises sont en compétition. Malgré tout, nous nous donnons des coups de main, nous menons des opérations de recherche communes, nous développons ensemble des actions commerciales dans des pays étrangers, les grandes entreprises aident les petites, etc. La taille modeste de notre secteur le permet. Reste que c’est assez exemplaire. Dans les pôles de compétitivité, dans les institutions qui accompagnent l’exportation, des personnes de grand talent nous aident, même s’il est vrai que tout cela manque de fluidité, que tout est parfois plus compliqué qu’il ne devrait l’être. Mais plutôt que les normes en tant que telles, en tout cas dans notre secteur, c’est notre capacité à attirer les grands donneurs d’ordre sur laquelle il faudrait travailler.

Nous sommes prompts à critiquer Microsoft, Google, Facebook, Apple, etc. C’est sans doute parfois légitime – notamment quand il s’agit de la fiscalité. Mais je constate que ces groupes permettent à nos entreprises de prospérer. Nous avons tout intérêt à les aider à collaborer avec notre écosystème, nos entreprises, nos PME, plutôt que de les pointer du doigt à la moindre occasion. Car les effets sont absolument déplorables. Cela ne change pas grand-chose pour Apple, par exemple, qui mettra sans doute davantage l’accent sur Londres et Berlin que sur Paris. Mais pour nos PME qui ne travaillent qu’avec ces entreprises, c’est une calamité ! Ayons conscience que grâce à Google, Apple, Facebook ou Microsoft, nous avons aussi de belles entreprises en France.

M. le président Luc Chatel. Merci pour votre passion.

Audition du mardi 24 juin 2014

À 16 heures 15 : M. Denis Colombi, doctorant au Centre de sociologie des organisations, sur « La mondialisation abordée d’un point de vue sociologique ».

Mme Claudine Schmid, présidente. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui M. Denis Colombi, enseignant qui mène actuellement une thèse sur la mondialisation abordée d’un point de vue sociologique.

Ce qui a attiré notre attention sur vos travaux, c’est que ceux-ci s’appuient sur l’étude des parcours professionnels des Français partis à l’étranger, avec une attention toute particulière pour ceux qui reviennent ou sont revenus en France. Votre objectif est de saisir comment une telle mobilité s’inscrit dans un parcours professionnel et la façon dont elle peut recomposer certains marchés du travail.

Vous le savez, l’objet de cette commission d’enquête est de s’interroger sur le phénomène de l’expatriation de nos concitoyens. Il s’agit, comme le répète le président Chatel, de déterminer si ce phénomène et son évolution ne font que témoigner de l’insertion grandissante et souhaitable de la France dans la mondialisation ou si, au contraire, il résulte d’une perte d’attractivité ou de compétitivité de notre pays contraignant nos compatriotes à privilégier un déroulement à l’étranger de leur carrière professionnelle.

Vous nous direz dans quelle mesure vos travaux vous permettent de faire la part entre une « expatriation voulue » et une « expatriation subie ».

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Denis Colombi prête serment.)

M. Denis Colombi. Merci, Madame la présidente. Mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner cette occasion de présenter devant vous mon travail de recherche. Je vais commencer par présenter ma démarche, l’objet de mon enquête et ce que je crois être l’originalité de mon travail.

Je présenterais ensuite deux des résultats auxquels je suis parvenu, lesquels, je l’espère, pourront servir à vos réflexions et à votre travail. Ma thèse porte sur l’articulation entre les marchés du travail et la mobilité professionnelle internationale. C’est un point important : mon objectif est la compréhension des marchés du travail au travers de la mobilité internationale, et l’une des premières questions qui s’est posée à moi a été de savoir de quels marchés il s’agissait. La question dont je suis parti, relativement simple, était la suivante : existe-t-il un ou plusieurs marchés du travail international ? Où les marchés du travail restent-ils nationaux ?

Ma démarche a consisté à m’intéresser aux Français expatriés mais, parce que je voulais analyser des marchés du travail, il m’a fallu adopter un point de vue doublement différent de celui qui est le plus souvent retenu, que ce soit dans le débat public ou dans la recherche. Je vais présenter rapidement ces deux différences.

Premièrement, lorsqu’il est question des expatriés, l’attention se concentre souvent sur ce que l’on peut appeler les « élites de la mondialisation » – terme plus ou moins consacré dans la recherche –, c’est-à-dire les dirigeants d’entreprise, les membres des conseils d’administration des grandes entreprises et le top management des firmes multinationales ainsi que les très riches, au travers de l’attention particulière portée aux exilés fiscaux. Or, ils ne sont pas les seuls, loin s’en faut, à partir à l’étranger : pour ma part, j’intègre à mon terrain d’enquête des parcours plus modestes, même s’ils sont loin d’être défavorisés. Je me suis ainsi intéressé aux cadres et aux diplômés qui, s’ils occupent des positions importantes dans les entreprises, ne sont pas nécessairement destinés à en devenir les dirigeants ou les membres des conseils d’administrations : traders, responsables marketing, responsables pays, chefs de projets, et, également, un bon nombre de personnes passées par le volontariat international à l’étranger.

Certains font partie, ou feront peut-être partie, de ces fameuses élites internationales, mais même pour comprendre celles-ci, il me semble nécessaire de les saisir en contexte, c’est-à-dire en tenant compte de l’ensemble des situations possibles. Ainsi, en complément d’un travail statistique sur les grandes enquêtes biographiques de l’Insee, que je ne présenterais pas ici, car il porte exclusivement sur des populations qui sont déjà revenues en France, j’ai effectué soixante entretiens biographiques avec des expatriés ou d’anciens expatriés, en me concentrant, pour les quarante derniers, et après une première phase exploratoire, sur deux secteurs particuliers : la finance et l’industrie, l’objectif étant de pouvoir faire des comparaisons entre les deux secteurs. J’ai complété cela par vingt entretiens avec des responsables de mobilité internationale dans des grandes entreprises installées en France, afin de disposer du côté « organisation » de la mobilité. Cet échantillon ne prétend pas, bien évidemment, avoir une représentativité statistique : il ne s’agit pas pour moi de dire des choses comme « les expatriés ont en moyenne telle ou telle caractéristique, sont majoritairement des hommes ou des femmes, ont majoritairement tel diplôme », etc.

Ma démarche est différente : il s’agit d’utiliser ces parcours particuliers pour reconstruire les principes généraux de fonctionnement de certains marchés du travail. De la même façon qu’un archéologue peut, à partir de quelques fragments de squelette, reconstituer l’ensemble d’un animal, j’essaye, à partir de parcours particuliers diversifiés, de reconstituer des marchés en essayant de comprendre ce qui a été nécessaire pour que chacun des parcours analysés soit possible.

J’en viens à la deuxième spécificité de ma démarche : comme je viens de l’évoquer, j’ai procédé à des entretiens biographiques : cela signifie que j’ai demandé à mes enquêtés de me raconter leurs carrières professionnelles, depuis la fin de leurs études ou même avant, ainsi que tous les éléments qui auraient pu l’influencer, les choix qu’ils ont effectués, les différentes étapes ou séquences qu’ils ont traversées. C’est une rupture importante avec la façon dont on se centre souvent sur le seul moment du départ vers l’étranger : la vie des Français de l’étranger ne s’arrête pas, et c’est heureux, au moment où ils passent la frontière. Certains restent définitivement à l’étranger, d’autres reviennent, d’autres encore s’installent dans des vies mobiles, dans différents pays et différents statuts. C’est quelque chose qu’il faut à la fois prendre en compte pour la comprendre, et ensuite expliquer : pourquoi les carrières prennent telles ou telles formes ? Pourquoi les individus sont-ils mobiles, pourquoi reviennent-ils ou restent-ils, etc.

Ce choix de travailler sur des parcours dans leur ensemble plutôt que sur des mouvements ponctuels de population conduit, à mon sens, à changer de façon importante le regard que l’on porte sur ces problématiques : se limiter à la question de « pourquoi partent-ils ? » ne rend pas justice à la complexité des carrières des Français à l’étranger.

Pour comprendre celles-ci, il faut arriver à reconstituer l’espace où elles se déploient : sur quels marchés, dans quels lieux et à quelle échelle ? C’est ce que je m’efforce de faire. C’est à ce changement de regard que je voudrais ici vous intéresser, en présentant deux résultats : le fait d’aller travailler à l’étranger ne signifie pas nécessairement que l’on sort du marché du travail français ; ensuite, les parcours des expatriés ne sont pas le simple produit de forces d’attraction et de répulsion entre les pays.

Le changement de regard que j’évoquais m’a d’abord amené à reformuler certaines perspectives dans mon enquête. Je pensais, lorsque j’ai commencé à travailler sur ce thème, mettre à jour des marchés du travail internationaux. C’était d’ailleurs le but. L’enquête, et c’est l’un des bonheurs de la recherche, a balayé cette première formulation : au fur et à mesure que j’essayais de reconstituer des marchés, je trouvais en fait continuellement le marché du travail français. C’est ce premier résultat que je voudrais ici vous présenter, et on peut le résumer ainsi : il ne suffit pas d’être à l’étranger pour être sorti du marché du travail français.

Sans rentrer dans les détails, je voudrais vous rendre cette proposition parlante au travers d’un exemple, un des parcours que j’étudie, celui de Catherine, nom anonymisé, qui a l’avantage d’être assez représentatif de ce que l’on pourrait appeler une mobilité internationale ordinaire.

Catherine est diplômée d’une grande école de communication. Elle commence sa carrière dans une petite entreprise vietnamienne installée en France, laquelle fait faillite assez rapidement. À ce moment-là, Catherine se demande « qu’est-ce je veux faire, qu’est-ce qui m’intéresse ? C’est l’international ». Elle veut partir pour l’Asie, région pour laquelle elle éprouve une certaine fascination culturelle. Ne parvenant pas à trouver une entreprise en France disposée à l’envoyer là-bas, elle décide de partir par elle-même pour le Vietnam. Elle y passe quelques mois à chercher un emploi, avant d’y trouver un poste dans une entreprise dirigée par un Français qu’elle avait rencontré précédemment en France. Au bout de quelques années, elle décide de changer : elle a l’impression de ne plus rien d’apprendre de nouveau, ni sur son travail, ni sur le pays. Elle envisage d’aller en Birmanie, mais abandonne parce qu’elle trouve que ce pays est trop proche du Vietnam, un petit pays en développement dit-elle, sans nouveaux défis professionnels.

Elle revient donc en France forte de ce qu’elle appelle une « compétence de traduction » : elle peut faire dialoguer entreprises françaises et partenaires asiatiques, c’est-à-dire expliquer à des ingénieurs français qu’elles sont les attentes, pas toujours explicites, de leurs partenaires et clients asiatiques. Cela lui permettra facilement de se faire embaucher par un grand groupe français, qui, après quelques années, l’enverra pour une nouvelle expatriation en Chine, où elle rencontrera son futur mari, un Français de Lyon. Lorsque l’entité où elle travaille se retire du marché chinois, elle revient en France, et trouve sans difficulté un poste à vocation internationale dans une grande entreprise pharmaceutique, à Lyon. Au moment où je la rencontre, elle réfléchit à une troisième expatriation, mais sait que celle-ci sera plus difficile : plus avancée dans sa carrière, elle n’est pas sûre que son entreprise y trouve son compte, et elle doit tenir compte de ses enfants qu’il sera plus difficile de faire bouger lorsqu’ils arriveront à l’adolescence.

Que peut-on retenir de ce parcours ? Au moins deux choses : la motivation de Catherine à partir à l’étranger est guidée par le marché du travail français : elle veut acquérir une expérience internationale parce qu’elle pense que c’est ce qui est attendu sur le marché du travail français, que c’est un avantage et même une exigence. C’est d’ailleurs ce que des responsables d’entreprises que j’ai rencontrés m’ont confirmé. Cela guide très concrètement ses choix : si elle ne va pas en Birmanie, c’est parce qu’elle pense que ce pays ne lui apportera pas un avantage supplémentaire lors de son retour en France. Ainsi, même à l’étranger, ses choix restent guidés par les attentes du marché du travail français.

Ensuite, deuxième enseignement, les ressources ou le capital humain – je dis parfois « capital international » – qu’elle a acquis lors de cette expérience, cette « compétence de traduction » qui, selon ses propres mots, est son « cœur de métier », sont d’abord valorisables en France : le retour lui est presque indispensable pour en profiter pleinement. Si elle s’était installée définitivement à l’étranger, elle aurait perdu tous les avantages de sa mobilité internationale. Elle reste donc attachée à la France, non pas par une simple question d’identité, mais bien par la dynamique proprement économique de son parcours et de sa carrière.

Autrement dit, la carrière de Catherine, bien que se déployant à l’étranger, est une carrière française. Je pourrais donner d’autres exemples. Son départ n’est ni le produit de ce que les économistes appellent des push factors, des facteurs de répulsion comme le chômage, ni de pull factors, des facteurs d’attraction comme les salaires plus élevés à l’étranger, mais plutôt d’une certaine recomposition des marchés du travail en France qui accordent de plus en plus d’importance à l’expérience internationale, où cette dernière constitue un avantage concurrentiel. Cette analyse est également valable pour comprendre le départ de bon nombre de jeunes, qu’ils partent en VIE ou non : ils le font parce que c’est ce que le marché du travail français attend d’eux. Le marché du travail français déborde ainsi très largement les frontières nationales, et c’est quelque chose qu’il me semble important de garder en tête lorsque l’on s’intéresse aux Français à l’étranger.

Si certains Français sont poussés par le marché du travail français à aller à l’étranger, il est inévitable que parmi eux, certains finissent par faire le choix de rester. Ne serait-ce que parce que, et ce n’est pas le moindre des mécanismes, certains vont rencontrer l’âme sœur à l’étranger, et qu’il faut bien, alors, choisir le pays où l’on vit... Mais d’autres mécanismes sont à l’œuvre et l’un des enjeux de mon travail est d’étudier la diversité des mécanismes qui attachent les individus à un pays et ceux qui, parfois, l’en détachent. C’est là que réside le deuxième résultat que je voudrais vous présenter : il ne faut pas interpréter, comme on le fait trop souvent, le choix de rester vivre à l’étranger comme une façon de « voter avec ses pieds » contre la France et son système. Penser que les expatriés restent à l’étranger parce qu’ils préfèrent, par exemple, le système anglo-saxon est une erreur d’interprétation : cela peut être vrai occasionnellement, quoique cette préférence se révèle plutôt après le départ qu’avant – mais ce n’est en rien nécessaire.

Considérons ainsi un autre parcours, celui de Gaston : trader, diplômé de l’ENS et d’HEC. On pourrait le penser extrêmement mobile, libre de choisir où il veut travailler dans le monde, et donc d’aller dans le pays qui lui semblera le plus attractif. Et un survol rapide de sa carrière, de Paris à Londres puis de Londres à New-York, pourrait donner cette impression. Pourtant, lorsque je lui demande s’il envisage de partir à nouveau ailleurs
– comme un pays tourné vers la finance : Taiwan, Singapour… –, il répond sans hésiter par la négative, et ce n’est pas parce qu’il a une préférence nette pour le système américain. À chacune de ses migrations, dit-il, il a dû redémarrer une nouvelle carrière : retrouver des contacts sur place, se refaire une réputation sur des marchés du travail finalement très locaux, et qui fonctionnent en réseau. En arrivant à New-York, personne ne le connaissait malgré ses succès à Londres : il a dû faire à nouveau ses preuves, cela a été difficile, pour lui et sa famille, et il n’envisage tout simplement pas de recommencer. Les marchés du travail de la finance ne sont donc pas si transnationaux que cela, et en fait, beaucoup de traders se déplacent au sein des grandes banques plutôt qu’entre elles lorsqu’il s’agit de passer une frontière – c’est d’ailleurs le cas de Gaston, qui est parti à Londres avec un contrat d’expatriation d’une grande banque française et ne l’a quittée pour une banque américaine qu’une fois sur place, sans que cela n’ait été planifié. Il faut ajouter que, dans le cas de Gaston, sa situation conjugale l’oblige à faire des choix : son épouse est américaine et travaille aux États-Unis, il préfère donc y rester.

Dans son parcours, comme dans bien d’autres, l’attractivité d’un pays est bien difficile à identifier comme une simple somme d’atouts nationaux. Gaston est ici attachée aux États-Unis de la même façon qu’il est désormais difficile pour Catherine de quitter à nouveau la France : c’est là que ses atouts professionnels sont les plus forts, et c’est là que sa vie familiale et sociale l’attache. La différence de localisation entre les deux – l’une en France, l’autre à l’étranger – provient en fait des propriétés spécifiques des marchés du travail sur lesquels ils s’insèrent : l’industrie et la finance.

Je finirais cette présentation en soulignant un point : vous avez voulu, par cette commission, réfléchir à l’attractivité de la France et des autres pays. Pour les personnes que j’étudie, je crois qu’il faut dire que l’un des facteurs essentiels de l’attractivité des pays autres que la France est que, justement, ils ne sont pas la France. Je ne veux pas dire par là que la France aurait à leurs yeux des défauts tels qu’ils la rejetteraient, pas plus que les pays étrangers n’auraient des qualités si séduisantes qu’ils seraient irrésistiblement attirés par eux : au contraire, ils se montrent plus souvent critiques à l’égard de l’une comme des autres, profitant de leur position d’expatrié pour faire la part des choses.

Non : la mobilité elle-même, le fait de pouvoir montrer que l’on est capable de s’adapter à un autre contexte que celui dans lequel on a grandi, la possibilité d’accumuler une connaissance et une maîtrise professionnelle de la mondialisation, voilà des raisons suffisantes d’être attiré par l’étranger en tant qu’étranger. Et cela parce que ces qualités, ce goût de l’étranger, ces compétences sont valorisées et attendues en France. Ce n’est ni le niveau d’imposition, ni la place de l’État et de son administration, ni même la peur du chômage, toutes ces choses sur lesquelles on a tendance à rabattre la question des expatriés, qui font les carrières à l’étranger : c’est, en quelque sorte, l’ouverture de la France vers l’étranger. J’espère que cela sera utile à vos réflexions.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie de ce regard différent apporté à notre commission.

Vous avez réalisé une soixantaine d’entretiens pour l’avancée de vos recherches. Sont-ils confidentiels ou pourrait-on obtenir copie de certains d’entre eux ?

M. Denis Colombi. Je peux vous transmettre quatre ou cinq entretiens, pour lesquels l’anonymisation de mes interlocuteurs est suffisante et qui ont été remis en forme.

Mme Claudine Schmid, présidente. Avez-vous l’impression que les départs des expatriés, notamment dans les deux cas que vous nous avez exposés, sont plutôt subis ou plutôt volontaires ?

Ensuite, vous avez évoqué les relations d’une de vos enquêtées avec la France, et notamment sa volonté de conserver les avantages liés à la France. Desquels parle-t-elle ? Est-ce par intérêt, notamment pour conserver le statut d’expatrié, qu’elle y revient souvent ?

Enfin, comment évaluez-vous, au moment du retour, le bénéfice de l’expérience à l’étranger des expatriés.

M. Denis Colombi. Sur le caractère volontaire ou subi du départ, lorsqu’on observe, comme je le fais, ces parcours professionnels de manière dynamique, la réponse est délicate. Aucune personne, sur les soixante que j’ai rencontrées, n’a choisi de partir par impossibilité de s’en sortir en France. La plupart ont conçu leur départ de manière beaucoup plus positive, soit pour le bénéfice tiré d’une carrière internationale, soit, pour les jeunes surtout, pour vivre une expérience à l’étranger, notamment lorsque ces personnes n’ont pas pu profiter d’un séjour Erasmus pendant leurs études.

En revanche, une fois sur place, ces personnes peuvent se rendre compte qu’en effet, il est souvent plus facile de trouver un emploi attractif sur place, ce qui encourage à rester.

D’une manière générale, le départ est donc plutôt d’abord volontaire. Après, pour certains profils sociologiques bien définis, notamment des diplômés de l’université ou de petites écoles de commerce ou d’ingénieur, le choix de l’international peut être dicté par la possibilité d’y être mieux valorisé professionnellement, du fait de la concurrence sur le marché du travail en France. C’est le cas d’un diplômé de l’université de Lyon qui, après plusieurs années de vie professionnelle à l’étranger, souhaitait rentrer en France pour se rapprocher de sa famille, a échoué à trouver un emploi qui lui convenait parce que son diplôme ne faisait pas le poids face aux polytechniciens, aux normaliens ou aux diplômés d’écoles d’ingénieur. À l’étranger, un master est un master, peu importe son origine. Ici, le caractère subi de l’exil peut être avéré, mais on peut aussi le considérer comme une opportunité saisie et exploitée. Donc, ce que j’ai vu, ce sont plutôt des personnes qui sont parties à l’étranger dans le cadre d’une démarche positive. D’ailleurs, elles insistent souvent pour que je rappelle qu’elles ne sont pas parties fâchées avec la France. Certains sont même assez blessés par une sorte de stigmate qu’ils subissent au moment du retour, par exemple le soupçon d’être partie pour payer moins d’impôts.

Sur l’ambivalence du côté subi ou volontaire du départ, j’ai un autre exemple : dans l’industrie minière et extractive, la progression d’une carrière de manager doit impérativement passer par la direction d’une unité opérationnelle, or il n’en existe pas en France : c’est à la fois une contrainte qui pousse à partir à l’étranger, et un choix assumé de carrière plutôt que de rester au même niveau hiérarchique.

Sur le sujet des relations avec la France, les personnes que j’ai rencontrées conservent tous un lien avec la France, ne serait-ce qu’avec son actualité. Ce lien peut être plus ou moins fort : le lien familial est le plus important, et certains retours sont dictés par le vieillissement des parents et par la volonté de passer plus de temps en famille, par exemple quand les grands-parents ne connaissent pas leurs petits-enfants nés à l’étranger.

Le lien avec la France se manifeste aussi dans l’idée, que j’ai évoquée dans le cas de Catherine lors de son expatriation au Vietnam, que l’expatriation n’est vraiment utile que dans la perspective de sa valorisation en France, au moment du retour. Ainsi, au Vietnam, ses relations professionnelles étaient essentiellement des Français ou des entreprises françaises. C’est le cas de beaucoup d’autres situations que j’ai rencontrées. Même à l’étranger, même travaillant pour une entreprise étrangère, les liens avec la France perdurent et c’est leur principal avantage de carrière que de savoir faire le lien entre la France et l’étranger. C’est ce dont les entreprises françaises ont besoin. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elles envoient des personnes à l’étranger : pouvoir disposer de personnes de confiance pour les aider à développer leur activité à l’étranger. Couper complètement les ponts avec la France et le marché du travail français, notamment professionnellement, serait alors dramatique pour ces expatriés, qui perdraient entièrement le bénéfice de leur expatriation.

La question des bénéfices lors du retour s’inscrit dans ces développements : les expatriés partent effectuer une carrière internationale dans la perspective de la valoriser sur le marché du travail français. Or, beaucoup sont déçus lors de leur retour, éprouvant le sentiment que leur expérience internationale n’intéressait pas tellement les entreprises et organisations françaises.

Certaines grandes entreprises françaises évoquent cette même question sous l’angle, cette fois, des ressources humaines. Les responsables de la mobilité internationale que j’ai rencontrés m’expliquent qu’ils ne parviennent pas toujours à valoriser l’expérience internationale des salariés partis à l’étranger et revenus en France. Ces difficultés sont d’ordre organisationnel. Il est parfois difficile de trouver immédiatement le poste le plus adéquat, s’il n’est pas libre ou si cette affectation suscite des jalousies dans les services, où bien souvent la personne qui revient ne connaît plus personne. C’est une vraie difficulté. Malgré tout, les personnes concernées parviennent à valoriser leur carrière à l’étranger.

Au niveau statistique, à partir des enquêtes de l’INSEE, il apparaît que les personnes qui ont connu une mobilité à l’international disposent d’avantages, en matière de positions hiérarchiques ou de salaires perçus. Cela reste positif, même s’il y a parfois des moments difficiles ou certaines frustrations. Les entreprises que j’ai rencontrées me disent qu’un retour d’expatriation était trop souvent suivi par un changement d’entreprise, ce qui est d’ailleurs dramatique pour l’entreprise quittée : envoyer un salarié en expatriation coûte excessivement cher, jusqu’à deux ou trois fois le coût « local » du salarié. C’est alors un investissement perdu. Cette situation est un réel problème, même s’il n’est pas facile à régler.

M. Yann Galut, rapporteur. Merci pour votre intervention. J’aurai deux questions brèves. Le nombre de Français qui s’expatrie va-t-il, selon vous, continuer à augmenter ? Il résulte de nos entretiens que cette expatriation n’est pas si massive qu’on le dit. Mais quelle est votre impression ?

Avez-vous pu observer des communautés d’expatriés dans les pays où vous vous êtes rendu ? Comment se construit le lien social, dans le rapport à la France, dans le rapport au statut d’expatrié, dans le métier exercé ?

M. Denis Colombi. Sur l’évolution du nombre de Français à l’étranger, faire de la prospective n’est pas vraiment mon métier, mais ce qu’on observe sur les dix dernières années, c’est bien une augmentation. Sur une période encore plus longue, le nombre d’incitations à partir a aussi beaucoup augmenté, par exemple dans l’ouverture à l’international des écoles de commerce et d’ingénieurs, ou dans la multiplication des dispositifs qui facilitent la mobilité du travail : le statut de VIE, certaines dispositions migratoires favorables dans les pays étrangers, qui combinent travail de courte durée et tourisme pendant six mois ou un an, etc.

Je ne vois donc pas de raison que le nombre de Français à l’étranger baisse dans les années à venir, et une poursuite de la hausse ne me surprendrait pas. Mais on ne peut pas véritablement parler d’explosion : les parcours que j’ai observés ne sont pas des parcours de fuite, d’exil, de départs forcés vers l’étranger. Ce sont des personnes qui suivent un mouvement, celui de la mondialisation et des entreprises qui mobilisent leurs effectifs à l’international. Une entreprise qui se conçoit comme groupe international va ainsi chercher à disposer d’une main-d’œuvre internationale, à publier ses offres d’emploi en interne à l’échelle mondiale et à inciter à la mobilité de ses salariés.

De plus, la France valorise, professionnellement et culturellement, l’étranger, qui signifie le voyage, la découverte, la mobilité, la flexibilité également, et cela va naturellement jouer sur le nombre de Français qui s’expatrient.

Sur l’organisation des communautés d’expatriés, je ne les ai pas observées directement, je peux avancer qu’il y a un rôle prédominant du statut d’expatrié, mais pas forcément d’expatrié français. Ce qui plaît aux personnes que j’ai rencontrées, c’est de pouvoir rencontrer des personnes de nationalités variées, en plus des « locaux ». Par parenthèse, pas n’importe quels « locaux » : j’ai l’exemple d’une interlocutrice en Indonésie qui était parvenu à avoir pour dîner l’ambassadeur de France en Indonésie en compagnie d’une quinzaine d’Indonésiens, qui avaient la particularité d’avoir voyagé en France et de parler couramment le français ! Cela aboutit à un milieu très international, qui se définit justement par le rapport à la mobilité internationale de ses membres, par la capacité à se déplacer, avec ses propres codes – bref, une sorte de sous-culture commune. Des solidarités s’en dégagent : des travaux comme ceux d’Anne-Catherine Wagner abordent ce thème de la communauté internationale. Les entreprises en profitent. Cela leur permet de disposer de personnes qui ont la même expérience et qui peuvent porter les mêmes idées ou les mêmes points de vue.

M. Claude Sturni. Pouvez-vous m’éclairer sur le phénomène d’expatriation dont vous parlez ? Dans le contexte actuel, le statut d’expatrié me semble être devenu minoritaire parmi les flux de départs, presque un statut de luxe. Les entreprises, aujourd’hui, limitent le recours à l’expatriation, coûteuse par définition, la réservant à des emplois ciblés, à haute valeur ajoutée, pour attirer les meilleurs profils. Avez-vous des éléments sur les pays et les types d’emplois de nature à bénéficier de ce statut ?

Quant aux communautés de Français à l’étranger, on peut penser qu’ils sont susceptibles de se retrouver, dans un pays ou une agglomération, autour d’enjeux communs, notamment éducatifs. J’étais sensible aux déclarations récentes sur le nombre de Français à Londres et sur le besoin d’y ouvrir un troisième lycée français – ce qui prouve l’augmentation du nombre de familles et de jeunes à scolariser. Il y a peut-être là une autre forme de communauté qui crée un lien avec le pays d’origine et favorise, le cas échéant, le retour.

M. Denis Colombi. Je dois d’abord préciser que j’utilise le terme d’« expatrié » en partie par facilité, car il ne recouvre pas que des personnes ayant ce statut juridique. Il est, en fait, assez compliqué de trouver un terme générique facile à manipuler. On parle de Français installés à l’étranger, mais certains se déplacent ; on pourrait parler de migrants ou d’immigrés mais je préfère le terme de skilled migrants – migrants qualifiés – plus proches de ceux que j’ai observés. En outre, le terme d’expatrié est parfois utilisé par les personnes elles-mêmes sans qu’elles en aient le statut. C’est une facilité de langage.

Quant aux profils qui seraient concernés par le statut au sens strict, ce peut être des personnes diplômées ou occupant des positions à haute valeur ajoutée. S’agissant des emplois, vous avez raison de rappeler que les entreprises ont tendance à réduire de plus en plus leur recours à l’expatriation. Les entreprises françaises ont même tendance à réduire le « package » d’avantages associés, du moins à en rationaliser les différents éléments. Les emplois ciblés sont généralement liés, d’abord, à des contraintes de production : certaines activités industrielles, notamment, n’existent plus ou ne peuvent exister en France – comme une plateforme pétrolière. Il est alors nécessaire d’envoyer des employés à l’étranger. Il peut s’agir aussi d’envoyer des compétences rares. Je pense par exemple à une entreprise ayant besoin, pour son activité, d’un ingénieur spécialisé dans les boulons. Elle ne l’a trouvé qu’en France. Dans ces cas, il faut parfois offrir des packages plus larges, ces experts n’ayant pas forcément envie de se déplacer. Cela peut être aussi pour conquérir des marchés, développer une activité dans un pays où l’entreprise n’est pas encore installée. Ce sont alors des personnes dans lesquelles l’entreprise peut avoir confiance, qui connaissent ses processus
– process –, ses façons de travailler et sa culture. Une dernière raison d’envoyer un expatrié - la plus rare mais qui s’avère fondamentale – est la volonté de construire la carrière de certaines personnes à haut potentiel en les mettant en contact avec l’international. Cela peut se réaliser par leur affectation sur un poste les obligeant à traiter avec d’autres pays, mais cela passe souvent par une expatriation.

Comme je l’ai dit, on a des entreprises ayant vocation à être internationales et qui ont besoin de personnes qui sont internationales. Elles les forment ainsi. C’est aussi pour elles l’occasion d’avoir des employés qui, ayant vu comment les choses se passent à l’étranger, ayant vu d’autres façons de travailler, sont capables de porter le changement, d’introduire de meilleures solutions et de légitimer des transformations. Ce qui fait que les emplois à l’étranger restent séduisants et que sur les marchés du travail français, les salariés gardent l’envie de partir car ils voient que le passage par l’international est la clé pour les carrières les plus belles. Aussi, même si la population des expatriés, au sens précis du terme, est relativement peu nombreuse, elle exerce un effet d’entraînement fondamental sur l’ensemble des travailleurs et sur l’ensemble des carrières.

S’agissant des enjeux éducatifs, il est clair que pour les personnes que j’ai rencontrées, les lycées français à l’étranger sont une institution très importante, pour l’éducation de leurs enfants, parfois aussi pour trouver de l’aide à l’installation – faute de communautés de français sur place –, mais également pour rencontrer d’autres personnes, pas seulement françaises. Dans ces lycées, on rencontre en effet des personnes d’autres nationalités. Cette dernière dimension peut représenter un véritable atout pour un certain nombre d’expatriés. Une spécialiste des ressources humaines m’indiquait que ce qui avait changé dans les motivations de ces départs, c’est le fait qu’ils sont ne sont plus seulement motivés par la carrière d’un des parents, mais aussi par le désir de faire bénéficier ses enfants d’une éducation internationale. Cela peut être un élément d’attractivité des emplois à l’étranger. Dès lors, les lycées français à l’étranger sont importants autant par leur fonctionnement que par les opportunités qu’ils offrent.

M. Christophe Prémat. Je suis heureux que la sociologie des organisations s’intéresse aux mobilités. Sur votre méthodologie, vous avez mené une série d’entretiens biographiques. Quelle est la représentativité de vos échantillons ? Sans entrer dans une discussion sur les méthodes qualitative et quantitative, il est intéressant, dans la perspective de la représentation politique des Français à l’étranger, d’avoir une aide de la recherche, des outils de prospective. Nos consulats disposent de listes de nos compatriotes installés à l’étranger, mais nous aurions besoin d’instruments plus fins pour comprendre les mécanismes de ces mobilités – notamment avec les variables dont vous disposez : les variables d’attraction et de répulsion, classiques en sociologie des migrations.

Par ailleurs, j’entends vos termes de « compétences », « expériences », « maîtrise professionnelle », votre insistance sur la dynamique du retour. Il est vrai que nos compatriotes croisés à l’étranger s’inquiètent de la validation et de la valorisation de leurs diplômes acquis à l’étranger et de leurs expériences internationales quand ils reviendront en France. Certes, il existe des outils, notamment au niveau européen ; les grilles d’analyse NARIC – pour la reconnaissance de diplômes obtenus dans un pays étranger – participent à ce processus. Cependant, pour citer un ouvrage qui vous est familier, L’acteur et le système, les acteurs à l’étranger peuvent aussi faire évoluer le système de reconnaissance des diplômes étrangers en France.

Je vous confirme enfin que la première pierre du Lycée français de Wembley a été posée le 17 juin dernier. Quand on parle d’expatriation, au-delà de son seul sens juridique, la diversification des communautés représente un vrai défi. La diversification de nos réseaux constitue dès lors un enjeu, notamment pour nos écoles bilingues car elles s’adressent à des familles diverses, bilingues, binationales ou simplement souhaitant une ouverture à l’international. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

M. Alain Rodet. Dans votre échantillon, les diplômés de l’enseignement supérieur me semblent très majoritaires. Pourtant, on sait bien qu’aujourd’hui, ces départs concernent aussi les filières de l’hôtellerie et de la restauration par exemple. Avec l’explosion des grandes chaînes internationales, les Français sont très sollicités. Les avez-vous approchés pour comprendre comment cela se passe pour ce type d’expatriés ? Il y a aussi l’appel de la grande distribution, en particulier dans les branches bricolage et textiles, qui a besoin, en permanence, de personnes sur place pour chercher des produits pour les centrales d’achat…

M. Denis Colombi. Je dois répondre négativement à cette dernière question. Pour des raisons scientifiques, j’ai décidé de ne pas explorer le secteur de l’hôtellerie comme celui de la grande distribution, même si j’ai interviewé une ou deux personnes y évoluant. Ces marchés présentent évidemment certaines spécificités, comme le fait que venir d’une école d’hôtellerie française et être Français y constituent un véritable avantage, une carte de visite dont il faut tenir compte. Mais je n’ai pas poussé dans cette voie d’étude faute de temps dans ma thèse.

En termes de méthodologie, avec mes soixante entretiens je ne peux prétendre à une représentativité statistique. Je ne peux en tirer des conclusions sur la situation moyenne des Français à l’étranger. Mon échantillon est trop faible. Mais surtout je l’ai constitué en cherchant la plus grande diversité de situations. C’est une méthode venue de la micro-histoire, l’idée étant de reconstituer des mécanismes par un raisonnement un peu différent. En revanche, je confirme que l’on rencontre un certain nombre de difficultés pour connaître ces populations. Les sources dont nous disposons se résument aux travaux des consulats et ambassades – mais ils offrent peu d’informations, car on ne peut demander de raconter leur vie aux visiteurs de ces antennes ; en outre, tous ne s’inscrivent pas sur ces listes ; c’est très variable selon les pays et les situations… L’INSEE et le ministère des Affaires étrangères font là-dessus un très beau travail pour essayer de rendre les choses les plus claires possible. J’ai par ailleurs utilisé les enquêtes de l’INSEE « Trajectoires, origines et histoires de vie », qui sont fondées sur des entretiens biographiques annuels où les personnes racontent ce qu’elles ont fait. Cela me permet d’identifier celles qui sont parties à l’étranger à un moment donné. Mais cela ne concerne que des personnes qui sont revenues en France – raison pour laquelle je n’en ai pas parlé ; et parce que je n’ai pas fini d’exploiter ces sources. Elles n’intègrent donc pas les personnes restant à l’étranger. Enfin, on dispose des enquêtes réalisées par la Maison des Français à l’étranger pour le ministère des Affaires étrangères, par questionnaire généralement proposé sur son site ; mais ces enquêtes posent des problèmes d’auto-sélection des répondants : ce sont ceux qui fréquentent le plus internet – il y a donc une surreprésentation des jeunes –, et aussi ceux qui ont quelque chose à dire. L’avant-dernière enquête du ministère laissait un champ d’expression libre ; il en est ressorti une forte tendance critique vis-à-vis de la France. Mais on peut faire l’hypothèse que ceux qui choisissent de répondre et de s’exprimer avaient un message à faire passer. Cela ne retire pas l’intérêt de leurs réponses, mais cela crée un biais qu’il faut garder à l’esprit.

On manque véritablement d’un outil. Cependant, il est très difficile à mettre en place car la statistique aime les choses immobiles alors que la mobilité ne l’est pas par définition. Il faudrait des enquêtes plus larges et un outil statistique dédié. Je serais heureux d’y participer. Mais cela n’existe pas aujourd’hui et c’est problématique.

Concernant la validation et la valorisation des acquis de l’expérience, j’ai relevé deux choses me semblant intéressantes : d’abord, les personnes qui sont revenues ne sont pas toujours satisfaites, sur le moment, de la façon dont leur expérience internationale est considérée. C’est en partie lié au fait qu’elles appartenaient auparavant à une communauté internationale avec une culture particulière où ce type de parcours intéresse tout le monde, et quand elles rentrent et se retrouvent seules dans leur entreprise ou leur service à avoir voyagé, elles rencontrent moins de questions et de curiosité et en sont un peu déçues. Les entreprises ne savent pas toujours elles-mêmes comment les valoriser ou ont du mal à le faire. Il y aurait une réflexion à mener sur cette question.

L’autre constat intéressant que j’ai fait dans cette enquête est qu’on accorde à certains diplômes français plus de valeur à l’étranger qu’en France. Ce sont ceux de l’université. En tant qu’universitaire et enseignant, cela me déçoit un peu de voir combien ces titres intéressent les entreprises et les personnes rencontrées à l’étranger, qu’ils permettent de belles carrières à l’extérieur, mais pas en France, moins en tous cas que des diplômes de Polytechnique ou d’autres écoles d’ingénieurs. J’ai rencontré des exemples de diplômés français qui préfèrent rester à l’étranger pour cette raison. Il y a un décalage problématique entre la valorisation des diplômes français à l’étranger et leur valorisation en France.

M. Christophe Prémat. Il y a un point qui devrait intéresser la commission d’enquête : les mobilités post-doctorales. Il est souvent difficile de faire revenir ces personnes qui, encouragées par les stratégies européennes, par les anciennes bourses Marie Curie etc., font deux-trois ans d’études post-doctorales. Certains pays sont particulièrement attractifs, comme les Pays-Bas, l’Angleterre, la Suisse ou les États-Unis. On peut effectivement se questionner sur le suivi des trajectoires de très bons étudiants qui partent et, finalement, restent à l’étranger parce qu’ils n’ont pas trouvé en France un aboutissement professionnel à leur niveau.

M. Denis Colombi. Je suis moi-même doctorant et je me pose la question de poursuivre. Je peux rapporter ce qui se dit parfois parmi les diplômés : il vaut mieux ne pas faire de post-doctorat à l’étranger si l’objectif est de travailler ensuite en France car le retour sera difficile. En étant à l’étranger, on ne sera plus connu en France, nos travaux n’y seront pas forcément diffusés, on ne sera pas présents dans les colloques ou dans les laboratoires… On peut trouver des solutions, mais cela suppose de revenir régulièrement et de maintenir les contacts. En sciences humaines au moins, le post-doctorat est à la fois une solution séduisante, car il s’agit d’un travail intéressant et qui offre des débouchés professionnels à l’étranger, et, en même temps, il présente un risque, exigeant un vrai travail pour entretenir sa réputation en France, afin de ne pas être oublié, et pour revenir régulièrement participer au marché du travail académique car les auditions se tiennent à certains moments ; il s’agit de processus longs… Cela étant, je ne suis pas un spécialiste du marché académique. Je vous renvoie par exemple à Mme Christine Musselin.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie pour votre contribution à nos travaux et ces réponses très complètes.

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Audition du mercredi 25 juin 2014

À 16 heures 15 : Mme Manon Laporte, avocate fiscaliste, auteure de « Exilés fiscaux – Tabous, fantasmes et vérités ».

M. le président Luc Chatel. Nous recevons aujourd’hui Mme Manon Laporte, avocate fiscaliste et auteure de l’ouvrage « Exilés fiscaux : Tabous, fantasmes et vérités ». Vous savez que notre commission d’enquête vise à mieux appréhender le sujet de l’exil des forces vives de notre pays ; elle a notamment travaillé sur la question de l’expatriation des jeunes, et s’intéressera ensuite aux entreprises, s’agissant du départ de leurs centres de décision et des aspects fiscaux de ces départs.

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Manon Laporte prête serment.)

Mme Manon Laporte. Je vous remercie de m’avoir invitée pour évoquer cette question de l’« exil fiscal », qui constitue un sujet passionnant et pleinement d’actualité. Mon objectif a été, sans jeter en pâture les intéressés, de comprendre les raisons pour lesquelles des Français s’exilaient et si l’on pouvait définir des profils « type » d’expatriés. Dans le cadre de mes travaux, j’ai rencontré des historiens, des économistes, des conseils en expatriation, des banquiers et des gestionnaires de fortune, ainsi que des Français exilés, connus ou moins connus.

En premier lieu, il convient de souligner que l’« exil fiscal » n’est nullement un phénomène nouveau. Il n’existe pas seulement depuis 1981 ou depuis les années 2010-2011. Mais il est vieux de près d’un siècle : il a débuté lors de la création de l’impôt sur le revenu, en 1907, date à laquelle on a commencé à entendre parler de transferts de fortunes vers la Suisse… Puis, entre 1924 et 1926, la proposition du Cartel des gauches de créer un impôt sur le capital a créé beaucoup d’émoi et de polémiques. En 1936, l’arrivée au pouvoir du Front populaire s’est accompagnée d’une fuite des capitaux hors de France, on a parlé de centaines de tonnes d’or. En 1981, les départs vers la Suisse se sont multipliés. Ce phénomène a touché des noms connus, par exemple M. Latécoère qui s’est installé à Lausanne. Le déplafonnement de l’impôt sur la fortune décidé en 1995, puis l’alourdissement de la pression fiscale à partir de 2010 et 2011 ont également mis l’exil fiscal au cœur de l’actualité.

En deuxième lieu, ce phénomène concerne de plus en plus de jeunes Français : certains d’entre eux rejoignent leurs parents déjà à l’étranger – c’est le cas d’un patron d’un groupe de presse que j’ai rencontré –, d’autres vont créer une entreprise hors de France après avoir obtenu leur diplôme d’école de commerce de renom, telle que l’Essec. Leur société a grandi, s’est développé et enregistre des résultats importants et ces jeunes risquent de ne jamais revenir. Nous pouvons dire que nous les avons « perdus ». On compte également beaucoup d’artistes quittant le territoire français. Je ne parle pas là des cadres dirigeants détachés ou expatriés par leur entreprise.

En troisième lieu, l’exil fiscal ne se limite plus aux très grosses fortunes. Ainsi que me l’indiquaient des responsables de la banque Neuflize, auparavant, les départs à l’étranger concernaient essentiellement des personnes disposant de patrimoines de 10 à 15 millions d’euros. Désormais, on observe le départ de personnes dont le capital est de l’ordre de 5 millions d’euros. Il ne s’agit plus seulement d’artistes ou d’entrepreneurs : les professions libérales, telles que des avocats ou des chirurgiens-dentistes, sont concernées, ce qui est un phénomène tout à fait nouveau. Ce que j’ai constaté c’est que ceux qui partent recréent une activité à l’étranger, constituant aussi autour d’eux une sorte d’écosystème. On voit également des cadres dirigeants qui se voient proposer de partir à l’étranger pour des raisons fiscales ou pour de meilleures perspectives de carrière. C’est ainsi que, récemment, un des principaux dirigeants d’une grosse entreprise est parti s’installer à Singapour.

En quatrième lieu, ce qui me semble très important est que la fiscalité n’est jamais le seul facteur à l’origine d’un départ à l’étranger : d’autres raisons entrent en ligne de compte. Ainsi, la Suisse attire les Français certes par son régime fiscal, mais aussi par le niveau moyen des salaires, plus élevé qu’en France, la faiblesse du chômage et une mobilité sociale plus importante. Certains considèrent que ceux qui restent en France sont tenus de payer le droit de résider sur le territoire national. Ils ne contestent pas l’utilité de l’impôt mais veulent redevenir des citoyens, et non plus seulement des sujets de l’impôt, alors que les impositions, de l’acquisition d’un bien à sa transmission aux héritiers, se superposent, par le biais de l’impôt sur la fortune, de la taxation des plus-values puis des droits de succession. Les Français qui quittent le territoire ont également le sentiment que peu est fait en France pour encourager l’innovation, que les structures institutionnelles sont sclérosées, que le regard porté sur les patrons est systématiquement négatif, que les contribuables aisés sont souvent considérés comme des coupables, tandis que la France est vue comme peu attractive et immobile. L’insécurité fiscale est également pointée par les exilés fiscaux, notamment du fait de l’application de dispositions rétroactives, comme l’illustre la contribution exceptionnelle d’ISF appliquée en 2012. Enfin, beaucoup estiment que la classe politique est peu renouvelée, et s’apparente à une « gérontocratie non créative qui prend zéro risque », dont les jeunes seraient exclus.

Il convient enfin de relever que la réflexion précédant un départ de France est souvent longue, et que de longs mois s’écoulent entre la préparation d’un dossier et la décision effective du départ. Fin 2010-2011, on a constaté un afflux de personnes qui se sont manifestées auprès d’avocats ou de gestionnaires de fortune. Bien sûr, tous n’ont pas sauté le pas.

M. le président. Selon vous, quelles pourraient être les solutions face à ce phénomène d’exil fiscal ? En réalisant des comparaisons internationales, peut-on faire émerger des mesures intéressantes ?

Mme Manon Laporte. Comme le montrent des exemples internationaux, sans doute serait-il souhaitable d’améliorer les relations entre les contribuables et l’administration fiscale française. Par exemple, ces relations sont plus simples en Belgique ou en Suisse : lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés, un dialogue peut s’instaurer entre les deux parties, afin de trouver des solutions.

M. le président. Voulez-vous dire que, lorsqu’un contribuable pose une question à l’administration fiscale, il s’expose à un contrôle fiscal ?

Mme Manon Laporte. Ce n’est pas tout à fait ça car il existe des procédures de rescrit qui sont sécurisés. Pour les grandes entreprises, il existe une direction spécialisée et une expérimentation est en cours, pour une vingtaine d’entreprises, en vue de l’établissement d’une « relation de confiance » avec l’administration fiscale. Néanmoins, subsiste en France une crainte des contribuables à l’égard de l’administration fiscale et un manque de confiance. Les contribuables se sentent sur la défensive.

M. le président. Qu’est-ce que vous proposez ?

Mme Manon Laporte. Je pense que l’administration devrait avoir davantage une mission d’accompagnement des entreprises, une mission de conseil, même si elle a fait d’incontestables progrès au cours des dernières années, mais surtout à l’égard des grandes entreprises, pas encore à l’égard des PME ou des particuliers. Ce point est d’autant plus important que les règles fiscales sont de plus en plus complexes : au-delà des lois de finances, la doctrine fiscale prend une importance grandissante, tandis que doivent être prises en compte la jurisprudence du Conseil d’État, celles de la Cour de cassation et de la Cour de justice de l’Union européenne. Les fonctionnaires du contrôle fiscal doivent jouer un véritable rôle de conseil fiscal auprès des contribuables, et assurer une mission pédagogique, notamment auprès des jeunes, sur l’impôt. À cet égard, la prévention est préférable à la répression.

M. le président. Vous nous avez indiqué que l’exil fiscal n’est pas un phénomène nouveau. Mais constatez-vous une accélération du phénomène, et si oui, quels en sont les éléments déclencheurs, notamment juridiques et fiscaux ?

Disposez-vous d’une évaluation du dispositif d’exit tax, voté en 2011 ?

De quels chiffres disposez-vous pour avancer que les jeunes sont de plus en plus touchés par l’exil fiscal ? Dans nos travaux, nous avons éprouvé des difficultés à recueillir des données transparentes et objectives sur le sujet. Avez-vous connaissance d’une évaluation chiffrée de ce phénomène ?

Le Parlement doit être destinataire d’un rapport sur l’évaluation des départs et retours en France des contribuables. Ce rapport doit apporter des précisions sur trois points : le départ des Français assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF –, le départ des assujettis à l’impôt sur le revenu et enfin, précisément, les chiffres de l’exit tax. Quelles autres données pourrait-on demander à l’administration fiscale pour mieux appréhender le phénomène d’exil fiscal ?

Quelle est votre appréciation sur le régime fiscal des « impatriés », introduit en 2003 et élargi en 2008 ?

Mme Manon Laporte. Sur les informations relatives à l’exit tax, M. Gilles Carrez a dû procéder par voie d’amendement pour obtenir des informations de la part de l’administration fiscale. Si lui-même rencontre des difficultés, je ne vois pas comment je pourrais davantage obtenir des informations en la matière.

M. le président. Vous êtes avocate fiscaliste. Depuis la mise en place de l’exit tax, avez-vous été amenée à gérer des dossiers de ce type ?

Mme Manon Laporte. Non, car je ne participe pas, dans mon activité professionnelle, à des opérations d’exil fiscal. Mais je sais que plusieurs millions d’euros sont en jeu – cette seule précision étant insuffisante pour évaluer l’exil fiscal.

Cependant, l’accélération du phénomène d’exil fiscal peut être qualifiée de très importante, depuis 2010-2011. Il s’agit de centaines de dossiers de personnes qui partent.

M. le président. Ne seraient-ils pas partis malgré tout ?

Mme Manon Laporte. Non : ils sont partis à cause d’un élément nouveau – qui est venu s’ajouter comme l’élargissement de l’ISF, la nouvelle tranche à 45 % de l’impôt sur le revenu ou l’alignement de l’imposition des plus-values sur le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Ce dernier point a été, je crois, déterminant.

En effet, les créateurs d’entreprise, partis de rien, et ensuite taxés à 60 %, ne peuvent plus supporter cette situation. D’où cette accélération, encore plus importante en 2012. Pour avancer des éléments chiffrés, cependant, il faudrait interroger l’ensemble des banquiers et gestionnaires de fortune de Londres, de Belgique, de Singapour, etc. C’est impossible. Et sans évoquer le cas des régularisations ou des rapatriements de capitaux, qui sont un autre sujet. En tout cas, ce phénomène n’est pas une fiction ni un fantasme.

À propos du régime des « impatriés », il est vrai que l’exonération pour les intérêts de capital placé à l’étranger ou l’exonération temporaire d’ISF joue sans doute, mais l’administration fiscale n’a pas été capable de me dire combien de retours ont été permis par ce régime. Les expatriés que j’ai rencontrés, à Dubaï ou à Singapour, m’ont de toute façon dit qu’ils ne rentreraient pas, – donc ils ne bénéficieront pas de ce régime.

M. Alain Rodet. À propos de l’exil en Belgique, qui a plutôt lieu en Wallonie, nous savons que les Belges de Bruges, de Gand, d’Anvers considèrent que la Wallonie ne connaît pas de développement économique. C’est une situation paradoxale : comment est-ce possible, alors qu’aux yeux des Flamands, la Wallonie reste considérée comme la mauvaise élève de la classe belge, qu’elle puisse accueillir des exilés français à fort potentiel économique ?

Vous avez pointé le cas particulier de l’Essec dans l’expatriation des jeunes diplômés hors de France. Est-ce aussi le cas de HEC ou de l’Institut catholique de Paris ? Doit-on en déduire que la Chambre de commerce de Paris ne joue pas de rôle particulier en la matière ?

Avez-vous réfléchi à la question des salaires des grands dirigeants ? Depuis vingt ans, la rémunération des grands dirigeants a connu une hausse phénoménale. Entre la rémunération de Jacques Calvet, président de PSA, qui avait suscité quelque émoi il y a vingt ans, au moment de sa divulgation par le Canard Enchaîné, et celle, aujourd’hui, de M. Christophe Jacquin de Margerie, il y a un gap très important. Joue-t-il dans le sens d’un plus grand exil fiscal ?

Vous avez évoqué le caractère ancien de l’exil fiscal, de Joseph Caillaux au « déplafonnement Juppé » de l’ISF en 1995. Mais la France détient également, depuis longtemps, une réputation de grande ingénierie fiscale. J’ai le souvenir d’un ancien ministre du général de Gaulle, Jean Foyer, qui avait déclaré que la TVA était le plus bel impôt du monde. Cela montre une vraie fierté de l’impôt. Edgar Faure, élu du Jura et du Doubs, départements mitoyens de la Suisse, avait coutume de dire qu’il fallait demander beaucoup à l’impôt et peu au contribuable : nous sommes dans un pays où le débat autour de l’impôt est récurent.

Vous avez parlé des dentistes. J’ai l’impression que ce sont plutôt des Français qui vont se faire soigner à Meknès, à Fès ou en Hongrie ? Nous avons tous des anecdotes à raconter. Cependant, je voulais vous remercier de votre intervention qui permet de nourrir ce débat.

M. Christophe Prémat. Je suis député des Français « exilés » en Europe du Nord. J’en rencontre aussi beaucoup. Je ne veux pas jouer au jeu du « témoignage contre témoignage », je préfère essayer d’y voir clair au travers de données quantitatives. Mais sur un point, l’exil fiscal des jeunes, est-ce qu’il convient vraiment d’utiliser ce lexique, qu’on retrouve dans les travaux de notre commission ? Ce terme me choque. « Exil » est un terme fort, on parle d’exil politique, d’exil de Victor Hugo à Vianden, pendant le Second Empire.

Je préfère parler du départ des jeunes. Cela traduit aussi la volonté d’ouverture de notre pays – je vous rappelle que nous avons un secrétariat d’État aux Français de l’étranger, lié au tourisme, au commerce extérieur. Les Français qui résident hors de France sont un atout pour notre pays.

Sur le travail de simplification de la norme fiscale que vous préconisez, faut-il remettre à plat toutes les conventions fiscales bilatérales en vigueur ? Quelle démarche proposer concrètement ?

Mme Claudine Schmid. Avez-vous l’impression que le regard porté sur la France par les personnes qui l’ont quittée évolue au fil des années, dans un sens ou dans l’autre ?

Vous avez évoqué le contrôle fiscal : certaines personnes, qui viennent vous consulter, tiennent-ils à la discrétion, ne souhaitant pas que leur préparatifs de départ soient connus pour éviter un tel contrôle ? Avez-vous constaté que les Français résidant à l’étranger se trouveraient confrontés à davantage de contrôles fiscaux sur les affaires qu’ils ont conservées en France ?

Les autorités fiscales ont-elles, selon vous, d’ailleurs conscience des conséquences des contrôles fiscaux qu’elles mènent ? Que ces contrôles conduiraient à ce que certains Français, excédés, pourraient avoir la tentation de fermer toutes les affaires qu’ils détiennent en France et de quitter définitivement notre territoire.

Enfin, un de vos confrères auditionné a fait état des conséquences que pourrait avoir la dénonciation de la convention fiscale franco-suisse sur l’imposition des successions. Pensez-vous que cela peut entraîner des départs d’héritiers, même encore jeunes et encore peu fortunés, départs qui échapperaient à toutes statistiques ?

M. Régis Juanico. Nous avons besoin de nous appuyer sur des chiffres précis pour quantifier l’amplification de l’exil des Français, ou son absence, d’ailleurs. J’ai le sentiment, à la fois dans votre audition, et dans celles de vos collègues de l’Institut des avocats en conseil fiscaux – IACF –, que vous raisonnez surtout à partir de témoignages, d’impressions, de données floues, et c’est compréhensible : votre travail n’est pas de mesurer l’exil fiscal, c’est de conseiller vos clients. Mais cela aboutit à l’absence de données précises, et c’est gênant.

Vous parlez par exemple de « centaines de dossiers » de candidats à l’exil. Mais nous avons, pour le moment, des chiffres de Bercy sur l’impatriation fiscale : 25 000 dossiers en cours de traitement, avec en moyenne 900 000 euros de patrimoine à imposer. Nous aurions besoin de comparer entre entrées et sorties afin d’avoir ainsi un jugement correct sur l’exil fiscal.

Mme Manon Laporte. Monsieur Rodet, sur la question de la Wallonie, j’ai rencontré le cas de Français qui ont effectivement recréé une activité en Belgique, et s’y sont installés avec leur famille. Je n’ai pas rencontré directement de Français installés à Zurich. Je peux certes citer le cas du fils de Charles Aznavour, qui a suivi son père hors de France et s’est donc installé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne pour ses recherches dans le domaine de la computation. Ce n’est pas parce que la Wallonie rencontre des difficultés que des Français ne s’y installent pas, car ils y créent leur entreprise, notamment pour des raisons fiscales telles que l’imposition des plus-values après cession de ces entreprises.

Sur l’Essec, la situation est sans doute la même à HEC, et mon témoignage avait simplement valeur d’exemple. Tous les jeunes qui sortent de l’Essec ne partent pas non plus à l’étranger.

Quant à l’évolution des rémunérations des dirigeants, il y a en effet une pression fiscale beaucoup plus importante sur les dirigeants d’entreprises. Ceux-là ne partent pas forcément ; en revanche, ce sont les cadres qui préfèrent souvent aller travailler dans une filiale à l’étranger – comme celui que j’évoquais, parti à Singapour pour éviter une surtaxe sur l’impôt sur le revenu et des contributions sociales à 15,5 % qui ont fortement augmenté depuis la création de la CSG.

À propos du chiffrage du phénomène de l’exil fiscal, je vous confirme que personne n’y arrive. Nous devons nous contenter de nous référer à nos multiples expériences personnelles et aux centaines de dossiers que nous traitons. Les données de chaque gestionnaire, de chaque banquier ne sont pas centralisées. Même en posant des questions, je n’ai pu obtenir de chiffres plus précis.

Quant à la régularisation fiscale auprès du service de traitement des déclarations rectificatives – STDR –, il s’agit d’un phénomène différent : là, il est question de personnes qui n’ont pas déclaré leurs revenus ou leurs comptes à l’étranger, activement ou par passivité. L’exil fiscal, c’est une autre chose, parfaitement légale : ce sont des personnes qui ont choisi de partir ailleurs avec leurs familles. Parler de fuite des jeunes est sans doute trop fort, mais il s’agit bien, à mon sens, de départs de forces vives.

Serait-il utile de revenir sur les 120 conventions fiscales bilatérales existantes ? Je pense qu’il faudrait les dénoncer ; de nouveaux critères seront proposés par l’OCDE. Mais je parle plutôt de la nécessité de refondre le code général des impôts, de le nettoyer des dispositifs qui se superposent ou des mesures désuètes qui s’y trouvent.

Le regard des expatriés a-t-il évolué ? En effet, je constate au fil du temps que les « exilés » ne regrettent pas d’être partis et on les entend même dire que selon eux, la situation a empiré en France.

Craignent-ils un contrôle fiscal à leur retour ? Ils sont convaincus qu’ils se retrouveraient dans la ligne de mire de Bercy – même s’ils ne le sont pas nécessairement, ou pas systématiquement. Mais ils ont ce sentiment qu’ils seront désormais pourchassés par le fisc toute leur vie. Ils éprouvent véritablement un sentiment d’insécurité.

De fait, le contrôle fiscal et la pression fiscale, parce qu’ils sont vécus comme une espèce d’harcèlement, réel ou pas, peuvent déclencher l’exil.

Mme Claudine Schmid. Certains de mes interlocuteurs, qui avaient conservé des activités en France, m’ont déclaré préférer liquider tous leurs biens ou activités en France parce que les multiples contrôles fiscaux qu’ils subissent, au-delà de l’aspect financier, leur coûtent trop d’énergie.

Mme Manon Laporte. Vous avez tout à fait raison, Madame. Je l’ai aussi entendu de certains de mes clients. À force d’y consacrer beaucoup de temps, d’énergie et d’argent, d’avoir dû mettre en place toute une organisation pour y répondre, ils choisissent souvent de fermer leur entreprise et de quitter totalement la France. Je cite dans mon livre une personne qui, ayant subi 26 contrôles fiscaux en France, a choisi de s’installer en Suisse même s’il y paye plus d’impôts sur le revenu. Il va sans doute fermer son activité en France.

La prochaine dénonciation de la convention entre la France et la Suisse sur les droits de succession aura-t-elle un impact ? Des clients nous interrogent déjà sur ses conséquences et sur les moyens de les éviter. Ils n’envisagent pas encore de partir, mais s’en inquiètent – à tort ou à raison.

M. le président. Vous évoquiez la nécessité d’une stabilité fiscale. Quelles autres mesures permettraient d’enrayer le phénomène d’exil fiscal, voire de favoriser les rapatriements ?

Mme Manon Laporte. La première mesure qui me semble s’imposer serait la non-rétroactivité fiscale : changer les règles du jour au lendemain crée de l’insécurité, d’autant que ces lois rétroactives sont très fréquentes. Il faudrait les éviter.

Ensuite, il faudrait revoir l’ensemble du système fiscal, pour supprimer notamment les doubles taxations. Par exemple, on peut préserver l’ISF mais le globaliser avec les impositions sur les successions. Il faudrait aussi globaliser les impôts sur le patrimoine : éviter de faire payer à la fois les taxes foncières et l’ISF. La Cour des comptes a déjà évoqué cette question il y a quelques années. On a l’impression que le même flux ou le même stock est taxé à plusieurs fois. C’est un élément répulsif. Il faut vraiment réformer l’imposition du patrimoine.

Se pose également le problème de la démultiplication des cotisations sociales. Avec la CSG, la CRDS…, on arrive à un taux de prélèvement total de 15,5 % sur tous les revenus, y compris fonciers, qui est trop important. Les contribuables ont ainsi le sentiment de payer des impôts jusqu’à 80 % de leurs revenus. Ils ne supportent plus ce cumul de taxation. Réformer notre système fiscal, ce n’est pas seulement prendre deux ou trois mesures : c’est mener une réflexion de fond. Pour citer la Belgique, l’impôt sur le revenu est élevé, mais il n’existe pas d’imposition de la plus-value, ni d’ISF. La France additionne les trois, créant donc un sentiment de sur-taxation. C’est sur cela qu’il faut travailler.

M. le président. Nous vous remercions pour votre présentation et votre témoignage.

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Audition du mercredi 2 juillet 2014

À 16 heures 15 : M. Louis Eudes, président de Délocalia, société de conseil en investissement immobilier à l’étranger et de relocation de retraités à l’étranger.

M. le président Luc Chatel. Nous recevons M. Louis Eudes, président de la société Délocalia, plateforme de services en matière d’immobilier résidentiel à l’étranger et de relocation de retraités à l’étranger, c’est ce dernier point qui préoccupe notre commission.

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Louis Eudes prête serment.)

M. Louis Eudes, président de Délocalia. Délocalia propose, depuis 2008, un service intégré d’inspiration britannique. L’idée m’en est venue en Asie, où je travaillais alors et où j’ai eu l’occasion d’observer le phénomène nouveau des Européens qui s’installaient dans la région pour y vivre leur retraite. Tandis que les Scandinaves ou les Britanniques étaient très organisés, bénéficiant d’infrastructures d’accueil adaptées, les Français, soucieux de se tenir éloignés de leurs compatriotes, arrivaient en ordre dispersé, adoptaient une démarche plus individualiste et évitaient de fréquenter leurs compatriotes, Montaigne leur ayant appris qu’on ne voyage pas pour « chercher des Gascons en Sicile ». Cela les exposait toutefois à des risques considérables, notamment lorsqu’il s’agissait d’acquérir un bien immobilier dans des pays où le souvenir de la colonisation, toujours vivant, avait dicté, à l’égard des étrangers, des règles strictes pour l’accession à la propriété.

Nous proposons des services globalisés pour l’installation de retraités dans quinze pays, de l’Asie du Sud-Est aux Caraïbes, en passant par l’île Maurice ou l’Afrique du Nord et la péninsule ibérique. Ces pays se livrent une concurrence sur ce marché, dont chacun a bien compris l’intérêt et dont le cœur se situe à Londres, où sont basés les services financiers, la promotion immobilière internationale et le marketing. En 2007, avant la crise, le stock d’immobilier détenu par les Britanniques à l’étranger s’élevait à 80 milliards d’euros. Le dispositif est plus ouvert et plus organisé au Royaume-Uni : l’investissement résidentiel à l’étranger y est considéré comme un produit d’épargne. Cela permet à l’État d’avoir une traçabilité et aux ressortissants de diversifier leur épargne. Le choix, qu’a fait Délocalia de s’installer en France pour être au plus près de ses clients et de leurs préoccupations, représente un défi quotidien.

La question de l’épargne et du pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations de ceux qui décident d’aller vivre leur retraite au soleil, mais ils ne négligent pas non plus d’autres données relatives à l’autonomie, au « bien vieillir », à la qualité de vie.

Cette réalité est difficile à appréhender. La Maison des Français de l’étranger estime à 200 000 le nombre de Français de plus de 65 ans résidant à l’étranger. La Caisse nationale d’assurance vieillesse – CNAV – sert plus de un million de pensions de retraite à l’étranger, parmi lesquelles il convient de distinguer celles versées à des binationaux ou à des travailleurs immigrés qui, eux aussi, sont sensibles au coût de la vie et au bien vieillir. La réalité est donc protéiforme. L’exil au soleil ne concerne pas que des retraités à la recherche d’une solution d’évasion fiscale.

Depuis 2008, la crise a accentué le phénomène. Les retraités français ont pris conscience, après une phase d’attentisme, que rien ne serait plus comme avant. Nous avons vu arriver une clientèle avide d’informations, cherchant d’abord à se convaincre que la bonne décision était de rester en France. Mais l’idée du départ a fait son chemin. Depuis un an, le nombre de passages à l’acte augmente.

Les instituts de sondage – dont les études doivent être lues avec précaution, car elles sont commandées par les promoteurs immobiliers – font état d’une hausse des intentions d’achat de résidence à l’étranger, de 5 % en 2008 à 20 % en 2011. Si l’on additionne les personnes souhaitant acheter à l’étranger et celles désireuses de s’y établir, il n’est pas déraisonnable d’estimer que près de la moitié des Français de plus de 55 ans y songent. Cela n’implique pas un passage à l’acte, car cela suppose de surmonter un obstacle psychologique : il faut accepter de rompre les liens qu’on a noués tout au long de sa vie. Toutefois, si, par le passé, les Français ont toujours rechigné à quitter leur pays, les familles s’internationalisent aujourd’hui : les enfants vivant à l’étranger offrent un repère rassurant pour les parents retraités qui sont alors plus prompts à sauter le pas.

Selon la Caisse des Français de l’étranger, le phénomène reste marginal : il concerne quelques milliers de personnes par an depuis trois ou quatre ans. Parmi les personnes de plus en plus nombreuses venant prendre conseil auprès de nous, nous estimons qu’une sur dix part effectivement.

Nous faisons intervenir des juristes, des fiscalistes et des assureurs. La question de la couverture santé est très importante pour les retraités, y compris lors du retour – on finit toujours par rentrer au pays, l’exemple anglais le montre.

Pourquoi s’en aller ? Pour les Français, quitter un si beau pays, où de nombreux étrangers rêvent d’avoir un pied-à-terre, ne peut être qu’un déchirement. Le climat est au cœur des préoccupations des Britanniques et des Scandinaves – en raison du déficit d’ensoleillement, on compte, chez ces derniers, un nombre de dépressifs supérieur à la moyenne européenne. Mais la recherche du bon investissement n’est pas étrangère à leur démarche. En Grande-Bretagne, l’immobilier est un produit financier ; l’éducation du marché est très forte et très en avance sur ce que nous connaissons. En France, la crise des finances publiques fait peser une menace sur l’épargne. De ce point de vue, la France se distingue et retrouve son rôle de « pays du mitan », cher à Cioran.

Les candidats à la retraite au soleil cherchent également à assurer leur « bien vieillir » : ils ont la hantise de voir le pays qui leur a tout donné tout leur reprendre, une peur de la spoliation, voire, pour les moins privilégiés, de la misère, et c’est ce qui les pousse à rechercher des destinations qui apparaissent comme des eldorados.

Autre singularité française, les personnes âgées ont le sentiment d’être déconsidérées et stigmatisées. À cet égard, M. Louis Chauvel, dans son enquête sur les classes moyennes, parle de « dyssocialisation des générations » pour désigner la résurgence du conflit de générations, nourri par des besoins économiques antagonistes. Pour M. Patrick Lemattre, professeur à HEC, la génération, née dans les années 1940, qui a été très gâtée, redoute de l’être moins dans la dernière partie de sa vie.

Le Maroc a été le premier pays à se positionner sur le marché en raison de la proximité géographique et culturelle. La francophonie est un critère important. Ensuite sont arrivés la Tunisie, l’île Maurice, la Thaïlande qui propose des soins hospitaliers et des infrastructures peu chères, le Sénégal, dont l’offre fiscale est calquée sur celle du Maroc, et, plus récemment, l’Espagne et le Portugal, à la faveur de leur crise des finances publiques. Dans ce dernier pays, le régime des impatriés exonère les pensions de retraite des ressortissants étrangers. Le marché est donc désormais mondial.

Les Français sont submergés par les informations et les propositions. Ils viennent nous consulter après avoir fait un premier tri pour analyser le matériau recueilli. En tout état de cause, la décision est fondée sur les affinités culturelles, la couverture santé et la préservation du patrimoine.

M. le président. Votre décision d’installer votre entreprise en France représente, dites-vous, un « défi quotidien ». Pouvez-vous développer cette affirmation ?

Quelles prestations de service offrez-vous à vos clients ? Quelles cibles visez-vous : tous les retraités ou un certain niveau de revenu et de patrimoine ? En effet, le pouvoir d’achat préoccupe aussi bien les bénéficiaires de petites pensions que les détenteurs de patrimoine important.

Êtes-vous en mesure d’évaluer l’évasion d’épargne et de patrimoine qui résulte de cet exil ? Ce sont autant de capitaux qui ne sont pas investis dans l’économie française.

Les retraités français ont-ils un profil différent des retraités des autres pays européens ? Le constat d’une accentuation de la tendance à l’exil est-il valable dans toute l’Europe ?

M. Louis Eudes. Ce qui constitue un défi, en France, ce n’est pas de créer une entreprise, c’est de la faire vivre. Le temps englouti par les tâches administratives n’est pas consacré aux clients. Dans les dix-huit premiers mois de Délocalia, il m’a fallu remplir soixante-cinq formulaires différents ! La plupart du temps, on y redemande les mêmes informations. En outre, on exige toujours de vous que vous entriez dans une case. Or notre métier fait nécessairement appel à plusieurs domaines de compétence. Difficile, dans ces conditions, de renvoyer l’image que nous souhaiterions au marché…

Nous proposons aux clients une « approche solution » afin de réussir leur retraite au soleil. Notre service consiste à réduire les risques liés à l’installation dans un pays étranger, qu’il s’agisse d’immobilier ou de couverture santé. Or, en France, le raisonnement par métier ne correspond pas à cette approche que les Anglais savent si bien mettre en œuvre alors même que les clients attendent précisément des solutions.

M. le président. Comment êtes-vous rémunérés ?

M. Louis Eudes. Nous sommes payés par le client, à rebours de la pratique habituelle dans laquelle les remisiers sont rémunérés par ceux qui fabriquent les produits d’investissement. Je considère que ce système est malsain, car le conseil est nécessairement biaisé. Ce type de conflit d’intérêts est durement sanctionné par la loi américaine. Mais tous les clients ne sont pas réceptifs à cet argument. Il nous faut surmonter la culture de la gratuité, liée au service public, qui est très forte dans notre pays. Les Français ne sont pas habitués à payer un service ni à considérer le prestataire comme un partenaire susceptible de lui venir en aide en cas de difficultés. La rémunération porte sur le conseil en amont ainsi que sur l’achat immobilier. Nous faisons preuve d’une transparence totale, mais n’échappons pas aux clients indélicats qui exploitent gracieusement les informations que nous leur fournissons.

Toutes les couches de la population sont concernées par le phénomène d’installation à l’étranger. De nombreuses personnes s’installent avec peu de moyens et trouvent des petits boulots sur place. Mais certains pays commencent à faire de l’écrémage : la Thaïlande impose un dépôt bancaire pour toute demande de visa de retraité. Les pays cherchent à attirer les personnes dont le pouvoir d’achat est susceptible de développer la consommation locale.

Notre clientèle est celle qui peut payer notre service. Aujourd’hui, elle est essentiellement composée de personnes dont le patrimoine oscille entre 3 et 15 millions d’euros – les grandes fortunes n’ont pas besoin de nos services, elles sont déjà organisées autrement.

M. le président. Les personnes possédant un tel patrimoine sont préoccupées par le maintien de leur niveau de vie pendant leur retraite ?

M. Louis Eudes. Elles s’inquiètent de la pérennité de leurs placements dont elles constatent que la rentabilité actuelle avoisine zéro. Leur grande préoccupation, depuis cinq ans, c’est la préservation et la transmission de leur patrimoine.

Je ne dispose pas d’évaluation en ce qui concerne l’épargne. Je sais néanmoins que les gens partent en laissant la plus grande part de leur épargne en France. Les comportements sont quelque peu schizophrènes, d’autant que la législation est ambiguë.

Les actifs financiers des non-résidents sont exonérés d’impôt de solidarité sur la fortune – ISF. Cette mesure favorise le maintien de l’épargne en France. Mais, dès lors que l’épargne est en France, le centre des intérêts économiques – qui, selon l’article 4B du code général des impôts, détermine le lieu de résidence fiscale – l’est aussi. Dans ce cas, l’administration fiscale pourrait remettre en cause le statut de résident fiscal à l’étranger. Ceux qui ont fait ce choix vivent donc avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ils savent qu’ils peuvent être rattrapés par le fisc.

M. le président. Qu’en est-il de la comparaison internationale ? La France, qui, historiquement, était attractive pour les retraités étrangers, l’est-elle toujours ? Conseillez-vous également ces personnes ?

M. Louis Eudes. Le phénomène de la retraite en dehors de son pays a démarré dans les pays du Nord, chez les Scandinaves, les Hollandais et les Britanniques, car le climat est inhospitalier et l’immobilier cher. L’expatriation des Britanniques a néanmoins ralenti lorsque la livre a perdu du terrain par rapport à l’euro. Mais les Britanniques reviennent un peu en France. Le marché est régulé par les disparités de pouvoir d’achat.

Les Américains pratiquent depuis longtemps la retraite dans les pays d’Amérique centrale dans lesquels tout est très bien organisé : visas pour retraités, infrastructures d’accueil.

Parce qu’elle est le dernier pays arrivé sur le marché, la France tâtonne. On a commencé à nier le phénomène qui, en raison de l’attachement viscéral des Français à leur pays et du fait que les autorités voient la population comme source de richesse, n’est pas très bien considéré. Nous avons peut-être perdu la bataille de la mondialisation au XVIIIe siècle, faute de diaspora. Aujourd’hui, cette diaspora existe, elle est une chance. L’expérience acquise par les expatriés est utile à la compréhension du monde par notre pays. Dans les années 1990, alors que les autres pays parlaient de mondialisation, la France vantait l’exception culturelle. Cet autisme a fait beaucoup de mal à la génération des quadras. Les plus jeunes ont compris qu’il fallait aller ailleurs.

M. Charles de Courson. Vous avez évoqué l’attractivité fiscale. Je crois savoir que certains États mettent en place des dispositifs dérogatoires au droit commun pour les étrangers. Ainsi, il semble que le Maroc n’impose les revenus qu’à hauteur de 30 %. Est-il d’autres exemples d’imposition sur le revenu dérogeant au droit national ?

Quels accords de sécurité sociale règlent le cas des résidents français dans ces pays ?

M. Louis Eudes. Avant la question fiscale, les clients doivent évaluer leurs affinités culturelles avec un pays. C’est un projet de vie : ils savent souvent vers quel pays ils ont envie d’aller. Les raisons fiscales ne suffisent pas pour donner envie de s’installer au Luxembourg !

Tous les pays anciennement colonisés par la France ont signé avec elle une convention fiscale qui leur confère le droit de taxer selon un régime dérogatoire. La base imposable est largement exonérée. Le plus souvent, les résidents étrangers bénéficient d’un abattement de 80 %. Il faut cependant nuancer les avantages de ces systèmes d’imposition dont la progressivité est très importante et les taux identiques, voire un peu plus élevés, qu’en France. Entre 4 000 et 5 000 euros de revenu, le taux d’imposition est en moyenne de 5 à 8 %. Pour les revenus modestes, il est préférable d’être résident fiscal en France, où ils ne sont pas imposés.

Il faut également prendre en compte le contrôle des changes. Pour bénéficier du régime dérogatoire, il faut remettre dans le pays le produit de sa pension de retraite. Il importe d’étudier l’opportunité de convertir sa pension en devise étrangère face aux risques de dévaluation. En Tunisie, la monnaie a été dévaluée de 30 % avec la crise. En 1997, la Thaïlande a fermé ses frontières, il était impossible d’exporter des devises.

M. Charles de Courson. Certaines personnes transfèrent uniquement la partie de la pension nécessaire à la vie sur place.

M. Louis Eudes. Certains prennent en effet quelques libertés avec la loi. Mais, au Maroc, l’État peut taxer au régime de droit commun la partie de l’épargne qui n’est pas déposée au Maroc. Pour bénéficier du régime dérogatoire, vous devez fournir un extrait de votre caisse de retraite. L’État a donc connaissance des montants que vous percevez.

M. Charles de Courson. Il suffit de donner une seule pension sur les deux ou trois qui composent la retraite des Français.

M. Louis Eudes. Cela dépend de l’État d’accueil. En Espagne, les autorités sont averties de l’existence d’une retraite complémentaire. Il suffit qu’elles présentent une demande d’information aux autorités françaises pour obtenir le montant de la retraite complémentaire. Le redressement peut, dans ce cas, remonter au-delà des trois années qui sont la règle en France.

J’estime en outre qu’il doit y avoir une éthique de la retraite au soleil, par respect pour son pays d’origine et pour le pays d’accueil. L’échange automatique de renseignements accentue la pression en faveur de la transparence et modifie les comportements. En Israël, l’ouverture d’un compte donne désormais lieu à une déclaration automatique au fisc français. L’installation dans un pays a pour conséquence mécanique d’augmenter les prix pour la population locale. Or tous les habitants ne sont pas en mesure de profiter de la manne que constituent les retraités étrangers.

M. Charles de Courson. Est-il exact que les régimes dérogatoires ne sont pas prévus par les conventions fiscales ?

M. Louis Eudes. Ils ne figurent pas comme tels. Les conventions attribuent au pays de résidence le droit de taxer les pensions de retraite, laissant ainsi la possibilité à celui-ci d’appliquer un régime dérogatoire. Ce point est débattu par les fiscalistes. Mais, à ma connaissance, ces questions ne sont pas encore tranchées.

M. Charles de Courson. La notion d’intérêts économiques, qui détermine la résidence fiscale, suscite des controverses. Y a-t-il une jurisprudence ?

M. Louis Eudes. Le code général des impôts est très clair. Lorsqu’on est résident à l’étranger, sont soumis à l’ISF les biens immobiliers situés en France et les participations dans des sociétés dont on détient plus de 25 %. Le reste est exonéré, y compris les placements financiers. Cette règle a une dimension vertueuse, puisqu’elle permet de conserver l’épargne en France. Mais la définition du centre des intérêts économiques reste une épée de Damoclès pour les retraités ayant le statut de non-résident français.

Mme Claudine Schmid. Vous dites que vos clients s’inquiètent de la diminution de leur patrimoine, mais, dans le même temps, ils laissent leur épargne en France. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Une personne va-t-elle vraiment s’installer à l’étranger pour des raisons fiscales alors que son patrimoine demeure en France ?

M. Louis Eudes. C’est une question qui relève surtout de la psychologie. Un client nous a dit : « Mon pays ne m’intéresse plus. » Le désamour vis-à-vis d’un pays avec lequel les candidats au départ entretiennent un rapport passionnel explique l’envie de s’en aller, mais il reste toujours quelque chose de l’amour… Les sentiments à l’égard de la France sont ambivalents.

Mme Monique Rabin. Votre société s’intéresse-t-elle à l’accueil des retraités immigrant en France ?

M. Louis Eudes. Ce type d’immigration a commencé en France après les accords de Fontainebleau en 1984 – les Britanniques ont découvert les opportunités dans le domaine immobilier. Elle a connu une période de reflux, mais elle reprend maintenant. Ces immigrés créent de l’activité, dans le domaine du tourisme ou des services, en apportant un savoir-faire commercial qui n’est pas dans notre culture.

Mme Monique Rabin. Leurs motivations sont-elles similaires à celles de la clientèle française ?

M. Louis Eudes. Oui, le pouvoir d’achat et la qualité de vie sont des déterminants incontestables. Néanmoins, chacun analyse différemment les entraves en la matière selon sa culture et les défauts de son pays d’origine. Mais, surtout, le monde est plus ouvert, les gens bougent, pensant qu’ailleurs, l’herbe est plus verte. Ce comportement est profondément ancré dans la nature humaine.

Mme Claudine Schmid. Les personnes désireuses de partir ont-elles déjà eu une expérience à l’étranger ? Autrement dit, l’expatriation entraîne-t-elle l’expatriation ?

M. Louis Eudes. C’est incontestable. Lorsque la barrière psychologique a été franchie une fois, elle peut l’être de nouveau plus facilement. Il est intéressant de noter que, en français, le terme d’« étranger » renvoie à « étrange », tandis que, en anglais, foreign signifie l’extérieur. Le lexique français manque de richesse pour aborder ces questions. Comment traduire, par exemple, overseas property ? Cela reflète un rapport au monde différent, une peur de l’étranger dans le cas de la France.

Quand la barrière est franchie, on s’aperçoit que le monde extérieur n’est pas si étrange et qu’être français vous y donne même quelques atouts pour réussir. Les entreprises étrangères sont ravies d’accueillir de jeunes Français. Les formations dispensées sont à la hauteur des défis de l’économie mondialisée.

M. le président. Monsieur Eudes, nous vous remercions.

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Table ronde du 2 juillet 2014

À 17 heures 15 : Table-ronde de professionnels de la relocation et de la mobilité internationale, membres ou non du Syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité : Mme Martina Meinhold (Management mobility consulting), Mme Corinne Johansson (Nova relocation), Mme Audrey Goutille (Helma International), M. Thierry Schimpff (SNPRM), M. Maxime Boisnard (MRS Management) et M. Jorge Prieto Martin (RHExpat.com).

M. le président Luc Chatel. Nous recevons aujourd’hui M. Maxime Boisnard, directeur de la société MRS Management, Mme Audrey Goutille, directrice générale France de la société Helma International, Mme Corinne Johansson, directrice du bureau parisien du groupe Nova Relocation, M. Jorge Prieto Martin, dirigeant-fondateur de la société RH Expat, Mme Martina Meinhold, fondatrice et gérante de la société Management Mobility Consulting, et M. Thierry Schimpff, délégué général du syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité – SNPRM.

Mesdames, messieurs, votre profession fait de vous des observateurs privilégiés d’un phénomène qui intéresse particulièrement notre commission d’enquête. Si, de façon générale, l’expatriation d’un certain nombre de nos concitoyens témoigne de l’insertion de notre pays dans la mondialisation et contribue au rayonnement de la France, les « départs subis » sont en revanche préjudiciables à notre économie. Votre expérience vous permet-elle de constater une évolution en la matière et l’émergence de nouveaux comportements ? Quels changements majeurs se dessinent sur le marché de la relocation ?

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Maxime Boisnard, Mme Audrey Goutille, Mme Corinne Johansson, M. Jorge Prieto Martin, Mme Martina Meinhold et M. Thierry Schimpff prêtent serment.)

M. Maxime Boisnard, directeur de la société MRS Management. MRS Management accompagne les salariés en mobilité de vingt-huit multinationales, principalement originaires de Suisse, de France, d’Angleterre ou de Scandinavie. Notre entreprise, créée en 2010, compte dix personnes. Elle est installée à Genève et a ouvert une filiale à Paris au début de l’année 2013. Moving ressources and services Management offre à ses clients une gestion complète de prestations liées au déménagement et à l’assurance de leurs salariés expatriés. Nous enregistrons actuellement une croissance annuelle à deux chiffres, et nous comptons nous développer à l’international. Nous souhaitons également ouvrir une seconde structure sur le territoire français.

M. le président. Le nombre d’expatriés a-t-il augmenté ces dernières années ? Si tel est le cas, cette évolution est-elle due à la mondialisation et à une mobilité accrue des ressources humaines comparable à celle des capitaux, ou s’explique-t-elle par une moindre attractivité de notre pays qui perdrait ses forces vives ?

M. Maxime Boisnard. Les expatriés accompagnés par nos sociétés sont des salariés qui quittent la France pour une période de vingt-quatre à quarante-huit mois. Un constat majeur s’impose, si je compare mes dix premières années d’expérience dans mon métier, entre 1997 et 2007, et la période récente : les personnes de moins de 30 ans tentées aujourd’hui par l’expatriation n’ont plus nécessairement à l’esprit l’idée d’un retour. Les salariés en mobilité partaient autrefois pour trois ou six ans, dans l’espoir de revenir et de faire ainsi progresser leur carrière en France. Ce n’est plus le cas. Lorsqu’on demande à ceux qui s’expatrient s’ils comptent rentrer un jour, ils répondent de plus en plus souvent : « Pour quoi faire ? » La gestion des salariés qui reviennent de l’étranger constitue depuis toujours une question particulièrement épineuse pour les entreprises : il leur faut trouver le moment idéal pour le retour et proposer à l’ancien expatrié un poste qui le convaincra de rester en France.

Les jeunes, beaucoup mieux formés qu’hier pour travailler à l’international, sont attirés par une expérience qu’il est facile de mener dans presque tous les pays du monde. Les compétences des diplômés français sont d’autant plus appréciées que ces derniers sont prêts à partir pour des salaires moins élevés que ceux des expatriés d’hier. L’attachement au drapeau et à la nation n’est plus tel que l’envie de revenir soit une évidence.

Mme Audrey Goutille, directrice générale France de la société Helma International. Helma International exerce en France, en Allemagne, en Chine, en Inde et en Malaisie l’ensemble des métiers de la mobilité internationale, du conseil aux entreprises en matière de politique d’expatriation jusqu’à la relocation des salariés, en passant par la mise en œuvre de l’immigration ou de l’émigration.

Nous observons moins une évolution du volume des départs de France ou des arrivées qu’une modification de la typologie des salariés concernés. Contrairement à ce qui se produisait encore hier, ces derniers sont désormais prêts à s’expatrier sans que soit proposée une rémunération particulièrement avantageuse – dans certains pays, il est aujourd’hui possible de signer des contrats s’apparentant aux contrats locaux.

Par ailleurs, les sociétés françaises pratiquent de plus en plus fréquemment des échanges entre pays tiers – un ressortissant de Singapour est envoyé dans la branche japonaise d’une société française – qui n’existaient pas auparavant.

Enfin, M. Boisnard a eu raison d’évoquer la question du retour. Il nous est désormais souvent demandé de réfléchir en termes de salaire international, d’avantages sociaux internationaux et de retraite internationale, pour accompagner des expatriés qui n’envisagent plus systématiquement de revenir en France.

Mme Corinne Johansson, directrice du bureau parisien du groupe Nova Relocation. Nova Relocation, groupe belge dont le siège se trouve à Bruxelles, dispose de bureaux au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en France, et a signé des accords avec des partenaires dans de nombreux pays.

Quand j’ai commencé à travailler dans le secteur de la relocation, il y a vingt ans, les entreprises spécialisées étaient très peu nombreuses. Aujourd’hui, le traitement de la mobilité a fortement évolué – les packages proposés sont aujourd’hui très différents – de même que les motivations des expatriés qui acceptent de partir à l’étranger sans bénéficier des avantages proposés autrefois.

Je confirme qu’une réelle incertitude existe désormais concernant le retour en France des expatriés. Elle est liée aux postes qui leur sont proposés, au marché de l’immobilier, au niveau des taxes et au problème de l’inscription des enfants à l’école.

Mme Martina Meinhold, fondatrice et gérante de la société Management Mobility Consulting. Expatriée allemande en France où j’avais suivi mon mari, j’ai fondé Management Mobility Consulting il y a quinze ans. Après Paris, nous avons ouvert des bureaux à Francfort et au Luxembourg. Nous proposons des services de relocation aux grandes entreprises – recherche de logement, formalités administratives, inscription des enfants à l’école, formation interculturelle… Nous répondons également à une demande en augmentation venant de particuliers, mais cette activité reste marginale – moins de 5 % de notre chiffre d’affaires. Nous travaillons dans quatre-vingt-dix pays grâce à divers partenariats et correspondants locaux.

Depuis nos débuts, la demande s’est considérablement diversifiée. Il y a quelques années, nous traitions par exemple essentiellement de « l’impatriation » de cadres supérieurs âgés de 35 à 50 ans bénéficiant de contrats « tapis rouge », très favorables pour eux et leur famille. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les entreprises font appel à nous pour des profils très divers, parfois pour des débutants, ce qui n’est pas sans effet sur les services qui nous sont demandés.

Une autre évolution concerne les contrats de travail qui ne sont plus nécessairement signés dans le pays de destination des expatriés. Afin de réduire leurs coûts, pour passer ces contrats, les grands groupes mettent en place des hubs dans certains pays comme la Suisse, le Luxembourg ou Singapour.

M. Jorge Prieto Martin, dirigeant-fondateur de la société RH Expat. RH Expat, société fondée il y a deux ans, conseille des grands groupes, des PME, et de plus en plus de particuliers, pour la mise en œuvre de la mobilité internationale des salariés. Nous les aidons à analyser les diverses étapes d’une procédure assez complexe mais également à réfléchir à des stratégies : construction des rémunérations, forme et durée de la mobilité…

Je travaille depuis quatorze dans le secteur, mais, depuis la création de mon entreprise, je constate que de plus en plus de PME souhaitent se développer à l’international, en particulier au Brésil et en Chine, et cherchent à envoyer pour la première fois l’un de leurs salariés à l’étranger. De leur côté, dans un souci d’économie, les grands groupes entendent ne pas augmenter le nombre de leurs salariés expatriés et privilégient les missions à l’international de moyenne durée – entre trois et douze mois. Selon diverses estimations, un salarié expatrié coûte environ deux fois et demie plus cher qu’un salarié en France. Un tel coût explique la stagnation du nombre d’expatriés et la tendance à l’allégement des packages. Pour se développer, mais aussi parfois pour des raisons économiques, les grands groupes français favorisent l’évolution de talents étrangers dans des mobilités croisées : un Marocain sera employé en Indonésie, un Américain en Chine… L’expatriation des Français n’est plus la solution unique.

J’ai par ailleurs constaté une diminution progressive du nombre « d’impatriés ». Pour des raisons de coût, malgré le régime fiscal spécifique qui leur est applicable, les sociétés françaises hésitent avant de faire venir dans notre pays un salarié étranger. Cela peut causer certains préjudices, car, s’il est souhaitable de recruter en France, il est sain de faciliter la présence dans nos entreprises de talents venant du monde entier.

M. Thierry Schimpff, délégué général du Syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité – SNPRM. Le SNPRM a été créé en 1995. Il ne compte aujourd’hui qu’une petite centaine de membres d’une profession moins développée en France que dans de nombreux pays d’Europe et du monde. Ces sociétés accompagnent environ 16 000 familles par an et dégagent 35 à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires.

La question de l’exil des forces vives de notre pays se pose dès le baccalauréat. En effet, parce que les détenteurs de ce diplôme ne sont pas suffisamment formés en anglais et qu’ils savent que la maîtrise de cette langue est indispensable pour faire carrière, ils cherchent à s’améliorer en poursuivant leurs études à l’étranger. De façon générale, la génération actuelle, familière d’internet et des réseaux sociaux, n’hésite pas à s’expatrier. Les jeunes diplômés prennent conscience au fur et à mesure de leurs études que, dans certains pays, les entreprises sont disposées à leur verser des salaires beaucoup plus élevés que ceux qu’ils percevraient en France.

Ces jeunes sont aussi beaucoup plus ouverts sur le monde que ceux des générations précédentes et leur horizon s’élargit. Ils ne s’orientent même plus aujourd’hui vers l’Inde, la Chine ou le Canada, mais plutôt vers d’autres zones du monde qui enregistrent des taux de croissance à deux chiffres, comme certaines régions d’Europe de l’Est ou d’Afrique. Continuellement à la recherche d’un épanouissement professionnel où qu’ils le trouvent dans le monde, ils savent parfaitement dénicher par leurs propres moyens les sociétés qui recrutent dans des pays qui, contrairement à la France, ne connaissent pas la crise, où il est plus simple de se faire embaucher ou de créer une entreprise, et où les lourdeurs administratives sont moindres – songez que, dans certains États, il faut seulement vingt minutes pour s’enregistrer auprès de l’administration fiscale !

Ces jeunes ont envie de réussir et, même si « l’amour du drapeau » n’est plus leur seul guide, ils seraient prêts à rester dans leur pays s’il consentait à quelques évolutions que votre commission d’enquête pourrait proposer. En tout état de cause, il était temps que le sujet soit traité, et vous avez raison de vous en préoccuper.

Pour conclure, je souligne que la formule du volontariat international en entreprise – VIE – mériterait d’être développée. Elle permet aux jeunes de concilier leur désir d’expatriation en restant au service d’entreprises françaises.

M. le président. La création récente de vos entreprises témoigne d’une accélération du phénomène d’expatriation. Notre commission d’enquête s’intéresse uniquement à ce que j’ai appelé « l’expatriation subie ». Quelle part des expatriés que vous traitez quitte-t-elle la France en raison de la délocalisation d’une activité professionnelle ? Certains de vos clients s’adressent-ils à vous pour que vous les aidiez à délocaliser leurs salariés ?

Mme Corinne Johansson. Non !

M. le président. Monsieur Schimpff, vos propos laissent entendre que certains départs de jeunes sont effectivement subis. Quelles sont les évolutions que vous appeliez de vos vœux qui permettraient d’éviter qu’ils ne se tournent vers un eldorado ?

M. Thierry Schimpff. Il faudrait se pencher sur les formalités administratives nécessaires pour créer une entreprise ou la développer, ou encore sur la fiscalité. L’inadéquation entre les salaires versés aux jeunes professionnels en contrat à durée indéterminée et les prix du marché de l’immobilier, en particulier à Paris, pose également un problème. Les entreprises françaises ont beaucoup de réticences à récompenser les compétences acquises aux cours des études, y compris à l’international.

M. le président. Quel écart constatez-vous entre les salaires offerts en France à un jeune diplômé et ceux proposés dans des pays concurrents ?

M. Thierry Schimpff. Un étudiant à Dauphine me disait hier soir que les salaires des jeunes diplômés d’une grande banque où il travaille en alternance étaient deux fois moins élevés que ceux de leurs homologues en Angleterre. Les personnes concernées ont beau avoir conscience qu’elles ne bénéficieraient pas à Londres de la sécurité de l’emploi que procure notre droit du travail ni de règles favorables concernant le temps de travail, elles s’intéressent d’abord au bénéfice qu’elles pourraient retirer d’un niveau de vie supérieur.

Mme Corinne Johansson. Les jeunes expatriés ne gagnent pas toujours beaucoup d’argent. L’un de mes fils travaille aujourd’hui soixante-dix heures par semaine dans la production cinématographique à Shanghai pour 1 200 euros nets. Il dépense très peu et bénéficie de conditions de vie favorables. Il ne cherche pas à rentrer en France.

M. Jorge Prieto Martin. Il faut en effet prendre garde aux comparaisons internationales et ne pas oublier la différence entre le salaire brut et le salaire net, d’autant que nos concitoyens croient souvent qu’ils paient plus d’impôt sur le revenu que partout ailleurs, ce qui n’est pas vrai. Je dois très fréquemment rappeler aux jeunes Français qui espèrent mieux gagner leur vie aux États-Unis et ne pas y payer d’impôt sur le revenu qu’ils se trompent. Les divers impôts sur le revenu à New York sont plus élevés qu’en France et les loyers y sont plus chers. Par manque d’information, nos jeunes ont trop tendance à penser que l’herbe est plus verte ailleurs. Il faut dire que l’extrême complexité des bulletins de paie ne facilite pas les choses et ne permet pas de combattre l’idée reçue selon laquelle nous croulons sous les charges.

Le départ des jeunes est d’abord lié à un problème d’emploi : quand ils ne trouvent pas de travail en France, ils en cherchent ailleurs. La culture française du diplôme constitue aussi une spécificité qui ne pousse pas les talents à rester dans notre pays : sans le bon diplôme de la bonne école, les recruteurs ne regardent même pas les curriculum vitae.

Mme Corinne Johansson. Le développement des stages constitue également un véritable frein à l’emploi des jeunes. Pourquoi recruter quand on peut demander à un grand nombre de stagiaires d’effectuer pour une indemnité très faible des tâches qui auraient dû revenir à des salariés ? L’idée se répand que le jeune diplômé est gratuit !

Mme Audrey Goutille. Lorsque je m’occupais de reclassement, des entreprises me demandaient très fréquemment de travailler à la délocalisation de leurs salariés ; ce n’est plus le cas depuis que je travaille sur la mobilité internationale.

En revanche, j’ai rencontré plusieurs cas de tentative d’installation en France de cadres dirigeants ou de sièges sociaux d’entreprises étrangères qui, au bout de quelques mois, se soldent par une délocalisation. Les sociétés concernées se justifient en invoquant le niveau des charges…

M. Jorge Prieto Martin. La rigidité de notre droit du travail fait également peur !

Mme Corinne Johansson. Tout comme les 35 heures !

M. Maxime Boisnard. Nous travaillons tous très majoritairement pour de grands groupes qui ont besoin d’accompagner leur personnel en mobilité. Les entrepreneurs qui cherchent à délocaliser ne viennent pas nous voir pour la simple et bonne raison que nous sommes en bout de chaîne. Les fiscalistes français ou internationaux sont en revanche en mesure de leur fournir des solutions clefs en main.

Toutefois, en tant qu’entrepreneurs, et parce que nous avons des contacts avec beaucoup de nos pairs intéressés par la mobilité internationale, qu’il s’agisse d’étrangers installés en France ou de Français souhaitant s’installer à l’étranger, nous sommes à même de vous faire part des préoccupations de nombreux acteurs individuels qui se trouvent à la tête d’entreprises très petites – TPE –, petites et moyennes – PME – ou de taille intermédiaire – ETI. En s’interrogeant sur le contexte dans lequel ils accompagneront la croissance de leur société sur dix ou vingt ans, ces entrepreneurs, avant même de parler de fiscalité, prennent en considération le temps qu’ils doivent consacrer au traitement des questions administratives. Sachant que le patron d’une structure de moins de dix salariés passe, en France, plus de 20 % de son temps sur ces sujets, et que ce ratio, à Genève, ne dépasse pas 7 ou 8 %, je reste perplexe. Comment l’entrepreneur français trouve-t-il le temps nécessaire à la mise en place de stratégies de croissance ? Comment, dans de telles conditions, peut-il concilier vie professionnelle et vie personnelle et familiale ? N’oublions pas que l’équilibre personnel du capitaine influe sur la vie du navire et de l’équipage, et qu’un sinistre familial émotionnel peut couler une entreprise !

Pour en revenir aux rigidités administratives propres à notre pays, je peux témoigner que, alors que dix jours ouvrés ont été nécessaires pour créer mon entreprise à Genève, il nous a fallu quatre mois et demi pour mettre en place notre filiale à Paris. Je n’évoque même pas le cas de cette salariée embauchée en France et que l’administration française m’a demandé de licencier séance tenante pour des raisons juridiques avant qu’elle ne m’écrive, trois mois plus tard, pour m’informer que la situation était en cours de régularisation – fort heureusement, je n’avais pas renvoyé la personne en question ! Afin que nous puissions développer en France, à la demande de certains de nos clients, des activités réglementées en courtage d’assurance en France, notre avocat a déposé une demande en ce sens auprès du parquet de Paris en janvier dernier ; nous n’avons toujours pas reçu de réponse… Tout cela est décourageant quand on sait que quarante-huit heures sont nécessaires pour créer une structure en Grande-Bretagne, et une dizaine de jours en Suisse, en Espagne ou en Allemagne – je ne parle même pas des cas de Singapour ou de Hong Kong.

M. Yann Galut, rapporteur. Je suis heureux d’avoir entendu M. Jorge Prieto Martin rappeler que la France n’est ni la championne de l’impôt sur le revenu ni l’enfer fiscal que j’entends trop souvent dénoncer dans notre assemblée.

Qu’en est-il selon vous de « l’exil des forces vives de la France » ? Constatez-vous une accélération en la matière, notamment depuis deux ans ? Les avocats fiscalistes nous ont confié que le nombre de consultations sur ce sujet avait augmenté, mais que cela ne se traduisait pas toujours par des passages à l’acte. Les mouvements actuels ne témoignent-ils pas plutôt d’une insertion de notre pays, et en particulier de nos jeunes, dans la mondialisation ? J’ai été très frappé de constater le retard de la jeunesse française en la matière. Globalement, les Allemands, les Anglais, les Espagnols ou les Italiens sont beaucoup plus présents à l’international que les Français. Sommes-nous confrontés à un phénomène de rattrapage et d’intégration internationale ou à une fuite massive hors de notre pays devenu un enfer administratif et fiscal ?

Il me semble avoir entendu que vos métiers se développent depuis quinze à vingt ans et ne sont pas si récents, comme l’a indiqué notre président. Qu’en est-il ?

Mme Martina Meinhold. Je partage mon temps entre notre bureau de Paris et celui de Metz. Depuis deux ans, et en particulier cette année, je constate que de très nombreux chefs d’entreprises de PME lorraines délocalisent leurs sociétés, intégralement ou non, vers le Luxembourg voisin. Il s’agit d’un phénomène de départs massifs, à telle enseigne que l’on peut désormais trouver des maisons qui restent à la vente dans des quartiers huppés de Metz où, naguère, les acheteurs n’avaient d’autres choix que de compter sur le bouche à oreille.

Je connais trois chefs d’entreprise, allemands comme moi, qui, après s’être installés en France, l’ont quittée pour l’Allemagne, la Suisse ou le Luxembourg, en raison du niveau des charges sociales et de la fiscalité. L’art de vivre demeure toutefois le grand avantage concurrentiel de la France. Il attire les étrangers et les incite à rester : pour ma part, je n’ai pas l’intention de partir.

M. Jorge Prieto Martin. Certaines mesures fiscales ont fait très peur aux entrepreneurs. Les médias n’ont d’ailleurs pas manqué de s’en faire l’écho, même si le travail d’information n’a pas été mené à son terme sur ces sujets que peu de gens maîtrisent. L’exit tax agitée comme un chiffon rouge ne concerne qu’un très petit nombre d’entrepreneurs. Ce type de mesure mal comprise et mal expliquée a suscité un vent de panique et créé une atmosphère propice au départ, y compris chez les plus jeunes qui ont entendu répéter à la télévision par les grands patrons qu’il fallait partir. L’un de mes amis, gestionnaire de fonds de pension, m’a dit récemment, sans avoir vraiment étudié ni compris le fonctionnement de l’exit tax : « Je quitte la France pour l’Espagne. »

Les métiers de la mobilité internationale se développent depuis plusieurs années. Pour ma part, j’ai commencé il y a quatorze ans dans un grand cabinet d’avocats américain qui travaillait déjà sur la question depuis dix ans.

Mme Corinne Johansson. Monsieur le rapporteur, les Français avaient bien un retard à rattraper à l’international. Les plus jeunes générations, bercées par internet, ont évolué en termes de pratique des langues étrangères et d’ouverture sur le monde : elles sont désormais très attirées par l’expatriation.

Les lourdeurs administratives ne sont pas le propre de la France. Nous organisons actuellement l’expatriation de quatre-vingts salariés d’un groupe international vers Singapour ; sachez que les formalités d’immigration et d’installation sont extrêmement complexes – un acte de mariage doit être présenté pour la location d’un appartement par un couple ! Sur ce dernier point, il n’y a d’ailleurs pas besoin d’aller si loin pour trouver plus compliqué qu’en France : en Belgique, les nouveaux résidents doivent se déclarer auprès de leur commune de résidence. Cela n’existe pas en France. Il faut donc faire attention à ce que nous disons.

Nos sociétés de relocation ne participent en aucun cas à « l’exil des forces vives ». D’ailleurs, ce terme d’ «exil » me gêne. Ce sont les groupes pour lesquels nous travaillons qui prennent la décision d’expatrier des salariés et nous ne jouons qu’un rôle d’organisateur et de coordinateur.

Mme Monique Rabin. Vos entreprises ont-elles été reçues par M. Thierry Mandon, dans sa fonction actuelle de secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, ou dans celle qu’il occupait précédemment comme coprésident du Conseil de la simplification pour les entreprises avec M. Guillaume Poitrinal ?

Madame Johansson, nul ne pense ici que vous êtes les artisans de l’exil ; votre position particulière vous permet en revanche d’adopter une approche comparative et de connaître les véritables causes des expatriations que vous traitez.

Monsieur Schimpff, vous avez à juste titre évoqué les volontaires internationaux en entreprise – VIE. Les grandes collectivités territoriales ont consenti des investissements considérables pour financer la mondialisation de l’éducation ; nous en recueillons aujourd’hui les fruits, et les jeunes sont très nombreux à souhaiter faire l’expérience du volontariat international en entreprise. Plus de 44 000 d’entre eux attendent d’être recrutés. Les entreprises avec lesquelles vous êtes en contact ont-elles bien conscience des avantages dont elles bénéficieraient en utilisant cette formule, notamment l’exonération de toutes charges sociales ?

Mme Claudine Schmid. Confirmez-vous que votre regard sur l’expatriation, s’il reste plein d’enseignements, est d’autant plus partiel que se développent les contrats locaux pour lesquels il n’est pas fait appel à vos services ?

Vous nous avez signalé que certains groupes faisaient signer le contrat de travail de salariés expatriés dans des hubs en Suisse ou au Luxembourg. Ces salariés se retrouvent-ils en France sans être soumis à notre droit du travail ?

M. Jean-Marie Tetart. La mobilité internationale a évolué de l’expatriation dans le cadre de l’entreprise à une mobilité plus individuelle. Si la première était « sécurisée », la seconde connaît sans doute un taux d’échec plus important. Pouvez-vous fournir une estimation en la matière ? Quelles sont, selon vous, les causes de ces échecs ?

M. Thierry Schimpff. Madame Rabin, je crains que les jeunes en attente d’un VIE ne soient plus nombreux que vous ne l’imaginez. Selon des responsables d’Ubifrance, l’agence qui gère les VIE, 80 000 demandes sont enregistrées pour 8 000 postes à pourvoir. Ces chiffres laissent penser que les entreprises sont très mal informées sur le sujet.

Mme Audrey Goutille. Dans certains cas, les barrières proviennent des pays d’accueil. En Inde, par exemple, seuls cinquante postes de VIE permettent aux entreprises de bénéficier d’exonérations de charges.

Mme Monique Rabin. Le cas de l’Inde est très particulier. Ce pays s’est ouvert très récemment à cette formule en proposant un montage spécifique avec un quota. En fait, il ne s’agit pas de véritables VIE.

Mme Martina Meinhold. Madame Schmid, malgré la signature de contrats locaux, il arrive fréquemment que les entreprises fassent appel à nos services même si les packages proposés sont réduits. Cela dit, il est incontestable qu’une partie du marché nous échappe.

Monsieur Tetart, nous ne disposons pas de statistiques sur le taux d’échec de la mobilité. Il faut espérer qu’il est plus bas pour les salariés que nous assistons que pour ceux qui ne bénéficient pas de nos services. L’échec peut avoir deux causes principales liées soit aux difficultés d’adaptation du conjoint, soit aux problèmes du retour qui, parce qu’il risque de se traduire par une baisse générale du niveau de vie et une perte d’autonomie professionnelle, incite de nombreux expatriés à rester sur place.

M. Jorge Prieto Martin. Le « retour » constitue la principale difficulté rencontrée par les groupes dans la mobilité internationale. Les entreprises ne savent plus reclasser en leur sein un salarié qui a passé quelques années à l’étranger. Cet état de fait favorise « l’exil des forces vives » car les expatriés auxquels rien de satisfaisant n’est proposé en France par une entreprise à laquelle ils ont parfois consacré une part importante de leur carrière décident souvent de rester dans un pays où le marché de l’emploi est plus ouvert. On constate donc un taux d’échec assez élevé, non pas en cours d’expatriation mais au retour.

M. Maxime Boisnard. Contrairement à leurs aînés, les jeunes qui s’expatrient ont aujourd’hui conscience de ce qui les attend sur place et au retour. Ils ne se perçoivent sans doute pas comme des « exilés » et n’ont pas nécessairement l’intention de revenir.

Je ne suis pas certain que le dispositif des VIE soit aujourd’hui le plus adapté. Au début des années 2000, nous sommes passés de l’internationalisation à la mondialisation des entreprises. Des comités de direction au niveau opérationnel, les groupes souhaitent désormais mettre en avant des ressources humaines multinationales et multiculturelles. Malgré les dispositifs d’exonération, je ne crois pas que les entreprises françaises trouvent aujourd’hui autant d’intérêt qu’autrefois à envoyer des VIE à l’étranger.

M. le président. Mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre participation au travail de notre commission d’enquête.

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* *

Audition du 3 juillet 2014

À 9 heures 30 : M. Gérard Pélisson, président de l’Union des Français de l’étranger, et de Mme Hélène Charveriat, déléguée générale.

M. le président Luc Chatel. Notre commission travaille sur un sujet difficile : le départ des jeunes, l’exil des centres de décision et l’exil fiscal. Après avoir étudié la situation des jeunes, nous nous attachons désormais à l’aspect économique de cette question.

Monsieur le président, madame la déléguée générale de l’Union des Français à l’étranger – UFE –, soyez les bienvenus. À votre sens, le nombre de départs à l’étranger est-il en augmentation ? Si l’on ne peut que se réjouir de l’expatriation qui accompagne la mondialisation, il serait inquiétant que les forces vives soient contraintes de quitter la France, alors que celle-ci a besoin d’elles.

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Gérard Pélisson et de Mme Hélène Charveriat prêtent serment.)

M. Gérard Pélisson, président de l’UFE. Je m’exprime non seulement en tant que président de l’UFE mais aussi en tant que fondateur du groupe Accor. En 1967, nous avons lancé à deux une société qui emploie à présent 150 000 personnes dans le monde. J’ai donc dirigé successivement une microentreprise, une petite, une moyenne, puis une grande entreprise, qui est cotée depuis vingt ans au CAC 40. À mon sens, il existe manifestement un exil de ce que certains nomment une élite.

Au sein de mon groupe, le conseil d’administration a cherché un équilibre difficile entre entreprenariat et capitalisme. En six ans, trois présidents se sont succédé, dont le conseil d’administration, formé de capitalistes et de représentants de fonds internationaux, a demandé le départ. Ces présidents sont des entrepreneurs, tandis que les capitalistes, intéressés par le court terme, privilégient l’intérêt des actionnaires. Pour les premiers, la finance est au service de l’entreprise ; les seconds font l’hypothèse inverse. Quoi qu’il en soit, l’an dernier, ces anciens présidents se sont installés à l’étranger, l’un en Belgique, l’autre au Royaume-Uni, le troisième en Espagne. Ces personnalités de haut niveau ne sont peut-être pas insensibles aux arguments fiscaux, mais surtout elles ont trouvé immédiatement à l’étranger des positions intéressantes de responsables stratégiques dans des conseils d’administration. Pour la France, cela signifie que trois contribuables importants ont émigré la même année. Et je pourrais citer bien d’autres exemples.

Depuis quelques années, le climat des affaires a changé. Les 35 heures ont profondément modifié les mentalités, et entraîné l’exil de certaines « locomotives ». L’état d’esprit n’est plus le même dans les entreprises. Pendant quarante ans, j’ai géré la mienne sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela demande beaucoup d’énergie. Cela suppose aussi de ne pas avoir de soucis personnels d’ordre financier. Ma gestion a été profondément éthique. Quelqu’un m’a dit un jour que je ne payais probablement pas d’impôt parce que j’étais riche. Quelle erreur ! Je les ai toujours payés scrupuleusement, ne serait-ce que pour pouvoir dormir tranquille afin de bien m’occuper de mes affaires.

Le climat actuel est détestable. Certains le comparent à celui de 1789 ou de 1794. On renoue aussi avec l’idée de lutte des classes. J’ai voulu que mon groupe devienne l’un des premiers du monde dans l’hôtellerie et la restauration. J’y suis presque arrivé – pas tout à fait, cependant, à cause de certaines décisions politiques françaises. Paul Dubrule et moi-même avons commencé avec un hôtel en 1967. En 1983, nous avons créé Accor. C’est Accor qui, aujourd’hui, exploite ou franchise près de 4 000 hôtels mais Paul Dubrule et moi possédons moins de 1,5 % du capital. L’argent n’a jamais été notre moteur.

Je regrette qu’on ne retrouve plus aujourd’hui le climat d’entraînement, d’enthousiasme que j’ai connu jadis. Je ne recommencerais pas l’extraordinaire aventure que j’ai vécue, et ce n’est pas en raison de mon âge.

Mme Hélène Charveriat, déléguée générale de l’UFE. Je suis issue de la Banque Transatlantique, qui s’occupe des Français de l’étranger, ce qui explique que ma carrière m’ait menée à l’UFE. Pendant longtemps, nous n’entendions pas parler de jeunes Français qui s’expatriaient. Traditionnellement, les Français sont bien dans leur pré carré, et rien ne poussait les jeunes à partir, alors que les Anglo-Saxons prenaient volontiers une année sabbatique à la fin de leurs études secondaires.

Depuis quinze ans, sous l’effet d’Erasmus, des études et des stages à l’étranger, ainsi que de la coopération, la situation a évolué. Les jeunes vont acquérir une expérience dans d’autres pays. Ils apprennent des langues étrangères et découvrent des cultures différentes.

Le phénomène s’est accéléré depuis cinq ans, peut-être sous l’effet de la situation économique et d’une certaine baisse du moral des Français. Avant de partir à l’étranger, beaucoup de jeunes nous demandent des informations précises sur le parcours du combattant qui attend ceux qui s’installent dans un autre pays. L’UFE est capable de le leur expliquer.

À présent, les grandes écoles nous prient d’aider les jeunes qui projettent, au cours de la dernière année de leur scolarité, de quitter la France. Nous intervenons chez elles pour donner des conseils. Nous disposons, en outre, de 170 représentations dans le monde, qui peuvent accueillir les expatriés et les aider sur place. À Paris, nous avons ainsi créé une cellule qui renseigne les jeunes et les aide à obtenir des stages.

Je ne sais s’il faut parler d’exode, mais je constate chez les jeunes une grande envie de partir, qui me semble positive. Certains reviennent. D’autres s’installent dans un pays. D’autres deviennent itinérants et passent d’un pays à l’autre. Tous ceux que je rencontre considèrent que cette expérience est un plus. Quand ils reviennent en France, ils ne parlent pas le même langage que ceux qui ne sont jamais partis.

M. Gérard Pélisson. Mon sentiment est que ceux qui réussissent à l’étranger s’y installeront, alors que les autres reviendront pour profiter de la protection sociale française ou de l’assistanat. Quand on ne réussit pas, on peut du moins vivre convenablement en France. Ce n’est pas le cas à l’étranger. Mais, pour y réussir, il faut être un battant.

Dans notre pays, le travail n’est pas considéré comme une valeur. La première question que posent certains Français qui arrivent à l’étranger porte sur le régime de protection sociale et le nombre de semaines de vacances. En Asie, un cadre moyen en prend seulement deux par an. En France, avec les RTT, il arrive à onze. En outre, il n’est pas toujours simple de s’habituer à la vie à l’étranger. Ceux qui parviennent à s’intégrer dans un pays sont capables de travailler et, si la famille et les vacances comptent pour eux, celles-ci ne constituent pas leur première motivation.

M. le président Luc Chatel. Possédez-vous des statistiques qui permettent de distinguer l’expatriation, phénomène positif, à l’égard duquel la France accuse un léger retard historique et culturel, et l’exil, le départ forcé lié à l’attractivité économique des autres pays ?

Est-il exact que les Français de l’étranger sont particulièrement enclins au french bashing ?

Pensez-vous que, si les Français disposent de quelques réseaux officiels, culturels et éducatifs, il n’existe pas réellement de diaspora française ? Que faire pour organiser celle-ci, et rendre ainsi notre pays plus influent ?

Certains pays offrent-ils des services clé en main aux impatriés : facilitation de l’obtention de visas, aide à l’installation, analyse fiscale, offre de logement ? Nous avons tous en tête la phrase de M. David Cameron, qui proposait de dérouler un tapis rouge aux Français qui ne se sentent plus bien dans leur pays.

M. Gérard Pélisson. Si le Maroc et le Portugal sont des terres d’accueil pour les retraités, l’Angleterre ne réserve pas aux jeunes Français un traitement de faveur qui leur permettrait de trouver facilement un emploi ou de monter une entreprise.

Reste que ce sont souvent des profils intéressants. Ils possèdent une culture, même si certains, sortis des grandes écoles, ont l’arrogance des prétendues élites, alors que le diplôme importe moins que les qualités personnelles. Souvent, d’ailleurs, les lauréats des grandes écoles ne s’expatrient pas. En France, ils bénéficient d’emblée d’un ascenseur social et, s’ils savent faire jouer leur réseau, notamment leurs appuis politiques, ils parviendront sans grand effort à se faire nommer à la tête d’une grande banque. Telle n’est pas ma conception de l’entreprenariat, qui exige qu’on se dépasse et qu’on affronte les difficultés.

Pour ma part, j’ai fait des études modestes, puis j’ai fréquenté Harvard et le MIT
– Massachusetts Institute of Technology –, où je n’ai pas constaté l’existence d’une diaspora française.

Je ne connais pas de pays qui propose particulièrement d’accueillir les Français, alors qu’il existe en France un brouhaha de personnes qui s’occupent de l’expatriation. Dans chaque conseil municipal, général ou régional, on rencontre de prétendus spécialistes du sujet, qui trouvent ainsi le moyen de voyager à l’étranger. Les services des ambassades se sont améliorés, mais leur action n’est pas déterminante. En revanche, il arrive qu’une entreprise offre un pont d’or à une personne qu’elle considère comme une locomotive. Les cadres dynamiques qui se consacrent corps et âme au développement de leur entreprise trouvent plus facilement des positions intéressantes en dehors de l’Hexagone.

Il y a trente ou quarante ans, on comptait sur les doigts d’une main les Français qui avaient monté des entreprises à l’étranger. Leur nombre a augmenté, ce qui est positif.

Quand j’ai fait des études à l’étranger, il y a plus de cinquante ans, il a fallu que je me batte. Je n’étais pas boursier. Ma femme a fait des ménages. Je n’avais pas la mentalité du boursier qui ne peut pas vivre sans son verre de beaujolais et considère les États-Unis comme un pays de sauvages. Les trois quarts de mes collaborateurs, qui vivent à l’étranger, n’ont d’ailleurs pas cette mentalité. Bien que très américanisé, j’ai toujours eu l’obsession de battre les Américains, qui sont nos seuls concurrents dans le monde. Chaque fois qu’on installait un Mercure, un Novotel, un Sofitel ou un Pullman, au lieu d’un Hilton ou d’un Sheraton sur leur territoire, j’avais le sentiment de remporter une grande victoire. Ce qui m’animait, c’était la présence française, mais je ne suis jamais allé voir un conseil général ou régional ni aucun de ces comités qui fleurissent de toute part.

Ce n’est pas à l’État d’organiser l’expatriation. Mieux vaudrait supprimer tous ces « comités Théodule » dont le seul but est de permettre aux élus de voyager deux fois par an à l’étranger dans des conditions privilégiées.

Mme Hélène Charveriat. Je n’ai pas de statistiques sur les causes de départ, mais, depuis cinq ans, je constate que les jeunes se plaignent de ne pas trouver de travail en France, disent qu’ils n’aiment pas ce qui s’y passe et qu’ils ont envie de découvrir ce que le monde peut leur proposer.

Les Français, qui se retrouvent entre eux à l’étranger, sont souvent critiques à l’égard de leur pays, mais je ne suis pas sûre qu’ils aient la même réaction quand quelqu’un d’extérieur critique la France. Une fois à l’étranger, ils vendent la France, ils achètent français pour leurs entreprises, ce qui favorise nos exportations. Ils conservent en eux un fil qui les relie à leur pays – à une exception près : quand quelqu’un s’installe aux États-Unis, il devient souvent américain.

Je ne connais pas de pays qui organise l’accueil des impatriés.

M. Gérard Pélisson. Quand un jeune expatrié présente son pays à ses collègues, il a tout intérêt à en montrer les bons côtés, en insistant par exemple sur la formation qu’il y a reçue. Je n’ai jamais entendu un Français en rajouter quand la presse locale dénigre la France.

Mme Claudine Schmid. Madame Charveriat, vous avez créé France experts. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les liens que les Français expatriés conservent avec la France ?

Monsieur Pélisson, avez-vous constaté, comme nous l’ont dit hier les professionnels de la relocation, que certaines PME plaçaient leur siège social hors de France ?

M. Gérard Pélisson. Il est devenu très facile de délocaliser une direction du marketing à Londres ou à Bruxelles, même si le président et le siège de la société restent en France. Parce que les cadres supérieurs se sentent plus valorisés et fiscalement mieux traités à l’étranger, on constate une décentralisation diffuse, sur laquelle je ne peux donner aucune statistique. Il y a une certaine désinformation dans ce domaine, ainsi qu’en matière fiscale.

La fiscalité actuelle m’empêcherait de démarrer mon entreprise aujourd’hui. Il n’y a plus de capital familial en France. Tous mes amis qui ont réussi pendant les Trente glorieuses, notamment les Defforey et les Fournier, qui se sont illustrés dans la distribution, sont partis à l’étranger. Alors qu’ils sont beaucoup plus riches que moi, je n’ai pas pu attirer leurs capitaux en France comme j’aurais pu le faire en Allemagne ou dans d’autres pays. Chez nous, l’exil financier est un sujet tabou, que mon âge et le fait que je ne sois candidat à rien me permettent d’évoquer librement. J’ai voulu y intéresser cinq ou six députés, mais, quand j’ai organisé une réunion, un seul s’est déplacé, et encore : il était très pressé de rejoindre je ne sais quel comité Théodule. Il faut dire qu’aucun parlementaire n’a été patron de PME pendant dix ans. Peut-être reviendrons-nous sur la question de la fiscalité.

Mme Hélène Charveriat. Quand on vit à l’étranger, on ne sait jamais à qui faire appel quand on doit résoudre un problème individuel qui se pose en France. C’est pour cette raison que nous avons créé une structure de services, France Experts, qui prendra à la rentrée le nom de France expat conseil. Pour chaque situation – succession, divorce, difficulté liée à un enfant –, nous réalisons une étude particulière. Une personne étudie le problème et adresse le client à un professionnel : notaire, avocat, psychologue, spécialiste de l’immobilier... La structure, qui existe depuis quatre ans, fonctionne bien. Nos experts ont accepté de réduire leurs honoraires pour l’UFE.

M. Gérard Pélisson. Il n’est pas facile de s’occuper de ses problèmes personnels quand on est à 10 000 kilomètres de Paris. Comment trouver une agence immobilière sérieuse ou une maison de santé pour sa grand-mère ? Je suis convaincu que le rayonnement économique et culturel de la France repose sur les Français qui résident à l’étranger, surtout ceux qui réussissent et qui s’intègrent au pays d’accueil. Le but de notre association est de les aider dans leur vie quotidienne, surtout si le consulat ou l’ambassade est débordé. Cette association, dans les pays d’accueil, n’est pas aidée par l’État. Elle est formée uniquement de bénévoles. À Paris, le siège reçoit une subvention du ministère des Affaires étrangères en tant qu’association reconnue d’utilité publique.

Mme Hélène Charveriat. Nos partenaires sont de vrais experts de l’international. Pour ne citer qu’un exemple, un divorce mixte est toujours compliqué. Notre société joue le rôle d’un family officer, qui établit un diagnostic avant de chercher un expert à même de résoudre le problème de manière professionnelle.

Mme Monique Rabin. Quel est le statut de l’UFE ?

Mme Hélène Charveriat. C’est une association reconnue d’utilité publique.

Mme Monique Rabin. Les pouvoirs publics doivent-ils faire en sorte que l’on y voie plus clair dans le maquis des associations destinées aux Français de l’étranger ?

M. Gérard Pélisson. Dans les années 1920, ceux-ci étaient méprisés par la mère patrie. Les veuves des expatriés morts pendant la guerre de 1914-1918 n’étaient pas considérées comme des veuves de guerre. Leurs enfants n’étaient pas pupilles de la nation. Choqué par cette discrimination, un journaliste français installé en Suisse, qui avait décidé d’être la voix des Français de l’étranger, a fondé l’UFE. Celle-ci a longtemps été la seule association à regrouper les Français vivant dans différents pays.

Dans les années 1930, sa situation a évolué de manière très positive. En 1936, Léon Blum l’a reconnue association d’utilité publique. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, c’était la seule association organisée pour les Français de l’étranger. Une mention indiquait sur chaque passeport que l’UFE les accueillait et les aidait quand ils étaient loin de chez eux.

L’association est à l’origine du Conseil supérieur des Français de l’étranger, et de l’Assemblée des Français de l’étranger. Par essence, elle est apolitique. C’est à elle que les Français à l’étranger doivent d’avoir obtenu le droit de vote.

Hélas ! Ceux-ci ont mal voté en 1981. De ce fait, le Président Mitterrand, pour lequel j’ai par ailleurs de l’estime, a décidé qu’il fallait casser l’UFE. C’est pourquoi il a créé l’Association démocratique des Français de l’étranger – ADFE –, dont l’objectif est le même que le nôtre. Les personnes dont la sensibilité est à gauche ont rejoint l’ADFE et quitté l’UFE, qui a acquis la réputation d’être à droite. Quand j’ai pris la présidence de l’association, j’ai été reçu par M. Hubert Védrine, auquel j’ai dit qu’il serait bon de regrouper les deux associations. « Dans vingt-cinq ans, peut-être », m’a-t-il répondu. C’était il y a vingt-cinq ans.

Aujourd’hui, rien qu’en Suisse, on compte plus de cent associations de Français. Il existe même une association des associations, sans parler des associations de pêcheurs à la ligne, de Bretons, de Basques…

Mme Claudine Schmid. …ou du club de la grammaire !

M. Gérard Pélisson. L’UFE est à l’origine de toutes les avancées dont ont bénéficié les Français de l’étranger. La France fait bien plus pour ses expatriés qu’aucun autre pays. Nous avons le plus beau réseau d’écoles, même s’il se détériore pour des raisons budgétaires, qui sont fréquentées par de plus en plus d’étrangers. Notre pays est le seul pays à accorder des bourses aux enfants d’expatriés. Je pense même qu’on en fait trop : fallait-il ajouter onze députés aux douze sénateurs pour représenter les expatriés ? L’Assemblée des Français de l’étranger émet des vœux, comme au XVIIIsiècle, mais je crains que ceux-ci ne soient jamais pris en compte. La France consent beaucoup d’efforts. Je ne suis pas sûr qu’elle le fasse de manière pertinente.

Mme Hélène Charveriat. Il existe un maquis de petites entreprises, plus ou moins concurrentes, qui tentent d’aider les Français de l’étranger, chacune dans un domaine. L’UFE répond à toutes les questions que peut se poser un expatrié, un futur expatrié ou un Français qui revient en France. France Expert a le souci d’être capable d’aborder tous les domaines. Une personne qui nous sollicite pour un problème en évoque, en effet, parfois un autre. Tout se tient dans une vie, et c’est au vu de cette cohésion que le family officer dirige nos clients vers un expert.

Mme Claudine Schmid. Vous vous proposiez de revenir sur la question de la fiscalité.

M. Gérard Pélisson. Les 35 heures ont cassé le monde du travail. Leur suppression ne changerait pas grand-chose. Il faudrait une véritable rééducation pour persuader les gens que ceux qui ne travaillent pas ne peuvent pas réussir.

De nos jours, les entrepreneurs sont soumis à des contraintes administratives ahurissantes. J’ai monté le groupe Accor avec un associé un peu anachronique, mais génial dans le domaine de la conception. Il y a trois ans, il a imaginé un nouveau produit : un hôtel à vingt euros la nuit. Pour réussir cette performance, il fallait construire un bâtiment d’une centaine de chambres, pour un investissement de 20 000 à 22 000 euros par chambre, ce qui supposait certaines dérogations aux normes en vigueur.

Une loi a créé de nouvelles contraintes de construction pour les hôtels. Elle a notamment imposé que les personnes handicapées puissent accéder à tous les étages, alors que nous étions prêts à leur consacrer 25 % du rez-de-chaussée. Nous avions même l’accord des pompiers. Ces contraintes absurdes ont porté le prix du projet à 34 000 euros d’investissements par chambre et le prix de la nuitée à 28 euros. De ce fait, la rentabilité est impossible. Pourtant, j’ai constaté que pour des établissements publics, l’application des normes est repoussée de quelques années. La France a pris l’habitude de céder à tous les groupuscules de pression. Quoi qu’il en soit, le projet est pratiquement abandonné. Nous avons ouvert deux hôtels de ce type, et nous n’irons pas plus loin.

Quand on a instauré l’impôt sur les grandes fortunes – IGF –, ceux qui détenaient 25 % de leur société en étaient exonérés, au motif que celle-ci constituait leur outil de travail. Mon ami Serge Kampf, qui a créé Capgemini, n’était pas assujetti à l’IGF, contrairement à son directeur général, qui ne détenait que 15 % des parts. J’ai trouvé en M. Michel Charasse une oreille attentive, ce qui a permis de modifier ce système absurde. Actuellement, les milliardaires, comme MM. Bernard Arnault et François Pinault, payent très peu d’ISF – sans aucun rapport avec leur patrimoine qui est essentiellement constitué des actions des sociétés qu’ils contrôlent et qui sont exemptées d’ISF, ce qui est par ailleurs une bonne chose car ils auraient dû quitter la France. M. Dominique Strauss-Kahn l’a très bien dit : la France est un paradis fiscal pour les milliardaires et un enfer pour les millionnaires.

On n’a jamais vu d’impôt aussi bête ni aussi absurde que l’ISF dans ses modalités, que personne ne remet en cause, ni à gauche ni à droite. La fiscalité française, punitive, n’est pas viable économiquement.

L’incertitude fiscale est dramatique. On constate des changements permanents et des mesures rétroactives, ce qui est exceptionnel dans les autres pays. En France, il arrive au Parlement de voter en septembre une loi qui s’applique dès le 1er janvier de l’année en cours. Les lois fiscales obéissent à des motivations purement idéologiques.

Enfin, avec ses 7 400 articles et ses 3 000 pages, le code du travail est un casse-tête pour les PME. Quand on me demande d’aider des jeunes, je n’ai pas d’autre solution que de les adresser à Bercy. Sans une réforme intelligente, aucun chef d’entreprise à la tête d’une PME ne pourra s’en sortir. Comment peut-on être en règle avec 7 400 articles applicables ? Dans aucun pays au monde, le code du travail n’est aussi pointilleux.

Je suis attaché à la France, et je n’ai pas l’intention d’émigrer pour des raisons fiscales, mais je suis inquiet. Il faudrait sortir de l’idéologie selon laquelle les gens riches ne contribuent pas à l’économie française. Les Français détestent les riches. Cela ne me pose pas de problème, car j’ai commencé pauvre, et je suis devenu riche presque malgré moi. Je pourrais l’être beaucoup plus. J’ai sacrifié mes intérêts personnels pour bâtir une grande société. La fiscalité appauvrit la France. Bercy ne dispose d’aucune statistique fiable à ce sujet. Je me demande à quel moment on pourra briser ce tabou et faire l’inventaire des dégâts causés par notre système d’imposition.

M. le président Luc Chatel. Je vous remercie de votre contribution à nos travaux.

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* *

Audition du 8 juillet 2014

À 15 heures 30 : M. Antoine Leboyer, président de GSX (société basée à Genève).

Mme Claudine Schmid, présidente. Nous recevons aujourd’hui M. Antoine Leboyer, PDG de société GSX Solutions, entreprise fondée à Genève en 1995, qu’il a rejointe en 2007 pour en prendre la présidence l’année suivante.

Monsieur, c’est à la suite de notre rencontre à Genève que j’ai suggéré à M. Chatel de vous inviter à venir témoigner devant cette commission d’enquête. Comme vous le savez, l’objet de celle-ci est de s’interroger sur l’expatriation de nos concitoyens. Il s’agit de déterminer si ce phénomène et son évolution ne font que témoigner de l’insertion grandissante et souhaitable de la France dans la mondialisation, ou s’il résulte d’une perte d’attractivité ou de compétitivité de notre pays, contraignant nos compatriotes à privilégier une carrière professionnelle à l’étranger, ou à y chercher des lieux plus favorables pour investir leur patrimoine.

Votre parcours professionnel, d’abord au sein d’un grand groupe international, IBM, puis au sein d’une plus petite structure, et votre expérience de chef d’entreprise en Suisse font de vous un témoin précieux, susceptible d’éclairer vos travaux.

Mais avant de vous entendre, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Antoine Leboyer prête serment.)

M. Antoine Leboyer, président-directeur général de GSX Solutions. Madame la vice-présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir. Je vous remercie surtout de donner la parole au dirigeant d’une entreprise de 40 personnes, qui sont des personnes qui ne sont pas suffisamment entendues.

Mon objectif est double : présenter le cas concret de quelqu’un qui n’avait aucun a priori à l’encontre de la France et qui, à la suite d’une expérience que je vais vous décrire, a été amené à prendre beaucoup de recul. Mais plus généralement, à partir de ce cas concret, je voudrais vous montrer pourquoi il me semble absolument indispensable que soit revu en profondeur le fonctionnement du contrôle fiscal en France.

Ma présentation portera sur trois points : le contexte ; le contrôle fiscal que mon groupe et moi-même avons vécu ; les solutions très concrètes que je vous encouragerai à mettre en pratique.

Premièrement, le contexte.

Mon entreprise a été, en effet, créée en 1995. Son fondateur, un Français, était en mission à Zürich auprès d’une grande entreprise d’assurances. Ayant identifié un problème et imaginé une solution, il a créé à Nice une entité destinée à prendre en charge la réalisation de son projet. Mais ayant rencontré une Suissesse, il a décidé de rester en Suisse. De mon côté, en 2007, j’ai voulu faire l’acquisition d’une entreprise dans un domaine que je connaissais, celui des logiciels ; voilà pourquoi j’ai choisi de racheter GSX sans que sa localisation en Suisse ait eu une quelconque influence sur ce choix. Nous ne correspondons donc, ni l’un ni l’autre, à la définition classique des exilés fiscaux et nous n’avons, ni l’un ni l’autre, de préjugés négatifs vis-à-vis de notre pays. La meilleure illustration en est que nous avons embauché une quarantaine de Français.

Une quarantaine de personnes travaillent donc actuellement chez GSX. Notre chiffre d’affaires n’est que de 6 millions d’euros, ce qui est très peu, mais s’explique par la modestie du marché auquel nous nous adressons. En revanche, nous sommes les leaders de ce marché, s’agissant de la mise à disposition de solutions pour aider les entreprises à gérer leur système de messagerie. Nous sommes présents dans quarante pays. Nous avons six cents clients fidèles et prestigieux, et nos produits ont reçu de nombreuses accolades techniques. Et je me permets de préciser que la Harvard Business School, dont je suis un ancien, enseigne en deuxième année un cas « Antoine Leboyer and GSX » sur les stratégies que j’ai mises en place. Je ne dis pas cela pour vanter mes mérites ou ceux de mon groupe, mais pour montrer le contraste avec l’opinion que l’administration française peut avoir de nous.

Deuxièmement, le contrôle fiscal.

En janvier 2010 ; GSX a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. Les conclusions ont été que GSX a un établissement stable en France. On considère qu’il y a établissement stable quand une filiale possède, en fait, les capacités d’engager la maison-mère – ce qui n’est pas conforme à l’organisation mise en place. Un redressement pour établissement stable permet à l’administration fiscale d’un pays d’« envahir » le pays de la maison-mère et, en l’occurrence, de récupérer des impôts sur une base taxable qui n’était pas la base taxable française stricto sensu. Mais on ne peut établir qu’il y a établissement stable que par une étude fonctionnelle, précise et rigoureuse pour comprendre, de façon détaillée, qui fait quoi ; cela demande du travail et des compétences.

Il est tout à fait normal que l’administration fasse des vérifications de comptabilité sur établissement stable ou sur tout autre sujet. Il est tout aussi normal que l’administration se fasse une opinion et que je puisse ne pas être d’accord.

Alors qu’un tel contrôle requiert un travail sérieux, ce qui m’a surpris est que j’ai eu quatre niveaux d’interlocuteurs : les interlocuteurs locaux à Nice ; la direction régionale à Marseille ; sur ma demande, le service du contrôle fiscal du ministère des finances à Bercy ; enfin, de façon un peu exceptionnelle, une autre équipe de Bercy a examiné mon dossier. Or, à tous les niveaux, j’avoue avoir été déçu : les faits n’ont pas été appréciés comme ils auraient dû l’être, et l’analyse fonctionnelle a été, je le pense, inexistante.

Des erreurs, portant sur les faits, ont été commises, avant d’être progressivement reconnues. Il pouvait s’agir des faits les plus simples, comme la date de mon arrivée en Suisse. Après que mes dossiers ont été regardés par une douzaine de personnes et cinq niveaux hiérarchiques différents, trois ans et demi après que le contrôle a commencé, des erreurs de ce type subsistaient. Mais d’autres erreurs portaient sur des éléments bien plus importants. Par exemple, l’ancien directeur du contrôle fiscal a écrit que c’était le gérant de la France qui pouvait faire des opérations sur les comptes bancaires en Suisse. Pourtant, nous avions produit une attestation, signée de tiers, montrant que ce n’était pas le cas. De façon générale, les faits les plus élémentaires ont mal été appréciés à tous les niveaux.

Par ailleurs, l’analyse fonctionnelle m’a paru très indigente. Sur l’ensemble de la période visée par le contrôle fiscal, nous avons fourni des centaines de documents probants : emails, attestations de tiers, prouvant que c’était le fondateur, puis moi-même, qui avions la mainmise sur les décisions fondamentales de l’entreprise : fixation des prix, approbation des conditions juridiques, définition du plan produit, suivi des clients lors des phases techniques, approbation des processus budgétaires, embauches et renvois. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de discuter de façon approfondie à propos de cette masse de documents.

Que ce soit à Nice, à Marseille ou à Bercy, l’administration a estimé que l’entrepreneur principal était la gérante de l’entité française, c’est-à-dire la mère du fondateur, ancienne pâtissière ne parlant pas l’anglais, et non pas son fils, le fondateur, qui sort de Polytechnique et moi-même, qui sort de Supélec et de Harvard. Sans doute existe-t-il un cours à l’ENA où l’on explique aux élèves que les pâtissières françaises peuvent diriger des groupes informatiques ? Quoi qu’il en soit, on ne m’a jamais opposé de documents de qualité prouvant que cette dame, au demeurant fort sympathique, avait pu créer un groupe informatique qui a aujourd’hui six cents clients et qui est présent dans quarante pays.

Malgré tout, depuis 2010, les montants du redressement qui ont été notifiés à mon groupe ont fondu.

L’analyse locale, qui avait été basée sur une perquisition – davantage de gendarmes armés et d’employés du contrôle fiscal que d’employés de GSX – a conclu, au bout de deux ans qu’il y avait établissement stable. J’ai été redressé sur un montant de 18 millions d’euros, soit trois fois notre chiffre d’affaires – 6 millions, l’équivalent d’une grosse pharmacie ou d’une grosse boulangerie. Cela revenait à me mettre en faillite.

Je suis allé à Marseille, sans obtenir de modification. Je suis allé à Bercy. Dans un premier temps, l’administration a conclu, sans le justifier, qu’il n’y avait rien sur la partie américaine et que mon redressement ne serait plus « que » de 15 millions d’euros, soit encore 2,5 fois notre chiffre d’affaires.

J’ai contacté Mme Schmid et le député de Villeneuve-Loubet, qui ont eu la grande gentillesse de demander que le dossier soit regardé par le ministre du redressement productif et l’ancien ministre du budget. Je crois, madame, que vous avez reçu confirmation, de la part du staff de ces ministres, que le dossier allait en effet être étudié.

Mme Claude Schmid, présidente. J’ai simplement demandé qu’ils étudient eux-mêmes le dossier. Je ne peux pas aller au-delà et intervenir dans une affaire fiscale entre l’administration et un contribuable.

M. Antoine Leboyer. Je crains malheureusement que cela n’ait pas eu d’effet. Ni vous ni votre collègue de Villeneuve-Loubet ne semblent avoir eu de retour.

J’ai inscrit GSX au MEDEF et j’ai rencontré la directrice de la fiscalité, Mme Marie-Pascale Antoni, que je voudrais remercier ici personnellement. Elle a passé une vingtaine de minutes à me poser des questions techniques très précises pour savoir s’il y avait ou non établissement stable. Elle a contacté le nouveau directeur du contrôle fiscal qui a eu la gentillesse, et je voudrais également le remercier, de rouvrir le dossier.

Notre dossier a donc été réétudié. Même si je n’ai pas eu la possibilité de discuter sur les faits, sur les pièces, dans l’esprit de loyauté qui ressort des différents documents qu’on m’a envoyés, on m’a proposé de me redresser sur un montant d’environ 4 millions d’euros et, surtout, de me donner le quitus complet sur mon entreprise depuis que j’y suis arrivé. Cela signifie que les montants redressés correspondent à l’activité de mon prédécesseur.

J’ai accepté cette proposition, bien que je conteste le montant qui m’a finalement été notifié. Car je n’avais pas d’autre choix. En effet, il eût été logique, à la suite d’une telle procédure, d’aller au contentieux. Or, pour aller au contentieux et faire intervenir un juge administratif indépendant, il faut pouvoir déposer des garanties, dont le montant correspond à celui des droits. Une entreprise de 40 personnes, dont le redressement atteint 2,5 fois son chiffre d’affaires, en est incapable. Ces décisions successives de redressement sont de véritables condamnations à mort. Accepter cette proposition de 4 millions était pour moi la seule façon de survivre.

L’autre raison est que j’ai vécu quatre ans et demi de pur cauchemar.

Au niveau de mon entreprise, j’ai dû consacrer 50 % de mon temps à répondre à l’administration, soit deux ans sur les quatre ans de la procédure, alors que j’aurais dû les passer à développer mon entreprise. Et je n’ai même pas eu l’impression que les centaines de documents que j’ai transmis à l’administration aient été correctement appréciés. Quoi qu’il en soit, je suis très reconnaissant à la nouvelle équipe d’avoir réétudié mon dossier et de m’avoir permis de ne payer « que » 4 millions, même si je considère que ce n’est pas justifié.

Nous avons calculé, avec mes équipes, les produits que nous aurions pu développer si l’on n’avait pas dû acquitter autant de frais d’avocat. Nous en avons conclu que l’entreprise aurait doublé, et qu’il y aurait aujourd’hui deux fois plus de personnes chez GSX en Suisse, aux États-Unis, en France et en Chine – où nous venons de nous installer. En conséquence de quoi, les rentrées fiscales nettes que l’État percevrait si j’avais pu passer mon temps et mes ressources à travailler seraient infiniment supérieures aux misérables 4 millions d’euros qu’il va récupérer.

Au niveau personnel, ces années ont été terribles. Et je voudrais, puisque je pense qu’ils visionneront cette audition, m’excuser auprès de mon épouse et de mes enfants de ne pas avoir eu la disponibilité et l’égalité d’humeur dont j’avais l’habitude, et qu’ils sont en droit d’attendre.

Je voudrais également insister sur le fait que, selon moi, les pouvoirs des inspecteurs du contrôle fiscal – qui sont conformes aux lois que vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés, avez votées depuis vingt ans – sont disproportionnés. Non seulement ils ont pu procéder à un redressement qui s’apparentait à une condamnation à mort, mais, au cours de l’année 2011, par deux fois, ils ont eu une attitude que je considère comme particulièrement inadmissible.

En mai, alors que j’étais en discussion avec les interlocuteurs du contrôle fiscal de Nice, que les premières conclusions n’avaient pas encore été consignées par écrit et que je n’avais pas eu la possibilité d’y répondre, des saisies conservatoires ont été faites. Le service du contrôle fiscal a envoyé à une dizaine de mes clients des constats ou des lettres d’huissier, demandant de ne pas me régler parce que GSX avait manifestement un comportement fiscal douteux et avait tenté d’éluder l’impôt. D’une part, cela n’avait aucun sens de prétendre que GSX avait eu « manifestement » un comportement fiscal douteux, alors même que la détermination de l’établissement stable, qui demande beaucoup de travail, ne peut être quelque chose de manifeste. D’autre part et surtout, ma réputation auprès de ces clients a été perdue. Je vends sur un microcosme. Envoyer de telles lettres à une dizaine de clients ne pouvait qu’avoir de très lourdes répercussions. Nous avons demandé l’accord du médiateur du ministère des finances pour que cela s’arrête. Nous l’avons obtenu mais en octobre, une dizaine de ces lettres sont reparties. Les services de Nice ne se sont pas excusés et se sont contentés de me dire qu’il s’agissait d’une erreur. Les pouvoirs et le cadre juridique dans lequel travaillent les inspecteurs sont totalement disproportionnés.

Troisièmement, les solutions.

On pourrait se demander ce qu’il faut penser du contrôle fiscal français. Cela nous amènerait deux réponses : la première, assez simpliste, consisterait à diaboliser les services ; la seconde, tout aussi simpliste, consisterait à dire que ce sont des gens très bien et que je n’ai pas eu de chance. Selon moi, il faut se poser d’autres questions : d’abord, que vaut le système de gouvernance ? Ensuite, y a-t-il suffisamment de contrôleurs capables de suivre les dossiers de façon efficace ? Enfin et surtout, sont-ils suffisamment formés ? Ce dernier point est en effet particulièrement important. Les personnes que j’ai eues en face de moi ne connaissaient pas suffisamment, ni la technique fiscale, ni le fonctionnement des entreprises. Je peux vous en donner des exemples précis.

Les premiers calculs de notification qui m’ont été transmis, qu’il s’agisse de la partie TVA, de la partie pénalités ou de la partie retards, étaient faux. Mon avocat et moi avons dû les appeler pour les amener à corriger leur copie, alors même que quatre niveaux hiérarchiques avaient probablement revu les calculs. Il a fallu que mon avocat explique à quelqu’un de l’équipe de Bercy ce qu’était un contentieux international, car il ne le savait pas. Le plus surprenant sans doute est que le directeur du contrôle régional de Marseille ait « mouché » devant moi ses équipes parce qu’elles s’étaient trompées dans les calculs de TVA sur la partie américaine. Donc, même sur la partie technique qu’ils devraient connaître, les services n’avaient pas le niveau de formation nécessaire.

Et ce n’est pas tout. En dehors du fait qu’ils pensaient qu’une pâtissière pouvait diriger une entreprise d’informatique, ils ont fait sur mon groupe des commentaires qui n’avaient pas lieu d’être, s’étonnant que je n’aie pas de patrimoine immobilier, contrairement à l’hôtel qu’il venait de contrôler, alors que je crée des logiciels, ou que je n’ai pas de stocks, comme un garage, alors même que je travaille sur de l’immatériel. En conclusion, ils ne savaient pas ce qu’était une entreprise.

Qu’avez-vous donc fait pour vérifier les connaissances de ceux qui ont la possibilité de demander une perquisition et de faire des saisies conservatoires ? Voilà ce que vous devez faire – et je suis tout à fait sérieux :

Je travaille avec de nombreuses entreprises de services en informatique, qui disposent de modèles de compétences très précis pour leurs ingénieurs, qu’ils affectent aux différents projets sur lesquels ils travaillent. Je vous conseille donc – reprenant ma casquette d’entrepreneur – de charger une commission, ou un groupe formé de gens venant du public et du privé, par exemple des cabinets d’audit, de dresser des référentiels de compétences minimales pour établir une grille et une cartographie des compétences de vos agents. Cela vous conduira à écarter les agents du contrôle fiscal qui n’ont pas les compétences nécessaires, car leur capacité de nuisance est trop importante, et à mettre en place une formation pour ceux qui en tireraient profit. Mais surtout, vous ne devez plus jamais lancer un seul contrôle sans avoir vérifié que vous pouvez y affecter les bonnes personnes disponibles en temps et en heure. C’est bien ainsi que procèdent que les sociétés de services informatiques avec qui nous travaillons comme partenaires. Inspirez-vous donc de leurs pratiques pour les adapter au contrôle fiscal.

Par ailleurs, et je reprends cette fois ma casquette de dirigeant de PME, vous devez être conscients que les processus de contrôle fiscal ne sont absolument pas adaptés aux groupes de quarante personnes évoqués par M. Gérard Pélisson – qui est probablement la référence pour de très nombreux entrepreneurs français – devant cette commission.

D’abord, quand un grand groupe fait l’objet d’un contrôle fiscal, le service juridique travaille plus un peu plus tard, on rajoute un juriste, mais les opérations ne sont pas affectées. Quand c’est le cas d’une PME, son dirigeant doit y consacrer 50 % de son temps. L’impact de ce contrôle fiscal est tout simplement énorme.

Ensuite, un grand groupe adore les contentieux. Il sait qu’au bout de dix ans, il va gagner et récupérer les droits qu’il aura déposés, assortis d’importants intérêts moratoires. Mais moi, je ne peux pas aller au contentieux. Imaginez que j’aille voir un banquier pour lui demander une ligne de crédit, que je lui précise que j’ai un contentieux qui va durer dix ans, pour lequel j’ai dû déposer des droits très élevés, mais que je vais gagner. Pensez-vous que je serai entendu ? 

Enfin, le soutien de la classe politique n’est pas le même, selon qu’il s’agit d’un grand groupe ou d’une PME. Par exemple, on ne peut pas savoir si les ministres d’État qui ont promis de regarder mon dossier ont ou non fait quelque chose. En revanche, je doute que Bill Gates, qui est reçu par le Premier ministre lorsqu’il vient à Paris, n’ait pas parlé avec lui de la perquisition très médiatisée dont Microsoft a fait l’objet. Et moi, quand je viens à Paris, je parle devant un petit nombre de députés, et je ne suis pas reçu par le Premier ministre.

Vous pouvez agir tout de suite.

Il faut séparer les équipes – et donc les procédures – entre celles qui s’occupent de grands groupes et celles qui s’occupent de PME. Il faut restreindre les risques sur les saisies conservatoires.

Il faut limiter la capacité des inspecteurs de fixer des montants de redressement faramineux qui vont fondre par la suite, parce qu’ils pensent que les contentieux vont durer dix ans. Il faut adapter les recours à la taille des PME, le plus important étant de limiter la durée totale du contrôle fiscal à six mois – et pas deux ans, comme pour GSX. Si, au bout de six mois, les inspecteurs n’ont rien trouvé dans une PME, c’est qu’il n’y a rien à trouver.

Je discute régulièrement avec des patrons de PME installés à Genève. Certains ont vécu une expérience équivalente à la mienne, suffisamment douloureuse en tout cas pour décider de se déplacer en Suisse. Vous devez le prendre en considération.

Cependant, je ne voudrais pas rester sur une note trop négative. Il est en effet très encourageant que tous les talents qui sont dans cette commission travaillent sur ce sujet – même s’ils ont été peu nombreux aujourd’hui à venir écouter un patron de PME qui a pris le temps de venir leur parler.

Vous essayez de comprendre ce qui se passe, à partir de cas concrets, sans limiter vos auditions à des présidents d’université ou à des personnes plus généralistes. Mais ne faites pas un énième rapport, mettez en place sans attendre ce que je vous ai conseillé. Faites-le et faites-le savoir. C’est ce qui permettra de faire revenir la confiance. Et croyez-moi, je connais les entrepreneurs qui se sont déplacés et les entreprises qui doivent investir en France, tout se remettra en place.

Mme Claudine Schmid, présidente. Merci, monsieur Leboyer, pour votre témoignage concret. Vous avez suivi nos travaux et vous avez donc remarqué que nous avions commencé par les écoles, les présidents des grandes écoles et des universités. Nous sommes maintenant passés au monde de l’entreprise. Vous ne serez donc pas le seul à être entendu. La semaine dernière, nous avons reçu le président Gérard Pélisson.

M. Antoine Leboyer. J’espère que vous entendrez beaucoup de dirigeants de PME de 40 personnes, ainsi qu’il vous l’a conseillé.

Mme Claudine Schmid, présidente. Au fur et à mesure de votre intervention, vous avez déjà répondu, au moins partiellement, à plusieurs de mes questions.

Vous travaillez, notamment, avec les États-Unis et l’Angleterre. Maintenant que votre dossier personnel est clos, allez-vous continuer à vous développer en France ? Hésitez-vous, en raison de votre vécu ? Vous avez cité le cas d’autres entrepreneurs, avec lesquels vous avez discuté. Hésitent-ils à se développer en France ? Vont-ils rester à l’étranger, en l’occurrence en Suisse ? Vous-même avez-vous l’intention, dans l’avenir, de retourner en France ?

M. Antoine Leboyer. Je vais répondre tout de suite à votre dernière question. À la différence des grands groupes, comme Microsoft, il n’est pas facile, pour une PME de 40 personnes, de déplacer ses opérations d’un pays à un autre. Malgré tout, nous sommes en train d’étudier, pour le processus d’exécution budgétaire de l’an prochain, la mise en place, hors de France, d’une entité de nearshoring. Aujourd’hui, je fais développer en France les produits que l’on commercialise ; c’est la mission de GSX France. Mais je pourrais les faire développer en Inde. En effet, même si je n’ai pas envie, je me dis que je vais peut-être devoir me protéger et partir d’un pays où ce genre de mésaventure peut arriver. Les coûts ne sont pas en cause, mais si cela devait se reproduire, je n’aurais plus qu’à fermer l’entreprise.

Je suis fier de mon équipe d’ingénieurs en France, et je ne veux pas les traiter comme des chiffres sur une feuille de papier. Nous avons donné beaucoup de responsabilités à des jeunes parce qu’ils en avaient la capacité. Les produits qu’ils développent sont remarquables. Mais regardez ce qui m’est arrivé : j’ai été à deux doigts de la mort. La situation n’est donc pas facile.

Vous vous êtes interrogée sur les intentions des autres entrepreneurs que je connais. Ceux-ci ne sont pas venus en Suisse pour jouer au golf, mais pour pouvoir redémarrer quelque chose. Et il est clair qu’ils ne le feront pas en France.

Mme Claudine Schmid, présidente. Nous allons sortir de votre cadre personnel. D’une part, quelle est votre appréciation sur l’environnement juridique, fiscal, économique de la Suisse ? D’autre part, quelle est votre appréciation sur l’attractivité de la France et son évolution au cours de la dernière décennie ?

M. Antoine Leboyer. Je crois que votre commission d’enquête a déjà entendu de nombreuses personnes. Dans les autres pays où nous sommes installés – États-Unis, Suisse, Angleterre et surtout en Asie – les procédures administratives sont infiniment plus simples qu’en France, que ce soit au niveau du droit du travail ou du reporting demandé.

Je voudrais préciser qu’aux États-Unis, notre filiale a eu droit à un sales tax audit, et qu’en Suisse, j’ai eu droit à un audit de TVA et sur l’AVS. Je sais donc ce que c’est que de faire l’objet d’un contrôle fiscal dans ces pays-là : les services nous ont envoyé la liste des documents qu’ils souhaitaient ; les personnes qui se sont déplacées connaissaient très bien la technicité des domaines sur lesquels elles sont intervenues, et elles sont reparties au bout de deux jours.

Je ne peux pas vous dire si, en France, la situation s’est dégradée dans les dernières années. Mais il est clair que lorsque l’on voit ce qui se passe dans d’autres pays, on n’est plus à même d’accepter ce qui peut se passer en France. Et n’oubliez pas qu’aujourd’hui, les marchés et les clients sont internationaux, que la compétitivité d’un pays passe aussi par la compétitivité de ses structures administratives et l’efficacité de son contrôle fiscal.

M. Jean-Marie Tetart. Pensez-vous avoir été victime d’un mauvais échantillon, s’agissant des intervenants qui se sont penchés sur votre situation ? Pensez-vous plutôt avoir été victime de l’inadéquation des formations des services fiscaux et de leur organisation ? En un mot, votre exemple vaut-il généralité ?

M. Antoine Leboyer. J’ai juré de dire la vérité, toute la vérité, et je n’ai donc aucun avis sur ce sujet. Je ne peux parler que de mon cas.

Il faudrait que vous demandiez à ceux qui s’occupent du contrôle fiscal s’ils ont des grilles de compétences. Tout ce que je peux vous dire, c’est que les dernières équipes que j’ai rencontrées à Bercy me semblaient avoir la capacité à comprendre ce que je faisais. Je ne réalise pas l’effort que représente le fait de rouvrir un dossier qui a fait l’objet de tant de signatures et j’oserais dire, d’acharnement. Je ne suis pas sûr, malheureusement, que la personne que j’ai eue en face de moi m’ait consacré tout son temps. Mais elle m’a semblé compétente.

Je ne peux pas, hélas, dire la même chose de mes interlocuteurs à Nice ou à Marseille. Ils ne me semblent pas avoir la technicité fiscale nécessaire, ni savoir ce qu’est une entreprise, ou même ce que c’est que la comptabilité.

M. Jean-Marie Tetart. Vous échangez avec d’autres chefs d’entreprises, de patrons de PME, en Suisse ou ailleurs. Que pensent-ils de l’organisation des contrôles fiscaux dans notre pays ?

M. Antoine Leboyer. La dizaine d’amis avec lesquels je discute pensent que j’ai vraiment tiré le mauvais numéro. Mais nous avons tous eu une expérience qui nous a pris un temps considérable, avec l’impression que nous ne pouvions plus nous consacrer à nos affaires. Nous nous sentions méprisés par les équipes que nous avions en face de nous – à l’exception de la deuxième équipe que j’ai rencontrée à Bercy. Nous avons tous eu le sentiment que nos interlocuteurs ne connaissaient pas le mode de fonctionnement d’une entreprise, ni les règles élémentaires de gestion, et faisaient des analyses à charge plutôt que des analyses de fond. Enfin, la durée des contrôles fiscaux nous a semblé particulièrement exagérée.

N’oubliez pas que votre commission porte sur l’exil des forces vives hors de France. Or, durant la période où elles ont justement la capacité à déployer des forces vives, ces personnes ont mieux à faire que de perdre la moitié de leur temps en expliquant, par exemple, à un contrôleur fiscal que dans l’informatique, il n’y a pas de patrimoine immobilier.

Voilà pourquoi, un mois après le contrôle fiscal, ces entrepreneurs se sont installés à Genève. Ils n’y sont pas allés parce que le chocolat est bon ou parce que l’on y paie moins d’impôts, ce qui est d’ailleurs complètement faux, mais parce qu’ils veulent continuer à travailler et à développer des entreprises sans passer leur temps à répondre à des gens qui n’y comprennent rien. Je les comprends.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je voudrais vous interroger sur la mobilité internationale. Est-ce un passage obligé dans une carrière professionnelle ? Une entreprise peut-elle se développer entièrement en France ?

M. Antoine Leboyer. Vous avez évoqué la question avec des directeurs d’université. Vous l’avez fait avec M. Julien Roitman, président des Ingénieurs et scientifiques de France, qui m’a fait l’amitié d’être administrateur indépendant de mon entreprise. J’ai trouvé que ses remarques étaient très justes : aujourd’hui, les entreprises sont internationales, les concurrents sont internationaux. Si l’on veut se développer, il faut aller sur des marchés difficiles à appréhender, et l’expérience que des jeunes peuvent acquérir en se déplaçant à l’étranger bénéficie, à terme, aux entreprises.

Je vais vous donner un exemple : nous avons engagé un stagiaire d’une petite école de Grenoble, qui s’est avéré extrêmement dynamique. Au bout de quelque temps, il nous a dit qu’il voulait aller en Chine. Nous lui avons donné la responsabilité d’ouvrir le bureau qui couvre maintenant l’Asie. Deux ans après son diplôme, il a acquis une expérience personnelle et professionnelle probablement équivalente à celle qu’il aurait eue en restant en France pendant quinze ans.

Encore une fois, en France, sauf exception, les marchés et les concurrents sont internationaux. La France représente environ 4 % du PIB mondial : il faut donc aller là où sont les autres 96 %. Vous avez tous les talents. Je vous ai dit tout ce que je pense que vous devriez faire. Mais c’est à vous de faire en sorte de les faire revenir.

Mme Claudine Schmid, présidente. Merci pour votre intervention.

M. Antoine Leboyer. Merci encore de m’avoir fait venir. Je ne peux que vous encourager à étudier des cas concrets de dirigeants d’entreprises de 40 personnes, et à ne pas limiter vos auditions à des fiscalistes, des directeurs d’établissements ou des dirigeants de grands groupes, aussi prestigieux soient-ils.

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* *

Audition du 8 juillet 2014

À 16 heures 30 : M. Pascal Faure, directeur général de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) au ministère de l’Économie, du redressement productif et du numérique

Mme Claudine Schmid, présidente. Nous recevons M. Pascal Faure, directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services – DGCIS – au ministère de l’Économie.

Outre le phénomène d’expatriation de nos concitoyens, l’objet de notre commission d’enquête est de s’interroger sur l’attractivité et la compétitivité de notre pays, notamment au travers des délocalisations ou relocalisations d’entreprises, ou sur le transfert vers l’étranger de leurs centres de décision, de certaines de leurs divisions opérationnelles ou de certains de leurs cadres dirigeants.

La DGCIS est un observateur privilégié de ces mouvements, qui ont une importance considérable pour notre économie.

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Pascal Faure prête serment.)

M. Pascal Faure, directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS). J’aborderai successivement le contexte général de l’expatriation, la situation de la France, les éléments d’explication ainsi que les mesures que l’on peut prendre pour infléchir les tendances constatées, en me plaçant plutôt d’un point de vue économique, en raison des fonctions qui sont les miennes.

Au préalable, je rappelle que les données et statistiques disponibles sont d’une exactitude variable et que la DGCIS est en charge, au sein de Bercy, de tout ce qui touche aux entreprises de manière à la fois sectorielle et transverse – pour ce qui concerne par exemple les politiques horizontales de soutien à l’innovation ou à la création et à la croissance des entreprises –, ce qui nous place en effet dans une situation d’observateur et d’acteur privilégié.

S’agissant du contexte général, on constate depuis vingt ans un accroissement des mouvements migratoires internationaux : il y a aujourd’hui 232 millions de migrants recensés, c’est-à-dire de personnes vivant durablement en dehors de leur lieu de résidence habituel, en général de leur pays d’origine. Au cours des dix dernières années, ce nombre de migrants a augmenté de 65 % dans les pays du nord et 34 % dans ceux du sud. Cette tendance s’est d’ailleurs accélérée lors de la dernière décennie, puisque le nombre total de migrants y a crû deux fois plus vite que lors de la précédente.

Mais, l’immigration de travail ne représente qu’une faible partie de l’immigration totale, soit 5 % en 2010 dans l’ensemble du monde, taux pouvant aller jusqu’à presque 10 % aux États-Unis. L’essentiel des phénomènes migratoires est, en effet, lié à des raisons familiales ou concerne des étudiants. On constate aussi que la part des personnes qualifiées a beaucoup augmenté ces dernières années, ce qui a des conséquences économiques importantes.

En outre, l’immigration professionnelle est circulaire, en ce sens que les gens sont mobiles et vont d’un pays à l’autre, la mobilité internationale est de moins en moins perçue dans les pays d’origine de ces flux comme une fuite de cerveaux mais davantage comme un atout, puisqu’elles permettent l’acquisition de formations et d’expériences, très valorisées au sein des élites notamment.

S’agissant de la France, on observe le même phénomène d’accélération des flux, même si ceux-ci ne sont pas toujours bien recensés, l’immatriculation des Français installés à l’étranger n’étant pas obligatoire.

On recensait ainsi 1,6 million de Français expatriés en 2013, auxquels s’ajoutent, selon les estimations, 500 000 non-inscrits, soit plus de 2 millions au total. Ce nombre s’est accru d’un tiers ces dix dernières années et a doublé en vingt ans. La tendance est régulière puisqu’on ne constate pas de rupture ou de fort infléchissement. Pour plus de la moitié des cas, nos expatriés habitent dans des pays de l’Union européenne, c’est-à-dire notre zone d’influence économique directe.

Si je compare la France à d’autres pays européens, les ressortissants français à l’étranger sont cependant en plus petite proportion que ceux de nos pays voisins, puisque le taux d’immigration est de 2,9 %, contre 5,2 % pour les Allemands, 7,6 % pour les Britanniques et 6 % pour les Italiens, pays qui connaissent également une croissance de l’expatriation.

Les cadres d’entreprise représentent 33 % et les professions libérales presque 10 %. Par ailleurs, 15 % des jeunes diplômés ont commencé leur carrière à l’étranger en 2013, phénomène qui s’accroît, ce qui me paraît assez souhaitable, l’acquisition d’une expérience à l’échelle internationale en début de carrière étant un atout pour la poursuite de celle-ci et le développement économique des entreprises, qui ont besoin de s’internationaliser pour se développer.

Si on n’a guère de statistique récente et fiable sur les flux sortants de scientifiques français, ceux-ci tendent à croître : le nombre de chercheurs établis à l’étranger est de 2 %, soit un taux moindre que pour l’Italie ou le Royaume-Uni. Ce qui me laisse à penser qu’il n’y a pas d’exil véritable de notre potentiel de recherche. Globalement, si nous accueillons plus de chercheurs que nous n’en laissons partir, ceux qui partent sont probablement les plus qualifiés ou renommés, ou parmi les plus productifs. Ainsi, en 2006 les dix biologistes français expatriés les plus productifs, aux États-Unis, publiaient autant que l’Institut Pasteur dans son ensemble.

Quant aux entrepreneurs, près de deux Français sur dix à l’étranger étaient, en 2013, des créateurs d’entreprise, contre un sur dix il y a dix ans. Mais, pour la plupart, ces personnes avaient déjà des liens avec le pays dans lequel elles ont créé leur entreprise, soit comme étudiant ou comme salarié ou parce qu’ils y ont des liens familiaux : leur départ n’est donc pas forcément motivé par cette création. En revanche, si des jeunes créent d’emblée leur entreprise à l’étranger c’est en bonne proportion parce qu’ils ne trouvent pas en France les fonds propres nécessaires.

La question est de savoir si ces flux de départ – qui sont souhaitables pour que les intéressés acquièrent des expériences et pour permettre une « respiration » naturelle de la population française – sont pénalisants pour notre économie parce qu’ils ne seront pas compensés par des flux entrants. Or, il faut constater que les investissements étrangers en France créant de l’emploi se maintiennent à des niveaux élevés en nombre de projets. Notre pays est une destination de premier ordre pour les investissements directs étrangers : 20 000 entreprises étrangères y sont installées et il y a près de 700 décisions nouvelles d’investissement étranger en France par an, après un pic de 782 en 2010, contre 630 à 690 les années précédentes.

La France est la première destination européenne pour les investissements étrangers dans l’industrie en nombre de projets, le deuxième pays d’accueil des projets d’investissement étrangers en Europe de manière générale et la deuxième destination pour le nombre d’emplois créés. L’attrait de la France me semble donc important, même s’il est perfectible, j’y reviendrai. On ne constate donc pas une dissymétrie forte entre un exil croissant et des entrées économiques peu importantes.

D’ailleurs, le poids économique des entreprises étrangères en France est essentiel : il représente 2 millions de salariés, 29 % de la recherche et développement réalisée par les entreprises et le tiers de nos exportations.

Cependant, la France, qui occupait le deuxième rang européen jusqu’en 2008 en matière d’attrait de sièges sociaux, est passée à la cinquième place : on a enregistré 18 implantations en 2013, là où le Royaume-Uni en a recensé 29, les Pays-Bas 25 et l’Irlande 24. Cette évolution interpelle, car elle peut avoir des conséquences en termes d’emploi et en termes fiscaux par perte d’assiette.

Ce qui intéresse avant tout les étrangers en France, ce sont nos infrastructures de communication et de transport et la taille de notre marché. Sont considérés à l’inverse comme des handicaps ce qui touche au coût du travail, à la fiscalité et au droit du travail. Ce qui fragilise notre pays, c’est aussi l’instabilité fiscale et réglementaire qui est jugée trop grande par rapport aux temps du cycle des investissements étrangers en France, qui ont besoin de visibilité sur huit, dix ou quinze ans.

Le cadre fiscal de la France est trop peu incitatif pour le développement et l’attrait des entreprises étrangères, notamment s’agissant de la fiscalité sur les plus-values. J’entends souvent que les créateurs d’entreprises qui réussissent et veulent revendre leur entreprise le font souvent pour continuer à créer d’autres entreprises : ils sont donc plus sensibles à la fiscalité des plus-values de cession qu’à l’impôt sur les sociétés. De plus, les prélèvements fiscaux sur les entreprises représentent 5 % du PIB en France contre 3 % en Allemagne. Il est incontestable que la France est pénalisée en la matière.

Le droit du travail français est considéré comme un frein parce qu’il est perçu comme trop complexe, notamment par les petites entreprises, et manquant de souplesse, tant à l’embauche qu’au licenciement. Il ne permet pas aux entreprises de s’ajuster facilement aux conditions de leur marché. À cela s’ajoutent d’autres freins, comme la complexité du bulletin de paye, etc.

En ce qui concerne les jeunes créateurs d’entreprise, le fait le plus déterminant qui les incite à partir à l’étranger est la difficulté d’accéder au financement pour les fonds propres dans notre pays. C’est d’ailleurs en ce qui concerne le capital-risque que l’écart est le plus grand entre ce qu’on est capable d’offrir en France et dans l’Union européenne ou aux États-Unis. Comme c’est un maillon essentiel pour le développement des entreprises, cet écart créé une appétence forte pour aller voir ailleurs. Il faut donc regarder de près ce phénomène – lié à une culture du risque moins développée chez nous – afin d’en limiter les conséquences.

Enfin, l’État a pris un certain nombre de mesures pour rendre plus attractif notre pays : la baisse du coût du travail – nous avons en effet perdu en dix ans notre avantage de compétitivité par rapport à nos voisins allemands – grâce au pacte de responsabilité et de solidarité qui s’est ajouté au crédit d’impôt compétitivité emploi – CICE ; l’accord national interprofessionnel de janvier 2013, qui a donné davantage de souplesse en matière d’embauche ; les mesures en faveur de la simplification administrative, qui est indispensable et passe notamment par la transmission en une seule fois de certaines informations par les entreprises ou la désignation d’un interlocuteur unique territorial pour les porteurs de projet qui veulent investir ; l’accord implicite de l’administration au bout de deux mois ; l’effort sur la recherche et l’innovation pour essayer de conserver et d’attirer les talents, avec les 34 projets de la nouvelle France industrielle, le crédit d’impôt recherche, les pôles de compétitivité ou le concours mondial d’innovations.

Par ailleurs, il est essentiel d’avoir dans notre pays des écosystèmes, c’est-à-dire des lieux regroupant toutes les conditions pour que la création d’activité puisse se développer de manière rigoureuse. C’est ce que cherchent les créateurs d’entreprise qui sont besoin de conseils, de partenaires académiques ou financiers,… Ces lieux existent depuis longtemps comme la Silicon Valley aux États-Unis, ou ont été créés plus récemment comme la Tech City à Londres. Même si on a déjà tous les ingrédients pour les constituer, il fallait les rendre visibles de l’étranger. D’où les démarches actuelles, notamment celle de la « French tech », consistant à labelliser et identifier ces lieux – il y en aura probablement une dizaine ou une vingtaine en France.

Si donc les flux migratoires croissent, la France n’y échappe pas, sans faire la course en tête. Au vu des mouvements entrant, elle est plutôt bien placée, mais il faut être vigilant car la compétition est très forte et il faut prendre des mesures pour développer l’attrait du pays.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je voudrais insister sur les entreprises. Au-delà de la difficulté à trouver des fonds propres, la lourdeur administrative explique-t-elle aussi le départ des jeunes de notre pays ?

Connaissez-vous les motivations des entreprises qui se délocalisent ? Avez-vous évalué les pertes d’emploi et le manque de recettes fiscales induites ?

Pensez-vous que les chefs d’entreprises se délocalisent avant la réalisation de plus-values importantes pour ne pas avoir à supporter la fiscalité qui les grève ?

Enfin, plusieurs personnes ont évoqué la problématique des contrôles fiscaux. Estimez-vous que ceux-ci peuvent expliquer que des entreprises se délocalisent ou cessent de se développer dans notre pays ?

M. Pascal Faure. Les jeunes voient le monde autrement que leurs aînés, surtout les jeunes diplômés. Aujourd’hui, dans un cursus de formation, aller à l’étranger est naturel et indispensable. Cela est même sain, car cela correspond aux standards internationaux. La culture internationale des jeunes est importante et vient conforter l’envie classique de découvrir le monde. Mais si l’accès aux fonds propres est une incitation, je ne suis pas sûr que les lourdeurs administratives soient un écueil pour eux. C’est plutôt le cas pour de grands groupes, dont les décisions d’investissement sont prises de manière très étudiée. Les cadres supérieurs français d’entreprises internationales, avec lesquels je m’entretiens régulièrement, nous disent d’ailleurs avoir besoin que l’État leur donne des outils pour défendre l’implantation en France face à leurs collègues étrangers.

Il faut distinguer la délocalisation complète, qu’il faut éviter, de la localisation volontaire au plus près des marchés à des fins de développement. Pour croître, les entreprises françaises doivent, en effet, aller chercher la croissance là où elle se trouve : alors qu’elle est faible en France, elle atteint 2 à 10 % dans les pays émergents. Faut-il parler de manque de recettes dans ce contexte ? Oui, parce que celles obtenues à l’étranger ne sont pas réalisées en France, et non, car si on n’était pas présent à l’étranger ces recettes ne seraient pas réalisées de toute façon. L’appartenance à un groupe fait que, en tout état de cause, on peut faire revenir en France la richesse accumulée par l’entreprise à l’étranger.

Il convient aussi de tenir compte de ce que l’on produit. S’il s’agit de produits qui se vendent au plus bas coût du marché, comme les vêtements d’entrée de gamme, – pour lesquels les coûts de production sont essentiels dans le prix de vente et la décision d’achat – il est clair que la France ne peut lutter à armes égales avec des pays disposant de facteurs structurels plus compétitifs. Mais, quand on monte en gamme et que l’on produit des biens et des services à haute valeur ajoutée, l’intérêt de la délocalisation n’est pas toujours avéré. Au contraire, la France retrouve là des atouts, liés au niveau de formation de ses habitants ou à la qualité de ses infrastructures.

D’ailleurs, on observe, dans un certain nombre de cas, que des entreprises de secteurs très variés qui se sont délocalisées pour bénéficier de coûts du travail plus faibles, afin de restaurer leurs marges, sont revenues en France quelques années après, car les inconvénients liés à l’éloignement géographique, à la moindre qualité du travail et à la complexité du pilotage d’une filiale à l’étranger leur ont fait perdre les gains escomptés.

S’agissant des contrôles fiscaux, ce que j’entends souvent est le fait que les entreprises n’ont pas assez de visibilité sur les règles fiscales qui est pénalisant. Les contrôles fiscaux ne sont pas gênants si on sait quelle est la règle et comment l’appliquer ; ils le sont en revanche si cette règle est incertaine, qu’elle change et qu’on ne sait comment la mettre en œuvre. Il est donc important de stabiliser au maximum les règles fiscales et de bien expliquer les modifications qui interviennent. De même, il faudrait davantage appliquer le rescrit fiscal, c’est-à-dire l’engagement que prend d’administration fiscale quant à l’application de la future règle s’agissant de l’application de la loi fiscale, etc.

M. Philip Cordery. Merci de rétablir un certain nombre de vérités. Merci également de confirmer ce que, en tant que représentant des Français de l’étranger, je constate tous les jours, à savoir que beaucoup des jeunes qui s’expatrient sont davantage dans une logique de mobilité que d’exil, terme que je n’aime pas. Nous serions heureux d’avoir des données complémentaires concernant les étrangers qui entrent en France, notamment en ce qui concerne leur pays d’origine.

M. Régis Juanico. Merci pour la qualité de cette présentation et la précision des chiffres, qui contraste avec certaines approches un peu « impressionnistes » que nous avons eu à connaître. Cela vous a permis de rétablir un certain nombre de faits, notamment sur la présence de ressortissants français à l’étranger, qui est plus faible en proportion que chez nos voisins européens, et sur l’absence d’exil de notre potentiel de recherche, même s’il faut bien sûr rester vigilant concernant notamment nos cadres les plus productifs.

Vous avez raison de préciser que la mobilité internationale est considérée comme un atout dans les cursus professionnels. Avez-vous des chiffres sur le retour des expatriés français et le délai au terme duquel celui-ci se produit ? Par ailleurs, des critères comme la qualité de vie ou celle de nos services publics entrent-ils aussi en ligne de compte dans la décision d’investir sur notre sol ?

M. Christophe Premat. Merci également pour cette présentation détaillée. Il aurait été intéressant de l’avoir dès le début, car cela nous aurait évité des discussions inutiles.

J’ai particulièrement apprécié votre distinction entre délocalisation et localisation économique et votre approche dynamique en flux entrants et flux sortants.

Je préfère aussi parler de mobilité professionnelle. À la lecture du rapport 2013 sur les relocalisations, je me posais la question de la captation des compétences : existe-t-il des stratégies identifiées, s’agissant des entreprises en matière de gestion des ressources humaines, pour cibler les personnes ayant une expérience à l’étranger ?

M. Claude Sturni. Je salue à mon tour la clarté de cette présentation. Je voudrais revenir sur deux points que vous avez évoqués.

Comment expliquez-vous notre érosion en termes d’implantation de sièges sociaux ? Le recul de notre pays est un phénomène inquiétant.

Au-delà de l’instabilité fiscale, il faut mentionner aussi le caractère parfois rétroactif de certaines décisions, qui sont incompréhensibles pour beaucoup de chefs d’entreprise. Pour les entreprises familiales, la décision de délocalisation est d’abord une décision des hommes qui les dirigent : quelles sont donc leurs motivations ?

Votre analyse des relocalisations est intéressante. Dans le choix du lieu de réimplantation en France, pourquoi le fait d’intégrer un pôle de compétitivité n’est-il jamais invoqué dans l’analyse publiée en 2013 ?

M. Jean-Marie Tetart. Vous nous avez confirmé les données dont nous disposions sur les mobilités individuelles comparées en Europe.

S’agissant des relocalisations, ce qui m’intéresse est de savoir si les facteurs d’instabilité géopolitique ou climatique jouent un rôle dans la décision de relocalisation ? J’ai, en effet, l’exemple d’un retour d’une entreprise fabriquant des verres pour l’optique dans ma circonscription, qui a pris cette décision après les grandes inondations de Bangkok.

Quels sont les temps de décision constatés en la matière ? S’agit-il de cycles de décision longs ou courts ?

Enfin, suite de l’audition précédente, pensez-vous que les contrôles fiscaux doivent être limités dans le temps ? La personne que nous recevions nous expliquait que quand ces contrôles s’éternisent cela accapare le temps du chef d’entreprise qui ne peut plus se consacrer à celle-ci.

Mme Monique Rabin. Une étude spécifique est-elle en cours sur la relocalisation des bureaux d’études ou de recherche et développement ? En effet, si une entreprise part avec son bureau d’études, elle a peu de chances de revenir.

Avez-vous des propositions de simplification dans le domaine fiscal, notamment sur les plus-values de cession, pour alimenter nos travaux ?

M. Pascal Faure. Merci pour vos appréciations.

Très souvent, sur ce sujet, on manque d’outils objectifs pour appréhender la réalité, ce qui appelle, encore une fois, une certaine prudence. En effet, quand on creuse, on s’aperçoit que la réalité ne correspond pas toujours à ce qu’on lit par ailleurs.

Je n’ai pas de chiffres sur le nombre d’Européens entrés sur notre territoire, mais je peux essayer de vous en trouver.

En revanche, on arrive à mesurer la durée de séjour en France des étrangers qui rentrent pour des raisons professionnelles pour la première fois : au bout d’un an, environ 40 % sont repartis, au bout de trois ans, 50 % d’entre eux, et au bout de sept ans, plus de 60 %. Le temps de séjour médian est donc à peu près de trois ans. On doit avoir des chiffres semblables pour les Français allant dans des pays comparables à la France.

La France dispose d’avantages majeurs, liés non seulement à la taille de son marché et à la qualité de ses infrastructures, mais aussi à celle de son système de soins et de son système éducatif – facteur important pour les cadres, qui décident du lieu d’implantation et viennent généralement avec leur famille. Or ces deux systèmes sont bien perçus à l’étranger, nonobstant les études PISA.

Les profils internationaux tendent à devenir la règle pour toutes les entreprises, françaises ou étrangères : le directeur des ressources humaines ou celui de l’exploitation sont souvent d’une nationalité différente de celle d’origine de l’entreprise. Donc, ces gens-là étudient les CV qu’ils reçoivent selon des critères internationaux. Nous avons nos critères, notamment s’agissant des diplômes même si parfois l’étranger comprend mal la hiérarchie et la renommée de certaines de nos écoles. Pour que ces profils soient compréhensibles par des recruteurs étrangers, il faut respecter un certain nombre de standards. C’est à cette condition que l’on trouvera les personnes nécessaires s’implanter et se développer à l’étranger. Il faut donc améliorer nos compétences.

Mais il faut aussi faire venir des étrangers en France, car nous avons besoin d’ambassadeurs de notre pays à l’extérieur. Former ou avoir des cadres étrangers dans nos entreprises fait de ceux-ci des potentiels acheteurs, ce qui est très important dans certains pays en développement.

S’agissant des sièges sociaux, il faut aussi prendre les chiffres avec prudence. La perte d’attrait depuis 2008 tient aux handicaps que j’ai cités, mais aussi au déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale hors d’Europe. Quoi qu’on en pense, les entreprises sont obligées de regarder cela. L’exemple de Schneider le montre : cette société se développe en Asie. Même si le siège est resté en France, le siège opérationnel, lui, s’est déplacé en Asie. Nous sommes dans une phase de l’histoire économique qui fait que, toutes choses égales par ailleurs, d’autres zones du monde sont plus attrayantes que nous.

Quant aux entreprises familiales, elles sont dans une logique particulière. Elles ont un rapport aux capitaux et à la transmission atypique. Elles ont du mal à ouvrir les premiers à des tiers car la famille craint de perdre la maîtrise de l’entreprise. Ces entreprises sont confrontées à un problème de générations, car les jeunes générations ne sont pas prêtes à reprendre le flambeau. Cela rend l’ouverture indispensable, sinon cela peut conduire soit à leur fragilisation puis à leur reprise par des investisseurs étrangers, soit à leur disparition progressive. Certaines entreprises familiales ont du mal à évoluer. Quand vous avez créé votre entreprise, vous avez du mal à la transformer par rapport à l’idée que vous vous en êtes faite à l’origine. Leur défi est aujourd’hui de diversifier leurs capitaux et leur management.

Il est vrai que les entreprises ne se réimplantent pas toujours à l’endroit où elles étaient localisées avant leur départ. J’ai le souvenir de certaines qui se sont relocalisées dans un site où le coût de l’énergie était bien moins cher que là où elles étaient initialement. Nous avons d’ailleurs développé un outil, qui s’appelle Colbert 2.0, permettant, à partir d’un certain nombre de paramètres, de mesurer l’intérêt qu’il y a à se relocaliser en France.

Les instabilités géopolitiques et climatiques sont en effet un facteur de retour car la raison guidant la décision de délocalisation était l’opportunité de marché. Mais une fois installé à l’étranger, on est confronté aux difficultés opérationnelles : ce sont les facteurs de coût et de production qui prennent le dessus et on peut prendre conscience de difficultés qu’on avait sous-estimées au moment du départ, ce qui peut inciter à revenir. J’ai en tête l’exemple d’une entreprise fabriquant des équipements en fonte ou en acier en Asie, qui a préféré revenir en raison d’une moindre qualité du travail sur place et de problèmes d’approvisionnement.

S’agissant des contrôles fiscaux, je pense que les procédures administratives en général doivent être conduites dans des délais maîtrisés, car les entreprises ont des temps de cycles opérationnels très courts. Dans un monde ouvert l’excellence administrative exige de répondre dans des délais courts. C’est la raison pour laquelle la décision d’accord implicite de l’administration au bout de deux mois me paraît indispensable. Toute mesure qui s’inscrit dans une limite de temps donnée offre de la visibilité à l’entrepreneur et doit donc être recherchée, sans dégrader pour autant la qualité du travail administratif bien sûr.

Enfin, il faut essayer de garder les bureaux d’études en France, car ils ne sont pas liés à l’accès aux marchés ni à un gain logistique. Pour la recherche appliquée, les mécanismes tels que le crédit d’impôt recherche étendu au crédit d’impôt innovation ou le dispositif des jeunes entreprises innovantes, qui rendent notre territoire attrayant, doivent être maintenus, car ils permettent aussi de conserver durablement le siège social.

Mme Claudine Schmid, présidente. Quelle interprétation faites-vous du départ à l’étranger d’un nombre grandissant de cadres dirigeants des entreprises du CAC 40 relaté par la presse ?

M. Pascal Faure. Il faut avoir en tête que les cadres sont internationalement mobiles. Quand ils appartiennent à un grand groupe, ils savent qu’ils auront à se déplacer beaucoup. Mais ils peuvent aussi se poser la question d’une optimisation personnelle, les conduisant à penser qu’ils pourront améliorer leur niveau de vie ou d’imposition en partant à l’étranger. Il s’agit d’une véritable menace. Cela dit, de manière générale, les Français restent attachés à leur pays. Mais les sirènes sont incontestables.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie.

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Audition du 9 juillet 2014

À 16 heures 15 : M. Serge Boscher, directeur général de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII).

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui M. Serge Boscher, directeur général de l’Agence française pour les investissements internationaux – AFII –, qui est chargée de promouvoir à l’étranger l’image de notre pays. À ce titre, il a une bonne connaissance de l’attractivité de la France comparativement à celle des autres pays. C’est pourquoi il nous a semblé utile de lui demander s’il avait constaté une aggravation de l’exil des acteurs économiques.

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Serge Boscher prête serment.)

M. Serge Boscher, directeur général de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII). La problématique qu’étudie votre commission d’enquête n’est pas au cœur des préoccupations de l’agence que je dirige, laquelle a pour mission d’attirer en France les investissements étrangers créateurs d’emplois. Nous pouvons toutefois faire part de notre appréciation « en miroir ».

La question posée est celle des talents. Dans notre économie moderne, postindustrielle, les facteurs d’attractivité sont de plus en plus liés aux talents et à l’écosystème dans lequel ils évoluent. L’importance croissante des activités de services rend la matière grise de plus en plus nécessaire. Or la capacité de la France à se différencier des autres pays grâce à ses talents est une clef de la réussite. Ainsi, nous n’avons jamais eu autant de décisions d’investissements étrangers en matière d’innovation – recherche et développement (R&D), ingénierie, design – qu’en 2013, où leur nombre a augmenté de 32 % par rapport à 2012. On nous concède donc un réel avantage comparatif. La qualité de nos ingénieurs est reconnue par les investisseurs étrangers que nous rencontrons chaque jour, lesquels connaissent bien les politiques publiques mises en place – les pôles de compétitivité et un crédit d’impôt recherche qui, d’après le cabinet d’audit KPMG, est le meilleur d’Europe. Il ne s’agit pas seulement d’être bons, mais d’être – ou de paraître – meilleurs que les autres.

Chaque année, l’AFII fait au Gouvernement des recommandations concernant des mesures destinées à améliorer l’attractivité de la France pour les talents étrangers : c’est ainsi qu’ont été mis en place les titres pluriannuels de séjour pour les dirigeants et les salariés étrangers. Le 17 février 2014, le Conseil stratégique de l’attractivité a décidé la création d’un « passeport talent », pris des dispositions pour faciliter l’accueil et l’accès au travail des étudiants étrangers, ou pour accélérer la délivrance du numéro de sécurité sociale.

Parallèlement, nous organisons une conférence annuelle des dirigeants français d’entreprises étrangères. Nous en avons repéré quelque 240 qui occupent des postes stratégiques – présidents-directeurs généraux, patrons de branche ou de filiale – en France ou à l’étranger. La première conférence, en août 2013, a réuni cinquante et un de ces Français en présence de trois ministres. La deuxième aura lieu le 29 août prochain à Bercy, où nous escomptons en accueillir au moins soixante. Nous souhaitons faire d’eux des relais de notre action : dans le processus de décision, un Français plaide généralement en faveur de son pays d’origine. Nos compatriotes à la tête de filiales françaises de groupes étrangers nous aident beaucoup pour des projets d’investissements qui, dans une situation de compétition, sont très mobiles. Nous avons donc identifié la question des talents français à travers une action d’influence.

Certains territoires veulent tirer parti de nos talents exilés et vont les chercher à l’étranger pour les convaincre de revenir en France : ce sont, en général, des personnes qui, ayant passé cinq à dix ans hors de nos frontières, aspirent à retourner au pays. Ainsi, dans le cadre du programme « Home Sweet Home », les équipes de Provence promotion – agence de développement économique créée il y a plusieurs années par la métropole marseillaise – se rendent dans la Silicon Valley pour tâcher de convaincre les Français qui y travaillent de venir poursuivre leur aventure entrepreneuriale en Provence. Plusieurs dizaines d’entre eux ont franchi le pas.

Chaque année, un baromètre TNS-Sofres mesure la perception de l’attractivité de la France par les investisseurs étrangers. Ces chiffres alimentent le rapport annuel que nous remettons au Gouvernement et dont les recommandations sont confidentielles. En 2013, on compte 685 décisions d’investissement étranger créateur d’emplois en France. Après un record de près de 800 décisions en 2010, leur nombre s’est stabilisé autour de 700 décisions depuis 2011 – ce qui, dans un contexte de stagnation économique et de concurrence exacerbée, constitue une performance. Nos amis allemands et britanniques ne nous font en effet aucun cadeau : nous sommes en situation de guerre économique pour accueillir l’emploi et la valeur ajoutée. La tendance est positive, puisque, il y a dix ans, le nombre de décisions se situait plutôt autour de 550 à 600.

L’enquête ne rassemble pas seulement des données objectives, elle comporte aussi un volet qualitatif, qui trahit un problème de communication : c’est dans les grands pays émergents – qui représentent 11 % des investissements en France en 2013 – que notre déficit d’image est le plus important. Si nous avons toujours une bonne image du point de vue culturel ou gastronomique, nous n’y sommes pas toujours connus – même dans les milieux d’affaires – comme la cinquième puissance économique du monde, comme le pays en Europe qui compte plus de grandes entreprises parmi les 500 plus grandes entreprises mondiales que le Royaume-Uni ou l’Allemagne. C’est pourquoi l’AFII, mandatée par le Gouvernement, a mené une politique de communication destinée à réduire l’écart entre la réalité et sa perception.

Pour ce qui concerne nos deux grands clients, nous constatons en 2013 une baisse d’environ 20 % des investissements américains et une baisse plus légère, de l’ordre de 6 %, des investissements allemands. Ces données nous invitent à une certaine vigilance, puisque ces pays comptent pour un tiers des projets d’investissement étranger en France contre 40 % pour les années précédentes, à raison de 17 à 18 % pour les Allemands et de 22 à 23 % pour les Américains. Cette inflexion est corroborée par les résultats de notre sondage de 2013 : la perception de l’attractivité de notre pays est en baisse nette chez les investisseurs allemands et subit un tassement chez les Américains.

Ces observations justifient une politique de communication très offensive, avec une forte implication du Gouvernement et du chef de l’État qui, le 17 février dernier, a réuni le Conseil stratégique de l’attractivité pour la première fois sous son quinquennat – cet organisme n’avait été réuni qu’une fois, en 2011, et sous la présidence du chef de l’État, les autres réunions ayant été présidées par le Premier ministre. Cette réunion s’est tenue à la suite d’un déplacement du Président aux États-Unis, en particulier dans la Silicon Valley : les entreprises des pays émergents sont, en effet, attentives à la direction que prennent les investissements américains.

La dernière de nos campagnes de communication, fondée sur l’innovation – « Say oui to France, say oui to innovation » –, a été engagée, à la fin de 2012, par Mme Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l’innovation et à l’économie numérique, et s’est terminée fin 2013. Dans la continuité, l’initiative « French Tech », lancée par Mme Pellerin, a été reprise par M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, et Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Par ailleurs, des travaux sont menés sur la « marque France ». Il s’agit de diffuser un récit économique clair, une image fidèle de notre pays, puissant sur les plans scientifique et économique.

Il importe également d’améliorer l’environnement des affaires en France. Le rôle du Conseil stratégique de l’attractivité consiste à écouter les investisseurs étrangers, mais aussi à proposer et à prendre de nouvelles mesures. Nous sommes, je le répète, en guerre économique. Nous faisons en permanence l’objet de comparaisons de la part de nos concurrents, et nous-mêmes nous nous comparons sans cesse à eux. Nous ne devons accuser aucun retard et il nous faut rester très vigilants sur les « fondamentaux » : le cadre réglementaire, fiscal et social doit être aussi incitatif que possible. Dans cette optique, le dernier Conseil stratégique de l’attractivité a annoncé une vingtaine de mesures.

M. le président Luc Chatel. Nous entendons avec plaisir votre message optimiste au sujet des relocalisations ou des talents français qui se trouvent dans les grandes entreprises internationales. Voilà qui met du baume au cœur ! Mais il ne faut pas que ce soit l’arbre qui cache la forêt. Il ne s’agit certes pas de blâmer qui que ce soit, mais de comprendre un phénomène : celui du départ de centres de décisions, d’entreprises, de dirigeants qui préfèrent, pour diverses raisons, s’établir sous d’autres cieux.

Vous affirmez que nous avons connu un record d’investissements en matière d’innovation. Nous avons en effet des dispositifs très attractifs en la matière, mais il s’agit là de volume. Qu’en est-il en termes de parts de marché ? Quelle est l’évolution des investissements en France par rapport à celle constatée en Europe ?

Vous avez évoqué l’enquête TNS-Sofres. Quelle image les dirigeants étrangers ont-ils de la France ? Qu’en est-il de leur éventuelle envie d’investir en France ? Avez-vous des données sur le moyen terme ? Voyez-vous des phénomènes nouveaux se dessiner ?

De la même manière, que représentent en Europe les quelque 700 décisions d’investissement que vous évoquiez ? La France reste-t-elle dans la course ?

Enfin, vos clients sont parfois les mêmes que ceux qui cherchent d’une manière ou d’une autre à délocaliser : il s’agit d’entreprises internationales qui soit investissent dans un marché donné pour développer leurs affaires, soit cherchent à optimiser leurs coûts, leurs charges, leur logistique, et qui décident de relocaliser à tel ou tel endroit. Que vous disent ces dirigeants sur ce que la France représente pour eux et sur ce qu’ils pensent de son attractivité ? S’ils la trouvent insuffisante, quelles mesures préconisent-ils ?

M. Serge Boscher. Le rapport 2013 de l’AFII a confirmé une tendance : l’érosion des quartiers généraux européens. En 2013, seuls cinq ont choisi la France, contre douze en 2012 et vingt en 2011. Nous avons alerté le Gouvernement à ce sujet et une mission d’inspection est en cours, confiée à l’inspection générale des finances. Les quartiers généraux sont des investissements mobiles, qui s’implantent là où ils jugent opportun de le faire à un moment donné. Ils ne sont pas forcément liés aux évolutions du marché.

En ce qui concerne les centres de décision qui partent, l’AFII ne recense pas les flux sortants, mais uniquement les flux entrants, et, je l’ai dit, le nombre de centres de décision mobiles est en baisse. Or l’établissement en France d’un centre de décision a un impact sur d’autres investissements.

Pour ce qui est de l’évolution des investissements en France par rapport à ce qu’elle est en Europe, il n’existe pas de classement labellisé consensuel. Le « baromètre EY » – anciennement Ernst & Young – fait office de référence et permet de mesurer les investissements créateurs d’emplois avec un périmètre plus réduit que celui de l’AFII – EY ne prend pas en compte la reprise de sites en difficulté ni certains secteurs comme le commerce ou le tourisme. L’évaluation concernant la R&D place la France au troisième rang.

Nous avons lancé, dès 2009, l’enquête annuelle TNS-Sofres, qui constitue un matériau indispensable à la rédaction de notre rapport – lui-même élément clef de notre contrat d’objectifs et de performances. On peut avancer que les grands pays émergents, comme la Chine, ont une meilleure perception de la France. Cependant, on note une érosion pour les pays proches comme l’Allemagne, cependant que la perception de notre pays par les investisseurs américains est plus fluctuante.

Que représentent en Europe les quelque 700 décisions d’investissements ? Là aussi, je renvoie au baromètre EY : nous sommes troisièmes pour le nombre de projets – on en dénombre 514. Si nous restons derrière les Britanniques et les Allemands en termes de projets, nous sommes passés devant les Allemands en nombre d’emplois : nous étions au cinquième rang en 2012 et nous nous sommes hissés au deuxième rang en 2013. Pour sa part, l’AFII a recensé 26 000 emplois créés ou sauvegardés par les investissements étrangers en 2012, pour 693 projets ; en 2013, ce sont près de 30 000 emplois qui ont ainsi été créés ou sauvegardés pour 685 projets. La baisse a donc été enrayée grâce à des projets importants, comme ce centre de services créé à Lille par IBM, qui a engagé 1 000 personnes, ou grâce à des reprises de sites en difficulté, comme celle des usines d’aluminium du groupe Rio Tinto par le groupe allemand Trimet, qui a permis le maintien de 500 emplois.

En 2013, un projet d’investissement étranger représente en moyenne 41 emplois : il y a sept ans, c’était 60 emplois, mais, après une chute régulière, on était tombé à 37 emplois par projet en 2012. En général, les projets industriels ou de services que nous attirons sont à forte valeur ajoutée : ce qui les intéresse, c’est notre main-d’œuvre qualifiée, mais cela ne représente jamais des centaines d’emplois. En outre, les usines que nous accueillons sont très numérisées et la productivité horaire y est importante. Ainsi avons-nous remporté, contre les Allemands et les Néerlandais, un projet d’assemblage de tracteurs du groupe japonais Kubota, qui créera, à Dunkerque, 140 emplois. Si la France est le premier pays d’accueil des investissements industriels étrangers en Europe, c’est parce qu’elle tire parti du socle industriel existant, la majeure partie des 200 projets industriels étant des extensions – nous n’avons accueilli que trente-deux usines nouvelles en 2013.

M. Alain Rodet. Quel est le contexte par rapport aux dirigeants de la zone Japon-Corée qui souhaitent s’implanter en France ?

Les projets se dirigent-ils en priorité vers de grands parcs d’activité, comme Sophia Antipolis ou Paris Sud, ou vers des sites industriels traditionnels ?

Mme Claudine Schmid. Vous avez évoqué les agences qui vont chercher des Français de l’étranger pour les faire revenir en France. Savez-vous pourquoi ceux-ci sont partis ? Certains vous approchent-ils lorsqu’ils souhaitent quitter notre pays ?

Vous avez parlé d’usines peu pourvoyeuses d’emplois. Les gens partiraient-ils parce qu’ils ont du mal à trouver un travail en accord avec leurs qualifications ?

M. Christophe Premat. Vous évoquiez la nécessité de mieux communiquer. Avant de songer au récit économique de la France, il faudrait sans doute penser au récit de la France elle-même. Des efforts ont été faits avec la « marque France », la French Tech, les journées « Made in France », et ont été bien relayés à l’étranger par Ubifrance et le réseau Atout France. En Irlande, dès l’arrivée à l’aéroport, on est accueilli par des photographies du pays, de figures émergentes, de jeunes : si le pays a 4,5 millions d’habitants, il peut compter sur 70 millions d’Irlandais vivant à l’étranger pour valoriser sa marque. La Suède mène le même genre de communication, mettant en avant, dès l’aéroport, ses réussites culturelles et économiques, et son mode de vie. Le ministère des Affaires étrangères et celui du commerce extérieur ont commandé à un opérateur privé une campagne pour vendre la marque Suède à l’étranger. La guerre économique est aussi et avant tout une guerre d’images. Or l’image de la France est complexe. Comment la simplifier pour mieux communiquer ?

M. Claude Sturni. Vous organisez chaque année une conférence des dirigeants français d’entreprises étrangères. L’initiative est intéressante. D’autres pays procèdent-ils de même et s’intéressent-ils à leurs ressortissants dirigeant des entreprises en France ? Par ailleurs, que faisons-nous pour garder chez nous les dirigeants étrangers ?

De nombreux projets d’investissement étranger sont des extensions de sites existants, avez-vous dit. N’y a-t-il pas là matière à évaluation comparative ?

Quelle est la part des quelque 700 décisions d’investissement étranger en France relevant de la création, et non de la sauvegarde ou du rachat de sites ? Qu’advient-il de ces projets trois ou cinq ans plus tard ? Des entreprises étrangères peuvent en effet souhaiter racheter des entreprises françaises dont les marges s’amenuisent sans toutefois vouloir nécessairement pérenniser les sites en question.

M. Jean-Marie Tetart. Les investissements étrangers en France sont-ils des créations pures ? Quelle est la nature des investisseurs porteurs de ces projets : s’agit-il de grands fonds financiers ou de véritables entreprises qui investissent en France pour y développer leur activité ? La promotion de notre attractivité permet sans doute de rester dans le jeu international, puisqu’autant d’entreprises françaises s’implantent ailleurs – cet équilibre est heureux.

M. Serge Boscher. On compte 30 000 entreprises françaises implantées à l’étranger et 20 000 entreprises étrangères en France.

M. Jean-Marie Tetart. J’ai néanmoins l’impression que la photographie que vous nous présentez ne correspond pas tout à fait à notre cible : elle concerne plutôt des grandes entreprises alors qu’une partie des départs de France est le fait de patrons de PME et de PMI, d’aventures individuelles. Observez-vous que de petites PMI étrangères, asiatiques, européennes, latino-américaines s’implantent elles-mêmes en France ? Sont-elles nombreuses ? Quelles sont leurs motivations ? Qu’est-ce qui peut les freiner – les contraintes qui poussent les entrepreneurs français à partir sont-elles les mêmes que celles susceptibles d’empêcher un certain nombre d’entrepreneurs étrangers de venir s’installer en France ?

M. Serge Boscher. Monsieur Rodet, le Japon est le premier investisseur asiatique en France avec trente-cinq projets d’investissement en 2013. La Chine le talonne avec une trentaine de projets. En revanche, nous n’avons compté que deux projets d’investissement coréens. Nous souffrons auprès des Coréens d’un réel problème d’image en termes de flexibilité sociale. C’est d’autant plus dommage que ce pays est très puissant en matière d’innovation – 3,7 % de son produit intérieur brut est consacré à la R&D, soit le plus important taux d’Asie, et peut-être du monde, après Israël. Présente en France avec seulement quarante entreprises, la Corée fait partie de nos priorités : c’est une terre de conquête et nous devons redoubler d’effort pour y corriger l’image négative qui est la nôtre. Or les effectifs de l’AFII sont limités. Même si, après la fusion avec Ubifrance, nous serons plus de 1 500, nous n’avons pour l’heure que quatre-vingt-dix personnes réparties dans les pays du G20, et notre présence en Corée est réduite. J’ai organisé, la semaine dernière, un club Corée avec l’ambassadeur de ce pays en France. Nous organisons de même des rencontres annuelles avec les dirigeants des filiales françaises des entreprises des grands pays émergents – Chine, Russie, Inde, Brésil – et du Japon. Cela nous permet de maintenir le contact avec la communauté d’affaires de ces pays en France – nous écoutons, mais nous passons également des messages.

En ce qui concerne les zones d’implantation, sur les 685 projets d’investissement, plus de 200 ont un caractère industriel et ont vocation à être réalisés non en ville, dans les grands parcs d’activité, mais dans les usines. D’après une étude interne que j’ai commandée, en 2012, plus de 20 % des projets ont été réalisés en zone d’aide à finalité régionale
– AFR –, c’est-à-dire en dehors des grands parcs d’activité. Quant aux projets à forte valeur ajoutée – R&D et quartiers généraux –, ils ne concernent pas que les métropoles, et leur dispersion géographique est plus importante qu’on ne l’imagine : en 2013, treize régions différentes en ont accueilli.

Il m’est difficile de répondre à la question de Mme Schmid sur les motivations des Français qui partent à l’étranger, car, même s’il m’arrive d’en croiser, ceux que je rencontre dirigent des entreprises étrangères. La qualité de la main-d’œuvre et de l’écosystème sont des éléments qu’ils citent souvent parmi nos points forts et qui expliquent le bon niveau d’attractivité du pays. Ce qui pose problème, c’est le manque de flexibilité : pour réaliser son projet, un investisseur veut être sûr de pouvoir ajuster ses effectifs en fonction du niveau d’activité. Or la France est perçue par les investisseurs étrangers comme insuffisamment flexible de ce point de vue ; si, avant la crise de 2007, cette souplesse était déjà considérée comme très nécessaire, elle est aujourd’hui un facteur-clef de l’attractivité. Au-delà de la perception de la fiscalité fluctuante et de la complexité des démarches administratives, c’est ce point-là qui peut constituer le principal obstacle, quand bien même la loi sur la sécurisation de l’emploi, en vigueur depuis le 1er juillet 2013, a apporté quelques avancées.

Vous avez raison, monsieur Premat : le travail sur l’image est très important, et il convient en effet d’œuvrer à la simplicité en la matière. Or la France se complaît parfois dans une complexité qui est préjudiciable à son image… Le travail mené par M. Thierry Mandon, qui a pris le taureau par les cornes, va dans le bon sens. Les étrangers, souvent, ne comprennent pas notre pays. Dans cette guerre économique, nous devons affronter des gens très agressifs – tel le Premier ministre britannique – et nous devons nous-mêmes être beaucoup plus agressifs, dans le bon sens du terme. Les Coréens ou les Flamands que je rencontre ne sont pas des agneaux ! Si nous avons remporté le projet Kubota, c’est parce que nous avons battu les Allemands en demi-finale et les Néerlandais en finale, mais il a fallu que M. Arnaud Montebourg, l’AFII, l’Agence régionale de développement, les élus et le préfet joignent leurs forces : l’énergie dépensée a été considérable.

À ma connaissance, monsieur Sturni, la conférence des dirigeants français d’entreprises étrangères est une initiative qui nous est propre et qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs. Nous l’avons créée avec le cabinet de conseil en communication et affaires publiques DZA, qui travaille également sur les investissements étrangers et fait le lien avec les filiales d’entreprises étrangères en France. Comme l’année dernière, trois ministres participeront cette année à la conférence : M. Fabius, M. Montebourg et Mme Pellerin. Cette première action d’influence très forte se situe à un bon niveau : celui des personnes qui décident, au sein des groupes étrangers, des investissements mobiles.

On compte 20 000 entreprises étrangères en France, il est donc difficile de traiter tous leurs dirigeants comme ils devraient l’être. L’AFII est en relation chaque année avec 5 000 entreprises étrangères dans le monde, dont une petite partie en France. Nos interlocuteurs – à raison d’une conversation d’une heure et demie chaque fois – nous parlent de leurs projets d’investissement. Si nous ne pouvons rencontrer tous ces dirigeants, nous maintenons le contact avec la communauté d’affaires grâce aux clubs que j’ai évoqués. Ainsi, à l’occasion du club avec la Corée, nous avons discuté avec des dirigeants coréens qui ont réussi en France et qui avouent avoir du mal à convaincre leurs compatriotes que la flexibilité du travail est possible dans notre pays. C’est donc le thème qui a été choisi pour le club Corée. Nous avons en outre fait intervenir un représentant du cabinet Gide dans le cadre du « club AFII ». Nous travaillons en effet avec des partenaires privés, manière pour nous de délivrer un message positif, puisque cette pratique de faire tandem avec un partenaire privé est très prisée dans certains pays.

M. Sturni m’a ensuite interrogé sur la répartition des décisions d’investissement étranger en France. Sur les 685 projets, en 2013, 341 étaient des projets de création, 260 d’extension et les autres de reprise. Quant à leur avenir au-delà de trois ans, la question n’est pas simple et nécessite des études ad hoc. Notre rapport, de la même manière que le cabinet EY, fait état du nombre d’emplois créés en l’espace de trois ans. Pour vérifier si les emplois envisagés sont réellement créés, nous menons des études ponctuelles. La dernière, il y a quelques années, montrait que, globalement, les objectifs étaient atteints, voire dépassés.

Souvent, les étrangers qui s’installent en France sont très contents : ils n’imaginaient pas que c’était aussi simple, qu’ils allaient pouvoir se développer ainsi. La difficulté, pour nous, est de les faire venir. Une fois en France, ils admettent qu’ils ne pensaient pas que les gens travaillaient autant – je rappelle que, selon Eurostat, les cadres français sont ceux qui travaillent le plus en Europe, à raison de quarante-quatre heures hebdomadaires, et que la productivité horaire de la main-d’œuvre française est la plus forte en Europe après les pays du Benelux. Nos salariés ne sont pas des mercenaires. Le coût du chercheur aux États-Unis est plus élevé qu’en France : la guerre des talents conduit les chercheurs à se déplacer souvent, alors que, en France, une certaine continuité dans les activités de recherche peut être assurée. J’y insiste : notre main-d’œuvre qualifiée est très appréciée des investisseurs étrangers. C’est pourquoi je suis optimiste : nous bénéficions de talents et d’un écosystème favorable.

M. Tetart, enfin, m’a interrogé sur la nature des entreprises qui investissent en France. Nous travaillons certes avec des fonds, mais de façon très marginale, quand ils rachètent des entreprises ou décident d’investir et qu’il y a des créations d’emplois à la clef. Nous travaillons donc essentiellement avec des entreprises qui s’implantent en France et créent de l’emploi. Pour elles, le principal facteur d’attractivité de la France, c’est le marché. Nous sommes le deuxième marché en Europe et nous serons bientôt le premier, dans vingt ou trente ans, grâce à une démographie plus dynamique que celle des Allemands. Nous avons également la chance d’être la première destination touristique du monde.

De plus en plus de petites entreprises s’installent en France – un tiers du total, en 2013, étaient en effet des PME. Dans une économie de valeur ajoutée, si vous êtes ambitieux, vous allez vous implanter à l’étranger. Quelqu’un qui travaille dans la haute technologie ira aux États-Unis. Mais c’est en France qu’ira notamment un Américain ou un Asiatique pour attaquer le marché européen – ou un Belge qui recherche un grand marché à côté de chez lui. L’investissement étranger en France n’est pas l’apanage des grandes entreprises : les start-up étrangères sont de plus en plus nombreuses à s’installer chez nous. Au total, en 2013, outre le tiers de PME déjà mentionnées, un tiers d’entreprises de taille intermédiaire et un tiers de grands groupes se sont implantés en France. Cela pose la question des talents, des petites équipes qui viennent en France et qui s’installent en tribus – à nous de faciliter leur installation.

M. Luc Chatel. Monsieur, nous vous remercions.

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Audition du 9 juillet 2014

À 17 heures 15 : M. Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général du groupe Total.

M. le président Luc Chatel. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général du groupe Total.

Monsieur le secrétaire général, il nous a semblé intéressant d’avoir l’avis d’une grande entreprise à la fois internationale et française, comme le groupe Total, sur la question de l’exil des forces vives de France. Notre objectif est de mieux appréhender le phénomène pour tenter d’inverser la tendance, et de rendre notre territoire plus attractif aux investissements internationaux.

Nous aimerions en savoir davantage sur la politique de votre groupe en matière de ressources humaines et de localisation des investissements. Récemment, Total a décidé de délocaliser certaines directions hors de France. Quelles sont les raisons qui ont guidé ces choix ?

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Jacques Guilbaud prête serment.)

M. Jean-Jacques Guilbaud, secrétaire général du groupe Total. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me propose de faire le portrait du groupe Total et de vous expliquer la philosophie qui guide la localisation de nos équipes et de nos activités dans le monde. Vous l’avez rappelé, le groupe Total est un groupe très international, dont les activités sont réparties dans le monde entier, même si nous conservons une importante base française.

Nous employons encore 38 000 personnes en France, soit 34 % de nos effectifs, sur un total de 112 000 personnes, et environ 28 000 personnes en Europe, en dehors de la France. La base du groupe est donc largement européenne.

En Asie, où les effectifs augmentent, nous employons 15 000 personnes, soit environ 14 % de nos effectifs ; en Afrique, 11 000 ; en Amérique latine, 10 000. Nos effectifs sont moins importants en Amérique du Nord, avec 6 000 personnes – même si les États-Unis sont pour nous le deuxième pays en termes d’effectifs, après la France – comme au Moyen-Orient, avec un peu moins de 2 000 personnes, et en Océanie, avec environ 500 personnes.

Dans le secteur de l’amont, qui représente 20 000 personnes, les localisations sont essentiellement le fruit de la géologie. Au fond, nous sommes présents là où il y a du pétrole et du gaz, et donc tout particulièrement en Afrique, en Amérique du Nord, en Amérique latine, en Asie et évidemment au Moyen-Orient, mais aussi en Europe, région productrice de pétrole et de gaz – Norvège, Pays-Bas et Royaume-Uni. En France, depuis l’arrêt de l’usine de Lacq, nous n’avons plus de production amont.

M. le président Luc Chatel. Et le gaz de schiste ?

M. Jean-Jacques Guilbaud. Dans les localisations que je viens de citer, en particulier en Europe, il y a des activités amont de gaz et de pétrole de schiste.

Dans le secteur du raffinage et de la chimie, nous employons près de 53 000 personnes ; dans le secteur du marketing service, le secteur qui assure la distribution de nos produits pétroliers, 32 000 ; dans les énergies nouvelles, presque 7 000 personnes. Total est devenu en effet un des leaders mondiaux de l’énergie solaire, avec deux usines en France qui emploient 300 personnes.

La localisation de ces ressources humaines est dictée par la géologie, l’activité d’exploration-production et, bien sûr, les conditions contractuelles qui nous sont faites par les États ; les conditions économiques comme fiscales sont évidemment prises en compte dans la rentabilité des projets.

Soyons clairs : c’est la disposition de la ressource qui est à la base de ces implantations. Le raffinage-pétrochimie, lui, est sans doute beaucoup plus dépendant de la demande et de la croissance. Cela signifie qu’il y a des zones dans le monde dans lesquelles nous sommes en croissance, et d’autres où les activités le sont moins.

J’en profite pour aborder un sujet qui a parfois fait l’objet de critiques et de polémiques, à savoir notre présence dans la raffinerie de Jubail, en Arabie saoudite. Certains nous ont en effet reproché d’investir dans des zones concurrentes de nos zones de production en Europe et d’accroître, par voie de conséquence, les difficultés de ces dernières. Mais il faut tout de même comprendre que l’Arabie saoudite n’a pas besoin de nous quand elle décide de construire une raffinerie, dans la mesure où elle produit un peu plus de 11 millions de barils/jour !

La totalité de la production des Majors (ExxonMobil, Shell, BP, Chevron Texaco et Eni), représente moins de 10 % de la production mondiale. 90 % de la production mondiale sont assurés, soit par des sociétés nationales, soit par des sociétés indépendantes. La Saudi Aramco, la société avec laquelle nous sommes associés dans cette raffinerie, produit davantage de pétrole que la totalité des Majors. Donc, quand un grand pays du Moyen-Orient décide d’implanter une raffinerie et de s’associer avec un producteur de pétrole occidental, il est clair que celui-ci a le choix, soit de laisser Exxon prendre la place, soit d’essayer d’être présent et d’ouvrir une coopération avec ce grand pays pétrolier. C’est ce que nous avons fait, et nous nous en félicitons. Le projet est en très bonne voie et nous sommes confiants pour l’avenir.

L’activité de distribution est beaucoup plus dépendante des marchés. C’est toujours une présence directe avec une filiale, soit une présence indirecte où l’on distribue des produits. Je précise que Total est le premier distributeur en Afrique, avec une présence dans 53 pays, et près de 4 500 stations-service.

La stratégie du groupe à l’étranger est donc dictée par l’état des ressources, l’état de la demande et la croissance.

J’aborderai maintenant rapidement quelques cas de délocalisation, puisque c’est l’objet de cette commission.

De fait, nous avons délocalisé à Londres une partie de notre direction financière. C’est une opération assez modeste, puisqu’elle ne concerne que 80 personnes, essentiellement affectées à la communication financière et à la trésorerie. Il faut dire que Londres est la place où il faut être lorsque l’on s’occupe de finances dans le monde pétrolier – 80 % des analystes sont à Londres et ne sont pas, ou plus, à Paris. Le pétrole est coté en dollars et Londres est le centre financier du dollar en Europe.

La principale place de cotation pour Total reste toutefois Paris, et ce transfert n’a absolument pas diminué la matière imposable pour la France. Donc, en termes d’organisation, ce n’est pas un évènement fiscal ou financier. C’est un évènement lié à l’importance de la place de Londres par rapport à celle de Paris concernant le marché pétrolier.

Ensuite, nous avons délocalisé à Singapour une direction de l’amont pour l’Asie. La raison est simplement d’ordre géographique. Toutes les grandes places asiatiques étant à 20 heures d’avion de Paris, avec des décalages horaires considérables, il est bien préférable que l’équipe de direction soit beaucoup plus proche de ses différentes localisations, à seulement quelques heures d’avion de Brisbane, Pékin ou de New Delhi.

Plus largement, tous les grands projets pétroliers ont une dimension parfaitement internationale. Lorsque l’on monte un grand projet pétrolier, l’idée que l’on va localiser ce grand projet dans une capitale est totalement dépassée, quel que soit le groupe pétrolier. L’engineering est souvent partagé entre Houston, Tokyo, la Corée, Oslo ou Paris, qui continue à être une place importante pour l’engineering, et les modules peuvent être construits pour une part en Thaïlande, pour une part en Corée, pour une part en Chine, etc. Même pour la même installation, il arrive que les différents modules soient sous-traités dans différentes places. De fait, on s’approvisionne dans tous les continents. Très récemment, nous avons mis en production un très gros projet en Angola, le projet CLOV, qui répond exactement à ce type d’organisation, et qui nous permet de développer 160 000 barils/jour nouveaux et de les apporter aux marchés. De la même manière, dans le marketing service, une équipe a été implantée à Panama, simplement pour être plus près des marchés, des clients et des organisations.

J’en viens à notre organisation, du point de vue des ressources humaines.

À peu près 65 % de nos personnels cadres sont de nationalité autre que française. Dans notre groupe, nous insistons beaucoup sur la diversité. Il faut que le management reflète cette diversité. Je remarque tout de même que ce qui est vrai pour les managers ne l’est pas suffisamment pour les dirigeants.

Nous avons aujourd’hui 3 000 expatriés français dans le monde, qui participent au rayonnement de la France ; il ne s’agit pas d’exil fiscal, mais plutôt de rayonnement technique et managérial à l’étranger. Nous avons par ailleurs 1 500 expatriés d’autres nationalités que française un peu partout dans le monde, dont 700 en France, qui viennent, soit pour des développements de carrière, soit pour de la formation. Tout un ensemble de statuts nous permettent de régler ces problèmes d’expatriation.

Passons à l’attractivité de la France, en particulier pour les cadres internationaux de haut niveau. Je précise que sur ces niveaux de compétences, les ressources humaines sont totalement internationales. Aujourd’hui, nous recrutons, dans plus d’une centaine de pays dans le monde, 10 000 personnes par an, dont 2 000 cadres : 500 en France et 1 500 à l’étranger, avec des formations très diverses. Par ailleurs, il y a une véritable compétition internationale pour l’accès à la ressource humaine, s’agissant en particulier des cadres de haut niveau. Il est clair que lorsque nous devons recruter des cadres non français à l’international, nous nous heurtons assez vite à des problèmes de fiscalité et de systèmes de retraite – qui sont moins incitatifs. Les cadres internationaux comparent, notamment, la fiscalité sur les stocks options ou les actions de performance.

Donc, Total n’est pas un facteur d’exil des Français dans le monde. Je pense qu’il est bien plus une source de rayonnement de la France à l’étranger grâce à ses investissements, à sa technique et à ses expatriés. Nous entraînons beaucoup de compagnies françaises dans le cadre de ces activités à l’étranger, et nous restons un acteur très important en France : 5 raffineries, 38 000 salariés. Nous versons près de 3 milliards de salaires en France, dont un peu plus d’un milliard de charges sociales. Nous sommes un très gros donneur d’ordre. Nous achetons plus de 6 milliards de biens et de services en France. Notre R & D est très présente en France – la moitié de celle du groupe, dans sept centres de recherche – et nous dépensons pour elle 500 millions d’euros en France.

Enfin, nous sommes acteurs des territoires. Total Développement Régional, qui n’est pas très connu, que nous avons créé il y a une vingtaine d’années, est une filiale chargée d’aider les PME-PMI, à la fois à exporter à l’étranger et à créer ou conforter de l’emploi. Elle fonctionne très bien et a un assez grand rayonnement auprès des PME-PMI. Sur les dix dernières années, nous avons dû aider un millier de PME-PMI, et sans doute aidé à créer ou conforter 10 000 emplois au sein de celles-ci. Nous avons un portefeuille global de 500 PME que l’on aide, soit à l’exportation, soit par des systèmes de prêts.

M. le président Luc Chatel. Avant de passer la parole à mes collègues, je souhaiterais vous poser quelques questions.

Premièrement, vous êtes une entreprise internationale qui recrute au niveau international. Vous avez dit que 34 % des effectifs étaient français, ce qui est nettement supérieur à l’activité française du groupe. J’en conclus que pour un cadre américain ou britannique qui entre chez Total, Paris est un passage obligé s’il veut faire carrière chez Total. Pensez-vous qu’aujourd’hui il soit aussi facile qu’il y a quelques années d’attirer un cadre international en France ? Sinon, que faut-il faire pour renforcer cette mobilité et cette attractivité ?

Deuxièmement, vous avez évoqué le déplacement de votre direction financière à Londres. J’aimerais savoir ce que cela a comme impact financier pour le groupe Total. En fin de compte, quels sont les critères qui vous guident, s’agissant de la localisation des centres de décisions ?

J’ai bien compris que tout ce qui touchait à l’activité amont devait être proche des centres de production et que tout ce qui touchait à l’activité aval devait être proche des centres de consommation. Mais tout ce qui est au milieu, par définition, est mobile. À ce niveau, quels sont vos critères de localisation ?

Troisièmement, vous avez parlé des systèmes de retraite et de la fiscalité des avantages qui font partie de la rémunération des cadres. On sait bien que le marché des cadres mondiaux est très concurrentiel. Donc, un cadre qui envisage d’entrer chez Total va comparer ce qu’on lui propose par rapport à ce que Shell, Exxon ou autre peut lui offrir. Quel est le nombre de vos cadres concernés par ce type de plan d’aménagement de retraite spéciale, ou de plan de stock options ? Cette population est-elle très sensible aux questions fiscales, administratives, ou d’emménagement dans un pays ? Comment améliorer, pour ces cadres-là, l’attractivité de la France ?

M. Jean-Jacques Guilbaud. Il est vrai qu’il y a une compétition, au niveau des cadres internationaux, qui sont plusieurs milliers dans un groupe comme le nôtre. De notre côté, nous cherchons à embaucher une population qui accepte de passer un certain temps de leur carrière à Paris, là où nous avons notre siège social, mais qui accepte également de poursuivre une carrière internationale. Qu’est-ce qui peut faire que ces cadres acceptent les statuts que nous leur proposons, comparés à ceux de nos concurrents ? C’est un ensemble de facteurs qui est assez complexe, qui tient évidemment aux perspectives de carrière, mais aussi au statut matériel que nous leur offrons : le salaire et un certain nombre d’avantages annexes, comme la retraite et les incitations que l’on appelle « long terme », à savoir des stock options ou des actions de performance – qui ont si mauvaise presse dans notre pays.

Les stock options et les actions de performance sont des outils de reconnaissance, de fidélisation et de rémunération. Ils ne sont pas, contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse, réservés à quelques cadres du sommet de la pyramide. Ainsi, chaque année, 10 000 personnes dans le monde se voient distribuer des actions de performance. Mais le risque d’un système à deux vitesses existe entre les cadres français ou les cadres affectés en France, et les autres, à niveau égal de poste, de rémunération et d’incitation, en raison de la différence de systèmes fiscaux entre la France et les autres pays.

Je reconnais que le système des actions de performance a pu donner lieu à des abus, ici ou là. Mais j’observe qu’il est extrêmement normé dans les grands groupes, et que les actions de performances sont largement distribuées. Au fond, les incitations au long terme sont une manière de fidéliser les gens, de les associer à la réussite de l’entreprise. C’est de l’argent qui est pris aux actionnaires pour être donné aux salariés. Je n’ai jamais bien compris en quoi ce serait scandaleux.

Enfin, je rappelle que ce ne sont pas des raisons fiscales qui ont amené Total à implanter certains services à Londres : par le biais de cette immersion dans la communauté qui décide du marché pétrolier en Europe, il a cherché à mieux valoriser le groupe et à mieux faire comprendre sa stratégie par les marchés.

Mme Claudine Schmid. Sans doute êtes-vous très sollicités par des personnes à la recherche d’un emploi. Celles-ci s’adressent-elles à vous uniquement parce qu’elles souhaitent faire leur carrière ou vivre à l’étranger ? Leur nombre a-t-il progressé au cours de ces dernières années ?

M. Jean-Jacques Guilbaud. Tout le monde, chez Total, a été ou sera expatrié. On peut même dire que c’est dans les gènes de l’entreprise. Celui qui rentre chez nous vise le plus souvent une carrière internationale. On dit que les jeunes veulent changer de culture, de continent, de pays, de postes tous les quatre ou cinq ans. Pendant les stages d’accueil, je leur dis de rester chez nous, car c’est exactement ce qu’offre Total. Mais il est exact qu’il y a aussi bien des candidats français que des candidats étrangers. Et pour ces derniers, tous les paramètres dont nous avons parlé rendent les choses un peu plus compliquées

Est-ce que, dans notre groupe, les Français s’expatrient davantage ? Ils savent, quand ils rentrent chez nous, qu’ils vont s’exposer à des carrières internationales et, de fait, ils le souhaitent. De temps en temps, ils aiment bien rester à l’étranger, parfois un peu plus qu’on ne le voudrait.

M. Christophe Prémat. Je comprends très bien que l’exil des forces vives ne se pose pas à des groupes tels que le vôtre. Je m’intéresse à votre position vis-à-vis du management, précisément en termes de formation et de suivi. Véhiculez-vous des normes françaises en matière de management ? Avez-vous une optique internationale, ou anglo-saxonne par certains aspects ? Avez-vous mis en place une formation pour les cadres étrangers qui rejoignent Total ? Quelle donc est la politique du groupe ?

M. Jean-Jacques Guilbaud. Un groupe comme le nôtre ne s’inquiète pas de savoir quelle est sa culture. Il se contente d’adopter celle du pays dans lequel il opère. En revanche, il essaie de développer la connaissance des cultures étrangères à l’intention des expatriés. Nous avons mis en place des modules de formation spécifiques avant l’expatriation, y compris pour des cadres non français qui viennent en France. Nous essayons de veiller à ce que les gens aiment le pays dans lequel nous les envoyons. Autrement dit, l’attractivité d’un pays, c’est aussi l’amour que lui portent les gens qui veulent venir y travailler. Nous dépensons par an 300 millions d’euros en formations diverses, y compris en formations culturelles pour l’expatriation ou ce que l’on appelle improprement l’impatriation des nationalités autres que françaises en France.

M. le président Luc Chatel. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur la fiscalité des retraites, les stock options et autres ? Il existe tout de même une compétition internationale. Le fait que notre pays ait une fiscalité plus lourde risque d’avoir des conséquences.

M. Jean-Jacques Guilbaud. Absolument.

M. le président Luc Chatel. Notre collègue laissait penser que, pour votre groupe, la question de l’exil des forces vives ne se posait pas. Elle se pose tout de même.

M. Jean-Jacques Guilbaud. Nos implantations sont le résultat de facteurs qui vont bien au-delà. Mais il est clair que dans l’organisation des ressources humaines, nous sommes bien obligés de réfléchir à l’efficacité des différents systèmes de rémunération que nous mettons en place. Il est exact que le système d’actions de performance est devenu terriblement pénalisant. C’est pour cela que je disais que nous risquions d’avoir, de fait, des populations à deux vitesses, à niveau égal, entre les cadres français ou les cadres résidant en France, et les autres. Cela pose incontestablement un problème.

Nous nous penchons sur la question des actions de performance, comme sur celle des retraites des cadres internationaux que nous recrutons en France. L’existence, dans tous les pays, de systèmes de retraite par capitalisation fait qu’ils peuvent « porter » d’un pays à l’autre. Or nous n’avons pas de système comparable en France.

M. le président Luc Chatel. Que faire pour rendre le « site France » plus attractif pour les cadres internationaux comme pour les investissements ?

M. Jean-Jacques Guilbaud. Il faut sans doute créer des conditions d’accueil qui soient jugées favorables par les différents acteurs. Il faut que les entrepreneurs aient l’impression que leurs investissements vont être bien accueillis et bien rémunérés, dans un environnement stable – qui est tout de même une condition très importante pour un investisseur – et, mieux encore, dans un environnement économique favorable, avec de la croissance. Entrer davantage dans le détail serait un peu compliqué…

M. le président Luc Chatel. Est-ce que le statut fiscal de l’impatriation est utilisé par le groupe Total pour faire venir des cadres internationaux en France ?

M. Jean-Jacques Guilbaud. Nous avons 700 impatriés en France, qui viennent des différentes régions du monde. Si c’est à cela que vous faites référence, oui, absolument.

M. le président Luc Chatel. Je vous remercie.

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Audition du 10 juillet 2014

À 9 heures : M. Alban Schmutz, Senior Vice-président de OVH.com group.

Mme Claudine Schmid, présidente. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui M. Alban Schmutz, Senior vice-président du développement et des affaires publiques de la société OVH. com, laquelle est aujourd’hui le troisième hébergeur internet mondial, et le premier hébergeur internet en Europe.

Monsieur Schmutz, votre société est installée en France, à Roubaix, mais compte plusieurs implantations dans le monde. Outre le phénomène de l’expatriation de nos concitoyens, l’objet de cette commission d’enquête est de s’interroger sur l’attractivité ou la compétitivité de notre pays, notamment au travers des délocalisations et relocalisations des entreprises ou d’un phénomène plus subreptice, à savoir le transfert vers l’étranger des centres de décision de nos entreprises, de certaines de leurs divisions opérationnelles ou de certains de leurs cadres dirigeants. L’activité d’OVH. com et sa forte dimension internationale, ainsi que votre parcours professionnel font de vous un témoin précieux susceptible d’éclairer vos travaux.

Mais avant de vous entendre, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Alban Schmutz prête serment.)

M. Alban Schmutz. Je vous remercie de m’avoir convié à venir donner le point de vue d’une entreprise comme OVH. com, qui exerce sur le territoire français.

OVH. com est le premier hébergeur de sites web en Europe – un site sur 6 en Europe et un sur 3 en France. C’est une entreprise de taille intermédiaire (ETI) qui exerce son activité à partir de son siège de Roubaix. Elle a été créée en France et l’essentiel de ses salariés y travaillent. Elle a connu une croissance assez rapide : il y a cinq ans, elle employait moins de 100 personnes ; elle en emploie aujourd’hui à peu près 750 et l’effectif devrait atteindre 1 000 salariés à la fin de l’année. Nous sommes présents dans seize pays, ce qui donne à notre groupe une forte dimension internationale. Malgré tout, l’essentiel de nos effectifs – 450 à 500 personnes – se trouve sur le territoire national.

Notre problématique de recrutement rejoint celle de la présente commission d’enquête. Doit-on embaucher sur le territoire national, ou potentiellement ailleurs, les 300 personnes qui nous rejoignent chaque année ?

Il me semble important de préciser que notre recherche et développement est essentiellement située en France, mais également en Pologne et au Canada. Le choix de la Pologne n’est pas lié à des considérations financières. Il se trouve seulement que OVH a été créée par une famille d’origine polonaise installée dans le nord de la France au début du XXème siècle. Pendant la guerre froide, elle est revenue en Pologne, en est ressortie après la chute du Mur et s’est réinstallée dans notre pays. Il s’agit donc d’une famille française et polonaise, ce qui explique des liens forts avec la Pologne.

Mais venons-en au sujet de cette commission d’enquête. Faut-il se réjouir que des Français aillent à l’étranger ? De mon point de vue d’entrepreneur qui a créé des entreprises pendant quinze ans et en tant que représentant d’OVH, je pense que c’est une excellente chose. Notre société, en se déployant à l’international, crée des emplois en France : notre R & D est localisée essentiellement en France, nous avons des data centers, des supports et de l’ingénierie en France. Comme vous le disiez en introduction, nous sommes le premier hébergeur européen. Il est donc possible de devenir le premier hébergeur européen en opérant à partir de la France. Cela n’exclut pas que, demain, nous installions des infrastructures informatiques en Allemagne, en Angleterre ou dans un autre pays. Mais cela veut dire que l’on peut développer une entreprise à partir du territoire national.

Pour nous, la question n’est pas de savoir s’il est bon que des Français partent à l’étranger, dans la mesure où c’est le moyen de créer, par ricochet, des emplois en France. La question est ailleurs. Pour l’illustrer, je vais vous raconter un épisode de la vie d’OVH.

Son fondateur, M. Octave Klaba, a voulu partir au Canada pour s’y installer et développer des opérations en Amérique du Nord, le marché nord-américain étant, en valeur, le premier marché mondial de notre industrie. Mais en tant qu’entrepreneur et actionnaire, il a été soumis à l’époque à l’exit tax. On lui demanda donc de payer une taxe pour sortir, alors même qu’il allait développer son entreprise et créer, par voie de conséquence, des emplois sur le territoire national et qu’il n’avait pas les liquidités nécessaires pour le faire, puisque son seul patrimoine était celui de l’entreprise. L’exit tax peut amener un entrepreneur à vendre une partie de son entreprise pour financer son départ, destiné, précisément, à développer cette entreprise. C’est ubuesque ! Heureusement, OVH a obtenu la caution des banques qui la finançaient. On peut comprendre que l’on veuille faire payer les gens avant qu’ils ne quittent le territoire, mais dans une logique entrepreneuriale, c’est un non-sens.

La question est donc plutôt de favoriser le développement à l’international des sociétés françaises. Sinon, et je reprends cet exemple, celui qui voudra aller développer son entreprise hors de France la créera directement là-bas pour ne pas avoir de problème. Et nous n’y gagnerons pas, bien au contraire.

Par ailleurs, partir à la conquête des marchés étrangers peut être un vrai choix positif. Mais ce peut être aussi un choix subi.

Premièrement, et la représentation nationale doit le comprendre, nous avons besoin que le marché national et le marché européen soient suffisamment dynamiques pour permettre aux entrepreneurs de se développer – et de créer de l’emploi en France, etc. Sinon, les entrepreneurs iront ailleurs. Prenons comme exemple le domaine du traitement des données personnelles hébergées dans le cloud. L’important, pour le citoyen, est de pouvoir accéder à ces données quand il en a besoin. Si la législation nationale ou européenne est très protectrice, mais aussi trop restrictive, elle ne permettra pas à des entreprises de développer sur le territoire ce type de services, qui apportent de la valeur ajoutée. Mais d’autres législations permettent de développer plus facilement des services de ce type. Le citoyen y mettra spontanément et volontairement ses données – sans bénéficier, en fin de compte, d’une vraie protection. D’où cette question de fond : comment faire pour rendre effective, et la valeur ajoutée économique et la protection des individus ? Quoi qu’il en soit, les entrepreneurs risquent d’aller ailleurs, ce qui sera dommageable pour le territoire national.

Deuxièmement, pourquoi opérer en France alors que l’on peut opérer à l’étranger où les conditions de concurrence ne sont pas les mêmes ? Nos data centers sont en France, où nous payons nos impôts. Nous sommes donc soumis à l’impôt sur les sociétés, dont le taux est d’à peu près 34 %. Nos compétiteurs, qui opèrent des services à partir d’Irlande ou d’autres pays, sont imposés à des taux différents. Si, à la fin de l’année, une société paie 100 millions d’euros d’impôts de plus que son concurrent, l’année d’après, elle investira 100 millions d’euros de moins que lui, et créera donc moins de valeur ajoutée. D’où une vraie distorsion de concurrence. Cela se traduira également par de moindres rentrées pour l’État qui ne pourra pas, éventuellement, réinvestir une partie de cet argent pour développer l’économie et le tissu entrepreneurial local. Comment faire ? Nous avons formulé un certain nombre de propositions dans le cadre du plan cloud sur la Nouvelle France industrielle, pour tenter de limiter ce type d’effets et faire que nos compétiteurs viennent s’installer sur le territoire national pour y jouer avec les mêmes règles que nous.

Il faut donc que le marché existe en France, et que les entrepreneurs puissent avoir des conditions de concurrence équivalentes à leurs compétiteurs internationaux. Il n’est pas difficile de créer des entreprises en France. La difficulté, c’est de les y développer. Il faut donc créer des conditions favorables à ce développement.

Aujourd’hui, le crédit d’impôt recherche (CIR) est un outil formidable mis au service des PME et des entreprises de taille intermédiaire. OVH n’y a pas eu recours jusqu’à présent, en raison de la lourdeur de la procédure – ce qui prouve que l’on peut créer et développer une entreprise en France sans le CIR. Pour autant, c’est un moyen de dynamiser le tissu national.

Par ailleurs, nos écoles d’ingénieurs et nos universités forment des gens compétents, au point que OVH, pourtant implanté dans seize pays européens, en Amérique du Nord et en Afrique, n’a aucunement l’intention d’installer ses centres de R & D ailleurs qu’en France. Bien sûr, cela ne nous dispense pas de veiller à la qualité du recrutement.

Mais la situation a changé depuis quinze ou vingt ans. Il ne s’agit plus de se demander s’il est bien que des Français partent, ou non, à l’étranger. Aujourd’hui, dans les écoles de commerce, d’ingénieurs, etc. partir à l’étranger fait partie du cursus et cela ne pose plus de problèmes à qui que ce soit. Il s’agit de faire venir en France des cadres, des chercheurs étrangers, qui s’installeront sur le territoire national et y créeront de la valeur ajoutée. Or les conditions que j’ai citées préalablement restent valables. Si le marché n’est pas attractif, si le secteur public qui représente une masse colossale des investissements en France ne s’intéresse pas suffisamment à tel ou tel domaine, personne ne viendra en France capter le marché. Nous devons décider d’aller vite, de dynamiser le marché et d’accueillir avec le sourire ceux qui viennent vers nous – ce qui n’est pas toujours le cas, notamment à Paris. C’est vraiment très important, et nous devons y travailler tous ensemble. Cela relève de notre responsabilité collective.

Mme Catherine Schmid, présidente. Merci, monsieur Schmutz. J’aimerais revenir sur les questions fiscales. Il me semble que le problème majeur n’est pas le taux de la fiscalité, mais les différences de taux qui créent une distorsion avec nos concurrents étrangers. Seriez-vous favorable à une harmonisation de la fiscalité en Europe ? Préféreriez-vous que la France conserve son taux d’imposition mais aide certaines entreprises à se développer, quitte à récupérer l’impôt à un autre moment de leur vie ? Selon vous, l’exit tax pénalise les entreprises qui envisagent de se développer à l’étranger. Comment faire, d’après vous ?

M. Alban Schmutz. La question est complexe. Dans l’idéal, et c’est ma conviction personnelle, pour ne pas avoir de distorsions de concurrence, il faudrait un même cadre fiscal pour tous. Mais je sais que c’est très compliqué, en raison du système d’imposition français, de l’existence de conventions fiscales bilatérales avec les autres pays et de la nécessité de mener des négociations multilatérales au niveau de l’OCDE.

En attendant, il faut activer tous les leviers pour sortir de certaines situations. Le monde a changé. Dans l’industrie des nouvelles technologies, par exemple, il n’y a plus de barrières. Il conviendrait de mettre en place des mécanismes permettant de taxer les opérations sur la base du lieu où se trouvent les gens qui en bénéficient. Aujourd’hui la taxation se fait sur la base du lieu d’opération, en France, en Irlande, au Luxembourg ou aux États-Unis. Or la taxation devrait être la même, que l’on opère à partir de la France ou d’un autre pays. Ce n’est pas le cas, ce qui crée une distorsion de concurrence.

Au fond, il m’est un peu égal de savoir si les conditions sont les mêmes dans tous les pays européens – bien que ce soit pour moi l’idéal. Mais il faudrait que, sur chaque lieu où l’on va chercher des clients, où l’on apporte de la valeur ajoutée, tout le monde joue avec les mêmes cartes. C’est à ce problème de fond qu’il faut répondre. La taxation et le crédit d’impôt ne sont que des éléments palliatifs.

Mme Claudine Schmid, présidente. Lors d’auditions précédentes, on nous a dit que des jeunes quittaient la France parce qu’il était difficile de créer leur entreprise dans notre pays, et notamment d’y trouver des fonds. De votre côté, vous nous avez dit que créer une entreprise ne posait pas de problème en France. Avez-vous l’impression que certains jeunes partent à l’étranger parce qu’il est plus facile d’y créer une start-up ou, plus généralement, une entreprise ?

M. Alban Schmutz. Clairement oui. Il m’arrive même de conseiller à certains de partir à l’étranger, parce que, compte tenu de ce qu’ils veulent faire, ils ne peuvent pas réussir en France.

Je vais vous en donner un exemple : une société, dont je connais bien les fondateurs, s’est développée en France, au bord du périphérique, du côté de la porte d’Italie. Pendant trois ans, elle a cumulé à peu près 20 000 euros de chiffres d’affaires, malgré une technologie très intéressante. De nombreuses personnes du secteur public, qui s’étaient déclaré très intéressées, leur ont fait perdre énormément de temps. Ils ont fini par partir à San Francisco. Et ils ont eu raison parce que, aujourd’hui, c’est l’une des sociétés les plus en vue dans le monde dans le domaine des nouvelles technologies. On pense que c’est une société américaine, mais c’est simplement une société qui n’a pas réussi à se développer en France. Il faut dire qu’aux États-Unis, en trois ou quatre semaines, ces entrepreneurs ont levé un million de dollars et en six mois, ils en ont levé dix.

Cette société, dont la technologie va sans doute modifier le fonctionnement de l’industrie du cloud computing, se développe aux États-Unis parce que ses fondateurs n’ont pu trouver de fonds en France, dans la mesure où il n’y avait pas de marché sur place : nous sommes trop frileux. Cela signifie qu’il faut mettre tout le monde en mouvement : entreprises privées, PME, ETI et secteur public. Celui-ci joue en effet un rôle de premier plan en raison, notamment, de son poids dans l’économie.

En France, nous disposons d’assez nombreux leviers de financement – par exemple, des fonds d’amorçage – à l’intention des entreprises. On crée beaucoup d’entreprises, mais beaucoup meurent. Mieux vaudrait en créer moins, mais qu’elles soient viables, se développent et soient capables de vendre à l’étranger, etc. Ce n’est pas tant sur la création que l’on manque de fonds, que sur le capital développement. On trouve plus facilement et plus rapidement plusieurs millions ou plusieurs dizaines de millions d’euros de l’autre côté de l’Atlantique qu’en France. Voilà pourquoi, effectivement, certains entrepreneurs partent. D’autres gardent leur R & D en France parce qu’elle y est de grande qualité, mais préfèrent développer ailleurs leur activité commerciale.

Malgré nos atouts, nous ne sommes pas bons en ce domaine. Et ce n’est pas tant une question de montants que de mentalité.

Mme Claudine Schmid, présidente. Quelles propositions concrètes feriez-vous pour favoriser l’attractivité de la France ?

M. Alban Schmutz. Premièrement, il faut que l’on ait une vraie politique de facilitation de l’installation de cadres internationaux en France. Venir à Paris, c’est sympathique, mais cela ne suffit pas. Il faut y trouver les bonnes conditions, du dynamisme, et pas de contraintes administratives. Nous avons besoin de mener une réflexion sur l’attractivité de la France pour les cadres et les entrepreneurs internationaux. La France a des atouts, mais elle doit les valoriser.

Deuxièmement, la France a une image internationale assez fluctuante. Alors que j’étais à l’étranger il y a quelques années, j’ai vu à la télévision des images de manifestations qui avaient lieu alors en France, et j’ai cru que le pays était en guerre, alors que je venais de le quitter ! Nous devons vraiment travailler sur notre image. Nous avons aussi besoin d’un cadre social apaisé, ce qui suppose que nous soyons dans la « co-construction collective ». Or ce n’est pas dans notre culture. Il faudra nous y mettre. Ce n’est pas une proposition très concrète, mais tout le monde doit en prendre conscience. Sinon, la seule attractivité de la France tiendra aux beautés de ses paysages. Mais je ne pense pas que notre destin soit de devenir le « Disneyland du monde ».

Troisièmement, il faut développer la formation liée à l’entrepreneuriat et aux langues.

Dans le premier cas, c’est une question culturelle : il faut avoir le goût du risque. Notre monde évolue très vite. La feuille de route de la plupart des entreprises porte sur trois ou cinq ans. Dans une société comme OVH, elle se limite à trois semaines ou à trois mois. Même si nous avons des idées, nous ne savons pas ce qui va se passer au-delà, ni ce que vont faire nos compétiteurs. Aujourd’hui, la principale force d’une entreprise réside dans sa capacité d’adaptation rapide. La peur de l’inconnu est un frein. Il faut donc développer cette capacité d’adaptation à tous les niveaux, sans attendre le module de formation à l’entreprenariat en dernière année d’école d’ingénieurs, de commerce ou en master 2 à l’université. Cela n’aurait pas de sens.

Dans le deuxième cas, les langues font partie des conditions d’adaptation. Si on n’est pas capable de parler avec ses interlocuteurs quels qu’ils soient, cela crée une distance et on a davantage peur du changement. Il vaut mieux être dans le mouvement et à l’origine du changement plutôt que de le subir.

Pour moi, ce sont trois éléments de fond. Mais on peut parler également parler de façon plus concrète. C’est ainsi que dans le cadre du plan cloud, nous avons défini dix axes de propositions.

J’ai entendu ce matin qu’il fallait trouver 18 milliards d’euros d’économies budgétaires. Dans le cadre de ce plan, nous avons indiqué comment faire pour être plus efficaces et économiser 3,5 milliards d’euros par an. Nous attendons maintenant que l’État s’implique dans la déclinaison de chacune des mesures opérationnelles. Elles ne sont pas toutes très compliquées à mettre en place, mais il faut faire vite. Le temps que l’on perd maintenant ne se rattrapera pas.

S’agissant de la fiscalité, une collectivité territoriale qui investit récupère la TVA. Si elle utilise un service dans le cloud, elle ne le récupère pas. C’est un frein au développement de l’industrie française du cloud, parce qu’il y a une distorsion de concurrence à l’intérieur même de la sphère publique.

S’agissant du traitement des données personnelles, si le secteur public préfère que ses données soient traitées sur le territoire national et passe des commandes pour moderniser son infrastructure et apporter davantage de services aux citoyens, non seulement il économise 3,5 milliards d’euros, mais il met le marché en mouvement Une entreprise réagit rationnellement. S’il y a un marché à prendre, elle vient. Une grande entreprise internationale, peut-être même un compétiteur d’OVH, viendra s’installer en France pour capter ce marché. Eh bien, tant mieux. Cela signifie que cette entreprise, parce qu’elle sera installée en France, aura un établissement stable et donc une base fiscale taxable, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ainsi, en mettant en mouvement le marché dans le sens direct des intérêts de l’État – économiser de l’argent et offrir davantage de services aux citoyens – on participe à la résolution des problèmes de distorsion de concurrence qui existent dans notre industrie. Tout le monde y gagne.

Au mois de janvier, nous avons remis des propositions concrètes à M. Montebourg. Nous attendons leur traduction. En tant qu’acteurs de l’industrie, nous sommes prêts à faire notre part du travail. Nous mettons en musique l’ensemble de l’écosystème industriel dans le domaine du cloud computing. Il n’empêche que les administrations centrales, les collectivités territoriales et l’ensemble du secteur public de santé et hospitalier ont aussi un rôle à jouer.

De nombreuses mesures concrètes, opérationnelles, peuvent favoriser l’installation d’activités économiques en France, valoriser le territoire économique, renforcer les acteurs français sur ce territoire, leur donner la capacité d’être plus forts chez eux, donc de mieux exporter et de créer davantage de valeur ajoutée dans notre pays. Il faut rentrer dans un cercle vertueux et créer une dynamique sur laquelle on doit pouvoir jouer collectivement.

Mme Claudine Schmid, présidente. Dans des auditions précédentes, nos interlocuteurs nous ont parlé de la lourdeur administrative, et du temps administratif qui ne correspond pas à celui des entreprises. Pour vous, est-ce une véritable difficulté susceptible d’entraver la marche des entreprises, ou est-ce que cela fait partie de leur quotidien ?

M. Alban Schmutz. La lourdeur administrative n’est pas l’élément principal qui fait qu’une entreprise marche ou ne marche pas. Il faut d’abord être bon sur le marché. Après, cela dépend des structures des entreprises. Une entreprise comme OVH, qui va dépasser les 1 000 salariés d’ici à la fin de l’année, a une organisation administrative qui lui permet d’encaisser cette lourdeur. Dans une entreprise de 10 salariés, pendant que l’entrepreneur fait de la paperasse, 10 % de l’entreprise au moins ne travaille pas. C’est mathématique ! Et pendant qu’il cherche à régler certains problèmes opérationnels, il ne crée pas de valeur.

Il y a évidemment des améliorations à apporter. Il est nécessaire de dématérialiser. Il faut que l’administration se mette au rythme de la vie réelle des entreprises. Celles-ci ont besoin d’un interlocuteur qui les connaisse et qui ne soit pas là pour les sanctionner mais pour les aider. Je ne parle pas seulement des contrôles fiscaux, mais du soutien qu’elle peut leur accorder en leur expliquant ce qu’elles ont à faire, ou ce qu’elles auraient dû faire.

Je vais faire un parallèle avec la vie de l’entreprise. Aujourd’hui, OVH a décidé de faire évoluer la fonction de support clients – les clients appellent quand ils ne peuvent accéder à un support – en une fonction de customer advocate – nous sommes là pour les aider et nous devons nous débrouiller pour y parvenir. Il serait très important de faire la même chose dans l’administration : être là pour aider les entreprises et pas uniquement pour voir ce qui ne va pas.

Tout à l’heure, nous avons parlé du CIR. De nombreuses personnes m’ont dit qu’à partir du moment où elles en avaient déclaré, elles avaient fait l’objet d’un contrôle. Je ne sais pas si c’est une réalité ou si ce n’est qu’une perception. Il n’empêche que ces personnes pensent que si elles rentrent dans un nouveau dispositif, elles seront contrôlées. Et ce n’est pas le contrôle lui-même qui pose problème, dans la mesure où à peu près tout le monde essaie de faire correctement son travail, c’est le fait qu’il n’est pas toujours facile de répondre aux questions posées. Je considère, pour ma part, que ce n’est pas le rôle de l’entrepreneur de comprendre toutes les questions dans le détail – pas plus que ce n’est celui du citoyen. Il faut expliquer à l’intéressé de quoi il s’agit, et faire en sorte de simplifier le vocabulaire administratif.

Je ne remets pas en cause le principe du contrôle, mais il faut que les procédures soient logiques et que l’on avance en terrain connu. Il faut éviter que ceux qui entrent dans de nouveaux dispositifs soient systématiquement contrôlés alors qu’on leur avait annoncé le contraire, ou que l’administration interprète les règles différemment de ce que les politiques ou les médias avaient annoncé. Finalement, le chef d’entreprise consacre beaucoup de temps au contrôle, pendant lequel il ne développe pas ses produits et perd en compétitivité.

Le temps perdu à cause d’un contrôle amène certains à s’interrogent sur l’intérêt d’entrer dans certains dispositifs. Il m’arrive même de le déconseiller : le dispositif est peut-être adapté, mais personne n’est sûr de la manière dont les textes seront interprétés. Il n’y a aucune sécurité juridique et l’entreprise risque d’y perdre du temps. Une société assez importante peut l’encaisser, mais pas une petite société. C’est là-dessus qu’il faut travailler. Quand on pose un nouveau cadre, il doit être pérenne sur plusieurs années, on doit savoir que tel ou tel point sera apprécié de telle ou telle manière, et que l’on ne reviendra pas en arrière. Il en va parfois de la vie des entreprises.

Mme Claudine Schmid, présidente. Le code du travail est-il un problème ou non ?

M. Alban Schmutz. Aujourd’hui, OVH cherche à recruter et n’a pas de problème d’embauche. Il n’empêche qu’il faut trouver les bonnes personnes, que cela prend du temps et que c’est coûteux. Dans certaines entreprises, les conditions de sortie étant compliquées et potentiellement très coûteuses, l’entrée s’en trouve limitée. À titre personnel, je pense qu’il faudrait fluidifier l’entrée comme la sortie dans les entreprises. Cela ne veut pas dire casser le code du travail ni mettre fin aux CDI, mais permettre à celles-ci de s’adapter. J’en reviens à ce que je disais tout à l’heure sur la capacité d’adaptation, qui permet de ne plus avoir peur de l’inconnu. Mais c’est aussi une question de culture. Il n’est pas possible de changer le code du travail tout de suite sans que les gens aient été préparés. Pour autant, il convient de s’en préoccuper sans attendre.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie.

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Audition du mercredi 16 juillet 2014

À 10 heures 30 : M. Bruno Parent, directeur général de la Direction générale des finances publiques (DGFiP).

M. le président Luc Chatel. Nous recevons aujourd’hui M. Bruno Parent, directeur général de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), qui vient de prendre ses fonctions, accompagné de plusieurs de ses collaborateurs : M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale, Mme Lorraine Aeberhardt, chef du bureau des études statistiques en matière fiscale, et M. Édouard Marcus, sous-directeur des affaires européennes et internationales.

Monsieur le directeur général, vous savez que notre commission d’enquête s’intéresse à l’exil de nos forces vives, qu’il s’agisse des centres de décision, de l’exode de nos jeunes. Nous nous intéressons naturellement à l’exil fiscal et c’est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre.

Avant de vous donner la parole, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Bruno Parent, Bruno Rousselet, Édouard Marcus et Mme Lorraine Aeberhardt prêtent serment.)

M. Bruno Parent, directeur général de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). L’exil fiscal est un sujet bien connu de la DGFiP car cela fait plus d’une décennie que l’on réfléchit à ces questions. Et, en dépit des progrès qu’on a pu accomplir, c’est toujours un sujet aussi difficile techniquement.

Plusieurs raisons y concourent. D’abord, notre système d’information a pour objet la gestion fiscale, et non la statistique sur les éventuels exils fiscaux. En faisant écho au questionnaire que vous nous avez fait parvenir, auquel nous allons répondre dans des délais brefs, la distinction entre un national et un étranger n’existe pas dans les fichiers fiscaux. Voilà déjà un premier exemple des failles de notre système d’information. De même, certaines informations ne sont disponibles qu’à l’issue d’un cycle de traitement qui peut être considéré comme long. Pour quelqu’un de connu à l’impôt de solidarité sur la fortune
– ISF – en juin 2012 et qui, pour des raisons diverses, ne se trouverait plus être déclarant à cet impôt en juin 2013, il ne sera possible de comprendre sa situation – s’agit-il d’une défaillance ? D’un départ à l’étranger ? Y-a-t-il des biens taxables en France ? – qu’après un dialogue avec lui, qui n’interviendra qu’à l’automne 2013 et se dénouera éventuellement en 2014 : ce n’est donc qu’en 2014 au mieux qu’on y verra clair sur un départ éventuel intervenu au deuxième trimestre 2012. Ces délais sont aussi des garanties pour le contribuable évidemment.

Troisièmement, la fiabilité de certains éléments que l’on peut porter à votre connaissance est parfois très imparfaite. Aussi, pour les non-résidents imposables à la taxe d’habitation ou à la taxe foncière sur notre territoire, nos fichiers sont faits de telle sorte que l’on va compter autant de contribuables qu’il a de biens sur le territoire. On aboutit donc à une majoration de nos chiffres.

Le plus difficile est de passer en quelque sorte de la photographie au film. Si on peut affirmer qu’au titre de telle année, X contribuables, qui autrefois payaient Y d’impôt sur le revenu, se sont délocalisés, on ne peut additionner – ce serait une aberration – les cohortes ainsi constatées et en déduire sur une longue période l’importance de l’impôt sur le revenu perdu par le budget de l’État.

Ce sont de vraies difficultés que nous n’avons pas réussi à surmonter comme les difficultés de recoupement, notamment avec les éléments dont dispose le ministère des Affaires étrangères au travers des consulats. Il n’y a pas d’identifiant commun et il n’y a donc pas de possibilité de faire des travaux statistiques de qualité.

Il faut trouver un équilibre entre le souhait d’améliorer la connaissance statistique d’un phénomène et les obligations pesant sur les contribuables. Nous ne questionnons pas ceux-ci de manière détaillée sur des éléments éventuellement utiles pour cette analyse, en particulier pour les biens professionnels qui sont exonérés d’ISF.

Enfin, on ne peut être que frappé par l’amalgame fait médiatiquement entre départ à l’étranger et motivation fiscale, celle-ci existe mais elle n’explique pas toujours ce départ et n’est pas exclusive d’autres motivations. Le passage entre les statistiques brutes et les conclusions à en tirer au regard de notre système fiscal doit donc être abordé avec prudence.

M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale. Je vais préciser le processus qui nous amène à mesurer l’exil fiscal, c’est-à-dire à connaître les personnes qui à un moment donné figurent dans notre système d’information et sont taxées comme résident de France et qui, dans le cycle de gestion suivant, ne le sont plus, soit parce qu’elles sont taxées comme non résident ou ne le sont plus du tout. Notre système de gestion est orienté, non vers le suivi statistique, mais la gestion de l’impôt avec le plus de facilités possible tant pour l’usager que pour nos services. Nous manquons donc de l’instrument ultime que constituerait un pointeur à la frontière permettant de mesurer exactement l’exil fiscal.

Un outil de ce type a existé jusqu’en 2004 sous la forme d’une déclaration intermédiaire au moment du départ pour l’impôt sur le revenu, au titre d’une législation remontant à 1941 : il fallait faire une déclaration provisoire dans les dix jours précédant la demande de passeport, puis, après la modernisation du dispositif dans les années 1990, trente jours avant le transfert du domicile. Mais comme ce dispositif était peu connu et peu utilisable par nos services, puisque les règles d’imposition ne sont connues traditionnellement qu’en fin d’année, il ne fonctionnait pas, ce qui a conduit à le supprimer en 2004 à des fins de simplification.

Le système en vigueur aujourd’hui prévoit que l’année du départ, une déclaration de droit commun est faite au titre de l’année précédente, avec une petite particularité : si l’intéressé est parti avant la date de la déclaration, on lui accorde le délai des non-résidents pour la déposer – par exemple jusqu’au 30 juin cette année. Quand, l’année suivante, il déclarera les revenus de l’année du départ, il remplira un formulaire de droit commun pour la période précédant le départ et un autre spécifique pour celle le suivant. C’est à ce moment-là que le service transmettra le dossier pour gestion à la direction spécialisée dans le suivi des non-résidents. Mais cette procédure de transfert de dossier n’aura lieu que dans la mesure où des revenus de source française existeront après le départ et que l’intéressé continuera à être redevable de l’impôt en France. Dans le cas contraire, le dossier restera dans le service d’origine en quelque sorte pour mémoire.

Pour l’ISF, c’est à peu près le même mécanisme, puisque les rythmes déclaratifs sont semblables.

En revanche, l’exit tax a introduit une grande nouveauté, mais à géométrie variable. Selon que le départ se fait pour l’Espace économique européen ou un pays plus lointain, les formalités déclaratives sont différentes : dans le premier cas, le schéma est semblable à celui de l’impôt sur le revenu classique, avec une déclaration au courant de l’année suivante, alors que, dans le second, il faut remplir des déclarations spécifiques avant le départ, avec la possibilité d’acquitter l’impôt dû au titre de l’exit tax ou d’en obtenir le sursis sous réserve de produire des garanties. Se noue alors un dialogue avec la direction de gestion qui permet de réaliser un comptage précis en assiette, en nombre et en montant de recouvrement.

C’est à partir de cette masse d’informations assez disparate que sont menés les travaux essentiellement au sein de la direction des non-résidents et des bureaux statistiques de la direction générale pour arriver à collationner la matière et faire les recoupements de suivi des personnes pour réaliser les rapports que nous demande le Parlement sur le suivi de l’exil fiscal. Nous travaillons ainsi aujourd’hui à cet effet sur les départs de 2012.

M. le président Luc Chatel. Je ne suis pas sûr qu’on se soit bien compris. Notre commission ne travaille pas sur les procédures existantes pour mesurer l’exil fiscal, mais sur le fond du phénomène. Autrement dit : quels sont les éléments dont vous disposez sur le comportement des contribuables et son évolution et sur l’impact de telle ou telle mesure fiscale depuis dix ans sur leur comportement ? Le nombre d’assujettis à l’impôt sur les sociétés – IS – a-t-il baissé par exemple ? Quels sont les premiers éléments sur l’exil fiscal en 2012 ? Comment voyez-vous le système fiscal français par rapport à celui d’autres pays ? La comparaison avec les systèmes étrangers permet-elle de dégager des grandes lignes ?

M. Bruno Parent. Il est très difficile de rattacher une mesure fiscale précise à un comportement supposé des contribuables. Nous pouvons vous donner des chiffres sur les séries, mais celles-ci ne présentent pas de rupture et témoignent de beaucoup de continuité : l’idée de pouvoir mesurer l’impact de tel ou tel dispositif est donc probablement illusoire.

Avec la grande subjectivité qui s’attache à ces sujets, reste un certain nombre de témoignages, notamment d’avocats fiscalistes, qui évoquent des comportements qu’ils peuvent constater dans leur clientèle et qui insistent sur la nécessité d’une stabilité des dispositions fiscales. Ce n’est pas, il est vrai, la caractéristique première de notre pays. Je ne dis pas que les législations des autres pays le soient réellement, mais cela reste une particularité de notre pays. Il y a toujours l’idée que telle disposition, à supposer qu’elle soit jugée plus favorable que la législation antérieure, est susceptible d’être remise en cause dans un délai relativement bref, ce qui pourrait aussi expliquer une certaine continuité dans les comportements.

M. Bruno Rousselet. Pour l’exit tax, le champ a tellement varié qu’on a du mal à avoir des données comparables, mais les départs de 2012 sont estimés à 300 foyers et ceux de 2013, à ce jour, à 147, ce nombre étant encore susceptible d’augmenter en fonction des données encore à venir. Dans le dispositif antérieur, ces résultats étaient plus faibles, de l’ordre de 26 à 73 départs.

M. le président Luc Chatel. Qu’en était-il en 2011 ?

M. Bruno Rousselet. On a enregistré 169 départs.

M. le président Luc Chatel. Quels sont vos premiers éléments d’analyse ?

M. Bruno Rousselet. Il y a d’abord un effet de champ, les critères d’éligibilité ayant été sensiblement élargis, ce qui accroît le nombre enregistré.

Quant à l’intention des intéressés, elle ne peut être sondée par l’imprimé déclaratif. Ils recouvrent des populations très variées, parmi lesquelles 80 % de salariés en 2011 : il ne s’agit donc pas seulement de personnes très fortunées. 55 % sont constituées de foyers avec au moins un enfant et 70 % perçoivent des revenus de capitaux mobiliers.

M. le président Luc Chatel. Quel est le niveau de patrimoine moyen de ces 300 foyers ?

Mme Lorraine Aeberhardt, chef du bureau des études statistiques en matière fiscale. Nous n’avons cette donnée que pour les foyers également soumis à l’ISF.

M. le président Luc Chatel. De mémoire, le calcul de l’exit tax se fait sur la base du patrimoine.

Mme Lorraine Aeberhardt. On peut vous donner les plus-values totales déclarées pour ces 300 foyers : elles s’élèvent à 2,657 milliards d’euros.

M. le président Luc Chatel. Mais vous pouvez reconstituer le patrimoine à partir des plus-values.

Mme Lorraine Aeberhardt. Pour la partie plus-values, mais pour tout ce qui concerne le patrimoine immobilier ou autre, on ne peut le reconstituer que pour les personnes également soumises à l’ISF.

M. Yann Galut, rapporteur. Mes remarques ne sont pas polémiques, ni ne remettent en cause l’excellence du travail fourni par vos services.

Cependant, nous sommes confrontés à deux problématiques : celle de la mesure de l’exil fiscal et celle de l’analyse du phénomène.

Je sais combien il est difficile de réaliser cette mesure – un de vos prédécesseurs en faisait déjà état en 2001 – et la subjectivité à laquelle elle peut donner lieu dans l’opinion publique ou chez les parlementaires, compte tenu des professionnels qui viennent nous voir ou nous sollicitent. Je me souviens avoir reçu un avocat fiscaliste m’indiquant que le nombre des dossiers qu’il traite avait été multipliée par 5. En poursuivant la conversation, il a admis qu’il ne s’agissait pas de départs effectifs mais de consultations ou demandes de renseignement. Mais, quand nous avons interrogé votre prédécesseur il y a un an et demi au sein de la commission des Finances sur la mesure de l’exit tax, on avait l’impression que vous n’aviez pas la capacité d’avoir des chiffres précis. Avez-vous maintenant un dispositif vous permettant de le faire, pour l’exit tax comme pour les plus-values ? Il serait intéressant par exemple de savoir si les 2,6 milliards d’euros cités pour 2011 ont augmenté les années suivantes. J’ai bien compris la question du décalage d’un an à un an et demi pour disposer des chiffres, mais a-t-il été réduit et pourra-t-il l’être encore ?

Par ailleurs, je sais que ce n’est pas votre rôle premier, avez-vous une cellule travaillant sur l’analyse et la prospective ? Cela renvoie à la question de la réalisation des études d’impact des mesures envisagées.

Qu’en est-il de la comparaison avec les autres pays européens ? Arrivent-ils à mieux mesurer l’exil fiscal, qui les touche autant, voire davantage que nous ? Avez-vous des échanges avec eux ?

Enfin, avez-vous des statistiques sur les contribuables étrangers venant s’installer en France en fonction de leur revenu ? Quel est le solde entre ce phénomène et l’exil fiscal ?

M. Bruno Parent. Nous n’avons pas de cellule prospective, ce qui ne nous empêche pas de nous poser des questions et d’être aussi frustrés que vous de la faiblesse de nos réponses. Les ministres successifs se sont également posé ces questions, notamment quand il s’agit d’adopter une nouvelle mesure. Mais vous savez bien qu’on ne peut y répondre clairement, encore moins en matière de délocalisation. Sur ce point, nous sommes extrêmement démunis sauf à interroger chaque délocalisé, à supposer qu’il soit sincère dans ses réponses.

Il y a cependant un faisceau d’indices : quand la pression fiscale augmente ou que l’on diminue la période pendant laquelle il faut rapporter les donations aux successions, par exemple, cela peut induire une propension au départ. Mais, nous sommes absolument incapables de faire des comparaisons terme à terme : telle mesure sur les successions a eu tel impact, etc.

Il est clair qu’il est difficile de faire des réponses documentées. Les témoignages extrêmement divers que l’on peut recueillir par ailleurs ne peuvent permettre une analyse sérieuse. Nous sommes donc assez démunis. Et chaque fois qu’on essaie d’y réfléchir, on y met toutes les forces nécessaires sans pouvoir toujours y parvenir.

Reste que nous vous apporterons des éléments sur les retours et les systèmes étrangers.

M. Bruno Rousselet. S’agissant de l’exit tax, nous disposons d’une liste nominative de contribuables que nous gérons et qui nous permet de faire des statistiques sur tous les éléments déclarés et d’en tirer des profils d’âge et de situation de famille ou professionnelle. Si on peut repérer des personnes appelées à travailler à l’étranger dans le cadre de leur carrière, on ne peut déterminer si ce départ a été motivé ou freiné par l’existence de cette taxe. L’outil à notre disposition, encore balbutiant parce que nous manquons de recul, permet de suivre les plus-values sur quinze ans.

Mme Lorraine Aeberhardt. Je précise qu’on a enregistré 169 départs en 2011 pour un montant cumulé de plus-values d’1,890 milliard d’euros, contre 300 départs en 2012 pour un montant de 2,657 milliards.

M. le rapporteur. La donnée de 2011 ne porte pas sur l’année complète, mais sur les neuf-douzièmes de celle-ci.

Mme Lorraine Aeberhardt. En effet.

À titre d’exemple, sur les 300 foyers de 2012, 188 foyers sont redevables à l’ISF pour un montant moyen d’actifs de 13 millions d’euros, mais il faut considérer ces chiffres avec précaution car cet échantillon est réduit.

Sur les retours, la direction des non-résidents a mis en place un outil de suivi des retours des personnes assujetties à l’ISF. Ces retours se sont stabilisés depuis trois ans à une centaine de personnes, contre environ 200 en 2008-2009. Quant aux départs relatifs à l’ISF, qui sont à champ constant, ils s’élèvent à environ 500, chiffre qui est relativement stable. Mais nous n’avons pas les moyens d’évaluer les retours pour l’exit tax et l’impôt sur le revenu.

M. le président Luc Chatel. Quel est le flux du nombre d’entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés ? Il est clair, en effet, que les décisions de grands groupes de se délocaliser ont des conséquences sur cet impôt.

M. Bruno Parent. L’approche statistique sur l’impôt sur les sociétés ne permet pas de dégager une tendance : 1,4 million d’entreprises en sont redevables en France ! Bien sûr, nous avons connaissance, par la presse notamment, d’éventuelles délocalisations de sièges sociaux, mais sur la base d’une telle cohorte, il est impossible de déceler statistiquement quelque chose !

S’agissant des retours, celui qui revient de l’étranger avec un patrimoine important qui le rend redevable à l’ISF ne sera pas toujours compté dans ceux-ci car au départ il n’y était peut-être pas assujetti. Le fait qu’un contribuable ait accru son patrimoine après un séjour à l’étranger est un phénomène économique digne d’intérêt, mais on ne peut le voir dans nos chiffres. Comme vous, c’est un exemple de plus de l’humilité dont on fait preuve à l’égard des questions que nous nous posons, comme vous.

Pour progresser dans la connaissance de ces phénomènes, je ne vois guère d’autre moyen que d’imposer de nouvelles obligations déclaratives, mais est-ce souhaitable sachant qu’il y a un équilibre à trouver, surtout dans le contexte actuel de simplification que chacun appelle de ses vœux. Vous le savez, l’administration sait inventer des dispositifs déclaratifs de toute nature. Il revient à la représentation nationale d’en juger.

M. Frédéric Lefebvre. Le dispositif de l’exit tax a été mis en place par le précédent Gouvernement et poursuivi voire durci par l’actuel. Nous sommes donc censés avoir un consensus au sein de notre assemblée sur une telle mesure.

Mais lorsque j’étais membre du précédent Gouvernement, je m’étais inscrit en faux contre cette démarche, que je réprouve dans son principe. En effet, vous venez de le dire : l’administration fiscale invente en permanence avec le Parlement des mesures contraignantes alors que nous sommes dans un champ concurrentiel et qu’il ne serait pas absurde de réfléchir à des dispositifs attractifs, notamment quand il s’agit d’acteurs économiques, comme c’est le cas pour l’exit tax. Je rencontre ainsi régulièrement par exemple des jeunes Français créateurs de start-up, qui ont décidé que ce n’était plus en France qu’il fallait faire prospérer leurs idées et leurs entreprises afin de ne plus réaliser leurs plus-values en France. Or cette déperdition pour notre pays n’est pas mesurable et vous ne la mesurerez jamais.

Je suis frappé par le côté inquisitorial de votre démarche, qui caractérise aussi celle de cette commission d’enquête. En témoigne votre interrogation sur de nouvelles obligations déclaratives à l’heure de la simplification. Dans un monde et une économie globalisés, il faut au contraire essayer d’être plus attractif.

De plus, on a tendance à considérer qu’un citoyen qui reste en France, y gagne de l’argent et y paie des impôts est bon citoyen alors que celui qui décide de partir à l’étranger est mauvais citoyen, ce qui correspond à une logique de culpabilisation.

Or, j’aimerais vous faire une liste non exhaustive des situations d’injustice fiscale dans lesquelles sont plongés nos compatriotes à l’étranger, dont beaucoup y sont sans l’avoir vraiment choisi, sur ordre de leur entreprise notamment. Ils sont pourtant assujettis à la CSG-CRDS sur les plus-values immobilières ou les revenus fonciers. Soit ils laissent leur logement vacant et ils doivent faire face au système de taxe sur les logements vacants instauré par la loi Duflot, soit ils louent afin souvent de payer les études parfois très chères de leurs enfants à l’étranger et ils se retrouvent avec 100 % d’augmentation de ce qu’ils ont à payer sur les revenus fonciers. Et s’ils décident de le vendre, ils ont 50 % d’augmentation sur la plus-value. Alors qu’une procédure européenne est dirigée contre la France – le secrétaire d’État chargé du budget a accepté de me permettre d’animer un groupe de travail à ce sujet pour trouver une solution, la condamnation de notre pays paraissant inévitable –, nous sommes dans un phénomène de quasi-traque à l’égard de personnes honnêtes qui n’essaient pas d’échapper à l’impôt ou de quitter définitivement la France. D’autant que les États-Unis et le Canada ne sont pas des paradis fiscaux : il suffit de comparer ce que paie un citoyen français vivant à New York en impôts et taxes par rapport à ce qu’il paierait à Paris pour s’en rendre compte.

Parmi les autres dispositifs dissuasifs, on peut citer aussi le « Scellier-Duflot », le fait que certaines charges ne sont plus déductibles, comme les pensions alimentaires. Sans parler de la fiscalité sur les retraites : j’observe aux États-Unis un phénomène qui se développe, celui de ceux que j’appelle les « prisonniers de la retraite », qui tout au long de leur carrière ont travaillé à l’étranger avec la volonté de revenir en France prendre leur retraite, mais qui, du fait de l’exit tax américaine ajoutée à tout ce que nous avons inventé, ne peuvent plus le faire, sinon ils n’ont plus les moyens de vivre décemment.

On pourrait également évoquer le dispositif sur les représentants fiscaux accrédités pour les déclarations de plus-values – que l’on pourrait faire évoluer comme l’ont fait d’autres pays européens –, la redevance audiovisuelle imposée à nos expatriés alors que la France, contrairement à la BBC, trouve le moyen d’empêcher l’accès depuis l’étranger aux programmes de France Télévision, mais aussi la dernière mesure inventée par le Gouvernement en matière de bourses, qui intègre les droits à la retraite acquis dans un système de retraite par capitalisation à l’étranger dans les revenus pour déterminer s’ils ont droit à celles-ci. Certains sont de ce fait dans l’incapacité de scolariser leurs enfants.

Avec tous ces dispositifs, c’est donc tous ceux qui veulent simplement réussir et porter l’image de la France dans le monde, ou qui partent sans l’avoir choisi, qui se trouvent pénalisés par une jungle fiscale inquisitoriale, fondée sur la contrainte plutôt que l’attractivité.

M. Bruno Parent. Beaucoup d’éléments de votre description relèvent de la législation, qu’il ne m’appartient pas de commenter davantage.

Si les termes « inquisitorial » et « quasi-traque » portaient sur le comportement de l’administration, mais je ne crois pas que cela soit le cas, ils me paraîtraient pour le moins inappropriés.

En matière d’attractivité, un certain nombre de dispositifs ont été adoptés par le Parlement, notamment s’agissant des impatriés. Ces dispositions accordent à une dizaine de milliers de salariés, d’origine étrangère notamment, des facilités fiscales importantes en matière d’impôt sur le revenu en particulier ; elles vont probablement contribuer à l’implantation de sièges sociaux ou au gonflement des effectifs au sein de sièges existant déjà. Il appartient aux responsables politiques de réfléchir à ce qui peut être fait de plus dans ce domaine si cela leur paraît souhaitable.

Quant à la taxe sur les logements vacants, qui n’est pas de la même ampleur que la législation sur les plus-values, elle est ancienne et ne date pas de la loi Duflot : elle s’applique d’ailleurs indifféremment aux expatriés et aux autres citoyens – sachant que beaucoup de circonstances de la vie font que, sans quitter le territoire national, on peut être amené à laisser un logement vacant. Cela ne me semble pas spécifique aux Français expatriés.

M. Frédéric Lefebvre. Quand vous ne pouvez plus louer un bien, le vendre ou le laisser vacant, il n’y a plus de choix.

Si je mets en cause la législation, et non les fonctionnaires, il ne vous a pas échappé que le devoir de l’administration est de faire des études d’impact, qui sont obligatoires. Or, ce que l’on constate est l’incapacité de celle-ci à mesurer l’impact des dispositifs fiscaux, alors que son rôle serait d’alerter le Gouvernement et le Parlement au travers de ces études sur les dangers de mesures pouvant être prises à l’aveugle. Ce doit être la responsabilité de l’administration aujourd’hui. Ces études sont souvent très mal faites et l’administration n’est pas à même de nous dire l’effet des législations appliquées depuis trois ou quatre ans. Ne devrait-on pas considérer, dans un pays démocratique, lorsqu’on a un dispositif dont un certain nombre de capteurs montre les effets négatifs et dont on est incapable de mesurer l’impact exact, qu’il y a lieu de se poser certaines questions. Bref, je dénonce un système dans lequel Parlement et Gouvernement inventent des dispositifs, pour faire de l’affichage, qui sont soi-disant plus contraignants mais ont des effets négatifs qu’on est incapable de mesurer et dont on ne se donne pas les moyens pour le faire.

M. Bruno Parent. Vous dites qu’on est incapable de les mesurer – ce que nous avons admis avec humilité et transparence, notamment aujourd’hui – et qu’on ne s’en donne pas les moyens. C’est sur ce dernier point que je veux réagir. Depuis le temps que ces questions sont posées par tout le monde, s’il y avait une manière simple d’y répondre avec sérieux, nous nous en serions tous emparés.

M. Frédéric Lefebvre. Il y en a : changeons de logique et entrons dans une société de confiance en essayant d’être attractifs sur le plan fiscal ! C’est le cas du rescrit par exemple, qui est vécu par l’administration comme quelque chose de terrible. Je sais combien, lorsque j’étais ministre et devais conduire des réformes, j’ai rencontré d’oppositions au sein de l’administration, car le rescrit oblige celle-ci à se prononcer à l’avance. Au lieu d’avoir des textes clairs et de chercher l’attractivité et la confiance, on construit la société que l’on connaît, avec une sorte de police fiscale, alors qu’on ne pourra jamais être suffisamment contraignant dans un monde libre pour empêcher tel ou tel contribuable de quitter notre pays.

M. le rapporteur. Contrairement à ce que vous venez de dire, monsieur Lefebvre, j’ai l’impression que beaucoup de pays européens et les États-Unis contrôlent étroitement leurs citoyens. J’ai d’ailleurs souhaité qu’on s’inspire du système américain avant de me rendre compte combien c’était difficile. Rappelons que les citoyens américains payent leurs impôts aux États-Unis quel que soit leur lieu de résidence, sachant que leur police fiscale est extrêmement puissante, comme l’a montré l’affaire UBS, et que les sanctions y sont beaucoup plus sévères que chez nous. La France ne doit donc pas être présentée comme un pays de persécution, de complexité ou de dureté.

Avez-vous des discussions avec les autres administrations fiscales des pays européens sur leur fonctionnement, sachant qu’on peut se nourrir aussi des bonnes pratiques ? En tant que rapporteur du projet de loi sur la fraude fiscale, j’ai constaté que, malgré des progrès, nous restons parfois très en retrait par rapport aux pratiques de certains de nos partenaires.

M. Marc Goua. Je voudrais intervenir dans le sens du rapporteur. Pour avoir travaillé dans le monde des finances, je ne pense pas qu’il y ait d’inquisition particulière dans notre pays. Et des exemples récents montrent que le modèle d’un pays des Bisounours appliqué à la fiscalité n’est pas valable. Il ne s’agit pas naturellement de décourager nos ressortissants d’aller investir à l’étranger ni les investissements étrangers en France, mais faisons attention à ne pas présenter notre administration comme particulièrement dure, difficile et interprétant à sa manière les textes que nous avons adoptés

M. le président Luc Chatel. Pouvez-vous nous communiquer les données sur les sièges sociaux ?

M. Édouard Marcus, sous-directeur des affaires européennes et internationales. La comparaison internationale est rendue complexe par le fait que, d’abord, on ne compare pas seulement des mesures fiscales, mais des contextes généraux de situations, de services publics ou de charges, parmi lesquelles on peut distinguer les charges sociales, fiscales ou d’éducation.

Par ailleurs, nous sommes dans un contexte très ouvert, où la circulation est rendue possible par des moyens matériels, financiers et juridiques dans l’Union européenne, alors que parallèlement les systèmes fiscaux ne sont pas forcément harmonisés.

Dans ce contexte, comment les choses se présentent-elles ?

Il faut donc regarder chaque dispositif isolément. Le système français comporte des mesures d’attractivité ou de compétitivité, soit parce qu’elles ont été conçues en ce sens ou aboutissent à de tels effets, mais dans d’autres cas, d’autres pays sont plus attractifs ou compétitifs. Dans la pratique, tout cela dépend des situations et les choses peuvent beaucoup varier en fonction des facteurs pris en compte par les différents systèmes fiscaux.

Si les fiches d’impact peuvent parfois décevoir, on passe pourtant beaucoup de temps à les élaborer. L’ensemble des conséquences des objectifs de la politique fiscale est pris en compte par elles, mais ce travail n’est pas simple. Et des groupes de travail comme celui que M. Eckert a annoncé sur les Français de l’étranger permettent d’approfondir certains sujets avec les parlementaires.

À côté du dispositif des impatriés – pour lequel existent des dispositions empêchant une présence sur le territoire à éclipses en vue de bénéficier du système – prévalent des régimes pour ceux qui étaient résidents et ne le sont plus. Si la France dispose de l’exit tax, dans plusieurs autres pays existent des dispositifs ayant le même objet. Tel est le cas de l’impôt américain sur la nationalité, qui permet de suivre fiscalement à vie les nationaux américains à certaines conditions naturellement. En Allemagne, en Italie et en Espagne, des systèmes permettent de continuer à suivre fiscalement les anciens résidents sous certaines conditions, allant du type de territoire où ils vont au lien avec le territoire de départ – au même titre que notre régime d’exit tax.

S’agissant du suivi, nous vous remettrons une fiche détaillée sur les systèmes étrangers, mais en Allemagne, les Länder transmettent chaque année au ministère des finances le nombre de personnes soumises au système de résidence continue, c’est-à-dire qui sont à l’étranger mais continuent d’être considérées comme quasi-résidents en Allemagne : il y en aurait une centaine par an.

M. Bruno Parent. Nous regarderons ce que nous pourrons vous transmettre sur les sièges sociaux.

Il existe en fait trois types de régimes : le régime américain, qui pratique une sorte d’impôt mondial, qui n’est pas dans la tradition juridique française ; les régimes intermédiaires, dans lesquels, lorsque les gens partent, on fait comme s’ils étaient encore là pendant un certain temps ; le régime français, que vous connaissez. Ce sont donc vraiment des choix de politique fiscale très profonds qui sont sous-jacents à ces questions.

Enfin, je précise que l’administration fiscale est très favorable au rescrit, depuis de longues années. Nous regrettons seulement que les dispositifs de rescrit promus par nous ne soient pas davantage utilisés. Cette mesure qui engage l’administration – même si elle commet une erreur – et qui sécurise le contribuable est indispensable. Il n’y a aucune hésitation là-dessus. J’ai moi-même publié beaucoup d’articles en ce sens lorsque j’étais directeur général des impôts.

M. le rapporteur. J’aimerais que vous me fassiez parvenir une note sur la manière dont on pourrait élaborer des obligations déclaratives de sortie, sans revenir forcément au dispositif supprimé en 2004.

M. le président Luc Chatel. Je vous remercie.

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* *

Audition du 16 juillet 2014

À 17 heures 15 : M. Arnaud Vaissié, président de International SOS (société basée à Londres) et président de l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (UCCIFE).

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui M. Arnaud Vaissié. En tant que fondateur et président d’International SOS, groupe dirigé depuis Londres, Singapour et Paris, et en tant que président des Chambres de commerce et d’industries françaises à l’international, il connaît bien les questions liées à l’expatriation et pourra nous parler de l’exil de nos forces vives.

Monsieur le président, nous avons évoqué ce matin le phénomène de l’exil fiscal avec le directeur général des finances publiques. Nous aimerions nous entretenir avec vous de la délocalisation des centres de décision et du départ à l’étranger des dirigeants de groupes internationaux, de PME ou des créateurs d’entreprises. Quitter notre territoire pour conquérir le monde est bénéfique, mais devient préoccupant lorsque ce départ est subi et contraint.

Avant de vous donner la parole, et conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, vous devez prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Arnaud Vaissié prête serment.)

M. Arnaud Vaissié, président d’International SOS et de CCI France International. Monsieur le président, mesdames et messieurs, je suis heureux de participer aux travaux de votre commission d’enquête et vous remercie de votre invitation.

J’ai passé en effet plus de vingt-cinq ans à l’étranger : d’abord aux États-Unis, en travaillant pour le compte d’un groupe français puis d’un groupe allemand, ensuite en créant mon propre groupe International SOS, à Singapour, en 1985. Ce dernier est devenu aujourd’hui le leader mondial de l’assistance médicale et de la sécurité. Je suis resté trois ans aux États-Unis, puis treize à Singapour et dix en Grande-Bretagne, avant de revenir en France il y a quatre ans. Mais je continue à travailler, au moins la moitié de mon temps, à l’étranger, surtout en Grande-Bretagne.

Je me suis beaucoup investi dans les activités françaises à l’étranger : l’Alliance française que je dirigeais à Singapour, j’ai été conseiller du commerce extérieur de la France, et j’ai présidé la chambre de commerce et d’industrie française de Londres. Je dirige maintenant le réseau des Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger. Il s’agit d’un réseau de 113 chambres de commerce, implanté dans 83 pays, extrêmement influent dans le monde, avec 32 000 entreprises adhérentes, dont la moitié est française et l’autre moitié locale. Sa vocation est de représenter les intérêts économiques français à l’étranger et d’aider les PME à l’exportation. C’est un excellent poste d’observation de ce qui se passe à l’étranger, et en particulier en Grande-Bretagne, où j’ai dirigé la chambre de commerce pendant six ans.

Par ailleurs, les écoles y sont maintenant sous la responsabilité de la chambre de commerce, qui en nomme le président et c’est moi-même, en tant que représentant de la chambre de commerce française, qui dirige le collège français bilingue ainsi que le nouveau lycée qui va s’ouvrir à Londres. Les écoles sont un point de focalisation et de passage
– souvent obligé – pour tous les Français qui bougent.

Mais venons-en à International SOS, dont le métier est de gérer la santé et la sécurité pour les multinationales et les gouvernements en dehors des pays d’origine. Notre plus grand client est le département de la défense américain, pour lequel nous gérons la santé de tous les soldats américains dans le monde. En France, nous gérons la santé et la sécurité de 80 % des groupes du CAC 40. Nous sommes présents nous-mêmes dans 75 pays.

Ce groupe, avec 11 000 cadres, emploie un millier de Français, répartis entre notre filiale française et le reste du monde. Le personnel du groupe est composé pour moitié de médecins, et pour moitié de cadres sortis de grandes écoles ou universités du monde entier. Nous réalisons chaque année une dizaine de milliers d’entretiens d’embauche avec des Français.

D’un autre côté, nous avons constaté que nos chambres étaient de plus en plus souvent sollicitées par des jeunes, mais aussi par des seniors, qualifiés et non qualifiés, qui venaient frapper à nos portes pour trouver un travail. Si le nombre de ces personnes a augmenté considérablement, c’est parce qu’elles ont le sentiment que le marché du travail à l’étranger, en Europe – en particulier en Europe du Nord – est infiniment plus favorable que le marché du travail en France. Nous essayons de répondre le mieux possible à cette demande, au travers des services de recrutement que les chambres de commerce ont mis en place dans 48 pays – d’ailleurs souvent en délégation de service public de l’État français et des services consulaires du ministère des Affaires étrangères.

Par tradition, la population française est beaucoup moins ouverte à l’étranger que, par exemple, la population britannique. Pendant très longtemps, les Français n’aimaient pas partir à l’international, non seulement parce que le mode de vie est plus agréable en France, mais aussi par manque de connaissance de l’étranger, en raison d’une vraie crispation vis-à-vis de la mondialisation et d’une insuffisante maîtrise de l’anglais. Cette dernière semble d’ailleurs perdurer. Il ressort en effet d’une enquête publiée en décembre 2013 par le journal Le Monde que nous soyons les derniers de tous les pays européens en ce domaine, et même que notre niveau d’anglais baisse d’année en année.

Malgré tout, la situation change, du fait de la globalisation et de l’accroissement des échanges. Le monde s’internationalise et partout, les gens sont de plus nombreux à sortir de leur pays d’origine, ce qui est une bonne chose. On note en France une augmentation régulière d’environ 2 % par an. Aujourd’hui, il y a 2,5 millions de Français à l’étranger
– 1,6 million d’immatriculés, et environ 900 000 de non immatriculés. En Grande-Bretagne, il y aurait au moins 350 000 Français – dont un peu moins de la moitié sont immatriculés.

Ces départs étaient jusqu’à présent motivés par des raisons professionnelles et d’éducation. Maintenant, ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, si l’on y trouve du travail, il est plus facile de s’installer à Londres qu’à Lyon – il y a moins de papiers à remplir. Il n’y a plus aucun barrage à la mobilité. C’est ce que nous avons tous voulu, à travers l’Union européenne. Mais ce qui est préoccupant, c’est que cette expatriation touche maintenant toutes les tranches d’âge et toutes les catégories socioprofessionnelles. Historiquement, les expatriés étaient des cadres d’entreprise ou des fonctionnaires envoyés à l’étranger. Ce sont maintenant surtout des gens qui sont venus trouver un emploi local à l’étranger. À Londres, les Français qui travaillent pour des entreprises françaises constituent aujourd’hui une petite minorité.

Parmi les Français qui s’installent à l’étranger, toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées, depuis les non qualifiés qui ne trouvent pas de travail en France – en partie en raison de la concurrence des personnes qualifiées et du haut niveau du SMIC – jusqu’aux cadres dirigeants de grands groupes. De plus en plus souvent, les membres des comités exécutifs de grands groupes français ne rentrent plus en France
– en partie pour des raisons fiscales. Cela a un aspect positif pour les groupes, qui sont de plus en plus internationaux, mais un aspect négatif pour notre pays, qui n’est plus leur centre d’intérêt. À partir du moment où l’on ne vit pas en France, on a tendance à privilégier les investissements dans les pays où les conditions d’investissement sont les meilleures ; or aujourd’hui, la France n’est clairement pas la mieux placée de ce point de vue. Si le centre des décisions n’est plus à Paris ou en France, la probabilité que les décisions se fassent en faveur de la France diminue. Et ce risque est réel.

Il en est de même parmi nos jeunes. Dans 23 % des cas, le premier emploi occupé par les diplômés d’écoles de commerce membres de la Conférence des grandes écoles est basé à l’étranger – soit une accélération extraordinairement rapide. De la même façon, les élèves de terminale du lycée français de Londres, qui est réputé comme étant un des meilleurs, si ce n’est le meilleur lycée français à l’étranger, partent à 80 % dans l’enseignement britannique ou international. Ils ne rentrent plus en France pour intégrer, comme c’était traditionnellement le cas, des classes préparatoires ou les meilleures universités.

Quelles sont les raisons de ces expatriations ? Pour les jeunes, le job et les perspectives de carrière. Pour ceux qui ont des salaires élevés, des responsabilités importantes ou de la fortune, essentiellement la fiscalité. Aujourd’hui, l’écart de fiscalité est devenu si grand entre la France et n’importe quel autre pays de l’Union européenne que la proportion de ceux qui décident de partir ne cesse d’augmenter. Et le phénomène ne va pas s’arrêter là.

Prenons l’exemple des stock-options et des actions. Aujourd’hui, mon groupe distribue gratuitement des actions aux salariés. Entre la même action distribuée à un salarié basé en Belgique, en Grande-Bretagne, en Allemagne et à un salarié basé en France, l’écart de fiscalité est de un à quatre. Cela signifie, plus généralement, qu’une action gratuite ou une stock-option accordée à un cadre français a relativement peu d’intérêt pour lui, alors que c’est un élément essentiel pour un cadre basé dans les autres pays de l’Union européenne – et je ne parle même pas du reste du monde. C’est extraordinairement préoccupant, dans la mesure où cet écart touche des cadres à haute responsabilité, dont le déplacement s’accélère vers les pays proches, comme la Suisse, la Belgique ou la Grande-Bretagne, mais aussi maintenant vers le grand international. C’est clairement l’indication d’une baisse d’attractivité et de compétitivité du territoire national.

La France se vante, à juste titre, du crédit impôt recherche – CIR – qui a permis que de nombreux centres de recherche étrangers soient présents en France. Ces derniers ont été attirés par un avantage fiscal – d’ailleurs très coûteux pour nos finances publiques. Mais ce qui est valable dans un sens est valable dans l’autre sens : si l’on impose à nos dirigeants et nos cadres supérieurs une fiscalité beaucoup plus lourde en France qu’à l’étranger, on les pousse à quitter notre territoire.

Le cas des jeunes me semble moins préoccupant. L’internationalisation de notre jeunesse est un plus. En revanche, il faut créer les conditions de leur retour, pour éviter qu’ils ne se détachent du pays. Comment ?

D’abord, il est absolument essentiel de continuer à développer le réseau des écoles françaises à l’étranger, qui coûte extrêmement peu aux finances publiques et a pour avantage de garder les familles dans la sphère culturelle française. Les enfants qui ne sont plus dans un système scolaire français parlent notre langue avec un accent et on peut dire que, culturellement, ils ne sont plus là. La France est souvent pour eux le pays des vacances, mais ce n’est plus le pays au centre de leur vie. Les enfants qui sont allés dans les lycées français se sont créé des valeurs françaises, des amis français, et nous avons une chance de les récupérer. Voilà pourquoi il faut faire vivre le réseau des écoles françaises à l’étranger, alors que ce n’est pas la tendance du moment. Par exemple, il est très difficile d’obtenir des détachements de professeurs français pour partir à l’étranger.

Ensuite, il faut davantage valoriser les expériences acquises à l’étranger, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, notamment dans les entreprises. Et si le retour ne se fait pas dans de bonnes conditions, le risque est qu’il n’y ait pas de retour.

Le départ des élites est préoccupant quand il est lié à des raisons fiscales que l’on pourrait éviter. En revanche, c’est une bonne chose dans la mesure où il permet d’internationaliser le pays. Mais alors, il faut créer des conditions de fluidité : accepter que les gens partent et qu’ils reviennent. Aujourd’hui, le risque est que les gens partent et restent à l’étranger.

Enfin, la France crée beaucoup de sociétés nouvelles, de start-ups. Mais il y a un vrai risque de flipping : dès que la société est de bonne qualité, elle installe sa maison mère en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. C’est de plus en plus fréquent, et aucun texte réglementaire ne pourra l’empêcher. La seule façon de l’empêcher est d’augmenter l’attractivité et la compétitivité françaises.

Vous devez réaliser que ce qui s’est passé au cours des trois dernières années sur le plan fiscal a créé un tel décalage entre la France et ses voisins qu’aujourd’hui les conditions de ces départs sont réunies, et qu’il n’y a aucune raison qu’ils se ralentissent.

M. le président Luc Chatel. Vous avez bien résumé la situation. L’internationalisation de la France renforce notre compétitivité dans un contexte de concurrence mondiale, et il est bon que nos jeunes aillent davantage étudier à l’étranger pour se préparer au monde de demain. Mais s’ils y restent, ce sera pour notre pays un manque à gagner en termes d’investissements, de croissance, de valeur ajoutée, d’innovation, etc.

Vous avez fait à plusieurs reprises référence à notre fiscalité. Quelles seraient donc les mesures fortes à prendre dans le domaine fiscal, pour que la France redevienne un pays attractif ?

Vous avez ensuite remarqué que la proportion des gens qui s’adressaient aux chambres de commerce françaises à l’étranger augmentait. Le phénomène est-il récent ? Je vous précise que, pour éviter toute polémique, notre travail porte sur la période 2004-2014. L’exit tax a été instaurée sous le quinquennat précédent ; quant au renforcement de la fiscalité, il a commencé sous le quinquennat précédent, pour s’accélérer sous celui-ci. Nous souhaitons nous faire une idée précise de la situation réelle pour y apporter les remèdes nécessaires. Avez-vous des éléments à nous fournir ?

M. Arnaud Vaissié. Le problème est que l’écart fiscal existe pour toutes les catégories d’impôt mais il ne touche pas les contribuables avec un salaire intermédiaire. Il concerne donc essentiellement les salaires relativement élevés, ceux qui ont du capital et les start-ups.

Aujourd’hui, celui qui a du capital et veut vendre son entreprise a intérêt à quitter la France avant de le faire. La fiscalité applicable en France est sans commune mesure avec celle qui est applicable en Grande-Bretagne ou dans les autres pays de l’Union européenne. L’écart est fort, au point que l’on peut dire que la fiscalité française sur le capital est décorrélée de celle de l’Union européenne. Or nous avons instauré la libre circulation des hommes et des biens au sein l’Union européenne, et le bon sens voudrait qu’en matière de fiscalité sur le capital, l’écart n’excède pas 20 % par rapport aux Allemands, aux Britanniques ou à la moyenne des pays européens. Dans le cas particulier de la fiscalité des actions distribuées aux salariés, l’écart atteint même 80 % ! Il faut revenir sur les textes, qui ont extrêmement peu d’impact fiscal en France, mais un impact absolument déplorable sur l’attractivité du territoire.

Le raisonnement est le même, s’agissant de l’impôt sur les sociétés. Celui-ci est maintenant décorrélé de celui des Britanniques. Le taux français est de 37 % et atteint presque le double du taux britannique, qui est de 20 %. Un tel écart fait qu’un chef d’entreprise responsable doit réfléchir à la localisation de son groupe. Je le dis d’autant plus facilement que j’ai fait rentrer mon groupe en France – ce qui n’est peut-être pas la meilleure décision que j’ai prise.

Enfin, les charges sociales représentent en France 50 %. La seule chose que regarde une entreprise qui embauche un grand cadre est son coût total pour l’entreprise. 50 % de son salaire partira en charges sociales, ce qui n’existe ni en Allemagne, ni Grande-Bretagne, ni dans les autres pays.

On peut se permettre d’avoir un écart sur un de ces impôts, mais pas sur tous. Or, aujourd’hui, l’écart nous est à chaque fois défavorable. Il faut donc s’attaquer à la fiscalité du capital et à celle des hauts salaires. Je sais que ce n’est pas populaire en ce moment, mais il faut savoir que tous nos grands groupes sont en train de réfléchir à propos de leur implantation. En outre, lorsqu’un départ a eu lieu, le retour est extraordinairement improbable. Il faut donc réagir avant que les groupes ne soient partis. Aujourd’hui, la situation est très préoccupante.

Peu de gens réalisent que depuis trois ans – les douze derniers mois du précédent quinquennat et les deux premières années de celui-ci – l’accroissement de la fiscalité a touché les mêmes catégories, à savoir les entreprises et les hauts salaires, et que ces augmentations cumulées ont abouti à créer l’écart que je viens de dénoncer. Le problème est que le départ des entreprises et des hauts responsables ne peut avoir que deux conséquences : une diminution de l’investissement et une augmentation du chômage.

Le Cercle d’outre-Manche vient de sortir un rapport intitulé « la France et le Royaume-Uni face à la crise ». Il en ressort que la Grande-Bretagne – qui connaissait la crise la plus sévère – a engagé une politique faite de mesures en faveur de l’investissement, de réduction des dépenses publiques, et très prudente face à l’impôt. Les résultats sont aujourd’hui spectaculaires : une croissance de plus de 3,5 % et un taux de chômage de 6 %. Nous avons adopté exactement la politique inverse, pour les résultats que nous connaissons. Je précise que la période étudiée couvre les années 2008-2014.

M. le président Luc Chatel. S’agissant des grands groupes, vous avez décrit un mécanisme consistant à maintenir des directions presque « fantoches » en France, pendant que les dirigeants sont basés en Grande-Bretagne.

M. Arnaud Vaissié. Je ne disais pas « fantoches ». J’ai dit que le fait qu’un certain nombre des postes du comité exécutif ne sont plus basés en France était une tendance forte.

M. le président Luc Chatel. Sans que cela se justifie par des responsabilités opérationnelles dans le pays d’accueil ?

M. Arnaud Vaissié. Absolument. Aujourd’hui, tout membre du comité exécutif d’une entreprise multinationale voyage plus de 50 % de son temps. Il peut donc être basé où il veut ; traditionnellement, il l’était en France. L’internationalisation explique que ces cadres soient de plus en plus nombreux à se baser à l’étranger. Mais cela ne suffit pas à expliquer l’accélération du phénomène. La plupart des groupes sont en train de délocaliser un certain nombre de leurs fonctions dans les pays limitrophes ou au grand international.

M. le président Luc Chatel. Avez-vous des exemples de groupes, de sièges, de directions importantes, de cadres importants de grandes entreprises qui se soient déplacés à Londres ?

M. Arnaud Vaissié. Je ne peux pas vous en donner, mais on en entend parler régulièrement, notamment dans la presse. Leur nombre est extrêmement important. Une grande partie de nos plus grands groupes sont concernés.

M. le président Luc Chatel. Vous avez noté une accélération du phénomène.

M. Arnaud Vaissié. Une accélération remarquable, et pas uniquement à Londres. On peut s’attendre à ce que de plus en plus de présidents de nos groupes se fixent en Asie, dans le continent nord-américain, en Europe en dehors de France, un peu partout. La proportion devient forte. Elle est totalement justifiée par le business, mais accélérée par la fiscalité.

M. le président Luc Chatel. A contrario, la Grande-Bretagne est-elle un modèle d’attractivité ? A-t-elle mis en œuvre une stratégie d’accueil des centres de décision et des cadres dirigeants des grandes multinationales ?

M. Arnaud Vaissié. Je passe ma vie à voyager et je peux vous répondre que tous les grands pays sont obsédés par leur attractivité, que ce soit Singapour, les États-Unis, la Grande-Bretagne ou les pays d’Europe du Nord. C’est le problème numéro 1 des dirigeants de ces pays. La France est en vrai décalage, dans la mesure où l’attractivité du territoire n’est pour elle qu’un problème parmi d’autres.

Ce fut l’obsession des gouvernements britanniques successifs depuis Margaret Thatcher, suivie par M. Tony Blair qui a passé dix ans à transformer la Grande-Bretagne en un pays attractif, lui-même suivi par M. David Cameron. Aujourd’hui, par exemple, l’impôt sur les entreprises n’est qu’à 20 %, et il est possible d’investir dans les entreprises innovantes jusqu’à hauteur de 1,2 million d’euros par an, avec 75 % de déduction fiscale. Mais la Grande-Bretagne n’est pas un cas unique. De façon systématique, tous les grands pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, etc. mènent des politiques publiques favorables à l’innovation ou à la fiscalité des entreprises.

Nous avons subi, entre 2004 et 2014, un terrible effet de ciseau. En 2004, nous n’étions pas si loin des autres pays, mais au cours des dix dernières années, les politiques fiscales en faveur des entreprises ont été massives chez tous nos pays amis et concurrents, pendant que la France poursuivait la stratégie exactement inverse. D’où cet écart qui est devenu dangereux, et qui explique la création même de votre commission d’enquête.

Mme Monique Rabin. Je n’ai pas de question particulière à vous poser, mais je tiens à vous remercier pour votre intervention, qui a bien fait ressortir les défis auxquels nous sommes confrontés, en termes de mobilité, de fiscalité des entreprises et de financement de l’innovation.

M. le président Luc Chatel. Vous avez dit tout à l’heure que, pour un citoyen qui venait de trouver du travail, les procédures administratives étaient plus simples à Londres qu’à Lyon. Il se trouve que le Gouvernement vient de lancer un chantier sur la simplification, et que l’Assemblée nationale est en train de discuter d’un projet de loi portant sur le sujet. Selon vous, la France est-elle handicapée en ce domaine par rapport à la Grande-Bretagne ou à l’Union européenne ?

Par ailleurs, j’ai cru comprendre que certaines banques d’affaires, certains avocats fiscalistes ou conseillers harcelaient les grandes entreprises et leurs dirigeants pour faire en sorte qu’ils se localisent ailleurs qu’en France. Avez-vous des informations à ce propos ?

M. Arnaud Vaissié. En matière de simplification, nous avons beaucoup de travail à faire. Pour établir une entreprise en Grande-Bretagne, en Suisse ou en Allemagne, la plupart du temps on ne vous demande rien, pas même un papier.

M. le président Luc Chatel. Nous avons fait beaucoup de progrès en France. Il est possible d’y créer une entreprise en huit jours, sans quasiment de formalités ni d’argent.

M. Arnaud Vaissié. Absolument.

Une étude américaine, qui est passionnante, tend à prouver que l’emploi net créé aux États-Unis au cours des dix dernières années l’a été exclusivement par les entreprises de moins de cinq ans. L’augmentation de l’emploi n’est plus assurée, comme on le dit souvent, par les PME, ni par les grands groupes, comme on le dit toujours, mais par les entreprises qui se créent et grandissent. Pendant les cinq premières années, leur rythme de croissance est souvent très rapide, c’est là où la création nette d’emplois a lieu.

Certes, nous avons fait des progrès considérables mais, en même temps, les autres pays ont couru encore plus vite. Par exemple, les pépinières d’entreprises de Grande-Bretagne, dans le grand Londres, à Manchester ou à Cambridge, font preuve d’une créativité tout à fait remarquable. En France, en matière de création, la liaison université-entreprises s’est améliorée, mais est encore à des années lumière de ce qui se fait dans beaucoup d’autres pays. Or c’est elle qui permet la création et l’innovation.

En matière de simplification, nous avons encore beaucoup à faire. Mais au-delà, nous devons revoir l’attitude de l’administration. En dix ans, M. Tony Blair est parvenu à faire qu’aujourd’hui, l’administration britannique se soit mise au service des entreprises. Aucun fonctionnaire britannique n’ignore qu’il sera jugé à l’aune de sa capacité à aider celles-ci. L’administration a procédé à la digitalisation de nombreuses fonctions, plus rapidement qu’en France et en y consacrant des investissements bien plus conséquents.

Ainsi l’écart de simplification est-il très fort entre la Grande-Bretagne et la France. Cela explique qu’aujourd’hui l’investissement étranger est au moins deux fois plus important en Grande-Bretagne qu’en France, et que, là encore, l’écart augmente. Le fait que la Grande-Bretagne n’ait pas adopté l’euro aurait pu constituer un risque pour elle en matière d’investissements étrangers. Mais son cadre juridique, administratif et fiscal est tellement favorable qu’elle a réussi à les attirer de façon remarquable et qu’elle continue à le faire.

Le problème n’est pas que nous soyons ou non dans la bonne direction ; je pense que nous y sommes. Il est dans la rapidité à laquelle nous procédons. Tous les pays sans exception sont en train de simplifier. Nous participons à cette course à la simplification, mais je pense que nous pourrions courir encore plus vite.

L’autre point que vous avez abordé est plus délicat : le métier des banques d’affaires est de proposer à leurs clients ou à leurs prospects d’optimiser leurs opérations à travers des fusions, des acquisitions, etc. On l’a vu tout récemment avec l’immense tentative d’OPA – au-delà de 100 milliards de dollars – portant sur une entreprise pharmaceutique britannique. Un Américain voulait racheter une entreprise britannique pour avoir son siège fiscal en Grande-Bretagne, où la fiscalité est plus favorable qu’aux États-Unis. Dans la pratique, les banquiers d’affaires expliquent à leurs clients quelle est la fiscalité des différents pays et leur proposent des solutions. In fine, les entreprises décident. Mais il est certain qu’aujourd’hui toutes les présentations qui nous sont faites expliquent en quoi une implantation dans un pays tiers serait plus favorable qu’en France.

Enfin, je tiens à terminer sur un sujet que nous avons peu évoqué : le réseau des écoles et lycées français à l’étranger, une chance française, que n’ont pas les autres pays. C’est une très belle réussite, obtenue avec consensus de l’ensemble des acteurs. Il faut la préserver, malgré les restrictions financières actuelles.

M. le président Luc Chatel. Merci beaucoup.

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Table-ronde du 17 juillet 2014

À 10 heures : Table-ronde réunissant des professionnels de l’immobilier de prestige : M. Philippe Bogacki (Lux-Residence), M. Laurent Demeure (président de Coldwell Banker France), MM. Émile Garcin et Philippe Boulet (Agence Émile Garcin), M. Charles-Marie Jottras (président de Daniel Féau) et M. Thibault de Saint-Vincent (président de Barnes).

M. le président Luc Chatel. Nous recevons ce matin les professionnels de l’immobilier haut de gamme de notre pays. Depuis plusieurs mois, notre commission d’enquête a eu l’occasion d’évoquer l’exil des jeunes, le départ de nos centres de décision et les questions fiscales. Si nous avons souhaité, messieurs, vous auditionner, c’est que nous avons eu vent d’un phénomène nouveau – le départ de personnes au patrimoine élevé – qui déstabilise le marché de l’immobilier.

Avant de vous laisser la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ».

(MM. Philippe Bogacki, Laurent Demeure, Émile Garcin, Philippe Boulet, Charles-Marie Jottras et Thibault de Saint-Vincent prêtent serment.)

M. Philippe Bogacki, éditeur du site et du magazine Lux-Residence. Permettez-moi tout d’abord de me présenter brièvement : travaillant dans la presse de prestige depuis une vingtaine d’années, j’ai créé un magazine en 2000, que j’ai revendu en 2003 au groupe Spir communication, filiale d’Ouest-France. Depuis onze ans, je gère les magazines et sites de prestige de ce groupe : Demeures et châteaux, Lux-Residence et Helvetissimo. Nous avons également créé il y a six ans un site d’immobilier de prestige, devenu depuis numéro un en Europe.

Nous avons effectué une enquête auprès de nos internautes. Environ 36 % des personnes y ayant répondu vivent à l’étranger ; 75 % d’entre elles ont plus de 50 ans et possèdent un patrimoine immobilier important. Nous avons aussi observé que les internautes français consultaient moins notre site qu’il y a deux ans : s’ils représentaient auparavant 85 % de notre audience, ils ne sont plus aujourd’hui que 64 %. Les internautes étrangers considèrent que les prix de l’immobilier français sont redevenus plus raisonnables et attractifs. Les lieux qui intéressent le plus les visiteurs de notre site sont la Côte d’Azur et le Var, puis la Provence, enfin Paris et l’Île-de-France. Ce n’est que dans une proportion nettement moindre que ces visiteurs s’intéressent aux chalets en montagne et aux autres régions. Il semble qu’ils aient confiance en l’avenir, s’agissant de l’acquisition d’un bien immobilier en France dans la mesure où les portefeuilles sont plus importants et où les prix ont diminué.

M. le président Luc Chatel. Ce qui nous intéresse, c’est d’appréhender le départ à l’étranger des forces vives de notre pays, c’est-à-dire de gens qui, soit du fait de leurs responsabilités professionnelles, soit de leur patrimoine, sont importants pour l’économie française. Constatez-vous dans l’exercice de votre métier des départs importants de propriétaires de maisons individuelles de grande taille ou de grands appartements parisiens ?

M. Philippe Bogacki. Je ne saurais vous répondre avec exactitude à cette question. J’ai néanmoins constaté qu’au Cap d’Antibes, où les agents immobiliers se voient demander avec insistance par les services fiscaux et autres d’enquêter sur la personnalité de leurs clients, nombreux sont ceux qui préfèrent mettre en vente leur maison pour aller voir ailleurs.

M. le président Luc Chatel. Monsieur Jottras, auriez-vous des informations à nous fournir sur le phénomène que je viens de décrire ?

M. Charles-Marie Jottras, président de Daniel Féau. Depuis plus de trente ans que j’exerce ce métier, nous voyons des gens partant à l’étranger nous confier à la vente leur résidence principale parisienne. Mais ce phénomène a évolué : nous avons tout d’abord connu une vague très importante d’exil fiscal dans les années 1980, à la suite de la création de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF). Depuis cette date, de nombreux patrons et rentiers sont partis selon un flux régulier. La dernière enquête de Challenge montre d’ailleurs, comme chaque année, que la résidence de la majeure partie des 500 fortunes professionnelles françaises ne se trouve plus en France. À l’exception des dirigeants opérationnels qui sont protégés par le statut d’outil de travail de leur patrimoine, les familles d’actionnaires détenant les sociétés ont quitté le pays. La vague de départs s’est réduite avec la création par la loi Dutreil de pactes d’actionnaires permettant la transmission et le maintien en France de sociétés familiales. Sans cette loi, la situation serait bien pire aujourd’hui.

Compte tenu du caractère polémique de la question de l’exil fiscal, nous avons réalisé une enquête, qui nous a permis d’observer que 25 % des mandats portant sur des biens d’une valeur de plus de 2 millions d’euros qui nous avaient été confiés au second semestre 2012 étaient liés à un départ à l’étranger, ce chiffre s’élevant à 44 % pour les biens d’une valeur supérieure à 7 millions d’euros. Afin que vous puissiez mesurer le phénomène de façon plus précise, je tiens à votre disposition un document retraçant l’évolution de notre stock de mandats sur les biens situés à Paris et à Neuilly au cours des années 2010-2014, en nombre et en valeur. Jusqu’à ces dernières années, le marché immobilier de luxe de Paris et de Neuilly se caractérisait par une quasi-pénurie structurelle, du fait que l’on ne construit plus de biens de qualité à Paris depuis fort longtemps.

M. le président Luc Chatel. Ce que vous appelez un « bien de qualité », est-ce un appartement de plus de deux millions d’euros ?

M. Charles-Marie Jottras. Ce montant correspond au coût moyen des appartements que nous vendons. Mais le coût d’un bien de qualité – appartement ou hôtel particulier parisien – se situe entre 1 million et 60 millions d’euros. Sur ce marché, l’offre se caractérise structurellement par une pénurie – ce qui explique que les prix aient augmenté pendant une quinzaine d’années. En tant qu’acteur dominant sur ce marché, nous disposions bon an mal an, avant 2012, d’un stock de 600 à 800 biens sous mandat. Au second semestre 2012, ce stock est monté à 1 148 biens, pour atteindre 1 317 biens au premier semestre 2013. Il a donc doublé au cours de ces deux années. En valeur, notre stock de vente moyen était de 3,7 milliards d’euros à la fin de 2011 et se situe autour de 5,4 milliards d’euros à la fin de 2013.

M. le président Luc Chatel. La valeur a donc suivi le volume ,

M. Charles-Marie Jottras. Tout à fait. Quant à la valeur médiane de notre stock de mandats, elle se situe entre 2,1 et 2,4 millions d’euros. Mais, depuis le deuxième semestre de l’année 2013, elle a baissé de 10 %, passant de 2,25 millions à 1,98 million d’euros. Cette évolution est révélatrice de la baisse des prix observée sur le marché du haut de gamme, et contraste avec celle du prix de vente moyen des appartements parisiens, qui s’élève à 430 000 euros. Cette baisse de 10 % est certainement liée à l’augmentation de notre stock, elle-même liée aux départs à l’étranger d’investisseurs et de financiers disposant d’un patrimoine important.

Enfin, à partir de 2012, l’évolution de la fiscalité des revenus du capital et des plus-values sur les valeurs mobilières a entraîné un changement dans la typologie des personnes qui quittaient le pays. Depuis les années 1980-1990, il s’agissait de rentiers et de personnes du deuxième ou du troisième âge qui vendaient leur entreprise en France et qui ne pouvaient rester dans le pays, sans quoi l’addition de l’impôt de solidarité sur la fortune et de l’impôt sur les successions risquait d’anéantir leur richesse en deux générations. Avec l’adoption du « pacte Dutreil », certains patrons sont restés, protégés à la fois par le statut d’outil de travail de leur patrimoine et par la possibilité de le transmettre à leur famille. Ce sont alors les actionnaires familiaux minoritaires, ou n’ayant pas conclu de pacte, qui sont partis. Mais il s’agissait toujours de gens riches : des investisseurs, des patrons, des chefs d’entreprise. Or, nouveauté depuis deux ans, nous voyons partir des gens beaucoup plus jeunes, beaucoup moins riches et beaucoup plus actifs. De nombreux business angels quittent aujourd’hui la France car ils y sont soumis à des taux marginaux d’imposition dépassant les 100 % de leurs revenus, comme l’ont illustré des études réalisées par Coe-Rexecode et l’Institut Montaigne. Quant aux jeunes, ils partent pour aller créer de la richesse ailleurs.

M. le président Luc Chatel. Je suppose que vous ne connaissez pas le patrimoine de vos clients et que vous ne disposez d’aucune enquête exhaustive sur les raisons de leur départ.

M. Charles-Marie Jottras. Si, car lorsqu’une personne quitte la France, son conseiller fiscal lui conseille toujours de commencer par vendre sa résidence principale.

M. le président Luc Chatel. Pourquoi ?

M. Charles-Marie Jottras. Parce que la résidence principale est le principal critère d’assujettissement à l’impôt en France.

M. le président Luc Chatel. Certes, mais cette personne pourrait aussi la mettre en location.

M. Charles-Marie Jottras. Les gens dont je vous parle étant en général propriétaires, leur conseiller fiscal commence toujours par leur demander de vendre leur résidence principale et, dans certains cas, leur résidence secondaire aussi. S’ils reviennent discrètement – parce qu’ils sont très malheureux d’être partis –, ils peuvent toujours louer, mais cela ne nous concerne plus. Quelqu’un qui quitte la France doit vendre son bien, et veut donc tout de suite signer un mandat afin de pouvoir prouver au fisc qu’il n’habite plus dans son ancienne résidence principale.

M. le président Luc Chatel. Monsieur de Saint-Vincent, souhaitez-vous compléter ces propos ?

M. Thibault de Saint-Vincent, président de Barnes. Je commencerai par me présenter brièvement. Comme Daniel Féau, Barnes est implanté à Paris mais possède aussi quinze agences en France, treize en Suisse, une à Londres, une à Bruxelles, une à Miami et une à New York. Nous sommes donc aux premières loges pour observer l’exil fiscal, ayant enregistré depuis juillet 2012 quelque 921 demandes de la part de Français souhaitant investir ou s’installer, y compris en location, à Londres – et 314 à Bruxelles, 947 en Suisse, 928 à Miami, 347 à New York.

M. le président Luc Chatel. En valeur absolue, ces chiffres sont-ils en forte évolution par rapport à ceux des années précédentes ?

M. Thibault de Saint-Vincent. Oui.

M. le président Luc Chatel. Dans quel ordre de grandeur ?

M. Thibault de Saint-Vincent. Les demandes ont pratiquement doublé. Dans notre agence de Londres, relativement petite puisqu’elle ne représente que 0,3 % du marché des Français, nous avons réalisé 11 ventes depuis deux ans à des Français expatriés, et leur avons offert 61 locations. Compte tenu de notre part de marché, nous estimons qu’environ 9 000 Français se sont installés à Londres, en achetant ou en louant. « Depuis cinq ou six ans », explique la directrice de notre agence londonienne, « nous observons à Londres un changement d’attitude quant à la durée du séjour des expatriés. Si la location d’une durée de trois à quatre ans était privilégiée jusqu’alors, nous sommes passés à la location pour une ou deux années avant d’entamer une procédure d’achat immobilier. Cela sous-entend le plus souvent que le retour en France est exclu ». S’agissant de Miami, ma directrice locale m’indique avoir discuté ces dernières semaines avec un assureur, deux comptables et deux avocats qui, tous, disent être absolument débordés, complètement pris de cours devant l’ampleur du phénomène, même comparé à 2013. Même retour en matière scolaire, les écoles françaises ne peuvent plus accepter d’élèves car elles ont fait le plein. À New York, le lycée français ne peut plus accepter qui que ce soit. À Londres, les écoles sont également submergées. Notez que plus le niveau socio-professionnel d’éducation et de culture des exilés est élevé, moindres sont les chances de les voir revenir car ils réussiront très bien dans ces villes.

Nous organisons des conférences afin d’informer les Français sur leurs possibilités d’installation et d’investissement à l’étranger, tout comme nous organisons aux États-Unis des conférences sur les modalités d’installation et d’investissement en France. La dernière que nous ayons organisée aux États-Unis s’est tenue à l’Alliance française en présence de 200 Américains. Dans l’autre sens, la dernière réunion que nous ayons organisée il y a quinze jours à Paris s’intitulait « Investir ou s’implanter au Portugal » et a attiré 140 personnes – retraitées pour la plupart – qui jugeaient plus intéressant de passer leur retraite au Portugal qu’en France. De nombreux pays déroulent le tapis rouge aux investisseurs et aux rentiers mais également aux forces vives et aux entrepreneurs. Le Portugal offre ainsi une exonération d’impôt sur le revenu pendant dix ans. À Bruxelles, lorsque vous détenez des biens immobiliers résidentiels, vous bénéficiez d’une exonération de revenus fonciers. Je rencontre donc des propriétaires qui décident de vendre tous leurs biens immobiliers parisiens destinés à la location résidentielle pour investir à Bruxelles. Ils deviennent résidents belges pour pouvoir bénéficier de cette exonération.

S’agissant du marché locatif, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – ALUR – a fini d’achever le peu de propriétaires bailleurs privés qui restaient sur le marché en renforçant un droit des locataires déjà très protecteur. Aujourd’hui, lorsqu’un locataire ne paie pas ses loyers, il faut compter deux ans pour récupérer le bien – en mauvais état, de surcroît. Et s’il reste un loyer avant que le propriétaire ne fasse des travaux de remise en état du logement, ce loyer est taxé à plus de 50 %. La plupart des propriétaires bailleurs privés ont donc décidé de revendre leurs biens locatifs : un tiers des biens qui se libèrent ne sont plus remis en location par leur propriétaire, mais directement mis en vente.

La première raison qui motive le départ de nos clients n’est pas la fiscalité, souvent évoquée, mais bien l’idéologie dominante en France : dans notre pays, on considère depuis très longtemps que faire du profit, c’est un péché. Or, sans profit, une entreprise ferme. Le profit sert à embaucher, à investir, à développer une entreprise.

Je suis entrepreneur depuis toujours : après avoir attrapé le virus de l’entrepreneuriat à 14 ans, j’ai créé ma première société à 18 ans. En 2002, après avoir vendu à mes associés quinze agences immobilières de quartier, appelées Connexion, je suis parti vivre aux États-Unis. Car, en France, on venait d’instaurer les 35 heures. Et dans mes quinze agences, où je faisais quotidiennement passer des entretiens d’embauche, un jeune m’a un jour affirmé qu’il lui était compliqué de travailler après 18 heures ou le samedi parce qu’il souhaitait préserver sa vie de famille et ses loisirs. Sauf que, dans l’immobilier, on travaille de 9 heures à 21 heures, et très souvent le samedi. Si un jeune de 23 ans pense surtout à ses loisirs, ce n’est pas de sa faute : c’est qu’on lui a expliqué que le travail n’était pas une bonne chose et qu’il devait penser à se reposer. Cette idéologie dominante est la principale cause de découragement de ceux qui veulent partir.

De nombreux entrepreneurs, dirigeants de société, commerçants et restaurateurs quittent la France après avoir subi des contrôles fiscaux, la répression des fraudes et des braquages. Je connais notamment un restaurateur qui a récemment quitté Nice pour s’installer à Miami : il y a acheté une maison et un restaurant. Il a créé des emplois à Miami. Et comme il est travailleur et parce qu’il est aux États-Unis, il s’en sort.

Dans ce contexte, les chefs d’entreprise souffrent d’un manque de reconnaissance et sont considérés comme nuisibles. Ils préfèrent donc aller travailler ailleurs. En Angleterre, en Belgique, en Suisse et aux États-Unis, le chef d’entreprise est reconnu comme contribuant au développement de son pays. Lorsque je suis parti en 2002, j’ai expliqué à un jeune lors d’un entretien que, dans l’immobilier, on était payé à la commission et qu’il pourrait donc bien gagner sa vie à condition de réaliser beaucoup de ventes. Il a « eu un sourire qui voulait dire : « De toute façon, tu es le patron et moi l’employé, donc tu vas m’enfumer (sic). » Cela partait très mal…

Deuxième raison de cet exil : le manque de flexibilité du marché du travail, caractérisé par le déséquilibre de la relation employeur-employé et le coût exorbitant des charges sociales. Aux États-Unis, un jeune cadre qui touche 5 000 euros par mois après impôts coûte entre 7 500 et 8 000 euros à son employeur. En France, il lui en coûtera 15 000, c’est-à-dire le double. Aux États-Unis, lorsqu’on embauche une personne qui ne convient pas, elle quitte l’entreprise dans les trois jours sans aucun traumatisme et retrouve très vite un autre travail car l’entrepreneur n’est pas angoissé à l’idée d’embaucher. En France, chaque fois que vous embauchez un salarié ou qu’il a dépassé sa période d’essai, si une baisse de votre chiffre d’affaires vous contraint à vous séparer de cette personne pour ne pas mettre la clef sous la porte et en licencier cinquante autres, vous êtes assuré de vous retrouver aux prud’hommes. J’ai même perdu récemment un recours pour rupture abusive de la période d’essai !

Le poids fiscal est bien sûr aussi un facteur important car les impôts sont beaucoup plus élevés en France. L’instabilité du cadre juridique et fiscal est également souvent invoquée : les lois changent tous les un à trois ans et sont parfois rétroactives.

L’insécurité est souvent mentionnée par les gens résidant en région parisienne ou dans le sud de la France, du côté de Cannes, Nice et Marseille. Aux États-Unis, la dernière fois que l’alarme de mes bureaux, directement reliée au commissariat, a sonné parce que j’avais oublié de l’éteindre, la police est arrivée dans les cinq minutes !

Enfin, si tous les investisseurs, les rentiers et les retraités qui s’en vont ne sont pas des « forces vives », ils créent néanmoins beaucoup d’emplois, eux aussi. Il existe actuellement à Bruxelles un petit quartier où l’on compte cinquante maisons possédées par des Français et qui sont en cours de rénovation : cela représente environ 500 emplois pendant un an. Et ces Français vont investir dans des sociétés. J’estime qu’environ 20 000 personnes sont parties depuis deux ans – ce qui représente probablement près d’un million d’emplois. Cela est catastrophique pour la France.

M. Émile Garcin, fondateur et président de la société Émile Garcin. Mes collègues ayant présenté une synthèse réaliste du marché parisien, M. Boulet, notre directeur, et moi-même vous parlerons essentiellement des résidences secondaires du sud de la France – sujet qui, comme leur nom l’indique, est resté jusqu’à présent secondaire.

On n’acquiert une résidence secondaire qu’avec bonheur et énergie positive. Or le premier problème est survenu lorsque le gouvernement précédent a fait passer de 15 à 30 ans le délai au-delà duquel les plus-values sont exonérées. Les ventes se sont alors accélérées avant que la loi n’entre en application. Puis elles se sont écroulées. Viennent ensuite l’ISF et la CSG. Jusqu’à présent, les résidences secondaires situées à Saint-Tropez, à Saint-Rémy-de-Provence, dans le Lubéron et dans le Gard, étaient achetées à 50 ou 60 % par une clientèle étrangère. Mais, depuis deux ans, ce chiffre est tombé à 30 %.

Car les Anglais, Suisses, Belges ou autres séduits par un bien sont dissuadés de l’acheter par leur avocat fiscaliste, en raison de la législation française, dont on ne sait pas ce qu’elle sera dans deux ou cinq ans. À Genève, par contre, la stabilité est totale : on peut raisonnablement penser que les lois n’y auront pas changé dans dix ans.

Or, dans le sud de la France surtout, les résidences secondaires deviennent souvent, à terme, des résidences principales ; et, comme M. de Saint-Vincent le disait, le marché des résidences secondaires a diminué de moitié. De ce fait, beaucoup d’entrepreneurs – jardiniers, par exemple – ont perdu leur travail, notamment en Provence. Je peux citer une propriété où travaillent aujourd’hui dix salariés, pour à peu près 3 millions d’euros de masse salariale par an : les propriétaires anglais ont décidé de partir… C’est un cas particulier, mais il n’est pas isolé.

M. le président Luc Chatel. Mais ensuite, ces propriétés sont rachetées, j’imagine.

M. Émile Garcin. Cela reste à voir ! Cette semaine, j’ai vendu une propriété près d’Aix-en-Provence pour une dizaine de millions d’euros, mais elle possède un vignoble, qui permet d’éviter l’ISF. Les propriétés d’un certain niveau, en zone rurale, ne se vendent aujourd’hui que si un montage fiscal permet de ne pas payer l’ISF. Mais nous ne savons pas si cela restera possible !

M. Philippe Boulet, directeur des agences du sud de la France de la société Émile Garcin. Je travaille avec M. Garcin depuis quatorze ans, et j’ai constaté un changement de mentalité : aujourd’hui, nous passons énormément de temps à rassurer nos clients. Souvent, les charges sociales, la charge fiscale deviennent trop lourdes même pour des fortunes colossales, et les propriétaires sont amenés à réduire la voilure : ils licencient, et souvent déménagent. C’est un phénomène que nous constatons tous les jours.

De plus, les lois nouvelles nous ont vraiment mis des bâtons dans les roues. La durée d’exonération des plus-values a été ramenée de trente à quinze ans, puis portée à vingt-deux ans – sauf pour la CSG… Tout est complexe, et cette complexité est un frein à toute transaction. Souvent, les gens qui achètent des propriétés licencient. Je pense à des Belges qui ont acheté, mais qui n’ont gardé qu’un gardien et un jardinier, au lieu de deux gardiens et deux jardiniers auparavant : ils aiment notre pays, comme nous, mais ils ont été frappés par le coût exorbitant des charges et des impôts. Car pour qu’un gardien touche 2 000 euros par mois, il faut payer 4 000 euros par mois ! Et le prix des travaux de rénovation n’a pas diminué, en partie parce que beaucoup d’entreprises ont dû fermer.

Les entrepreneurs et les gens qui créent ont l’impression de ne pas être entendus : la démotivation est profonde. J’ai ainsi vendu récemment une propriété à un monsieur qui venait de vendre une société de télécommunications : il voulait recréer une société en France, mais quand il a vu les coûts, il s’est expatrié… Ce n’est pas une exception. Nous avons ainsi récemment vendu un hôtel particulier magnifique dans le centre d’Avignon : l’ancien propriétaire laissait les rênes de l’entreprise qu’il a créée – une société très performante – à son fils, pour la partie française, tout en s’exilant en Belgique, avec une grande partie de ses cadres. Un notaire local me citait le cas d’une entreprise de Saint-Rémy-de-Provence rachetée il y a quelques années par des Danois qui, désormais, voyant la lourdeur des charges et la difficulté de licencier, envisagent de délocaliser.

Nous voyons tous les jours la lourdeur du système. Elle tient à la fiscalité, mais pas seulement : elle tient aussi à la communication sur la fiscalité. L’incertitude est trop forte : le bouclier fiscal mis en place par le gouvernement précédent aurait pu aider, mais les clients qui auraient été susceptibles de revenir se sont méfiés.

Cela ne concerne pas que les héritiers, mais aussi des gens qui, à la force du poignet, ont créé des entreprises et ont, tous les jours, l’impression d’être pénalisés. Un banquier de la Deutsche Bank me parlait récemment de clients français qui, après la dernière élection présidentielle, avaient sorti leurs avoirs de France, par crainte des changements fiscaux, mais aussi à cause de la difficulté de créer des entreprises. Il faut aussi parler des normes : tous les jours, les entreprises ont un contrôle différent ; alors, certes, il faut protéger les employés, mais les entrepreneurs s’arrachent les cheveux.

M. Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France. Coldwell Banker est une entreprise américaine, aujourd’hui présente dans cinquante-deux pays. Nous réalisons plus d’une vente immobilière sur dix aux États-Unis, et deux à trois ventes sur dix au-dessus d’un million de dollars. Nous disposons donc d’un bon point d’observation.

Je précise toutefois que nous n’établissons pas de statistiques sur les raisons pour lesquelles nos clients mettent en vente leur bien. J’ai donc, pour vous répondre, interrogé nos consultants. Par ailleurs, nous ne savons pas combien de personnes qui souhaitent partir finissent réellement par s’exiler. Enfin, il existe, aux États-Unis seulement, des statistiques sur les ventes aux étrangers. Toutefois, ces statistiques ne tiennent pas compte de la location, qui est pourtant importante pour le sujet qui vous occupe.

Nous constatons, comme nos collègues, une hausse du nombre de Français qui souhaitent vendre leur résidence pour partir à l’étranger. Beaucoup de Français, nous le voyons aussi, se sont installés à l’étranger. Ce phénomène existe depuis dix ans peut-être, mais il s’est accéléré depuis la fin de l’année 2011. Dans un premier temps ont été mis en vente des biens valant 7, 10 ou 15 millions d’euros : cela marquait le départ des gens qui possédaient un patrimoine important. Dans un deuxième temps, au premier semestre 2013, on a vu plutôt le départ de ceux qui sont en train de se constituer un patrimoine, des actifs qui ont du talent – ils vendaient des biens entre 3 et 7 millions d’euros. Depuis le deuxième semestre 2013, nous voyons des mises en vente entre 1 et 3 millions d’euros : ce sont des patrons de très petites entreprises, des professions libérales…

Selon nos consultants, 20 % à 50 % de leurs clients vendent aujourd’hui en raison d’un projet de départ à l’étranger. Nos bureaux à l’étranger – notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis – confirment voir plus d’acheteurs français. En France, le flux entrant ne compense pas le flux sortant : 80 % des clients français ou étrangers adressés par nos bureaux étrangers en 2012 et 2013 souhaitaient vendre leurs actifs français, en général pour des raisons fiscales – ISF, augmentation de l’imposition des plus-values.

Quant aux destinations préférées des Français qui s’expatrient, ce sont Londres, Bruxelles, Los Angeles, Miami, New York, Tel Aviv, Singapour... Ils choisissent ces villes pour leur dynamisme, à l’exception de Bruxelles où vont plutôt les investisseurs fonciers. Pour expliquer leur départ, ils évoquent la fiscalité du patrimoine, le droit du travail – mis en avant notamment par les chefs de très petites entreprises –, la perte d’attractivité de la France, mais aussi le coût de la vie. D’après la Banque mondiale, la France est au seizième rang mondial pour les revenus mais Paris est au deuxième rang mondial pour le coût de la vie. Le facteur fiscal est vraiment important : rappelons que la France est depuis dix ans en tête du Forbes Tax Misery Index – qui ne tient pas encore compte des dernières augmentations d’impôts !

Notre partenaire à Londres, Hamptons International, nous confirme que 5 % de leurs locations sont faites aujourd’hui à des Français ; au cours des dix dernières années, la population française y a augmenté de 75 %. Les Français comptent pour un tiers environ des 10 % de ventes faites à des non-résidents. Ils viennent chercher en Angleterre une fiscalité plus favorable – l’impôt sur les sociétés y est à 23 %, contre 33 % en France, et le régime fiscal des non-résidents britanniques est très favorable, puisque les revenus non rapatriés au Royaume-Uni ne sont pas imposés. Les relations du travail sont aussi beaucoup plus simples, et non conflictuelles. Le régime de l’auto-entrepreneur est meilleur – la limite de chiffre d’affaires est à 79 000 livres, soit environ 100 000 euros, contre 32 500 euros en France. Londres, enfin, est une ville très attractive, très dynamique.

Quant aux États-Unis, notre site internet reçoit à peu près 2 000 visites par mois en provenance de France : la France est dixième, alors que sa population est la vingt et unième mondiale. Le volume des achats par les étrangers non-résidents aux États-Unis est de 33 milliards d’euros ; depuis 2010, les Français en représentent 2 % à 4 %. Les Français non-résidents ont donc acquis sur le territoire américain des biens pour 1,4 milliard d’euros. Pour les Français déjà résidents, le volume est à peu près similaire. Les Français, résidents ou non, ont réalisé environ 7 000 acquisitions l’an dernier. On estime aux États-Unis qu’une vente immobilière crée environ trois emplois : les Français auraient donc créé 21 000 emplois sur le sol américain l’année dernière.

Les acheteurs français se dirigent principalement vers la Floride, New York et la Californie. Sur les six premiers mois, notre site dédié spécialement à la Californie a enregistré 7 300 connexions issues de la France.

M. le président Luc Chatel. Pour remédier à ces problèmes, quelles solutions préconiseriez-vous, messieurs ?

M. Laurent Demeure. Le problème est culturel. À l’étranger, la France a une image fabuleuse ; nous sommes les premiers producteurs de luxe, que ce soit dans l’hôtellerie, la mode, la gastronomie… Mais nous sommes aussi l’un des très rares pays à dire aux clients de luxe que nous ne les aimons pas !

Or, pour créer de l’emploi, il faut une association du patrimoine et du talent ; le patrimoine va là où il est bien accueilli, et les talents le suivent… Il est donc important de faire revenir les investisseurs, en mettant en place une fiscalité du patrimoine qui incite à l’investissement et à la prise de risque.

M. Charles-Marie Jottras. Les solutions, tout le monde les connaît ! Il faut arrêter d’être les champions du monde toutes catégories de l’imposition des revenus comme du capital. Relisons les nombreuses études réalisées sur ce sujet, celle de Coe-Rexecode par exemple. Aujourd’hui, les business angels et les actionnaires minoritaires ne peuvent souvent pas échapper à une imposition supérieure à 100 % de leurs revenus.

À Paris, l’immobilier résidentiel rapporte environ 3 % avant impôt. Dans la tranche marginal supérieure d’impôt sur le revenu, l’imposition des deux tiers – les deux tiers de 3 %, c’est 2 %, il reste donc 1 % ; or dans la tranche marginale supérieure d’ISF, on est imposé à 1,5 % sur son patrimoine… Autrement dit, pour un contribuable qui est dans les deux tranches marginales les plus élevées, les impositions sont supérieures au revenu – et je n’ai même pas parlé de l’inflation. Le phénomène est similaire pour les obligations, et pour les dividendes : un actionnaire imposé aux taux marginaux de l’impôt sur le revenu, à la CSG/CRDS et à l’ISF paye plus de 100 % sur ses revenus du capital si ceux-ci sont de l’ordre de 3 à 4 %.

Pour avoir, aujourd’hui en France, des revenus nets d’impôts aux taux marginaux et couvrant l’inflation, il faut un rendement de l’ordre de 9 %, personne n’arrivant à de tels taux ! Comment investir dans de telles conditions ?

M. Thibault de Saint-Vincent. Il faut ajouter que cet actionnaire ne sera imposé ni au Portugal, ni au Maroc, et qu’il sera très peu imposé au Royaume-Uni. Nous sommes dans une économie ouverte, les gens comparent, et la France est perdante.

La solution, c’est de faire des lois efficaces. À propos de la loi ALUR, il est vrai, Mme Duflot a dit à un de mes confrères qu’elle ne cherchait pas à faire une loi efficace, mais une « loi de gauche » !

Je tire aussi la sonnette d’alarme à propos des résidences secondaires. La France est l’un des plus beaux pays du monde, et nous avons des propriétés de caractère magnifiques ! Mais elles sont grandes, elles ne sont pas aux normes, leur entretien est très cher. Si votre propriété de 600 à 700 mètres carrés s’appelle château, alors vous serez désigné comme le grand méchant loup – mais pour les moindres travaux, il faudra compter en centaines de milliers d’euros. Refaire la toiture, c’est 200 000 euros. De plus, ces propriétés sont souvent éloignées, les amis ne viennent pas tous les jours, et quand ils viennent, il pleut… Il faudrait décorer ceux qui les achètent ! Un cadre supérieur qui gagne très bien sa vie gagne autour de 100 000 euros par an ; or c’est ce que coûte une telle propriété, chaque année. Un salarié à l’année coûte au moins 50 000 euros. Des biens comme cela, il en existe par centaines, mais rien n’est déductible – sauf s’ils sont inscrits aux monuments historiques, mais alors il faut employer des sociétés qui coûtent quatre fois plus cher que les autres… Pour acheter ces biens, il faut donc gagner au moins 300 000 à 400 000 euros.

Aujourd’hui, ces propriétés meurent donc à petit feu. Elles sont souvent quasiment invendables.

Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est du bon sens et des lois efficaces.

M. Émile Garcin. Quel que soit le Gouvernement en place, les lois fiscales sont essentiellement électoralistes, et pas économiques. Tant que nous serons dans la lutte des classes, nous n’en sortirons pas ! Les bouddhistes le disent : ce qui compte, c’est la voie du milieu. Nous sommes toujours trop à droite ou trop à gauche, et les gens finissent par se décourager.

M. Thibault de Saint-Vincent. Moi qui vis à l’étranger depuis dix ans, je peux vous assurer que si la France est considérée comme un pays magnifique, elle est aussi considérée comme l’un des derniers pays communistes au monde ! Mais nous sommes comme l’ex-URSS, nous vivons différemment du monde entier tout en étant persuadés de faire mieux.

Nous nous vantons d’avoir une sécurité sociale extraordinaire, des hôpitaux qui accueillent tout le monde… J’ai un client, maintenant installé à Miami, qui possédait une pharmacie en banlieue parisienne : il n’en pouvait plus de remplir des cabas entiers de médicaments dont on sait bien qu’ils repartent au pays – mais s’il ne l’avait pas fait, un de ses confrères l’aurait fait à sa place ! C’est une réalité, et c’est ça qui tue notre pays.

M. Charles-Marie Jottras. La taxe à 75 % a, il faut s’en rendre compte, fait le tour du monde en une demi-journée. L’effet a été phénoménal – alors que nous savons finalement ce qu’il en est advenu.

M. Thibault de Saint-Vincent. Absolument. CNN montrait un billet de cent dollars dont il ne restait qu’un quart, puis François Hollande disant qu’il n’aimait pas les riches ! Tous les Américains ont vu cette séquence.

M. Charles-Marie Jottras. Il faudrait également évoquer le problème de la location haut de gamme, c’est-à-dire des loyers supérieurs à 4 000 euros par mois : sur ce marché, notre chiffre d’affaires a diminué de 35 % l’an dernier. La loi ALUR en est l’une des causes, mais le principal problème, c’est que le flux, auparavant régulier, de cadres étrangers qui venaient passer quelques années à Paris s’est presque complètement tari. Or ce sont eux qui louent des biens au-delà de 10 000 euros par mois.

M. Laurent Demeure. Nous constatons le même phénomène, et pas seulement sur le très haut de gamme. Notre taux de remplissage était de 100 %, il n’est plus que de 70 %. De moins en moins de cadres viennent travailler à Paris, à La Défense, par exemple.

M. Charles-Marie Jottras. Lorsque nous louons un appartement plus de 10 000 euros par mois, aujourd’hui, nous le louons à un footballeur – quand nous le louions auparavant à des patrons ou des cadres.

Nous voyons aujourd’hui le déplacement, discret, de nombreux centres de décision d’entreprises. Le patron est connu et reste en France, l’entreprise reste en France, mais les grands barons s’en vont, avec leurs équipes. Cela n’apparaît pas encore beaucoup, mais c’est un phénomène bien réel.

M. Thibault de Saint-Vincent. Je le confirme : nous connaissons plusieurs fonds d’investissement ou banques d’affaires qui conservent de petites structures légères à Paris mais déplacent leurs salariés par dizaines, voire par centaines, à Londres ou à New York.

M. Philippe Boulet. Nous constatons le même phénomène.

Quant aux solutions, nous en sommes tous d’accord, la fiscalité est trop lourde et ceux qui peuvent se déplacer pour y échapper le font ; mais il existe aussi un grand besoin de concertation : la loi ALUR a été faite sans aucune écoute des professionnels.

M. Thibault de Saint-Vincent. Je peux en témoigner également. La loi ALUR s’en prend aux agences immobilières et les oblige à réduire leurs honoraires : lorsqu’elle a été votée, beaucoup de nos commerciaux – payés à la commission – voulaient démissionner ! Ce sont des gens qui gagnent 1 500 à 2 500 euros par mois : ce ne sont pas des super-riches. Je ne savais plus que leur dire. Si nous nous en sommes sortis, c’est parce que mille agences ont déposé leur bilan l’an dernier, et qu’il y a donc moins de concurrence. Mais je préférerais, je vous l’assure, plus de concurrence, et pouvoir mieux payer mes commerciaux !

M. le président Luc Chatel. Vous avez dit que le stock avait beaucoup augmenté. Combien de temps faut-il aujourd’hui pour vendre ?

M. Charles-Marie Jottras. À Paris, les statistiques des notaires sur les ventes réalisées en 2012 montrent une diminution de 35 % pour les biens au-delà de 2 millions d’euros. Les prix ont baissé de 10 % à peu près.

Les délais sont extrêmement variables : si le vendeur accepte de s’adapter au marché, cela peut aller assez vite. Certains biens sont très recherchés, d’autres beaucoup moins.

M. le président Luc Chatel. Il semblerait que le stock de biens haut de gamme soit aujourd’hui très élevé.

M. Charles-Marie Jottras. Absolument. La villa Montmorency en est un très bon exemple : ce ne sont pas des étrangers qui y habitent – ils préfèrent le cœur de Paris – mais plutôt de grands patrons français, qui veulent une vie de famille tranquille, une qualité de vie presque provinciale dans Paris. Nous avions en moyenne, depuis trente ans, un à trois mandats ; en ce moment, nous avons quatorze maisons à vendre villa Montmorency.

M. Thibault de Saint-Vincent. Malheureusement, dans tous les plus beaux quartiers de Paris, les vendeurs sont des Français et les acheteurs le plus souvent des étrangers. Voulons-nous vraiment faire fuir les patrons français, qui habitent leur maison avec leur famille, et vendre les hôtels particuliers de Paris – ceux qui valent 30 à 50 millions d’euros – à des étrangers qui ne les occuperont que quelques semaines par an ? C’est ce que nous faisons depuis dix ans. Regardez le Champ de Mars le soir : dans les étages élevés, tous les appartements sont éteints ; ils sont inoccupés. Les seuls acheteurs de ces biens qui sont au-delà même du haut de gamme, aujourd’hui, sont étrangers.

M. Laurent Demeure. Il faut aussi souligner que les très riches ne sont pas les seuls, aujourd’hui, à s’exiler : deux personnes de mon entourage m’ont annoncé cette semaine leur départ à l’étranger.

M. le président Luc Chatel. Je vous remercie.

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Audition du 23 juillet 2014

À 16 heures 15 : M. Christophe Bouchard, directeur de la Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des Affaires étrangères et du développement international.

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui M. Christophe Bouchard, directeur de la Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des Affaires étrangères et du développement international.

Monsieur le directeur, nous souhaitons avoir votre éclairage sur un phénomène récent, qui n’est qu’une partie du champ couvert par vos fonctions, et qui se traduit par le départ de nos forces vives, qu’il s’agisse de jeunes, de responsables d’entreprises ou de centres de décision.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Christophe Bouchard prête serment.)

M. Christophe Bouchard, directeur de la Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire. La Direction des Français à l’étranger est chargée du pilotage et de l’animation du réseau consulaire, c’est-à-dire de l’ensemble des postes – consulats généraux, consulats, sections consulaires –, chargés d’accompagner, dans le monde, sur les plans administratif, social et civique, les Français qui résident à l’étranger.

Si le ministère des Affaires étrangères recueille des statistiques sur l’évolution de cette communauté, il ne dispose pas de toutes les informations sur l’ensemble de ses composantes, qui sont très variées, et il n’a pas la possibilité d’établir toutes les distinctions possibles.

En 2013, 1,642 million de Français étaient inscrits au registre des Français établis hors de France. Ce chiffre ne couvre que partiellement l’ensemble de la population française à l’étranger, estimée entre 2 millions et 2,5 millions. La proportion de non-inscrits varie d’une zone géographique à l’autre. Elle est particulièrement importante dans les pays développés – Europe, Amérique du Nord –, où nos compatriotes n’éprouvent pas le besoin de s’inscrire de façon aussi impérative que dans des pays où la vie est plus difficile.

Ce chiffre de 1,642 million est en augmentation régulière depuis une vingtaine d’années et a même doublé depuis le milieu des années 1990. Sur les dix dernières années, la hausse moyenne est de 3,1 %. Elle est de 2 % en 2013 par rapport à 2012.

Le nombre des inscrits ne reflète que partiellement et imparfaitement l’évolution globale de la population française à l’étranger : outre les Français qui ne s’inscrivent pas, ceux qui s’inscrivent ont des motifs différents de le faire. Certains s’adressent à leur consulat dès leur arrivée quand d’autres, pour diverses raisons, décident de s’inscrire longtemps après, par exemple à l’occasion d’une formalité administrative, comme une demande de passeport, ou en fonction du calendrier électoral. Les années précédant les échéances électorales majeures – notamment l’élection présidentielle –, on observe, en effet, un mouvement d’inscriptions sur le registre, première étape avant l’inscription sur la liste électorale consulaire.

À titre de comparaison internationale, je rappelle que l’administration britannique estime entre 5 millions et 6 millions le nombre de ses ressortissants à l’étranger. Bien que les Allemands ne donnent, quant à eux, aucun chiffre, on estimait à 1,150 million le nombre de citoyens allemands vivant en 2012 au sein de l’Union européenne ; on considère qu’ils sont plus nombreux que les Français dans le reste du monde. Les autorités italiennes estimaient quant à elles à 4,3 millions le nombre d’Italiens vivant à l’étranger en 2012.

La répartition des Français à l’étranger est relativement stable. L’Union européenne et la Suisse attirent plus de la moitié d’entre eux – c’est en Suisse que vivent le plus grand nombre de nos ressortissants. L’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud représentent quelque 20 % de la totalité – 300 000 inscrits –, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 15 % – un peu plus de 230 000 inscrits – et l’Afrique et l’Océan indien, 8,5 % – 130 000 personnes. Ils sont 125 000 en Asie et en Océanie et un peu moins de 20 000 en Europe orientale.

La population française est également assez concentrée : les dix premiers pays représentent 60 % du total : il s’agit de la Suisse – 163 000 Français inscrits en 2013 –, des États-Unis – 129 000 – et d’autres pays européens tels que le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne ou l’Espagne, dans lesquels quelque 100 000 Français sont inscrits.

L’augmentation de 2 % que j’ai évoquée est une moyenne : dans certaines zones et dans certains pays, l’augmentation est plus importante. C’est le cas de pays européens, du Golfe – les Émirats Arabes Unis –, de l’Asie – je pense notamment à la Chine ou à l’Asie du Sud-Est – ou encore de l’Océanie : l’Australie est un des pays où la population française a le plus augmenté récemment. Si les chiffres restent stables en Afrique subsaharienne, ils ont eu tendance à baisser ces dernières années en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Je terminerai par deux chiffres significatifs : de 2012 à 2013, la communauté française a augmenté de 8 % en Australie et de 5,9 % au Canada – le phénomène concerne notamment les jeunes.

En termes de classe d’âge, de 2011 à 2013, le nombre des Français de 18 à 40 ans inscrits au registre est demeuré stable, quand celui des 41 à 60 ans a augmenté de 7 % et celui des plus de 60 ans de 10 %. Ces derniers étaient 230 000 en 2013, ceux de 41 à 60 ans, 430 000, et ceux de 18 à 40 ans, presque 400 000. Les moins de 18 ans étaient quant à eux 422 000. Des variations importantes existent selon les pays. La part de la population jeune et des familles est plus importante en Europe que dans d’autres régions du monde.

Il convient également, pour mieux distinguer le profil des Français vivant à l’étranger, de connaître la part des bi- et des multinationaux. Si elle est de 42 % dans le monde, ce taux varie selon les zones géographiques. Il est de 65 % en Afrique du Nord, de 70 % au Moyen-Orient et de 45 % en Afrique. Ces chiffres révèlent un ancrage profond et ancien des communautés françaises dans ces zones. Il s’agit de Français nés en France et installés depuis longtemps dans les pays d’accueil dont ils ont acquis la nationalité ou de natifs de ces pays possédant également la nationalité française pour des raisons historiques ou par mariage. En revanche, au sein de l’Union européenne, le nombre de binationaux français n’est que de 30 % et en Asie-Océanie de 20 % : nous avons donc affaire dans ces deux zones à une population expatriée au sens plus classique du terme.

Enfin, en 2013, nous avons enregistré environ 257 000 inscriptions sur le registre des Français établis hors de France et environ 225 000 radiations. Pour être plus précis, les inscriptions constatées se répartissent entre 107 000 inscriptions nouvelles (de personnes s’expatriant, ou déjà expatriées, éprouvant le besoin de s’inscrire) et 150 000 inscriptions qui sont le fait d’expatriés ayant changé de pays. Ces 150 000 inscriptions se sont traduites par autant de radiations, ce qui ramène le chiffre des radiations réelles à 75 000. Dès lors, le solde positif n’est plus que de 32 000 environ.

Le dispositif du ministère des Affaires étrangères est destiné à l’ensemble des Français résidant à l’étranger, quels que soient leurs profils. J’ai déjà évoqué les Français binationaux, notamment ceux nés à l’étranger de parents déjà français pour des raisons historiques – cette situation concerne entre autres pays les anciens territoires français. D’autres se sont installés depuis longtemps à l’étranger et ont fini par acquérir la nationalité de leur pays d’accueil – on en trouve notamment en Europe et en Amérique du Nord.

Les profils de ceux qui se sont installés récemment à l’étranger sont également très variés. C’est ainsi que plusieurs dizaines de milliers de jeunes partent à l’étranger un an, éventuellement renouvelable, dans le cadre des programmes vacances travail, une nouveauté des dix dernières années qui existe dans un nombre croissant de pays, où ces jeunes ont l’autorisation de travailler pour financer leur séjour. Pour certains d’entre eux, ces séjours débouchent sur une installation plus longue à visée professionnelle. Les consulats observent également, sans pouvoir mesurer ce phénomène de manière statistique, une augmentation du nombre des projets individuels : des personnes décident de s’installer par elles-mêmes à l’étranger, notamment en Europe, en Amérique du Nord ou en Océanie. En revanche, l’expatriation classique des salariés envoyés par leurs entreprises à l’étranger est en net recul.

Ces populations ont évidemment des besoins différents en fonction de leur profil. Nous accompagnons la mobilité de certains d’entre eux avant même leur départ, dans le cadre de la Maison des Français de l’étranger (MFE), qui est une structure d’information et d’appui aux Français qui souhaitent partir à l’étranger. Par-delà la diversité des profils, il est important pour le ministère des Affaires étrangères de maintenir un lien fort avec la communauté française à l’étranger. Cette tradition fait la spécificité de la France par rapport à d’autres pays qui estiment n’avoir qu’une responsabilité minimale – délivrance de papiers d’identité et assistance d’urgence – vis-à-vis de leurs ressortissants à l’étranger, surtout s’ils sont très nombreux. C’est parce que la France a toujours considéré que le lien entre ses ressortissants résidant à l’étranger et le pays d’origine doit rester important, qu’elle a développé un important réseau consulaire ainsi que toute une gamme de services consulaires plus large que celle de ses principaux partenaires.

La France est également attachée au maintien du lien civique, grâce à un système développé de représentation des Français de l’étranger. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une réforme récente : ils sont désormais représentés non seulement par des sénateurs et des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, mais aussi par des députés et des conseillers consulaires. Plus que la plupart des ressortissants d’autres nations, les Français de l’étranger ont la possibilité de participer à la vie civique de notre pays, notamment en votant lors d’un nombre important de scrutins au sein des consulats.

L’accompagnement de la mobilité et le maintien du lien civique sont les deux axes principaux de notre action, en dépit de l’extrême diversité des situations des Français à l’étranger. C’est la raison pour laquelle, il convient sans doute de réaliser des progrès dans la connaissance sociologique des Français de l’étranger.

M. le président Luc Chatel. Le manque de données sur les Français de l’étranger est un sujet récurrent de nos auditions. Quel système de recensement faudrait-il prévoir pour disposer de statistiques plus fiables et plus précises en la matière ? Pourrions-nous nous inspirer de modèles étrangers ?

Le fait que vous ne puissiez nous donner aucun élément qualitatif sur les motifs qui incitent nos compatriotes à s’expatrier me surprend. Qu’est-ce qui pousse les Français à s’expatrier en plus grand nombre qu’il y a vingt ans ? Quelles sont les raisons de leurs décisions ?

Quelles sont également les attentes de nos compatriotes expatriés vis-à-vis du Gouvernement et des pouvoirs publics ? Est-il possible de comparer leurs attentes à celles d’autres expatriés d’autres pays ? Durant les auditions, la question de l’absence de véritable politique diasporique a été souvent évoquée. L’influence de nos compatriotes dans les pays où ils résident est-elle suffisante ? Quelles attentes ont-ils vis-à-vis de leur pays d’accueil ?

Dernière question : vous n’avez pas évoqué la proportion des retours. Qu’en est-il de ceux qui reviennent en France ? Observez-vous des évolutions significatives en la matière ? Quelle est notamment celle du solde entre les départs et les retours ?

M. Christophe Bouchard. Nos données sont précises et exactes lorsqu’elles portent sur ceux que nous sommes chargés de recenser : les ressortissants français inscrits dans nos consulats. Nous déclinons ces chiffres notamment par pays et par tranches d’âge, en fonction des renseignements obtenus lors de l’inscription sur le registre des Français établis hors de France. Ces données, qui concernent l’ensemble des ressortissants français inscrits, ne permettent pas de mesurer statistiquement les motivations, les profils ou les durées de présence. La direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire n’est ni chargée de ce travail statistique ni en mesure de le réaliser.

M. le président Luc Chatel. Il ne serait pourtant pas difficile, lorsque nos compatriotes s’inscrivent sur le registre, de leur demander la motivation de leur expatriation – regroupement familial, création d’une entreprise, contribution au développement international de l’entreprise à laquelle ils appartiennent, etc.

M. Christophe Bouchard. Ces informations, ou plutôt ces impressions, nous les obtenons, si je me réfère à mon expérience ancienne de chef de poste, par le contact quotidien que nous entretenons avec nos compatriotes expatriés. Aucune enquête systématique n’est menée à l’heure actuelle sur les motivations des expatriés et il n’existe pas d’outil statistique permettant de les connaître. Les seules données qui sont aujourd’hui récoltées sont d’ordre administratif : elles sont relatives notamment à l’état civil. Les critères d’âge ou de double nationalité nous permettent toutefois de savoir que, dans tel ou tel pays, une partie de la population s’est expatriée pour des raisons professionnelles, soit qu’elle n’arrive pas à trouver de travail en France, soit que l’expatriation entre dans le cursus professionnel. Certains expatriés, surtout les jeunes, ne savent pas s’ils resteront. J’ai servi plusieurs années aux États-Unis : une partie des jeunes, voire des moins jeunes, s’y installent pour des raisons professionnelles. Si leur projet est couronné de succès, ils resteront dix ou vingt ans. S’ils échouent, ils rentreront en France ou tenteront leur chance dans un autre pays.

Je tiens à souligner que certains pays ne cherchent même pas à savoir ce que deviennent leurs ressortissants à l’étranger : ils n’ont créé aucun système d’inscription sur un registre. C’est ainsi, je le répète, que les autorités allemandes ne sont pas en mesure de nous donner le moindre chiffre précis sur leurs expatriés.

Il serait évidemment possible, sinon de procéder à un questionnement systématique, du moins de conduire une enquête sociologique par sondage. Tel n’est pas le cas à l’heure actuelle.

M. le président Luc Chatel. Une telle enquête n’intéresserait-elle personne ? Ne serait-il pas intéressant de savoir, par exemple, pourquoi le nombre des Français partis en Australie ou au Canada a augmenté respectivement de 8 % et de près de 6 %, alors qu’il demeure stable dans d’autres régions du monde ?

M. Christophe Bouchard. Plusieurs facteurs ont pu jouer : une politique particulièrement accueillante sur le plan législatif – c’est le cas notamment de l’Australie ou du Canada –, la situation de l’emploi – c’est non seulement le cas de l’Australie ou du Canada, mais aussi des Émirats Arabes Unis –, ou la langue – c’est encore le cas du Canada. Le programme vacances travail incite également les jeunes à partir. En revanche, l’absence d’attraction économique ou le manque de sécurité jouent un rôle négatif, soit en dissuadant les Français d’aller s’installer dans tel ou tel pays, soit en conduisant ceux qui étaient sur place à repartir : je pense, pour des périodes précises, à certains pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne ou du Moyen-Orient.

La connaissance sociologique de la communauté française fait évidemment partie des préoccupations de tous nos chefs de postes, qui disposent d’éléments en la matière. En revanche, l’outil statistique permettant une analyse plus fine n’existe pas aujourd’hui.

Les raisons de l’expatriation sont très variées. Certains – notamment les jeunes – souhaitent diversifier leur expérience professionnelle ; d’autres cherchent à l’étranger un emploi dans des domaines qui, en France, connaissent des difficultés ; d’autres des opportunités dans des secteurs porteurs comme les services, l’hôtellerie, la restauration, le commerce – c’est le cas en Amérique du Nord, en Australie, dans les Émirats… On mentionnera également les professions spécialisées, notamment dans le bâtiment et les travaux publics. Qu’il s’agisse de se perfectionner ou de trouver un emploi, le motif professionnel existe donc bien.

Dans certains pays européens, l’aspect fiscal joue un rôle incontestable dans l’expatriation. Je mentionnerai à cet égard un phénomène nouveau, moins développé en France que dans d’autres pays : l’installation des retraités là où le coût de la vie sera moins élevé et où les prestations sociales seront plus favorables. Ainsi, certains pensionnés français s’établissent-ils au Maroc ; mais cette expatriation reste très limitée par rapport, par exemple, à celle des retraités allemands vers la Floride.

Enfin, il existe des motifs strictement personnels, pour ceux, par exemple, qui vont s’installer dans le pays de leur conjoint.

Certains resteront à l’étranger parce que leur nouvelle expérience professionnelle se sera révélée positive, parce qu’ils auront rencontré leur conjoint sur place, quand d’autres souhaiteront rentrer en France au bout d’un, deux ou trois ans.

Pour ce qui concerne les attentes des expatriés vis-à-vis de la France, on doit distinguer plusieurs cercles.

Un premier rassemble ceux qui veulent conserver un lien très fort avec la France. Ils considèrent être, en quelque sorte, des ambassadeurs de leur pays – plus exactement des ambassadeurs du savoir-faire français. Ils ont ce sentiment de diaspora, ce sentiment que ce qu’ils font contribue à l’image de la France, et cela se traduit par une relation très étroite avec le consulat et l’ambassade, mais aussi avec les associations, la chambre de commerce.

Ceux qui appartiennent au deuxième cercle, plus distendu, conservent un lien civique avec la France – ils participent aux élections, se sentent donc encore citoyens français à l’étranger.

Enfin il existe un cercle plus large – et de plus en plus large dans plusieurs pays. Aux États-Unis, au Canada, pays d’immigration où tout le monde ou presque a une origine étrangère, la majorité des expatriés ont progressivement perdu ce lien avec la France, ils se considèrent avant tout comme des Américains d’origine française et vont jusqu’à perdre la pratique du français. Dès lors, ils n’attendent plus grand-chose, sur le plan civique, de la France et ne votent plus – le taux de participation aux élections reste ainsi très modeste dans ces pays.

Dernier point, concernant les retours, il résulte du solde entre les 257 000 nouvelles inscriptions et les 225 000 radiations.

M. le président Luc Chatel. Automatiques ?

M. Christophe Bouchard. Non, justement, et c’est l’une des difficultés que nous souhaitons résoudre en réformant le système d’inscription pour le rendre plus souple et faire en sorte qu’il nous renseigne mieux sur la sociologie des personnes concernées. Pour l’heure, celles-ci ne font pas systématiquement la démarche de se désinscrire du consulat quand elles rentrent en France. La pratique veut qu’on attende cinq ans, puisque l’inscription est valable pour cette durée, pour vérifier, par courrier, que la personne est toujours là et souhaite donc maintenir son inscription. Il nous est arrivé de nous montrer assez souples, car, même en l’absence de réponse, nous attendions un certain temps avant de procéder à la désinscription. Or nous avons tendance à nous faire plus stricts désormais, notamment compte tenu du lien entre l’inscription au registre et l’inscription sur les listes électorales. Aussi les radiations peuvent-elles concerner des personnes parties l’année même ou bien d’autres qui sont parties auparavant. Reste que le flux est important puisqu’il concerne 257 000 personnes sur 1,6 million, à savoir près de 15 % d’arrivants et 15 % de partants. Ces données ne prennent pas en compte, bien sûr, les 400 000 à 900 000 Français à l’étranger inconnus de nos services. La réforme que j’appelle de mes vœux consisterait donc à simplifier les démarches administratives : pour les y encourager, les Français devraient pouvoir s’inscrire en ligne, sans avoir à se déplacer ni à imprimer de formulaires.

En même temps, dans certains pays, même la formule la plus souple et la plus simple n’empêcherait pas certains Français de ne pas comprendre l’intérêt de s’inscrire, car estimant ne plus avoir besoin de contact avec l’administration française – sans parler de ceux, même si leur nombre est assez réduit, qui, notamment pour des raisons fiscales, ne souhaitent pas être connus du consulat, imaginant que tous les fichiers sont interconnectés. Mais la raison principale demeure un manque d’intérêt, surtout au sein d’une population installée depuis longtemps. Il subsistera de toute façon toujours une part d’expatriés que nous ne connaîtrons pas. Et, compte tenu de nos tâches, de l’augmentation de cette population sans que nos moyens soient accrus en proportion, nous ne pouvons réaliser tout le travail statistique que vous évoquiez. Il faudrait pour ce faire qu’on mène une étude universitaire.

M. le président Luc Chatel. Comment interprétez-vous le fait que, parmi les personnes qui s’expatrient, le nombre de celles âgées de 41 à 60 ans soit en forte augmentation ?

M. Christophe Bouchard. Ce phénomène correspond à des projets professionnels répondant soit au désir d’enrichir son expérience, soit à une occasion qu’on souhaite saisir, à moins qu’il n’obéisse à des critères familiaux. Encore une fois, mon propos est davantage fondé sur des retours d’expérience que sur une étude statistique fine.

Mme Claudine Schmid. Vous avez parlé d’accompagnement à la mobilité via la Maison des Français de l’étranger. Or, sauf erreur de ma part, elle fermera définitivement le 1er août prochain. Est-ce exact ? Quelles sont les raisons de cette fermeture, alors qu’il est si important d’accompagner nos compatriotes ?

Vous avez également rappelé la nécessité de maintenir le lien avec notre communauté. Dès lors, pourquoi fermer de nombreux consulats ?

Ensuite, les quelque 225 000 radiations annuelles réalisées par les services consulaires font-elles suite à l’information, par les personnes concernées, qu’elles repartent en France, ou bien sont-elles automatiques du fait du non-renouvellement de l’inscription par des ressortissants qui, donc, ne rentrent pas nécessairement ?

Lorsque les Français renouvellent leur inscription, on ne leur demande pas quelle est leur activité. Aussi, un étudiant qui s’inscrit à l’âge de 18 ans sera toujours considéré comme tel à l’âge de 65 ans. Je m’étonne que cette information ne soit pas demandée : il conviendrait d’ajuster le dispositif.

Enfin, les services consulaires vous font-ils remonter des informations qui leur paraissent étonnantes à propos de la communauté française de leur ressort ? Dans l’affirmative, de quelle manière réagissez-vous ?

Mme Monique Rabin. Dans le cadre des préoccupations françaises actuelles, plutôt axées sur la présence économique de la France, je souhaite savoir si les consulats ont été amenés à développer ce volet.

M. Christophe Bouchard. La Maison des Français de l’étranger ne ferme pas ; nous voulons au contraire réformer et développer son action. Seule une de ses activités s’interrompt le 31 juillet : l’accueil physique des visiteurs rue de la Convention. À la demande, il y a un an et demi, de la ministre déléguée aux Français de l’étranger, une étude a été réalisée sur le rôle et l’efficacité de cette structure qui employait quatre agents du ministère. Un rapport a mis en évidence que certaines activités se révélaient décevantes en termes d’audience et d’impact, dont cet accueil du public qui concernait en moyenne six à huit personnes par jour – donnée qui ne nous semblait pas à la mesure du nombre de Français susceptibles de s’installer à l’étranger.

Nous avons donc décidé d’interrompre cette activité et, à partir de la rentrée, d’en développer d’autres, en particulier via internet, outil qui nous permettra de toucher beaucoup plus de monde. Certains ateliers d’aide à la confection de curriculum vitae, organisés deux fois par mois pour une moyenne de quinze personnes, seront désormais réalisés par le biais d’internet afin de toucher deux à trois plus de personnes, pour le même coût.

Le nom de la Maison des Français de l’étranger changera. Nous ne connaissons pas encore le nouveau, mais il pourrait être : Mission pour l’information sur l’expatriation. L’idée est bien qu’elle touche un plus grand public ; il convient donc d’en moderniser les méthodes de travail.

Mme Claudine Schmid. Nous étions bien informés : vous nous dites que cette organisation va changer de nom et d’objectif : elle ferme donc vraiment.

M. Christophe Bouchard. L’accueil du public n’était qu’une des activités de la Maison des Français de l’étranger dont la mission demeure : informer nos compatriotes qui souhaitent s’expatrier sur les questions administratives, sociales, fiscales, médicales… Seule une de ses activités, l’accueil de huit personnes par jour en moyenne rue de la Convention, cesse. C’est cette information qui a dû être diffusée auprès de vous. Mais les autres activités se poursuivront grâce à la refonte du site internet qui est en cours.

Quant au maintien du lien avec la communauté française à l’étranger et à l’évolution de notre réseau consulaire, il est exact que des postes ont été fermés dans certains pays alors que leur développement se révélait au contraire nécessaire dans d’autres, comme la Chine ou l’Inde. Depuis plusieurs années, donc, un certain nombre de consulats ont fermé en Europe – plusieurs ayant tout de même conservé des fonctions culturelles, économiques, politiques. Le réseau consulaire était dense en effet. Les ressortissants français en Belgique devront désormais se rendre à Bruxelles, alors qu’ils pouvaient auparavant aller à Anvers et à Liège. C’est moins pénalisant que s’ils vivaient aux États-Unis, où le réseau reste inchangé, en Chine ou en Australie, où il se développe.

En outre, au sein de l’Union européenne, la logique veut que les ressortissants européens vivant dans un autre pays que le leur aient de moins en moins besoin d’assistance consulaire.

En ce qui concerne les radiations, le chiffre de 225 000 englobe les personnes qui ont demandé à être retirées de la liste et celles qui, au moment du renouvellement quinquennal, n’ont pas répondu au consulat et sont automatiquement radiées. Si un Français quitte un pays étranger pour s’installer dans un autre pays, il reste sur le registre, mais son dossier est actualisé, notamment en ce qui concerne sa profession, même s’il est vrai que nous ne l’interrogeons pas sur ses motivations.

Enfin, je n’ai pas bien compris votre dernière question, Madame Schmid.

Mme Claudine Schmid. Je faisais allusion au nombre de Français demandant à être déchus de leur nationalité. J’ai cru comprendre que plusieurs postes avaient tiré la sonnette d’alarme.

M. le président Luc Chatel. Avez-vous des éléments chiffrés ?

M. Christian Bouchard. Nous suivons ce phénomène dont les proportions restent modestes par rapport à la population globale.

Mme Claudine Schmid. J’ai eu communication de données sur la perte de la nationalité française par décret – libération des liens d’allégeance. Mais qu’en est-il des demandes de radiation expresse, qui seraient encore plus nombreuses ? La question ne concerne pas vraiment notre commission d’enquête, mais le phénomène est significatif.

M. le président Luc Chatel. Je pense au contraire qu’il concerne notre commission d’enquête, car il y a peut-être un lien de cause à effet…

Mme Claudine Schmid. On compte 189 radiations par décret. Or plus de la moitié proviennent de Suisse : si, en 2010, on en dénombrait 4, deux fois plus qu’en 2011, elles sont passées à 63 en 2012 et à 113 en 2013, alors que les chiffres n’ont pas évolué ailleurs dans le monde. Il me semblait que nos postes en Suisse avaient tiré la sonnette d’alarme. Et je me suis rendu compte que le nombre de personnes ayant demandé à être libérées de leurs liens d’allégeance par radiation expresse était encore plus important. Quand les consulats s’en étonnent, le ministère s’en inquiète-t-il ? N’est-ce pas l’esquisse d’un mouvement ? À chacune de mes permanences, je rencontre un ou plusieurs de nos compatriotes prêts à faire cette demande. Je cherche donc à savoir combien passent à l’acte.

M. Christian Bouchard. Nous observons bien sûr cette évolution, mais on évoque ici le cas, pour la Suisse, d’un peu plus de cent personnes sur 163 000. Notre travail consiste à tâcher de nous occuper au mieux de ces derniers. Quant aux motivations des demandes de radiation, elles sont clairement, chez certains, d’ordre économique et fiscal, et, chez d’autres, plutôt d’ordre professionnel – pour accéder à telle ou telle profession, dans certains pays, il faut renoncer à sa nationalité d’origine, ce qui reste un phénomène marginal. Il revient sans doute davantage aux élus et aux associations d’interpréter les évolutions que vous mentionnez.

En outre, il va de soi que, dans un pays, la communauté française ou d’origine française constitue l’un des moyens sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour développer l’image de la France, mais aussi les affaires et les échanges économiques. Certains États préfèrent d’ailleurs raisonner en termes de personnes originaires du pays, car, même si elles ont perdu la nationalité, elles restent des vecteurs d’influence. Ce développement s’effectue via, certes, des projets individuels, mais aussi via les chambres de commerce, le réseau des conseillers du commerce extérieur, les associations, les groupes d’intérêt, les conseils des affaires économiques désormais actifs dans les postes…

Mme Monique Rabin. Les consulats mènent-ils une action en la matière ?

M. Christian Bouchard. Ils tâchent de fédérer ces initiatives, de mettre en rapport des entreprises françaises avec des contacts locaux, ce qui est plus facile quand, parmi ces derniers, se trouvent des patrons ou des cadres français. C’est aussi le travail d’Ubifrance qui aidera également une entreprise étrangère dans laquelle il y a des intérêts français à trouver un partenaire en France, un client, un distributeur. L’idée est que ceux qui restent à l’étranger peuvent aider les intérêts économiques français, soit parce qu’ils travaillent dans une entreprise française, soit parce que, même travaillant dans une entreprise étrangère, ils auront tendance à faire appel à des fournisseurs français. On doit aussi promouvoir le savoir-faire français à l’occasion de la création, sur place, de PME, de commerces, leurs détenteurs ayant là aussi tendance à acheter des produits français. Et, quand ils reviennent en France, il s’agit de faire profiter notre pays de leur expérience acquise à l’étranger.

M. le président Luc Chatel. Monsieur le directeur, je vous remercie.

*

* *

Audition du 23 juillet 2014

À 17 heures 15 : M. Jérôme Lecat, président directeur général de Scality (société basée dans la Silicon Valley) et auteur d’une lettre ouverte au Président de la République en février 2014.

M. le président Luc Chatel. Nous recevons aujourd’hui M. Jérôme Lecat, président-directeur général de la société Scality.

Monsieur Lecat, votre société est installée en Californie, dans la Silicon Valley, et, le 14 février dernier, vous avez adressé au Président de la République, au lendemain de son voyage aux États-Unis, une lettre ouverte qui a fait grand bruit.

Notre commission d’enquête serait donc heureuse de connaître votre avis sur l’attractivité de notre pays pour les start-up. Pouvez-vous nous dire ce que votre entreprise a trouvé dans la Silicon Valley ?

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jérôme Lecat prête serment.)

M. Jérôme Lecat. Le nom de votre commission d’enquête m’embarrasse, car je ne me considère pas comme un exilé. Les Français qui vont s’installer à l’étranger sont mus par deux grandes séries de motivations : tandis que certains sont « déçus par la France », d’autres ont le souci de développer leur entreprise. J’appartiens à cette seconde catégorie.

Scality continue de créer des emplois en France : parmi nos 90 employés, 30 travaillent aux États-Unis, et 60 à Paris. Il s’agit d’un choix qui est à la fois patriotique et rationnel. En effet, dans le secteur d’activité qui est le nôtre, la France constitue un excellent bassin d’emploi, en raison notamment de l’excellence de ses ingénieurs, tant en termes de qualité que de productivité, mais aussi de leur coût comparativement peu élevé, car, grâce au crédit d’impôt recherche, ils reviennent environ 50 % moins cher que ceux de la Silicon Valley.

Pourquoi Scality a-t-elle fait le choix de la Silicon Valley ? En matière de high-tech, la réussite dépend des partenariats conclus avec les grandes entreprises mondiales du secteur. Or, pour la plupart, celles-ci sont regroupées dans un couloir de 100 kilomètres de long dans la baie de San Francisco. De façon significative, la valorisation des quarante premières entreprises de la Silicon Valley est bien supérieure à celle des membres du CAC 40. La plus ancienne a été créée dans les années 1960 : elle a donc à peu près le même âge que la plus jeune entreprise du CAC 40, Capgemini, créée en 1967. Tout cela témoigne d’une extraordinaire vitalité.

Pour réussir et se développer, toutes les entreprises du secteur doivent donc impérativement d’interagir avec cet écosystème exceptionnel. Scality, qui commercialise des logiciels d’infrastructure, dialogue avec des entreprises comme Hewlett-Packard (HP), leader mondial qui emploie 300 000 personnes. Tant que nous développons un partenariat national avec HP, ce dialogue peut parfaitement se dérouler en France, mais, pour bâtir un partenariat mondial, la discussion doit nécessairement avoir lieu aux États-Unis. Sans une présence dans la Silicon Valley, nous serions cantonnés à des partenariats limités.

C’est pourquoi je recommande à tous les créateurs d’entreprises du secteur de la high-tech de s’installer aux États-Unis pour développer leur entreprise une fois leur produit et leur projet validés sur le marché français. Ces fondateurs doivent y tisser des relations pour obtenir un succès mondial, ce qui ne signifie pas qu’il leur faut cesser de créer de l’emploi en France.

M. le président Luc Chatel. Les pôles de compétitivité développés depuis une dizaine d’années par la France peuvent-ils constituer ces écosystèmes dynamiques que vous décrivez ? Sont-ils de nature à permettre l’agrégation de grandes entreprises, de PME et de start-up ?

Vous vous êtes installé aux États-Unis pour conquérir le marché mondial et créer plus d’emplois en France, mais n’êtes-vous pas, en quelque sorte, une exception qui confirme la règle ? D’autres entreprises ont témoigné qu’elles quittaient notre pays contraintes et forcées, poussées par les complexités administratives ou les obstacles fiscaux à la compétitivité.

Existe-t-il aux États-Unis une réglementation favorable à l’innovation et aux start-up ? Pouvons-nous nous inspirer de ce modèle ?

M. Jérôme Lecat. Je suis extrêmement sceptique en ce qui concerne les pôles de compétitivité. Je ne crois pas que l’on puisse planifier la création d’une Silicon Valley, qui s’est constituée de façon exceptionnelle à un moment historique donné. En France, on pourrait imaginer que la région parisienne constitue un pôle de compétitivité, mais les autres sites sont en quelque sorte des leurres…

M. le président Luc Chatel. Vous partez parce que l’écosystème de la Silicon Valley vous attire, mais vous considérez qu’il ne faut pas le reproduire en France : n’est-ce pas contradictoire ?

M. Jérôme Lecat. Cela ne peut pas fonctionner comme dans la Silicon Valley, à New York ou à Boston. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé à Sophia Antipolis : même si des emplois y ont été créés, cela n’a jamais vraiment pris.

Comprenez-moi bien : il y a des entreprises très innovantes partout en France, mais aucun pôle de compétitivité n’a jamais vraiment abouti…

M. le président Luc Chatel. Le pôle « Industries et Agro-Ressources » est pourtant un leader mondial en matière de recherche et développement dans le secteur de l’agroalimentaire !

M. Jérôme Lecat. Qu’est-ce que cela signifie pour l’entreprise du secteur qui n’est pas localisée dans ce pôle ? En dehors du cas de la région parisienne, je n’ai pas encore rencontré en France d’écosystème dont la densité puisse avoir une influence comparable à celle dont je parle. Je ne veux évidemment pas dire que des partenariats entre start-up et grandes entreprises, ou entre start-up et universités, n’ont pas lieu en dehors de la région parisienne. Mais, à mon sens, il n’est tout simplement pas possible de décréter que l’on va parvenir au niveau de dynamisme, d’intensité et de densité de créativité que l’on trouve dans la Silicon Valley, si l’on se place au niveau mondial, ou en région parisienne, si l’on raisonne au niveau français. Rendez-vous compte que 50 % des investissements en capital-risque américains sont concentrés sur un territoire de 100 kilomètres de long ! Tout y tourne nécessairement autour d’un même objectif qui imprègne toutes les rencontres, toutes les activités, toutes les conversations.

Je ne crois pas être une exception. De très nombreux entrepreneurs partagent cette approche. Je pense à M. Bertrand Diard, le cofondateur de Talend, ou à M. Jean-Baptiste Rudelle, celui de Criteo, qui a fait le choix de revenir en France pour que ses enfants baignent dans notre culture. Nous sommes sans doute plusieurs centaines à être partis pour les États-Unis afin de développer nos entreprises, mais à rester culturellement très attachés à la France.

Les tracasseries administratives et la pression fiscale forcent-elles les entreprises à quitter la France ? L’argument de la fiscalité est souvent monté en épingle par ceux qui sont déçus par la France pour d’autres raisons. Sur ce plan, il faut noter que les différences sont mineures entre la Californie et la France – sauf pour les détenteurs de patrimoines supérieurs à 50 millions d’euros pour lesquels l’impôt français de solidarité sur la fortune (ISF) pose un vrai problème. La fiscalité est complexe des deux côtés de l’Atlantique. Quant aux systèmes administratifs, ils sont différents et, pour en maîtriser les rouages, il faut bien les connaître. Je n’ai pas de problème particulier avec l’administration française et, depuis vingt ans que je suis chef d’entreprise en France, j’ai plutôt constaté une amélioration dans les rapports que nous entretenons. Ils sont à coup sûr plus aisés entre les entreprises et l’administration britannique, qui joue moins un rôle de contrôle que de conseil. On répète souvent qu’il est plus facile de licencier un salarié aux États-Unis qu’en France ; ce n’est pas vrai. Il existe en effet outre-Atlantique une multitude de salariés protégés au titre des minorités ce qui rend d’autant plus complexe le licenciement d’une femme de 45 ans qui appartient – quelle ne fut pas ma surprise de le découvrir – à l’une de ces minorités protégées.

Aucune réglementation particulière ne favorise l’innovation aux États-Unis. Les start-up ne bénéficient ni d’aides véritables ni de règles adaptées ; elles profitent en revanche d’un écosystème favorable, d’un montant élevé d’investissements en capital-risque, d’une attitude positive à leur égard, d’une culture de la prise de risques… Le département de la défense américain achète aussi volontairement massivement aux start-up, ce qui correspond à une subvention déguisée, et je constate que le chiffre d’affaires de Scality avec l’État américain est dix fois plus élevé qu’avec l’État français.

En France, la législation est souvent globalement contraignante, tout en prévoyant un certain nombre d’exceptions. Les charges sociales élevées sont par exemple compensées pour les start-up par l’accès au statut de jeune entreprise innovante (JEI) ou par le crédit d’impôt recherche. Aux États-Unis, la législation est moins contraignante, mais les régimes d’exception n’existent pas.

M. Claude Sturni. Vous employez sans doute des Français aux États-Unis et des Américains en France. Comment organisez-vous les passerelles entre vos deux sites ? Le départ à l’étranger constitue-t-il un élément positif dans une carrière ? Comment gérez-vous le passage des salariés d’un pays à l’autre ?

Pour conclure votre courrier du 14 février dernier au Président de la République, vous évoquez la déplorable image de la France en matière de droit social, seule ombre à un « tableau idyllique ». Je sais d’expérience combien il est difficile d’expliquer aux Américains que la situation dans notre pays n’est pas aussi dramatique que le disent leurs médias. Selon vous, notre image s’est-elle encore dégradée ces dernières années ? Les 35 heures, qui heurtaient de front la culture américaine, avaient été très mal perçues. D’autres décisions plus récentes ont-elles acquis une dimension symbolique et négative aussi forte ?

Mme Claudine Schmid. Avez-vous le sentiment que l’on se sente plus libre de réussir aux États-Unis ?

M. Jérôme Lecat. Il faut évidemment des passerelles pour créer une culture d’entreprise bicéphale. Les trois dirigeants de Scality vivent à San Francisco et s’imposent de passer une semaine par mois à Paris. C’est à la fois un choix de vie et une condition pour que le staff parisien participe aux décisions.

Comme vice-président de l’ingénierie (VP Engineering), nous avons choisi un Américain de la Silicon Valley, marié à une Française. Pour qu’il se décide à venir à Paris, il a fallu attendre que son épouse ait envie de rentrer en France, à la naissance de son enfant. Inversement, nous avons envoyé huit Français aux États-Unis avec un visa E, afin d’inculquer notre culture d’entreprise, assez française, au pôle américain. Les passerelles fonctionnent dans les deux sens.

La question du retour en France ne s’est pas encore posée, mais nous n’avons pas l’intention de maintenir de force nos employés aux États-Unis. Pour l’instant, tous ceux qui se sont expatriés s’en félicitent, compte tenu des opportunités de carrière qu’ils se sont ouvertes.

En termes d’image, l’affaire Dailymotion a été désastreuse. Il n’est pas choquant que l’actionnaire de référence d’un groupe indique sa volonté à son président. On peut donc comprendre que l’État ait demandé à Orange de ne pas vendre Dailymotion, dans son propre intérêt, mais l’opération n’a pas été expliquée en ces termes aux Américains. Ceux-ci ont retenu qu’un ministre refusait la cession d’une start-up parce qu’il ne souhaitait pas que la pépite française devienne américaine, ce qui leur fait craindre l’absence de liquidité des investissements qu’ils pourraient faire en France. Leur crainte est infondée, puisque les actionnaires français ou la Banque publique d’investissement prennent les bonnes décisions pour assurer la rentabilité économique des sociétés. Le problème est surtout symbolique. C’est l’absence d’explications qui a dégradé l’image de la France.

Par ailleurs, les 35 heures ont causé des dégâts qui durent toujours.

Enfin, certaines rumeurs, qui sont loin d’être neutres, ont la vie dure. Les avocats américains persuadent leurs clients que la France est un pays compliqué afin de leur facturer des honoraires considérables. La presse anglaise donne de la France une image très négative pour attirer le business américain qui voudrait se déployer en Europe. Nous sommes engagés dans une guerre économique, où certains n’usent pas de moyens très propres.

Depuis six mois, cependant, notre image s’est améliorée. La création de la bannière French Tech a été un coup de génie. Les entrepreneurs français à l’étranger qui se sentent rattachés à la France ont découvert qu’ils portaient une dynamique. Il y a cinq ou six ans, quand je suis parti pour les États-Unis, j’avais l’impression d’être un paria de la société française, qui me renvoyait l’image d’un exilé fiscal, alors que mes impôts sont plus élevés aux États-Unis qu’ils ne l’étaient à Paris. J’ai enfin découvert que je n’étais pas seul et j’ai pu expliquer les raisons de mon départ.

Nous avons organisé des actions de communication destinées aux investisseurs américains. Nous en avons invité une dizaine à Paris. Nous avons été reçus à l’Élysée le 11 juin. Nous avons ensuite organisé la French Tech Conference, qui a permis à une centaine de Français de rencontrer l’écosystème de New York. Ces actions ont changé les choses : les investisseurs américains se sont mis à parler aux start-up françaises, qui souhaitent se développer aux États-Unis tout en gardant des centres de R&D en France.

Dans la lettre ouverte que je lui ai adressée, j’appelle l’attention du Président de la République sur le droit du travail français. Une start-up ne peut pas se permettre de mener pendant des mois une procédure de plan social. Son activité consistant à faire des paris, elle s’expose à en perdre certains, ce qui la contraint de licencier tout d’un coup 30 à 70 % de son personnel. Elle n’est pas morte pour autant. En revanche, j’ai vu des sociétés ne pas survivre à un plan social.

J’ai rencontré Mme Emmanuelle Wargon au ministère du travail : elle m’a appris qu’une loi votée en juin 2013 permet de réduire la durée du plan social à trois mois, sur décision unilatérale de l’entreprise, quand le licenciement concerne moins de cent employés. J’ignorais cette excellente mesure, comme les centaines de milliers de personnes qui ont lu ma lettre ouverte au Président de la République. Si un chef d’entreprise français n’est pas au courant, comment les investisseurs américains pourraient-ils l’être ?

Ce n’est qu’un problème de communication parmi d’autres. Au début de l’année, un budget de 15 millions d’euros a été dégagé pour permettre à la French Tech de se faire connaître de l’écosystème américain, mais il n’est toujours pas possible d’utiliser cet argent, ce qui révèle une autre forme de blocage.

Aux États-Unis, les gens qui réussissent apparaissent comme des héros, alors qu’en France, on leur cherche querelle. Je suis surpris par tout ce qu’on peut lire de négatif sur MM. Xavier Niel ou Patrick Drahi, qui ont construit leur entreprise de manière iconoclaste, et créé des milliers d’emplois. S’ils mènent la vie dure à leurs concurrents, c’est avant tout parce que ceux-ci n’ont pas su se moderniser assez vite. Au lieu de fustiger ces deux dirigeants, on devrait les remercier. Quand ils font une entorse à la loi, il est normal de les punir, mais cela fait partie du jeu : ils mesurent les risques qu’ils prennent. Ce sont des hommes que j’admire et je suis surpris que ce sentiment ne soit pas partagé.

M. Jean-Marie Tetart. Vous soulignez le rôle que jouent la prise de risque et l’importance d’offrir aux start-up un carnet de commandes plutôt que des aides ponctuelles. Votre diagnostic concerne-t-il uniquement les start-up ou vaut-il pour toutes les entreprises françaises installées aux États-Unis ?

M. Gilbert Le Bris. Pour avoir toute ma famille aux États-Unis, je confirme vos analyses sur la mentalité américaine. Je reviens d’ailleurs de Boston où j’ai mesuré la synergie qui s’est créée autour de la robotique.

Le regroupement dans des pôles de compétitivité n’est pas nouveau. Si l’on veut construire un projet aéronautique, mieux vaut le faire en Aquitaine ou dans la région de Nantes ; si l’on veut travailler autour de l’œnologie, mieux vaut aller en Bourgogne ou dans le Bordelais. La dynamique de la Silicon Valley n’est-elle pas limitée aux technologies high-tech ?

Si le ministère de la Défense français ne fait pas confiance aux start-up, n’est-ce pas dû au rôle de la Direction générale de l’armement (DGA), où abondent polytechniciens et centraliens, qui ne se fient qu’à leur réseau ? On connaît la lourdeur administrative de notre vieux pays, qui reproduit toujours les mêmes schémas et se méfie des iconoclastes.

M. Jérôme Lecat. Ce que j’ai dit de l’environnement américain vaut pour toutes les entreprises, mais c’est des start-up que je suis spécialiste et c’est d’elles que je suis venu parler.

Je ne me prononcerai pas sur les pôles de compétitivité dédiés à l’aéronautique ou au vin. Je m’en tiens à certaines entreprises, qui représentent un des poumons de la croissance.

Je répondrai à votre dernière question par un contre-exemple. Notre seul client public – au sens américain du mot, c’est-à-dire relié à l’État – est la DGA. La lourdeur française n’est pas administrative, mais culturelle. Dans les organes liés à l’État, ainsi que dans les grandes entreprises, on fait plus facilement confiance à un camarade de promotion ou à une entreprise établie depuis longtemps, qu’à des start-up qui proposent des solutions innovantes. Il serait bon de forcer l’État à acheter plus aux petites entreprises.

Mme Monique Rabin. Le titre de notre commission d’enquête, qui vous a fait réagir, exprime une inquiétude. Nombreux sont ceux qui se demandent ce que devient la France et où s’en va sa richesse intellectuelle ou technique. Le monde politique, qui a parfois du mal à avancer aussi vite que le reste de la société, a-t-il bien compris la mondialisation ?

D’autre part, il existe un Conseil d’orientation du service des achats de l’État, dont je suis membre, et qui s’intéresse aux start-up. Je dois rencontrer bientôt les dirigeants de l’une d’elles. Comment faire pour les aider et leur permettre de répondre à des appels d’offres sur des points spécialisés ?

M. Jérôme Lecat. Je partage entièrement votre crainte de voir des déçus de la France partir à l’étranger. Si je me suis montré très actif, durant les derniers mois, c’est notamment parce que j’avais envie d’ouvrir un contre-feu. Le titre de la commission d’enquête m’a paru contestable, mais je ne nie pas qu’il existe un vrai problème. Je tenais seulement à faire la distinction entre ceux qui partent, parce que c’est la meilleure façon de développer leur activité, et ceux qui émigrent par déception.

La mondialisation est un phénomène irréversible. C’est pourquoi je trouve désolant qu’on rencontre encore des gens, dans le monde politique ou les services de l’État, qui s’attachent à la combattre, ce qui ralentit le pays. Il faut ne rien comprendre aux phénomènes économiques pour prôner la croissance zéro. Il est tellement plus facile de diriger un pays ou une entreprise en croissance ! Je conviens cependant que celle-ci ne doit pas se faire à tout prix et qu’elle doit tenir compte de l’environnement.

Si je devais donner un conseil au Conseil d’orientation du service des achats de l’État, dont je ne connaissais pas l’existence – encore un problème de communication –, je lui dirais de rendre les conversations avec les services de l’État plus simples et plus directes, à l’image de celle que nous avons avec des sociétés privées dont nous identifions les besoins et auxquelles nous proposons des solutions innovantes. Si nous pouvons offrir une réponse pertinente à un problème, nous nous débrouillerons pour répondre à l’appel d’offres, mais, pour l’instant, il est difficile d’avoir un dialogue transparent avec les services de l’État, qui forment une nébuleuse. Pour les approcher, nous devons parler à beaucoup plus d’interlocuteurs que quand nous traitons avec une grande entreprise. Il faudrait simplifier le dialogue avec l’État.

M. le président Luc Chatel. C’est sur cette note d’espoir que se termine l’audition. Je vous remercie.

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Audition du 23 juillet 2014

À 18 heures 15 : M. David Monteau, directeur de la Mission French Tech.

M. le président Luc Chatel. Nous recevons aujourd’hui M. David Monteau, directeur de la Mission French Tech.

Monsieur le directeur, nous souhaiterions vous entendre sur le rôle de la Mission French Tech et le monde des start-up, ainsi que sur la capacité de notre pays à attirer les créateurs et à être un terreau favorable à l’innovation.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. David Monteau prête serment.)

M. David Monteau, directeur de la Mission French Tech. L’initiative French Tech, lancée à la fin de 2013, est focalisée sur la dynamique des start-up. Alors que de nombreuses entreprises innovantes sont créées en France, leur capacité à devenir des leaders mondiaux, ou, dans une moindre mesure, à croître rapidement, demeure limitée. Partant de ce constat, la mission a pour principal objet de développer les conditions favorables à l’accélération de la croissance des start-up.

Selon une étude réalisée par la Banque de France en 2012, une minorité d’entreprises à très forte croissance est à l’origine de la plus grande part des créations d’emploi : 58 % des emplois créés le sont par 8 % des entreprises à la plus forte croissance. Sans négliger les entreprises traditionnelles, les politiques publiques doivent identifier les leviers de la croissance rapide de ces start-up et les exploiter.

D’autres études, américaines, montrent que la plupart des emplois sont créés par des entreprises ayant moins de cinq ans d’existence. Ce sont précisément celles que nous visons en cherchant à répondre à cette question : comment faire en sorte qu’un nombre plus important de start-up deviennent de belles petites et moyennes entreprises (PME) ou entreprises de taille intermédiaire (ETI) ?

Parmi les leviers que nous avons identifiés, figure la dynamique d’écosystème, la dynamique collective. Toutes les entreprises à croissance rapide ont en commun de bénéficier de la concentration en un même lieu de facteurs favorables à leur développement : culture entrepreneuriale, culture du leadership, de la croissance, de la prise de risque, concentration de talents, capital disponible, etc. Aucune aventure entrepreneuriale n’est jamais solitaire ; le succès est le résultat de l’interaction avec d’autres entreprises.

La mission s’est fixé un double objectif : en premier lieu, intensifier la dynamique collective en faveur de la croissance des start-up, en mobilisant les entrepreneurs qui en sont le cœur, mais aussi les acteurs contribuant au développement économique ; en second lieu, rendre plus visible et plus attractif l’écosystème des start-up français à l’international. La France, nous le savons, souffre d’un déficit d’attractivité, comparée à l’Angleterre ou à Berlin. Or, il est démontré que la performance d’un écosystème est directement corrélée à son attractivité ; la diversité des entrepreneurs, des talents, des investisseurs impliqués nourrit l’écosystème.

Pour atteindre ces objectifs, la mission s’appuie sur les initiatives locales qui sont nombreuses. Elle a vocation à accentuer les dynamiques existantes là où elles se trouvent et non à en inventer de nouvelles. Autre élément important, les entrepreneurs sont au cœur de la mission ; c’est à eux qu’il revient de porter la dynamique.

Nous avons commencé par créer la marque « French Tech ». Alors qu’elle n’existait pas il y a neuf mois, elle était citée hier dans un article du Monde et les entrepreneurs français la reprennent. Pour simple qu’elle soit, l’idée de cette marque a deux vertus. D’une part, French Tech incarne la dynamique collective française. Alors que les entrepreneurs sont assez fragmentés, elle fédère les acteurs publics et privés, les start-up, mais aussi les collectivités territoriales, les universités, etc. D’autre part, la marque est un gage de visibilité à l’international. Elle sera très utile dans les grands salons. Notre souhait est qu’elle devienne le symbole du dynamisme de la France dans ce domaine, à l’instar de New York qui, en quatre ou cinq ans, a réussi à associer son nom au bouillonnement grâce à un important travail de marketing et de communication.

La Mission French Tech mène des actions dans trois directions. Premièrement, elle incite au rapprochement des acteurs et à la collaboration en faveur des start-up. Nous travaillons à renforcer la dynamique partout où nous décelons un potentiel. Nous proposons un label « métropole French Tech » à tout projet collectif sur un territoire dont l’objet est de travailler sur les leviers de développement de son écosystème. Notre rôle est d’accompagner les différents acteurs, de réfléchir avec eux. Il ne s’agit pas de leur dire quoi faire, mais d’imaginer avec eux des solutions, éventuellement inspirées des bonnes pratiques que nous avons pu recenser. Une fois que nous avons répertorié les projets d’écosystème dans les territoires, notre travail consiste à les mettre en réseau afin de créer une sorte d’équipe de France qui incarne le dynamisme de la French Tech.

Deuxièmement, nous cherchons à faire émerger des dispositifs, qui ont fleuri aux États-Unis et en Angleterre : les accélérateurs de start-up. Au lieu d’être focalisés sur l’hébergement et l’aide à la création des entreprises comme les incubateurs dont ils s’inspirent, ils sont destinés à aider les start-up à croître plus vite. Il s’agit d’apporter aux entreprises des ressources, de l’argent, mais aussi du « mentorat » – des entrepreneurs expérimentés venant partager leur expérience. Ces accélérateurs ont vocation à être portés par des acteurs privés, car les entrepreneurs sont mieux placés pour aider au développement d’autres entreprises. Dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir, nous sommes en train de mettre en place au sein de Bpifrance un fonds d’investissement pour cofinancer ces accélérateurs aux côtés des investisseurs privés.

Troisièmement, nous disposons d’une enveloppe financière spécifique pour renforcer l’attractivité et la visibilité des start-up et de l’écosystème français. Nos cibles sont, bien sûr, les entrepreneurs, mais aussi les investisseurs en capital-risque et les médias. Dans la presse économique, la France ne jouit pas toujours d’une image positive. L’une de nos priorités est de tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues, qui sont particulièrement répandues dans le monde anglo-saxon. Il existe un très fort écart entre la perception de l’environnement pour entreprendre en France et la réalité. Depuis cinq ans, les choses ont évolué. Nous discutons avec les leaders d’opinion internationaux pour leur montrer quelles sont les réalités : la France a certes des défauts, mais elle a aussi plein d’atouts. Ces opérations destinées à améliorer l’image de la France à l’étranger s’appuient sur les entrepreneurs. Ce sont d’abord eux les porte-parole de la French Tech. C’est leur voix qui porte. La sphère publique a également certains messages à délivrer que les entrepreneurs doivent accompagner. Ces derniers seront associés à nos efforts en la matière et impliqués dans les opérations.

La mission, lancée par Mme Fleur Pellerin lorsqu’elle était ministre déléguée à l’économie numérique, repose sur une petite équipe au sein du ministère de l’Economie qui s’appuie sur l’ensemble des services publics contribuant au développement économique afin d’instaurer de la transversalité dans le soutien aux start-up ; l’initiative est portée autant par notre équipe que par Bpifrance, Ubifrance, l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), les différentes directions de Bercy et le ministère des Affaires étrangères. En favorisant la coordination des outils existants, la mission mise sur l’effet de levier.

M. le président Luc Chatel. À la différence des pôles de compétitivité qui sont portés par les entreprises, la Mission French Tech est une structure publique qui répond à une volonté d’intervention de l’État.

M. David Monteau. Le statut privé des pôles de compétitivité doit être nuancé, car ces derniers demeurent malgré tout des objets institutionnels.

M. Claude Sturni.  Mais les pôles de compétitivité naissent de l’initiative privée pour être ensuite labellisés par l’État.

M. le président Luc Chatel. Les pôles de compétitivité se caractérisent par un label et un financement mixte – privé pour les deux tiers et public pour un tiers, l’État et les collectivités territoriales contribuant à parts égales. Mais la gouvernance est laissée aux entreprises, alors que celle de la Mission French Tech reste semble-t-il du ressort de l’État.

M. David Monteau. Dans le cas de French Tech, l’État joue un rôle d’impulsion et d’animation. La mission a pour objectif de fédérer les acteurs sur le territoire. Elle ne leur prescrit rien. La seule exigence posée tient au leadership entrepreneurial. L’implication des acteurs publics, des collectivités, des universités, des centres de recherche est néanmoins décisive. La Mission French Tech n’est pas un nouvel instrument public, elle ne dispose d’ailleurs pas d’un financement fléché.

Les parties prenantes sont libres de s’organiser comme elles l’entendent. Seuls les projets qui sont conduits par des entreprises bénéficient de l’appui de la mission. En revanche, les projets tirés par les acteurs publics ne participent pas à la dynamique French Tech. Le moteur est clairement entrepreneurial. Un pôle de compétitivité peut tout à fait être le support de la French Tech dans un territoire.

À la différence des pôles de compétitivité, la mission ne constitue pas un nouvel instrument. En outre, les pôles de compétitivité étaient historiquement dédiés à la recherche et développement (R&D) industrielle, même s’ils tendent aujourd’hui à s’en écarter. Pour la French Tech, la problématique est différente : la R&D n’est qu’un élément parmi d’autres pour favoriser la croissance des start-up. Les pôles de compétitivité sont des acteurs majeurs du développement des écosystèmes en région. Le champ d’action de la French Tech est à la fois plus vaste et plus restreint, puisqu’il ne concerne pas que la R&D, mais il vise uniquement les entreprises à forte croissance.

M. Claude Sturni. Pouvez-vous confirmer que French Tech peut couvrir d’autres secteurs que l’informatique ?

Lors de l’audition précédente, la méconnaissance par les start-up des dispositifs créés à leur intention a été soulignée. Il faut sans doute les informer davantage sur les mesures ou les initiatives prises par les pouvoirs publics.

French Tech est-elle susceptible de s’intéresser à une start-up implantée en France qui serait la filiale d’une start-up installée à l’étranger ?

M. David Monteau. Il ne nous appartient pas de décréter des frontières thématiques. La préoccupation première est la croissance des start-up. Il est vrai que le numérique forme le noyau dur de la French Tech, mais les technologies médicales ou les énergies vertes peuvent tout à fait y trouver leur place.

M. Claude Sturni. Il faut néanmoins un effet de masse pour crédibiliser le message sur le dynamisme et l’attractivité de la France.

M. David Monteau. Nous ne décidons pas en lieu et place des acteurs locaux.

French Tech est un concept global et englobant qui vise à susciter des dynamiques. Il ne s’agit pas d’un label répondant à un cahier des charges ou à des spécifications particulières.

La French Tech rassemble l’ensemble des acteurs qui contribuent au développement des start-up françaises ou des start-up créées par des Français. Il existe une French Tech à Shanghai, à New York et à San Francisco.

Les start-up implantées à l’étranger constituent un levier très puissant pour le développement de l’écosystème. Il importe d’identifier le réseau de ces entrepreneurs français partis monter des entreprises ailleurs. Ils sont un atout pour l’attractivité : en adoptant la marque French Tech, ils peuvent en démultiplier l’effet. Ils sont également susceptibles de contribuer à l’accélération du développement des start-up en partageant leurs expériences. Nous essayons de construire ce réseau – nous avons commencé à le faire dans la Silicon Valley et à New York. Pour nous, ces entreprises font évidemment partie de la French Tech.

M. le président Luc Chatel. Quelle est la valeur ajoutée de French Tech pour les start-up françaises de la Silicon Valley ? Que leur apportez-vous qu’elles n’aient déjà ?

M. David Monteau. Nous pouvons faire en sorte que la start-up – qui ne peut bénéficier d’aides publiques directes – soit prise dans une dynamique collective pour se développer à l’international. Aux États-Unis, les entrepreneurs de la Silicon Valley avec lesquels nous avons déjà amorcé la création d’un réseau peuvent se mobiliser pour aider une start-up qui débarque à San Francisco et qui a envie de s’y développer. En France, nous avons sensibilisé Ubifrance au développement international des start-up. Nous créons ainsi les conditions d’un développement plus rapide. Il ne s’agit pas de trouver une aide pour l’entreprise, mais de l’intégrer dans une dynamique collective qui va jouer comme un accélérateur.

M. Claude Sturni. Pour prouver que les Français peuvent réussir dans la Silicon Valley, French Tech ne risque-t-elle pas de renforcer l’attractivité de la Californie et de pousser encore plus de gens au départ ? Elle s’est fixée pour objectif de démontrer qu’il est possible de développer des start-up en France. Les Californiens, eux, n’ont plus besoin de vanter les mérites de leur région.

Permettez-moi de préciser la question que je vous ai posée à propos des besoins d’information des start-up. La prise de risque est inhérente à leur réussite : or, dans certaines circonstances, elles peuvent avoir besoin, pour ne pas mourir, de se séparer de 30 ou 40 % de leurs effectifs. M. Jérôme Lecat, président-directeur général de Scality, que nous avons auditionné précédemment, nous expliquait qu’il avait découvert un dispositif – dont il ignorait l’existence – qui permet de faire un plan social en trois mois au maximum. Les pouvoirs publics ne devraient-ils pas apporter aux chefs d’entreprise – qui, pris dans le feu d’action, ont peut-être une mauvaise image de l’environnement administratif français traditionnel – des informations sur les dispositifs existants, tout en restant à l’écoute de leurs besoins ?

M. David Monteau. C’est l’un des enjeux auxquels nous devons répondre. Nous voulons, sinon susciter une prise de conscience, au moins mettre en lumière ces start-up et ces entreprises de croissance dont la dynamique bien particulière doit être prise en compte dans les politiques publiques. Les outils publics ne sont pas forcément bien adaptés à ces entreprises qui, en effet, peuvent avoir besoin de recruter 40 personnes en six mois, puis d’en licencier 30, six mois plus tard. Il faut en prendre acte et faire évoluer nos dispositifs en conséquence tout en améliorant leur lisibilité. C’est ce que nous voulons faire au niveau national, mais surtout au niveau territorial, car la start-up doit trouver l’information dans son environnement proche. Cela peut prendre la forme d’un site web : l’important est que les acteurs publics coordonnent leurs efforts pour atteindre cet objectif.

Mme Claudine Schmid, présidente. Comment vous positionnez-vous par rapport à Ubifrance, à l’AFII, aux missions économiques, notamment celles des régions, puisque tous ces acteurs institutionnels font ou devraient faire une partie de ce travail à l’étranger ? French Tech vend la France, ce qui est très bien, mais notre commission d’enquête se préoccupe de l’« exil des forces vives ». Puisque vous travaillez sur le développement de nos start-up à l’étranger, avez-vous remarqué que des entreprises quittent la France. Puisque vous cherchez aussi à identifier le réseau d’entrepreneurs français à l’étranger, savez-vous ce qui les incite à partir ?

M. David Monteau. La petite équipe de French Tech ne rivalise pas avec ces différents outils publics, mais elle veut susciter leur intérêt pour les start-up. L’AFII, qui fait très bien son travail, n’a pas identifié les investisseurs en capital-risque comme une cible particulière et n’a pas d’offre ou d’outils qui leur soient spécifiquement adaptés. Même chose pour Ubifrance, dont le métier traditionnel est d’aider les PME à exporter. Une start-up, c’est autre chose : elle n’a pas forcément un chiffre d’affaires important ; elle a besoin de clients, mais aussi de lever des fonds. Nous travaillons toutes les semaines avec Ubifrance, l’AFII et la BPI pour faire évoluer leur système vers plus de transversalité, mais nous n’avons pas les capacités d’agir à leur place, et je ne veux surtout pas que nous les ayons.

Je ne dispose pas de statistiques pour répondre à vos questions sur le nombre d’entreprises qui quittent la France et sur les raisons de leur départ. Si une start-up s’en va, c’est d’abord parce que son marché est ailleurs. M. Jérôme Lecat a dû vous expliquer que, 60 % de son marché étant aux États-Unis, il est allé le chercher dans la Silicon Valley. Le monde s’est internationalisé, les marchés se situent plutôt en Asie. La question est de savoir comment la France peut capter une partie de cette valeur et fixer des emplois sur son territoire. Qu’une entreprise se développe aux États-Unis ou en Chine, là où se trouvent ses clients, n’est pas un problème si elle garde ses fonctions de décision et ses activités de R&D en France. Une partie de la valeur captée à l’étranger bénéficie à nos territoires et à nos concitoyens, et il ne faut pas empêcher les gens de partir.

D’autres motivations existent. Certains sont allés dans la Silicon Valley attirés par l’intensité de l’écosystème, les conditions qui y sont faites aux entreprises. La situation évolue, la compétition est rude et le succès n’est pas garanti. Quoi qu’il en soit, pour capter une partie de cette valeur, il faut maintenir le lien avec les entrepreneurs qui partent. Conscients de l’expertise des ingénieurs français, ils peuvent souhaiter conserver certaines fonctions techniques en France. Nous prenons acte de la globalisation et cherchons à renforcer le réseau capable d’aider au développement de nos entreprises.

Mme Claudine Schmid, présidente. Pourriez-vous nous préciser ce qu’est le French Tech Hub de San Francisco et nous dire ce que vous en attendez ?

M. David Monteau. Le French Tech Hub de San Francisco est le successeur d’un dispositif créé conjointement par une entreprise et les services de développement économique d’Île-de-France. Nous réfléchissons à la possibilité de le dupliquer dans d’autres marchés importants. L’idée est d’en faire un accélérateur de développement pour les entreprises de croissance. Au French Tech Hub de San Francisco, par exemple, une entreprise va trouver des services qui vont lui permettre d’entrer plus vite dans l’écosystème : rencontrer des clients ou des investisseurs, trouver des locaux, s’informer sur l’environnement juridique, etc. À la différence des dispositifs habituels, tels ceux d’Ubifrance, la structure concentre ses efforts sur cette population particulière que sont les entreprises à forte croissance.

Ces French Tech Hubs veulent aussi favoriser une approche coordonnée de l’ensemble des acteurs français, au moins publics, sur un territoire donné. Dans la Silicon Valley en particulier, diverses régions sont représentées – Rhône-Alpes, Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais – ainsi qu’Ubifrance, ce qui est dommageable et illisible. Ce dispositif, dont le contenu opérationnel n’est pas figé, permet d’avoir une approche coordonnée qui profitera aux régions.

Mme Claudine Schmid, présidente. Ce French Tech Hub aide les entreprises à se développer hors de nos frontières. Que leur est-il demandé en contrepartie ?

M. David Monteau. Pour l’instant, il n’existe qu’un French Tech Hub, qui est un modèle très particulier. Il peut y avoir des dispositifs privés : Ubifrance fait payer les entreprises. Si l’État aide les entreprises à l’exportation, c’est pour qu’elles croissent, deviennent plus fortes, embauchent et contribuent au développement économique français. C’est un pari sur ces entreprises, mais il ne leur est pas demandé de contrepartie formelle.

Mme Claudine Schmid, présidente. Ce sont des entreprises françaises qui se développent à l’étranger ou des start-up qui sont à l’étranger ?

M. David Monteau. Ce sont des entreprises françaises qui veulent se développer à l’étranger. Nous allons par exemple aider un créateur de start-up de Franche-Comté à s’insérer à Shanghai où il a identifié son marché.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie de votre contribution à nos travaux.

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Audition du 18 septembre 2014

À 9 heures 30 : Mme Nicole Goulard, avocate fiscaliste associée au cabinet Jeantet Associés.

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons ce matin Mme Nicole Goulard, avocate fiscaliste associée au cabinet Jeantet Associés. La question fiscale – que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans nos auditions précédentes – mérite en effet un approfondissement. Travaillant sur des sujets liés à l’expatriation, vous pouvez, madame, nous éclairer sur les mécanismes qui déterminent cette dernière. Loin de vouloir dénoncer ou stigmatiser ces comportements, nous souhaitons dresser un constat pour formuler des propositions législatives ou réglementaires à même d’endiguer le phénomène de départ de nos forces vives, en particulier de nos centres de décision.

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Nicole Goulard prête serment)

Mme Nicole Goulard, avocate fiscaliste associée au cabinet Jeantet Associés. C’est en ma qualité d’avocate fiscaliste spécialisée en matière de fiscalité des personnes et du patrimoine que j’ai l’honneur de me présenter devant votre commission. Mon propos se concentrera donc sur la délocalisation des personnes physiques, laissant de côté celle des entreprises, qui relève davantage de l’analyse économique. Sans pouvoir vous livrer de chiffres – les statistiques sont à rechercher du côté du ministère des Finances ou de celui des Affaires étrangères –, je peux dresser le profil des candidats à l’exil et exposer les principales raisons fiscales qu’ils avancent pour justifier leur départ.

Les intentions des Français qui choisissent de s’expatrier sont multiples et ne sauraient se résumer au seul enjeu fiscal, même si celui-ci reste prégnant. Le rôle du conseil consiste alors à préciser les conditions du départ, à en définir le cadre juridique et à déterminer ce qu’il impose en matière de bouleversement des conditions de vie, de coût financier – une délocalisation à Londres implique par exemple un surcoût de logement –, de protection sociale, voire d’éducation des enfants. Il s’agit d’appréhender le départ dans sa globalité. Une délocalisation impose au contribuable et à sa famille une rupture en termes de conditions de vie au quotidien et de liens sociaux. Certains candidats à l’exil renoncent d’ailleurs à leur projet, estimant ces contraintes excessives.

L’expatriation des forces vives représente une réalité. Le phénomène n’est pas récent ; dès 1998, le premier dispositif d’exit tax se donnait pour objectif de lutter contre les délocalisations d’entrepreneurs ou de managers qui cherchaient des cieux plus cléments pour réaliser les plus-values de cession de valeurs mobilières. Depuis trois ou quatre ans, les départs ont toutefois connu une accélération. L’âge des candidats à l’exil a également changé : s’il s’agissait auparavant essentiellement de retraités ou d’entrepreneurs souhaitant céder leur entreprise à la fin de leur carrière professionnelle, les jeunes entrepreneurs sont désormais également concernés. Ceux-ci partent d’ailleurs pour des raisons dépassant la seule matière fiscale, à la recherche d’un cadre réglementaire stable et simple, à même de les accompagner sereinement dans le développement de leur entreprise. Même les enfants sont aujourd’hui pris dans le mouvement : en l’absence de convention fiscale, l’article 750 ter du code général des impôts fait tomber les actifs des parents déjà installés à l’étranger dans le champ d’application des droits de mutation à titre gratuit. C’est notamment le cas pour la Suisse depuis la dénonciation de la convention fiscale franco-suisse en matière de succession.

Pourquoi envisager l’exil ? La forte augmentation de la pression fiscale, l’instabilité législative et la complexité – voire l’illisibilité – de certaines lois nourrissent les projets de délocalisation. La comparaison de nos taux d’imposition avec ceux de nos voisins fait apparaître que c’est moins en matière de fiscalité des revenus que de celle du patrimoine que la France se trouve dans une situation désavantageuse. Le taux marginal de l’impôt sur le revenu s’établit en France à 45 % ; la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus – la fameuse « surtaxe Fillon » – le porte à 48 ou à 49 %. Ce taux n’est pas très différent de celui que connaissent nos voisins ; le décalage vient plutôt des prélèvements sociaux qui viennent s’y ajouter. En matière de fiscalité des revenus professionnels, les cotisations de sécurité sociale – déplafonnées dans notre pays – ne sont aussi lourdes qu’en Belgique et en Italie. En matière de revenus de patrimoine et de placement, les prélèvements sociaux – la CSG, la CRDS et les prélèvements sociaux additionnels – s’élèvent à 15,5 %. On en arrive donc à des taux avoisinant 60 %, qui s’appliquent également aux gains sur stock-options et actions gratuites, ces derniers se retrouvant aujourd’hui davantage taxés que les revenus salariaux – mauvais point pour l’attractivité de notre pays lorsqu’une entrreprise réfléchit au lieu où établir le siège de sa direction. On nous a envié notre système de TVA ; aujourd’hui, ce sont la CSG et la CRDS qui font rêver certains législateurs étrangers.

C’est en matière de fiscalité du patrimoine que les termes de la comparaison sont certainement les moins favorables pour la France. Le taux d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières soumises au régime de droit commun reste élevé, s’établissant entre 60 et 32 % – la différence des taux dépend désormais de la durée de détention des actions –, alors qu’il ne dépasse pas 30 % dans la plupart des pays voisins. Il s’établit ainsi à 28 % au Royaume-Uni, à 26 % en Allemagne, à 27 % en Espagne, à 26 % en Italie ; quant à la Belgique et à la Suisse, les plus-values – sauf exceptions – n’y sont pas imposables. Un régime dérogatoire mis en place l’an passé et applicable aux plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2013 permet aux détenteurs de titres souscrits auprès de jeunes PME de bénéficier d’un abattement qui ramène le taux d’imposition à 23 % au bout de huit ans de détention. Ce taux incitatif et compétitif ne saurait toutefois concerner l’ensemble des contribuables.

Le sujet majeur reste néanmoins celui de la transmission. Depuis juillet 2011, le taux marginal d’imposition des droits de succession et de mutation à titre gratuit s’établit en France à 45 %. À partir d’un montant de 550 000 euros par part d’actifs donnés ou transmis en ligne directe, le taux applicable s’élève déjà à 30 %. Les abattements ont été réduits pour s’établir aujourd’hui, pour les successions ou les donations en ligne directe, à 100 000 euros, et le délai entre deux donations permettant de les appliquer est passé de six ans en 2011 à quinze ans en 2013. Le jeu de ces modifications rend désormais difficile d’organiser les transmissions en réalisant des donations au fil du temps. Les droits de succession belges
– 30 % dans la région de Bruxelles – sont également assez élevés, mais la Belgique connaît des droits de donation extrêmement réduits – 3 % dans la même région de Bruxelles. Les transmissions sont donc systématiquement anticipées en Belgique. Certains cantons suisses
– tels que Zurich – ne connaissent ni droits de succession ni droits de donation ; dans le canton de Vaud, à Lausanne, ils s’établissent à 7 %. Au Royaume-Uni, les droits de succession sont aussi relativement élevés, mais les donations réalisées plus de sept ans avant le décès sont libres de droits, ce qui permet là aussi d’anticiper les transmissions ; le régime des non domiciliés offre des avantages complémentaires. En Italie, les droits de donation et de succession, très réduits, s’élèvent à 4 %. Notre taux d’imposition s’avère ainsi nettement plus élevé que ceux de nos voisins.

La question de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) semble au contraire moins sensible aujourd’hui qu’elle ne l’était hier. La règle du plafonnement de l’impôt sur le revenu et de l’ISF à 75 % des revenus est certes moins favorable que les dispositions du bouclier fiscal, mais elle rend l’impôt acceptable. Ce n’est donc plus l’ISF qui suscite les délocalisations.

Si des taux d’imposition nettement plus élevés que ceux pratiqués par nos voisins motivent certainement en partie les départs, d’autres facteurs doivent être pris en considération. Ainsi l’instabilité législative et celle de la doctrine administrative créent-elles une zone d’insécurité qui affecte largement la confiance. Les quatre lois de finances votées en 2011 et le collectif budgétaire particulièrement chaotique adopté fin 2012 ont sans doute suscité des candidatures au départ, tout comme la tentative de l’administration fiscale, en juin 2013, de passer outre la censure du Conseil constitutionnel en matière de plafonnement de l’ISF intervenue quelques mois auparavant. Ces revirements brutaux de la doctrine et l’incertitude devant laquelle se trouvent placés certains contribuables entretiennent le malaise. Autre exemple : la possibilité ou non de qualifier une société de holding animatrice conditionne tant l’exonération d’ISF à titre d’outil de travail que la mise en place des « pactes Dutreil » qui fixent le taux marginal d’imposition de la transmission à 45 % – autant d’enjeux significatifs.

La complexité et le défaut de lisibilité des textes constituent également un facteur de départ. Certains régimes fiscaux – qui semblent avoir perdu leur objectif premier – se révèlent extrêmement lourds à gérer. Depuis le 1er janvier 2013, les plus-values sur cession de valeurs mobilières sont soumises au barème progressif de l’impôt sur le revenu et assujetties aux prélèvements sociaux de 15,5 %. Dans les conditions de droit commun, un dispositif d’abattement applicable au calcul de l’impôt sur le revenu s’établit à 50 % pour les titres détenus entre deux et huit ans et à 65 % au-delà de huit ans, ce qui ramène le taux d’imposition à 31,25 % si l’on ne tient pas compte de l’impact de la déductibilité de la CSG et de la « surtaxe Fillon ». La détention des actions sur le long terme est donc bien encouragée ; cependant, les abattements jouant de la même manière en matière de moins-value, elle peut également se révéler pénalisante. Ainsi, on peut imputer 100 % d’une moins-value réalisée moins de deux ans après l’acquisition du titre ; mais au bout de huit ans de détention, on ne peut plus en imputer que 35 % en régime de plein droit et 15 % en régime dit incitatif. Taxer ainsi les pertes apparaît absurde et n’encourage pas le risque.

Le dispositif de l’exit tax représente un autre exemple de la complexité des textes. Les deux formulaires à compléter au moment du départ fiscal – 2074ETD et 2074ETS – comportent onze pages chacun, leurs notices en comptant plus de vingt. Si l’on détient plus de deux participations – ce qui amène à dupliquer les déclarations –, on se voit obligé, au moment du départ, de remplir cinquante ou cent pages. De plus, certains formulaires ne sont toujours pas disponibles, la succession de trois régimes différents d’exit tax rendant difficile pour l’administration fiscale de publier les documents dans les délais. Si cela ne signifie pas qu’il est devenu impossible de satisfaire ses obligations fiscales, il semble en revanche nécessaire, tant pour les particuliers que pour l’administration fiscale, d’alléger les formalités déclaratives des contribuables.

Pour limiter les impacts potentiels de la fiscalité sur l’attractivité de notre pays, il nous faut sortir de l’impôt abscons dont la complexité confine à l’absurdité. Le monde s’ouvre mais la France se replie sur elle-même, poussant ses forces vives à l’exil. Avec la naïveté du bon sens, je conclurai en disant que c’est moins un régime d’exit tax qu’un régime d’attractivité du territoire qui doit nous permettre de conserver notre compétitivité.

M. le président Luc Chatel. Puisque vous ne pouvez pas nous livrer de chiffres, sur quoi vous fondez-vous pour affirmer que le phénomène d’exil s’aggrave depuis quelques années ? Vous appuyez-vous sur nombre de clients qui font appel à votre cabinet ou sur d’autres indicateurs ?

Quel est, à votre avis, l’impact de l’exit tax dont vous avez souligné la lourdeur administrative ? Aurait-il un effet inverse de celui recherché par le législateur ? Quelles sont les conséquences de sa mise en œuvre ?

Pourquoi la taxation des stock-options est-elle supérieure à celle des revenus salariaux ?

Vous avez mentionné la volonté de l’administration fiscale de contourner la censure, par le Conseil constitutionnel, du calcul du plafonnement de l’ISF ; pouvez-vous revenir sur le déroulement de cet épisode ?

Le plafonnement de l’ISF à 75 % des revenus aurait rendu cet impôt acceptable dîtes-vous ; cependant, toute fiscalité cumulée – revenus et patrimoine –, les taux applicables en France me paraissent nettement supérieurs à ceux de nombre d’autres pays. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Enfin, vous avez fait allusion à la disposition sur les holdings animatrices ; pouvez-vous préciser quelles en sont les conséquences ?

Mme Nicole Goulard. C’est le nombre de dossiers traités par notre cabinet qui me fait dire que le nombre de départs a augmenté depuis trois ou quatre ans.

M. le président Luc Chatel. Dans quelle proportion vous semble-t-il avoir augmenté ?

Mme Nicole Goulard. Le nombre de dossiers a doublé, voire triplé depuis trois ans. Certes, je ne dispose pas des chiffres de mes confrères, aussi ma vision reste-t-elle très parcellaire.

L’exit tax ne bloque en aucun cas les départs ; au contraire, au terme d’un effet pervers constaté dès la mise en place du premier dispositif en 1998, il conduit à les anticiper, conduisant les personnes à s’expatrier avant que la plus-value latente de l’entreprise n’atteigne un niveau trop important.

Depuis 2006 – année marquée par les affaires Vinci et EADS –, le législateur s’est attelé à renforcer la taxation des gains sur stock-options et attributions gratuites d’actions. Aux termes de la loi de finances rectificative pour 2012, les gains de levée – pour les stock-options – et les gains d’acquisition – pour les actions gratuites – sont taxés à la même hauteur que les salaires, avec un taux marginal de 45 %. À cela s’ajoutent d’une part les prélèvements sociaux – la CSG et la CRDS – qui s’élèvent à 8 %, et d’autre part une contribution sociale forfaitaire de 10 % due au moment de la cession des titres. On arrive ainsi aujourd’hui à un taux cumulé supérieur à celui qui pèse sur les salaires. Ainsi, pour les tranches de revenu excédant 300 000 euros – où les cotisations de sécurité sociale et les prélèvements sociaux représentent un peu moins de 10 % –, pour tout euro supplémentaire de salaire, le taux de prélèvement – cotisations de sécurité sociale et impôt sur le revenu confondus – fluctue entre 51 et 55 %, selon que l’on y applique ou non la « surtaxe Fillon » de 4 %. Le taux d’imposition qui pèse sur les gains de stock-options et d’actions gratuites s’établit quant à lui entre 60 et 64,5 %, posant de graves problèmes aux entreprises – en particulier non cotées – qui ont besoin de cet instrument pour motiver leurs cadres. Notons que dans les législations étrangères, la taxation de ces gains est au pire égale à celle des traitements et des salaires.

De plus, les stock-options et les attributions gratuites d’actions donnent lieu, du côté de l’entreprise, au paiement d’une contribution patronale de 30 %, due à la date où l’on consent les droits, c’est-à-dire avant de distribuer effectivement les actions. Ainsi, même si les cadres concernés quittent l’entreprise ou que les objectifs de performance qui leur ont été fixés ne sont pas atteints, et que les actions ne sont donc pas distribuées, l’entreprise aura néanmoins payé. Cette taxe très élevée se révèle ainsi plus chère que des charges sociales qui, elles, ne sont dues qu’au moment où les actions sont effectivement distribuées aux bénéficiaires. Il faudrait réinsuffler du dynamisme dans les plans d’actionnariat.

Je reviens sur la volonté farouche de l’administration, en juin 2013, de contourner la censure du Conseil constitutionnel en matière d’ISF. Dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012 et de la loi de finances pour 2013, on a débattu du périmètre des revenus à retenir pour le calcul du plafonnement de l’impôt sur le revenu et de l’ISF – mesure qui date de la suppression du bouclier fiscal. La loi a finalement prévu d’intégrer dans la notion de revenu un certain nombre d’éléments qui ne relèvent pas du revenu disponible, notamment les dividendes accumulés au sein d’une société contrôlée par le contribuable et la valorisation des contrats d’assurance vie. Ce dispositif a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel. Or le 14 juin 2013 – alors que les déclarations d’ISF avaient quasiment toutes été déposées –, une instruction a été publiée enjoignant de compter la prise de valeur des contrats d’assurance vie en euros parmi les revenus à retenir pour le calcul du plafonnement de l’ISF 2013. Cet incident a créé beaucoup d’émoi ; l’instruction étant non conforme à la Constitution et illégale – puisqu’elle ajoutait aux textes de loi –, elle a été annulée par le Conseil d’État statuant sur un recours.

Le plafonnement actuel de l’ISF à 75 % des revenus reste élevé, mais il n’excède que de quinze points les 60 % du bouclier fiscal. Certes, les contribuables concernés se seraient bien passés de cet impôt ; mais les modalités actuelles du plafonnement le rendent acceptable. Il ne figure pas parmi les motifs de délocalisation.

M. le président Luc Chatel. Ce mode de calcul de l’ISF pénalise peut-être un autre profil de ménages, ayant des revenus moins élevés mais un patrimoine important.

Mme Nicole Goulard. En effet, l’ISF pose problème aux tranches moyennes des contribuables qui y sont soumis – à distinguer des tranches moyennes des contribuables soumis à l’impôt sur le revenu.

À la différence de la holding pure, la holding animatrice est définie comme animant ses filiales et participant activement au contrôle de celles-ci. Cette notion conditionne une série d’avantages fiscaux. Ainsi, les participations que le contribuable détient dans l’entreprise dans laquelle il travaille sont en principe exonérées d’ISF s’il s’agit de son outil de travail. L’exonération n’est pas applicable à une holding pure ; on accepte cependant un degré de superposition où l’outil de travail est directement détenu via une holding non active. Si la superposition de deux holdings pures fait tomber le bénéfice de l’exonération d’ISF, il reste possible d’avoir une holding pure au dernier étage, une holding animatrice et une société opérationnelle.

La définition du rôle de holding animatrice a été codifiée pour une série de dispositifs, notamment ceux applicables en matière de souscription au capital de PME ; en dehors de ces cas, on ne dispose que d’une définition donnée par la doctrine. Or les récents revirements de position et contrôles fiscaux montrent la fragilité de cette notion qu’il conviendrait de sécuriser. En effet, pour un patron d’entreprise, savoir si son outil de travail est ou non exonéré d’ISF représente un enjeu financier important, d’autant que le délai de prescription est dans ce cas de six ans et non de trois ans.

Il en va de même des « pactes Dutreil » qui permettent, sous certaines conditions, d’exonérer d’impôt 75 % de la valeur des entreprises transmises. Le dispositif est applicable aux sociétés superposant deux holdings pures, mais au-delà de deux niveaux de superposition, il faut pouvoir démontrer que les détentions faites via des holdings animatrices répondent bien à cette qualification. Les enjeux sont là aussi considérables : lors de la donation d’une entreprise, si l’on considère celle-ci comme une holding animatrice, on paie des droits à hauteur de 25 % de sa valeur ; en cas de contrôle fiscal et de requalification, on peut se voir obligé de payer des droits portant sur 75 % de cette valeur, avec un taux d’imposition de 45 % – une situation intenable. Il est donc impératif de préciser la définition. Actuellement, les positions divergent sur ce sujet, le débat portant sur la définition du contrôle des filiales par les holdings animatrices ainsi que sur la possibilité d’une double animation, souvent contestée alors qu’elle représente une réalité dans toutes les entreprises à deux branches familiales. Il est dommage que la structuration juridique de certaines opérations n’obéisse qu’à des objectifs fiscaux et non aux impératifs économiques.

Mme Claudine Schmid. Le nombre de personnes qui vous consultent pour quitter la France a doublé, voire triplé depuis quelques années. Avez-vous également constaté un changement de profil ? S’agit-il d’actifs, créateurs d’emplois et payant l’impôt sur le revenu, ou bien de personnes ayant terminé leur activité qui partent pour des raisons liées à l’imposition sur le patrimoine ?

Les expatriés vendent-ils leurs biens en France ou bien conservent-ils leur patrimoine français ? Il me semble que la fin de la convention franco-suisse devrait conduire les héritiers à quitter la France en vendant les biens qu’ils y détiennent ; partagez-vous mon sentiment ?

Les jeunes entrepreneurs qui veulent créer une entreprise partent pour éviter que celle-ci, si elle réussit, ne soit lourdement taxée. Quitte à prendre un risque, ils souhaitent qu’il leur rapporte en cas de succès. Partir jeune pour débuter ailleurs permet d’être dès le départ moins imposé et évite de devoir payer l’exit tax.

La façon dont se déroulent les contrôles fiscaux contribue-t-elle au désir d’exil ? Une grande entreprise peut engager un spécialiste pour faire face à un contrôle fiscal tout en continuant à fonctionner, mais dans une PME c’est le patron qui doit s’en occuper, perdant toute possibilité de démarcher des clients. La méthode et surtout la durée des contrôles fiscaux peut-elle inciter des personnes qui en ont connu un à se délocaliser ?

Mme Nicole Goulard. Parmi les candidats à l’exil on trouve tant des jeunes que des personnes qui se délocalisent pour des raisons liées à la transmission de patrimoine.

En cas de transfert de résidence fiscale, le pays concerné doit devenir non seulement le lieu de vie, mais également le centre des intérêts économiques de l’expatrié, ce qui n’est pas le cas si l’on se délocalise en conservant tous ses actifs en France. Il est donc logique que les personnes qui s’établissent à l’étranger y réalisent des investissements. Quant au point particulier que vous évoquiez, il est à relier à l’instabilité administrative déjà mentionnée : en 2012, l’administration fiscale a subitement supprimé une tolérance qui existait depuis 1972 et qui permettait aux personnes installées en Suisse et placées sous régime du forfait, à certaines conditions, de bénéficier des dispositions de la convention fiscale franco-suisse en matière d’impôt sur le revenu et d’ISF. Ce revirement implique nécessairement pour ceux qui ont gardé une résidence secondaire ou d’autres actifs immobiliers en France de les céder pour éviter une remise en cause de leur résidence fiscale.

Les jeunes entrepreneurs partent généralement lorsque leur entreprise est déjà développée et possède un potentiel de plus-value. L’exit tax ne fait pas partie de leurs préoccupations ; ils se délocalisent pour des raisons fiscales, mais également en quête d’un cadre simple et stable offert par certaines législations étrangères.

Quelle qu’en soit la méthode, un contrôle fiscal est toujours vécu avec beaucoup d’émotion par les contribuables. Le nombre et la durée des contrôles se sont accrus ces dernières années, tant pour les entreprises que pour les particuliers, et les procédés utilisés semblent devenus plus violents que par le passé. Une PME ne dispose pas des mêmes moyens qu’une grande entreprise pour répondre à ces contrôles ; si c’est généralement l’expert comptable qui les prend en charge, le dirigeant y consacre également beaucoup de temps, délaissant ses affaires.

M. le président Luc Chatel. Quel est l’impact de la taxe à 75 % – qui frappe les revenus supérieurs à un million d’euros – sur le départ de cadres dirigeants ?

Les représentants de la Direction générale des finances publiques – DGFiP – nous ont indiqué en audition avoir beaucoup de mal à mesurer le phénomène de l’exil fiscal ; y croyez-vous ?

Faut-il supprimer l’exit tax ? Quel dispositif fiscal doit-on envisager pour rendre notre pays plus attractif et enrayer les départs ?

Vous avez concentré vos propos sur le départ de personnes physiques ; que savez-vous sur celui des centres de décision ?

Mme Nicole Goulard. Sans disposer de chiffres concernant son impact sur les volontés de délocalisations et les départs effectifs, je classerais la taxe à 75 % parmi les impôts abscons. Ce type de dispositions est à proscrire. Il s’agit d’abord d’un impôt totalement inefficace d’un point de vue budgétaire. Censé à l’origine taxer les hautes rémunérations – donc des personnes physiques –, il taxe désormais certaines entreprises
– choix incompréhensible d’un point de vue philosophique et économique. Enfin, annoncée à 75 %, cette taxe s’établit finalement à 50 %. Alors qu’il apparaît inutile, cet impôt suscite un rejet épidermique chez les dirigeants, l’effet d’image à l’international étant désastreux pour l’attractivité de notre pays. Je laisse à Bercy le soin de déterminer si cette taxe s’est révélée efficace pour limiter les montants des rémunérations allouées par les entreprises.

La DGFiP tout comme le ministère des Affaires étrangères disposent certainement de chiffres, mais ces derniers sont difficiles à interpréter. Lorsqu’une personne se délocalise, l’administration vérifie si elle a déposé une déclaration d’exit tax, si elle était redevable de l’ISF et concernant quel patrimoine. Mais les motivations réelles du départ échappent aux statistiques, peu de personnes étant prêtes à affirmer qu’elles s’expatrient pour des raisons purement fiscales.

L’exit tax semble elle aussi largement inefficace. Les recettes qui y sont attachées
– 42 millions d’euros fin 2012, à la place des 180 millions escomptés – se sont révélées décevantes. Au-delà du seul plan financier, cette taxe sème le trouble tant parmi les contribuables que sur la scène internationale. Ce nouveau dispositif de sanction s’applique en effet de la même manière à ceux qui se délocalisent pour des raisons fiscales et à ceux qui le font pour des raisons professionnelles. Ainsi les expatriés des entreprises en subissent-ils également les contraintes. Le dispositif prévoit l’application d’un régime de sursis de paiement à l’intérieur de l’Union européenne ; mais le contribuable qui souhaite s’installer hors d’Europe doit, pour bénéficier d’un sursis, présenter des garanties à hauteur d’une partie de ses plus-values soumises à l’exit tax. Ces garanties ne sont pas nécessaires si la personne se délocalise à des fins professionnelles et peut attester d’une mutation ou d’un recrutement par une entreprise à l’étranger, et si le pays où elle s’établit a signé avec la France une convention fiscale prévoyant non seulement des clauses d’assistance administrative classique pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, mais également une clause en matière d’assistance au recouvrement. Or c’est loin d’être le cas pour tous les pays ; ainsi les entreprises qui envoient du personnel en Chine – destination économique importante – doivent-elles gérer des formalités très lourdes. Enfin, le contribuable doit faire un suivi déclaratif pendant quinze ans pour voir l’impôt dégrevé ou restitué : on préjuge donc qu’une personne qui se délocalise moins de quinze ans le fait pour des raisons d’évasion fiscale. Il est nécessaire de revoir ce dispositif, sinon l’abroger. Plus généralement, il faudrait harmoniser notre fiscalité avec celle de nos voisins ; en effet, c’est la compétitivité fiscale entre États qui se trouve à l’origine de ces délocalisations.

Pour renforcer l’attractivité de la France, il faudrait introduire des dispositions fiscales qui permettent au contribuable de rester dans notre pays et de contribuer au développement de notre compétitivité. En effet, les mesures d’attractivité qui existent aujourd’hui restent trop partielles. Ainsi le régime des impatriés – codifié à l’article 155 B du code général des impôts et applicable aux salariés appelés de l’étranger à venir travailler en France – représente-t-il un dispositif efficace mais temporaire. En matière d’ISF, il permet par exemple aux personnes qui n’ont pas été fiscalement domiciliées en France dans les cinq ans qui précèdent leur arrivée de ne pas être taxées, pendant cinq ans, sur les actifs qu’elles détiennent à l’étranger. Pour salutaires qu’elles soient, ces mesures ne confortent pas la situation d’un résident permanent en France. Il faut élaborer des taux d’imposition plus pérennes et en assurer la sécurité juridique.

M. le président Luc Chatel. Je vous remercie, maître, pour vos réponses.

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* *

Audition du 24 septembre 2014

À 16 heures 15 : M. Éric Hebras, avocat en droit fiscal français et international, associé au cabinet Genesis.

M. le président Luc Chatel. Notre commission d’enquête s’intéresse à la fois au départ des jeunes, à celui des centres de décision et à l’exil fiscal proprement dit. Sur ces questions auxquelles vous avez affaire, maître, dans l’exercice de vos fonctions, et à propos desquelles nous avons auditionné l’une de vos consœurs la semaine dernière, notre but est à la fois de constater le problème et de proposer des mesures permettant d’y remédier.

Avant de vous donner la parole, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Éric Hebras prête serment.)

M. Éric Hebras, avocat associé au cabinet Genesis. Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission d’enquête, de me donner l’occasion de m’exprimer comme avocat sur ce sujet difficile.

Je m’efforcerai d’éviter de répéter ce qu’ont déjà fort bien exposé mes confrères, me concentrant sur la situation des entrepreneurs, à la fois comme particuliers et comme chefs d’entreprise. Sans anticiper sur ma conclusion, je préciserai d’emblée qu’à mon sens, la stigmatisation des départs à l’étranger, qu’ils concernent les personnes physiques ou les personnes morales, n’est pas souhaitable, car elle paraît inutile, voire contre-productive.

Le constat général qui se dégage à la fois de ma pratique habituelle et du sentiment des chefs d’entreprise que je conseille est le suivant : la fiscalité en France est omniprésente et trop lourde ; les taux d’imposition en France sont trop élevés.

Sans m’attarder sur des enjeux déjà fort bien résumés par mes confrères, je dirai simplement que, pour les personnes physiques – jeunes entrepreneurs ou entrepreneurs adultes, c’est-à-dire assez éloignés de l’âge de la retraite –, le problème principal est la fiscalité des plus-values. Le fait que les plus-values réalisées par les particuliers lors de la cession de leurs titres ou de leurs actifs se voient appliquer les prélèvements sociaux et l’impôt sur le revenu au taux marginal alourdit excessivement leur taxation. Ma consœur Nicole Goulard l’a rappelé devant vous, le taux minimum est de 32 %. Cette situation suscite l’incompréhension des entrepreneurs, généralement enclins à réinvestir ces sommes dans l’activité économique, ce qu’ils peuvent d’autant moins faire qu’elles sont davantage taxées.

Du côté des personnes morales – les entreprises elles-mêmes –, le taux d’impôt sur les sociétés auquel sont assujetties les petites et moyennes entreprises est manifestement jugé trop élevé. L’existence d’un taux de 15 % pour les revenus nets inférieurs à 38 120 euros paraît totalement anachronique. Les dirigeants de PME souhaitent se voir appliquer un taux d’imposition correspondant à leur activité, d’autant que les grands groupes, eux, peuvent bénéficier d’un taux effectif d’imposition bien inférieur au taux théorique.

Quant à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), il pose aux entrepreneurs un problème moins financier que psychologique.

Plus qu’au taux d’imposition lui-même, les entrepreneurs sont sensibles à l’excès de lois et d’instructions. On peut citer l’exemple flagrant de l’année 2011 où se sont succédé quatre lois de finances. D’une manière générale, nous avons trois lois de finances par an, auxquelles s’ajoute la loi de financement de la sécurité sociale avec ses aspects fiscaux, qui sont cruciaux. Trop de lois, donc, mais aussi trop de changements législatifs, parfois en six mois seulement, par exemple à propos des cessions d’actions en 2012. Il arrive même que des annonces ne se traduisent finalement pas en actes – par exemple sur la réduction à 5 % du taux de TVA – alors que leurs effets avaient été anticipés par les entreprises. De telles situations génèrent d’importantes lourdeurs administratives.

En outre, les textes ne sont jamais entièrement abrogés mais s’ajoutent les uns aux autres, ce qui les rend encore plus complexes et difficiles à comprendre. Les commentaires de l’administration fiscale deviennent indispensables et l’administration elle-même peine à suivre.

Cette situation conduit également à multiplier sans cesse les exonérations, exemptions et exceptions. S’agissant par exemple de l’imposition des plus-values des particuliers, on est passé d’un taux proportionnel à la soumission à l’impôt sur le revenu puis, après la « révolte des pigeons », à l’instauration de nouveaux abattements, de sorte qu’aujourd’hui plusieurs types d’abattements se superposent les uns aux autres.

D’une manière générale, on observe le développement de lois de plus en plus complexes qui nécessitent – et c’est à mes yeux le plus gênant – des formalités administratives de plus en plus problématiques pour les entreprises. Cela nuit à la compréhension du dispositif, décourage les investissements et génère des coûts croissants de conseil ou d’expertise comptable.

Un bon exemple est fourni par la déductibilité des intérêts financiers. Une règle prévalait auparavant qui n’était peut-être pas sans défauts mais avait le mérite de la simplicité. Plusieurs textes nouveaux ont été adoptés à partir de 2008-2009 et il n’en existe aujourd’hui pas moins de six ou sept qui limitent la déductibilité. Les entreprises doivent bien suivre, comme l’administration elle-même, tenue de produire de nouveaux formulaires. L’incompréhension s’installe, d’autant que les objectifs poursuivis ne sont pas clairs.

Il y a par ailleurs beaucoup trop de lois temporaires, qui ne valent parfois que pour un an. On citera l’imputation des déficits subis à l’étranger par les PME ou le taux de 19 % qui s’est appliqué aux plus-values réalisées lors des cessions de titres des PME au moment où elles ont été soumises à l’impôt sur le revenu.

On constate aussi qu’un nombre croissant de textes temporaires est pérennisé. S’agissant par exemple de la contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés, les taux sont modifiés mais la mesure est prorogée.

Il est un aspect moins manifeste mais souligné par nombre d’entrepreneurs. Lorsque l’on évoque l’exil des forces vives, on parle souvent des droits de mutation, des plus-values, mais on oublie la quantité des taxes qui pèsent aujourd’hui sur les entreprises et qu’il est bien difficile de dénombrer. Selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, il existerait ainsi 309 taxes dites affectées, c’est-à-dire qui ne figurent pas dans le budget général ; « toutefois », précise le rapport, « le décompte arrêté par le Conseil est probablement en deçà du nombre réel de taxes affectées ». L’Inspection générale des finances estime, quant à elle, que quelque 192 taxes ont un rendement inférieur à 150 millions d’euros ; il ne dépasse pas 100 millions d’euros pour 179 d’entre elles, contre 3 en Allemagne et 17 en Belgique. Ces taxes, qui relèvent souvent de la fiscalité indirecte et bénéficient d’une forme d’invisibilité, ne sont en réalité pas si invisibles ni indolores qu’il y paraît et leur multiplication pose problème.

Comment expliquer que l’on en soit arrivé là ? Le sentiment du contribuable – c’est mon impression personnelle, mais aussi celle de nombreux confrères et entrepreneurs – est que le législateur ne lui fait plus vraiment confiance et que la politique fiscale qui et menée en est le signe. D’une certaine manière, on laisse entendre que le contribuable serait toujours un fraudeur potentiel. On peut aisément comprendre que le contribuable lui-même ne fasse plus guère confiance à un tel législateur.

Comment se manifeste cette défiance du législateur ? Premièrement, à l’occasion du contrôle fiscal. Tous mes confrères font état d’une véritable stigmatisation des entreprises lors des contrôles. Les pénalités pour manquement délibéré – c’est-à-dire pour mauvaise foi –, qui s’élèvent à 40 %, sont presque systématiquement appliquées par les vérificateurs. En outre, si l’obligation de fournir une comptabilité informatisée lors du contrôle ne posera aucun problème aux grands groupes, l’objectif de maîtrise de leurs flux, notamment à l’international, n’est pas du tout adapté à la situation des petites entreprises. Pour en discuter assez régulièrement avec des vérificateurs, je sais que, de leur avis même, cette disposition ne leur facilite pas la tâche et complique celle des entreprises, sans apporter le moindre bénéfice. Le contribuable est stigmatisé comme fraudeur potentiel et le fait que cette obligation impose de plus en plus souvent de procéder au contrôle dans les locaux de l’administration plutôt que dans ceux de l’entreprise ne pourra que nuire à la qualité du débat oral et contradictoire.

Deuxièmement, depuis quelques années, le législateur veut légiférer sur tous les cas de fraude potentielle. Cette volonté peut se comprendre mais elle trouve ses limites en ce qu’elle donne elle aussi au contribuable l’impression qu’on le croit naturellement enclin à frauder. Deux réformes introduites par la loi de finances pour 2014 en attestent. La première concerne l’abus de droit. Jusqu’alors et depuis plusieurs années, cette notion était régie par une réglementation assez précise et satisfaisante. Le législateur a voulu l’étendre à tous les schémas qui auraient l’optimisation fiscale pour but principal, et non plus exclusif. La seconde est l’obligation de déclarer tous les schémas d’optimisation fiscale. Les deux mesures ont évidemment été censurées par le Conseil constitutionnel. Elles n’en suggèrent pas moins que le législateur préfère anticiper sur la fraude dont le contribuable est à ses yeux susceptible, plutôt que laisser la jurisprudence se prononcer sur les cas qui le justifient ou les vérificateurs gérer les situations de fraude.

Les opérations d’apport-cession, réalisées en sursis d’imposition, fournissent un exemple révélateur de ce zèle excessif. En 2011 et 2012, la jurisprudence du Conseil d’État avait clairement défini les conditions dans lesquelles de telles opérations pouvaient être qualifiées d’abus de droit. Le législateur a souhaité revenir sur cette jurisprudence en créant un régime non plus de sursis mais de report d’imposition. En d’autres termes, il s’est défié de la jurisprudence et lui a préféré un système très strict qui entraîne d’importantes obligations déclaratives, de manière à se prémunir d’avance contre toute fraude. Cela revient à considérer que les personnes qui procèdent à des apports de titres le feraient a priori en vue de frauder, ce qui est pour le moins stigmatisant. Pour le dire autrement, on légifère pour traiter des situations de fraude exceptionnelle.

Dans un tel climat, comment s’étonner que le contribuable ne fasse lui-même guère confiance au législateur ? J’en veux pour preuve le fait que 14 grandes entreprises seulement aient souhaité rejoindre la cellule créée auprès de la Direction générale des finances publiques, précisément dans le but de susciter la confiance.

C’est ainsi que l’on pousse le contribuable à des extrémités : le départ à l’étranger, les transferts de sièges sociaux. Le problème n’est pas seulement que les personnes physiques et morales aient tendance à aller chercher ailleurs la stabilité fiscale qui fait défaut en France, mais aussi que nos dispositifs législatifs les dissuadent de réinvestir dans notre pays – c’est peut-être là la difficulté principale. On ne peut empêcher les départs dans le contexte actuel de mondialisation, mais il faut éviter que ceux qui partent cessent d’investir ici. N’oublions pas qu’une personne physique, même non résidente, peut réinvestir en France et y être imposée à raison des revenus de source française dont elle dispose. Mais aujourd’hui, en raison notamment des conditions de la résidence fiscale définies par l’article 4 B du code général des impôts, elle a tout intérêt à ne pas le faire. De même, lorsque des chefs d’entreprise créent des holdings à l’étranger, ils ont toutes les raisons d’y partir également, sans quoi l’administration fiscale tend à requalifier cette délocalisation, jugée ipso facto fictive ou frauduleuse. Le problème est donc le suivant : comment faire en sorte que les personnes, physiques ou morales, ne cèdent pas tous leurs actifs en partant à l’étranger ?

Au total, on observe aujourd’hui une instrumentalisation de la politique fiscale qui est source d’insécurité. Les entrepreneurs ont le sentiment que la fiscalité sert de variable d’ajustement aux politiques gouvernementales et n’obéit qu’à des motifs idéologiques, ce qui implique qu’elle a vocation à être régulièrement modifiée en fonction des politiques menées. Pour procurer davantage de sérénité aux entrepreneurs français, il faut que la conduite de la politique fiscale elle-même soit plus sereine et plus neutre.

M. le président Luc Chatel. Merci, maître.

Dans l’environnement concurrentiel que nous connaissons aujourd’hui, caractérisé par la mondialisation et la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux, quel serait selon vous le système fiscal idéal, le plus attractif ? En dehors d’une stabilisation de la législation, quelles mesures proposeriez-vous pour inverser la tendance, en particulier pour inciter les entreprises et les contribuables à réinvestir en France ?

Dans votre cabinet, les consultations en vue d’une expatriation – des capitaux, des entreprises, des centres de décision, des personnes – ont-elles beaucoup augmenté au cours des derniers mois ou des dernières années ?

Vous avez laissé entendre, comme votre consœur la semaine dernière, qu’au regard du niveau d’imposition des plus-values de valeurs mobilières, de l’impôt sur le revenu, de la CSG ou de la CRDS, l’ISF n’était plus vraiment un problème pour les dirigeants d’un certain niveau. Pourriez-vous préciser votre pensée ?

M. Éric Hebras. Sur le premier point, s’il fallait faire une seule réforme, ce serait à mon avis celle de l’impôt sur les sociétés dont sont redevables les PME, à la fois urgente et simple – je ne parle pas ici de ses conséquences sur le budget de l’État. Il faudrait diminuer notablement le taux de l’IS pour l’amener à un niveau comparable à celui qui est en vigueur dans les grands pays industriels, soit environ 25 %. C’est l’essentiel car les PME sont dépourvues des moyens des grands groupes, mais ce sont elles qui forment le tissu industriel français. Contrairement à ce que l’on croit parfois, elles ne délocalisent pas leurs profits pour des raisons fiscales : leurs motivations sont principalement industrielles. Une telle réforme satisferait beaucoup d’entrepreneurs.

Il y aurait évidemment beaucoup à faire par ailleurs. Voici quelles pourraient être les autres priorités.

S’agissant des plus-values des particuliers, la grande difficulté est l’application de la CSG. Celle-ci constitue une imposition de toute nature puisqu’elle possède toutes les caractéristiques d’un impôt, abstraction faite de son affectation. En revanche, les règles d’abattement qui s’appliquent aujourd’hui à l’imposition à l’impôt sur le revenu des plus-values réalisées par les particuliers lors de cessions de valeurs mobilières ou de droits sociaux, mais aussi des plus-values immobilières, ne valent pas pour les prélèvements sociaux. Cela suscite une certaine incompréhension.

Par ailleurs, aux termes de l’article 4 B du code général des impôts, l’un des critères pour être domicilié fiscalement en France est d’y avoir le centre de ses intérêts économiques. Autrement dit, une personne qui serait dans cette situation alors qu’elle quitte le pays – sans que ce soit nécessairement pour des raisons fiscales – a toutes les raisons d’être exposée à un contrôle fiscal tendant à remettre en question son changement de résidence. Cela décourage le réinvestissement dans l’activité économique.

Il est exact que les chefs d’entreprise qui consultent mon cabinet sont plus nombreux qu’auparavant, notamment ceux qui souhaitent développer leur activité et se demandent s’ils doivent créer leur structure en France ou à l’étranger. La question se pose d’autant plus que dans le monde actuel il est assez facile de travailler à partir de n’importe quelle structure, dans n’importe quel pays.

Si l’ISF ne pose pas à mon sens un véritable problème financier, c’est qu’il existe bien des moyens de le contourner et que, pour beaucoup, le montant en jeu est relativement peu significatif. On le voit lors des contrôles fiscaux. Voilà pourquoi j’ai pu dire que sa portée était plutôt psychologique. En revanche, il peut être considéré comme néfaste dans la mesure où il suscite une forme de gesticulation du législateur : ne pouvant, pour des raisons politiques, y mettre purement et simplement fin, celui-ci crée divers mécanismes d’abattement ou d’exonération plus complexes les uns que les autres, qui sont mal interprétés et peuvent, contre son intention, susciter le recours à des schémas de fraude fiscale. On l’a vu à propos du bouclier fiscal. En outre, les services fiscaux passent un temps considérable à gérer les contrôles en matière d’ISF, car la jurisprudence sur la valorisation des biens conduit l’administration à faire appel, à juste titre, à divers comparables, ce qui est très long et fastidieux. Les contrôles eux-mêmes sont assez complexes, pour des montants en définitive très bas. Bref, pour un effet fiscal plutôt faible, l’ISF est un impôt assez « polluant ».

Pour ma part, je n’ai pas de position arrêtée sur l’opportunité d’y mettre fin, mais les entrepreneurs en parlent systématiquement et le sujet devient très prégnant lorsque l’on aborde l’éventualité d’une stricte redéfinition des notions de biens professionnels et de holding animatrice. C’est souvent en expliquant à nos clients que cette dernière notion est pérenne et les protège que l’on parvient à les dissuader de quitter le pays lorsqu’ils projetaient de le faire à cause de l’ISF. Ils nous objectent volontiers que la loi française change sans cesse mais, sur ce point du moins, les faits semblent parler en notre faveur. De sorte que si le projet d’instruction fiscale tendant à en définir les contours devait se concrétiser, cela provoquerait très vraisemblablement des départs.

M. Frédéric Lefebvre. C’est en débat, et c’est inquiétant.

M. Éric Hebras. En effet. Il existe des résidents français qui ont des holdings en France et d’autres qui ont des holdings animatrices de groupe qui peuvent être situées à l’étranger. Or l’administration fiscale a du mal à admettre ce dernier cas de figure.

M. Yann Galut, rapporteur. Monsieur Hebras, si je peux vous suivre à propos de l’insécurité fiscale dont souffrent les contribuables, je vous ai trouvé assez caricatural s’agissant de la représentation nationale. Je suis député, monsieur, et je n’ai aucune défiance envers les contribuables. C’est des fraudeurs que je me méfie, et des fraudeurs, je peux vous dire qu’il y en a.

Je fais partie d’une majorité qui en a été victime, vous le savez, et qui a voté une loi renforçant les pouvoirs de lutte contre la fraude fiscale, à un degré qui n’a rien d’exceptionnel puisqu’il est comparable à celui qu’ont adopté nos amis américains, nos amis allemands et le reste de l’Europe. Nos propositions en matière d’optimisation fiscale, d’abus de droit ou de déclaration préalable des schémas d’optimisation, qui vous gênent, sont analogues aux dispositions de la loi britannique ou américaine. Il n’y a là rien de scandaleux : le législateur français entend donner à l’administration fiscale les moyens d’aller chercher les fraudeurs. La fraude fiscale en France représente 100 milliards d’euros par an, et la fraude sociale environ 20 milliards d’euros. Les personnes dont vous parlez ne sont pas des contribuables, ce sont des fraudeurs.

En Allemagne ou aux États-Unis, quand on attrape un chef d’entreprise qui fraude, on le met directement en prison, on ne commence pas par six mois à un an de procédure. Frédéric Lefebvre, représentant des Français établis aux États-Unis, ne me démentira pas : quand on tombe dans les filets de l’Internal Revenue Service (IRS), c’est une autre paire de manches qu’ici ! Et les mesures que nous avons prises il y a quelques mois sont encore en deçà des propositions formulées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour lutter contre l’évasion fiscale, lesquelles vont vous donner bien du travail – ce dont je me réjouis pour vous, étant moi-même avocat dans la vie civile.

Dans l’exercice de vos fonctions, vous êtes certainement en contact avec les avocats fiscalistes d’autres pays. Les questions qui nous occupent se posent-elles ailleurs ?

M. Éric Hebras. Oui. Au demeurant, je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’en matière de lutte contre la fraude fiscale, la France était jusqu’à présent à la traîne, qu’il s’agisse des délais de prescription ou des moyens d’investigation. À ce sujet, que l’on ne se méprenne pas sur mes propos : il est logique de chercher à sanctionner la fraude fiscale et de rattraper notre retard dans ce domaine. L’administration doit pouvoir décourager ce genre de schémas. À titre personnel, j’annonce depuis plusieurs années à mes clients et à certains de mes confrères la pénalisation croissante de la chose fiscale, sur le modèle des États-Unis ou de l’Italie, qui ne me paraît pas totalement absurde.

Tout ce que j’ai dit, c’est que certaines dispositions, qui ne sont pas des mesures de lutte contre la fraude fiscale, ont pu donner une impression de méfiance envers le juge : il semble que le législateur préfère interdire plutôt que laisser ce dernier définir une jurisprudence et les vérificateurs faire leur travail dans le cadre des textes existants sur l’abus de droit.

On rejoint la situation de certains pays comme l’Italie, où, dès lors que le contrôle fiscal correspond à un certain montant, le dossier est directement transmis au procureur.

M. Frédéric Lefebvre. Pour avoir été chargé, au Gouvernement, des petites et moyennes entreprises, je ne crois pas exagéré de dire qu’aux yeux des entrepreneurs le climat fiscal est à la défiance. Voilà d’ailleurs pourquoi j’ai tenté lorsque j’étais ministre, non sans bien des difficultés, de dissiper ce climat en développant la procédure du rescrit, notamment en matière sociale. Mais le rapporteur n’exagère pas non plus lorsqu’il rappelle que d’autres pays, dont les États-Unis, sont beaucoup plus armés que nous pour lutter contre la fraude.

Instabilité, complexité – je reprends vos termes : ce sont ces facteurs, caractéristiques de notre système fiscal, qui, cumulés et joints à cette remise à niveau en matière de lutte contre la fraude, encouragent l’exil.

Vous évoquez le législateur, mais nous, parlementaires, savons bien que si la loi est votée ici, l’initiative vient souvent de l’exécutif, et mon expérience ministérielle m’a montré combien l’administration fiscale peut faire preuve d’imagination lorsqu’il s’agit de proposer des réformes au Gouvernement.

Est-ce pour des raisons fiscales que les Français partent ? C’est la question essentielle. L’Amérique du Nord, ma circonscription, est désormais, après l’Europe, la deuxième région du monde où l’on trouve le plus de Français. Près de 213 000 de nos compatriotes sont désormais enregistrés dans cette zone, la communauté française aux États-Unis ayant augmenté de 3,5 % l’année dernière. Mais il n’y a pas un Français aux États-Unis ou au Canada qui soit parti pour des raisons fiscales, car la fiscalité américaine est extrêmement lourde. En revanche, parmi les multiples raisons de leur départ se trouve la liberté : liberté d’agir, de trouver des partenaires, de dépenser et d’investir leur argent comme on le souhaite. Nous devrions y réfléchir.

M. Alain Rodet. Vous avez parlé des dirigeants de PME qui se plaignent des taxes, mais il en est une que vous n’avez pas citée et qui empoisonne la vie économique du pays depuis plus de trente-huit ans : la taxe professionnelle, maintes fois modifiée, prétendument supprimée en 2009-2010 et qui a mis la fiscalité locale dans un état calamiteux. C’est pourtant un sujet de revendication récurrent de la part des PME.

Vous avez beaucoup de chance d’être avocat fiscaliste à Paris, où les contrôles fiscaux sont bien moins fréquents qu’en province, de l’avis de l’administration comme des syndicats.

Avez-vous dans votre cabinet un ancien inspecteur des impôts pantouflard ? Car c’est très à la mode, depuis longtemps.

Mme Monique Rabin. Sans vouloir être désagréable, je regrette d’avoir entendu un réquisitoire dont la tonalité était plus politique que technique. Nous sommes nombreux, monsieur, à partager votre constat concernant l’empilement et l’instabilité fiscaux, et nous faisons de gros efforts, depuis plusieurs années, pour tenter de stabiliser la fiscalité française. Mais ce qui nous intéressait, c’était la corrélation entre les questions fiscales et l’exil. À cet égard, d’autres composantes que la fiscalité paraissent au moins aussi décisives, comme l’a rappelé mon collègue Frédéric Lefebvre. Selon d’autres personnes que nous avons auditionnées, la qualité de vie et le niveau de services publics dont nous bénéficions en France sont ainsi déterminants.

Vous n’avez pas donné de statistiques. Plus de 2 millions de Français vivent aujourd’hui à l’étranger. Le fait qu’il y ait bien plus d’Allemands et davantage encore de Britanniques établis hors de leur pays s’explique-t-il par la fiscalité ou par d’autres raisons ?

De votre exposé, je retiens enfin votre très intéressante remarque sur les dispositions de l’article 4 B du code général des impôts, sur lequel nous pourrions revenir en loi de finances.

M. Éric Hebras. La taxe professionnelle pose en effet un problème, mais je n’ai pas personnellement observé que mes clients contestent particulièrement cet impôt
– contrairement, sans doute, à plusieurs de mes confrères.

Bien qu’installé à Paris, je gère des contrôles fiscaux en province. Peut-être sont-ils plus nombreux, mais les questions posées sont globalement les mêmes. Les contrôles ne sont pas nécessairement plus faciles en province, au contraire.

Je n’ai pas dans mon cabinet d’ancien inspecteur des impôts. Je sais que beaucoup deviennent avocats et j’imagine que leur pratique est analogue à la mienne. Je ne peux guère vous renseigner à ce sujet, monsieur le député.

Je ne prononce pas de réquisitoire politique, madame la députée. Je ne suis pas partisan ; les questions que je soulève se posent depuis toujours et ne sont exclusivement le fait ni de la droite ni de la gauche. L’insécurité juridique et l’instabilité chronique de la fiscalité française ont fait l’objet de plusieurs travaux, dont un rapport de M. Bruno Gibert dès 2004. Mais aucune solution n’a été trouvée et l’instabilité perdure par-delà les changements de gouvernement. Je me contente de faire part de mon sentiment et de celui de nombre de mes clients.

S’agissant du lien entre la fiscalité et l’exil, il y aura toujours des personnes qui voudront quitter la France pour des raisons fiscales. À ce phénomène s’ajoute le snobisme que j’ai pu observer ces dernières années de la part de patrons de PME qui veulent partir parce que certains de leurs amis l’ont fait. Plus profondément, vouloir développer l’activité de nos PME à l’international suppose d’implanter des structures à l’étranger. Se pose alors la question suivante : vaut-il mieux réaliser des exportations depuis une structure française ou étrangère ? Le choix dépend généralement en premier lieu de la nature du process industriel, ensuite de la fiscalité. Et, à ce stade, l’instabilité fiscale et le nombre de taxes en vigueur gênent indéniablement l’investissement.

Mme Claudine Schmid, présidente. Merci beaucoup, maître

*

* *

Audition du 24 septembre 2014

À 17 heures 15 : M. Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger.

Mme Claudine Schmid, présidente. Nous recevons M. Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. La commission d’enquête est sur le point de conclure ses travaux et il est tradition de les terminer par l’audition du ministre compétent sur son champ d’investigation. Nous avons réalisé 35 auditions et nous disposons déjà de nombreuses données.

L’objet de cette audition, monsieur le ministre, est de connaître la lecture faite par le Gouvernement de l’expatriation et de l’augmentation du nombre de Français résidant à l’étranger : vous en félicitez-vous ou vous en inquiétez-vous ? Vous êtes chargé du commerce extérieur ; pensez-vous que l’évolution de l’expatriation est un symptôme du recul de la compétitivité et de l’attractivité de la France ? Comment analysez-vous les départs de nos compatriotes ? Le Gouvernement compte-t-il prendre des mesures pour contrer ce phénomène, ou juge-t-il que cette diaspora est un atout pour notre commerce extérieur ?

Avant de vous donner la parole, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Mathias Fekl prête serment)

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Votre commission s’est donné pour objectif de mieux appréhender la réalité de l’exil fiscal et de l’expatriation des entreprises et des contribuables. C’est un fait : alors que la situation budgétaire de notre pays exige les efforts de chacun, certains partent s’installer à l’étranger avec l’unique objectif d’échapper à l’impôt en France. Ceux qui adoptent ce comportement scandaleux et inacceptable refusent le devoir de solidarité entre Français dans un moment particulièrement difficile et mettent à mal notre pacte républicain. Ils se soustraient au paiement de l’impôt alors même qu’ils ont largement profité de structures financées par l’impôt et à la qualité reconnue, qu’il s’agisse des services publics d’éducation, de santé et de formation ou de nos infrastructures.

Ceux-là sont bien sûr trop nombreux. Néanmoins, le phénomène doit être apprécié à sa juste mesure : un peu moins de 600 redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune
– ISF – ont quitté la France en 2012, et ces quelques centaines de personnes fuyant l’impôt ne doivent pas nous donner une vision déformée de la mobilité internationale.

Ceux d’entre vous qui représentent à l’Assemblée nationale les Français de l’étranger savent comme moi que, dans leur immense majorité, ils ne sont pas partis pour fuir l’impôt ou la France mais qu’ils se sont installés à l’étranger pour y poursuivre un parcours personnel ou professionnel. Votre commission rendra prochainement son rapport, après avoir auditionné un grand nombre de personnalités, dont plusieurs hauts fonctionnaires de mes services qui vous ont entretenu des communautés françaises expatriées.

Les gens que je rencontre me parlent le plus souvent de proches partis à l’étranger pour accomplir un projet professionnel ou personnel. Très rares sont ceux qui se sont expatriés pour fuir l’impôt ou qui se considèrent comme des exilés n’aimant plus leur pays et ne voulant pas y revenir.

La réalité, c’est que la mobilité internationale est désormais inscrite dans les parcours de vie, quand elle n’est pas devenue une étape obligée dans un cursus universitaire ou professionnel.

Nos concitoyens en sont d’ailleurs conscients : un sondage réalisé au printemps dernier montre que 9 Français sur 10 encourageraient un jeune de leurs proches à partir à l’étranger, et qu’ils ont, dans la même proportion, une image positive de ceux qui s’expatrient. Ils ne voient pas en eux des exilés fiscaux ou des cerveaux en fuite, mais considèrent au contraire les Français établis hors de France comme des atouts pour notre pays. Ils ont raison : nos compatriotes expatriés démultiplient la présence de la France à l’international en portant l’image de notre pays, sa culture et sa langue. Leur connaissance de la culture et de la langue de leur pays de résidence fait également d’eux des atouts précieux pour nos entreprises qui peuvent, en les recrutant localement, faciliter une implantation sur des marchés qui, autrement, leur resteraient fermés. Le réseau des conseillers du commerce extérieur est un exemple probant de l’intérêt qu’il y a pour notre pays à valoriser sa communauté expatriée. La mobilité internationale signifie aussi des emplois pour notre territoire. Telle est la réalité économique.

Partir à l’étranger n’est pas une décision simple et y vivre n’est pas toujours une expérience facile ; ce choix doit être mûrement pesé. Nous devons nous efforcer de permettre à tous ceux qui le souhaitent de faire cette expérience sans qu’elle soit réservée à certaines catégories de la population. Cela commence dès le plus jeune âge, et la loi de d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 fait de l’ouverture de l’école sur l’Europe et le monde une priorité, avec l’objectif d’accroître la mobilité professionnelle au sein de l’espace économique européen.

Le programme Erasmus +, en étendant les publics bénéficiaires et les zones d’échanges, témoigne de la même volonté : ce sont 4 millions de bénéficiaires qui pourront vivre une expérience à l’étranger en tant qu’étudiant, apprenti, enseignant ou bénévole. Voilà qui dit l’importance attachée, en Europe, à la mobilité internationale. L’étude d’impact de programme révèle tout son intérêt. C’est que l’expérience à l’étranger est une opportunité pour nos jeunes de briser le plafond de verre, de découvrir de nouveaux horizons. La même étude montre que les employeurs recherchent chez ces jeunes des traits de personnalité que ce programme renforce : la tolérance, l’ouverture aux autres, la confiance en soi, la curiosité.

Le programme de volontariat international en entreprise (VIE) est un autre exemple de soutien à la mobilité au service de notre économie, et nous souhaitons accroître le nombre de bénéficiaires de ce dispositif.

D’une manière générale, la mobilité internationale et l’expatriation des Français témoignent de l’intégration de la France dans un mouvement général de mondialisation.

Les jeunes Français qui partent le font-ils dans la perspective d’un départ définitif ? L’enquête sur l’expatriation des Français menée en 2013 par le ministère des Affaires étrangères montre qu’à peine plus de 10 % des sondés des tranches 16-25 ans et 26-40 ans excluent un retour en France. Ils ne fuient donc pas leur pays, mais considèrent qu’ils partent vivre une expérience à l’étranger le temps d’une parenthèse plus ou moins longue.

Les jeunes diplômés partent-ils parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi en France ? Les enquêtes menées sur l’insertion professionnelle des jeunes diplômés des grandes écoles
– notamment celle conduite à l’initiative de la Conférence des grandes écoles par l’Institut Montaigne et Harris Interactive en octobre 2013 – montre que moins de 1 % des diplômés de 2011 n’ont pas trouvé d’emploi depuis l’obtention du diplôme ; et seuls 13 % de ces diplômés ont trouvé un emploi à l’étranger. Rien ne permet donc d’accréditer l’hypothèse d’une fuite des cerveaux.

Il est dans la continuité républicaine de soutenir nos communautés établies à l’étranger afin de conserver un lien étroit entre la France et ses expatriés. Il est de notre devoir d’accompagner nos concitoyens installés à l’étranger. Cela est difficile, certaines communautés croissant beaucoup plus vite que les moyens dont nous pouvons disposer à cette fin dans un cadre budgétaire contraint ; je souligne toutefois qu’aucun autre pays n’accompagne ses ressortissants expatriés comme le fait la France.

Notre réseau consulaire, chargé de l’administration des Français établis hors du territoire, s’adapte géographiquement pour suivre l’évolution démographique de nos communautés. Il adapte aussi ses méthodes : la modernisation de l’action publique s’y décline et se traduit par la simplification et la dématérialisation des procédures administratives.

De la même manière, nous avons fait évoluer la représentation politique des Français expatriés en créant une représentation de proximité, les conseils consulaires, qui pourront utilement conseiller les postes diplomatiques et consulaires sur les besoins des communautés et sur les opportunités qu’elles constituent pour notre diplomatie.

Enfin, nous disposons d’un réseau d’établissements scolaires unique au monde, qui permet de maintenir une continuité pédagogique et un lien fort avec notre pays et qui accueille les jeunes Français à l’étranger.

Je soulignerai pour conclure que nous tenons à renforcer l’attractivité de la France pour y faire venir les talents, Français expatriés ou étrangers.

Il ne s’agit donc pas d’empêcher notre jeunesse ou nos professionnels de partir à l’étranger ; ce serait démontrer l’incompréhension du monde en mouvement dans lequel nous évoluons. Une partie de l’avenir de nos jeunes et de nos professionnels se joue hors de nos frontières : les talents de notre pays doivent se confronter au monde, comme nous devons inciter les talents du monde à venir chez nous.

L’attractivité de notre territoire est une question centrale pour le Gouvernement et la majorité, mobilisés à cette fin avec la volonté de réformer notre pays qui se trouve dans une situation très difficile.

Je rappelle enfin qu’en dépit des difficultés qu’il connaît, notre pays est attractif. Nous sommes le troisième pays d’accueil d’étudiants étrangers, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni : nous accueillons environ 300 000 étudiants étrangers, ce qui représente une augmentation de 46,5 % en dix ans. C’est une richesse exceptionnelle et une opportunité pour promouvoir la France à l’étranger, dans le cadre d’une « diplomatie d’influence » dont nous faisons le plus grand cas.

Le sujet est passionnant. Soyez assuré que la défense de l’attractivité de notre pays est l’une des priorités du Gouvernement.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je me félicite de vous avoir entendu confirmer que le Gouvernement continuera de soutenir les communautés françaises établies à l’étranger.

Pouvez-vous nous donner une estimation du nombre de contribuables redevables de l’ISF ayant quitté la France en 2013 ?

Entendez-vous renforcer la qualité et la fiabilité du registre des Français établis hors de France et des enquêtes menées par la Maison des Français de l’étranger, dont les lacunes ont été fréquemment mentionnées au cours de nos auditions ? Vous avez indiqué que, selon les résultats de l’enquête conduite par le ministère des Affaires étrangères, la proportion de jeunes expatriés qui n’ont pas l’intention de revenir en France est très faible ; mais on a le sentiment que les personnes sondées sont restées très proches de notre pays, si bien qu’elles ont pu être interrogées plus aisément que d’autres, ce qui fausse quelque peu les résultats de l’enquête.

Les consulats s’adaptent pour ce qui est de l’aspect administratif de leur tâche, mais entendez-vous aussi qu’ils soient plus présents auprès des communautés françaises ?

Enfin, quels seront les axes de votre politique relative à l’enseignement du français à l’étranger ?

M. Frédéric Lefebvre. Je tiens à le redire : ni la méthode – une commission d’enquête – ni le libellé évoquant un « exil » ne reflètent la réalité de ce qu’est la communauté française à l’étranger. Je partage beaucoup de ce que vous avez dit, monsieur le ministre. C’est en effet un atout exceptionnel pour nous qu’au-delà de nos frontières soient installées des communautés qui aiment la France, pays qui, on le sait, connaît des difficultés économiques, notamment en matière d’exportation. Il est donc essentiel de renforcer les liens entre la France et ces communautés, et pour cela de résoudre les problèmes auxquels elles se heurtent.

En premier lieu, en matière d’éducation, j’ai eu l’occasion d’en discuter avec le précédent ministre de l’Éducation nationale, on est à la croisée des chemins. Le réseau d’établissements français d’enseignement à l’étranger, qui sont pour l’essentiel des établissements privés, est performant – il est d’ailleurs admiré par plusieurs pays –, mais la tentation grandit parmi les chefs d’établissement de couper les liens avec le ministère à mesure que les avantages qui leur sont consentis se restreignent pendant que les obligations qui leur sont faites ne cessent d’augmenter ; c’est le cas au Mexique, et aussi dans de nombreux autres pays. De plus, j’avais alerté en ce sens lors de la dernière discussion budgétaire, la réforme du régime des bourses fait que de plus en plus de ressortissants français expatriés – dont les enseignants eux-mêmes ! – ne peuvent plus scolariser leurs enfants dans ces établissements.

D’autre part, des réformes innovantes s’imposent dans nos consulats ; ne convient-il pas, pour les mener, d’entendre les propositions des fonctionnaires sur place ? Le Gouvernement semble malheureusement rester sourd à des suggestions qui amélioreraient le travail des consulats et par ricochet la situation de nos compatriotes. Vous engagerez-vous, monsieur le ministre, sur ces deux plans ?

M. Alain Rodet. Vous avez dit, monsieur le ministre, que courir le monde est une expérience nécessaire pour aider au développement des entreprises ou des courants d’échanges ; c’est aussi l’opinion qu’a exprimée devant nous le directeur général de HEC. Les titulaires de nos postes diplomatiques et consulaires en sont-ils restés à l’époque des frères Cambon, des Paléologue, des Delcassé, ou se sont-ils effectivement mis au service de nos entreprises à l’étranger ? Si c’est bien le cas, ne préfèrent-ils pas agir au bénéfice des très grands groupes plutôt que des PME ? A-t-on procédé à une première évaluation du travail des 40 conseillers des affaires étrangères affectés à la stimulation de notre développement économique ?

M. Philip Cordery. Vos propos, monsieur le ministre, contrastent heureusement avec d’autres entendus précédemment par notre commission. Il convient en effet de distinguer les quelques personnes qui s’expatrient pour échapper à l’impôt de l’immense majorité de celles qui partent à l’étranger pour des raisons positives. Je vous sais gré d’avoir souligné l’attractivité de la France, ce que révèle aussi le fait que plus d’Allemands et de Britanniques vivent hors leurs frontières – dont beaucoup en France ! – que de Français. Il faut cesser de stigmatiser ceux de nos compatriotes qui, installés à l’étranger, représentent la France et contribuent à son développement économique, et dont la vie n’est pas toujours facile. La question de la retraite peut être un frein à la mobilité internationale, car on ne peut prétendre à une pension à taux plein si l’on a fait carrière à l’étranger, singulièrement dans un pays avec lequel il n’existe pas de convention bilatérale ou lorsque l’on a vécu dans plusieurs pays. Le sujet avait été abordé lors du débat sur la réforme des retraites ; le Gouvernement pourrait le retravailler avec les parlementaires représentant les Français établis hors de France. Quels sont d’autre part vos objectifs en termes de diplomatie économique ? Ubifrance fait beaucoup pour les grands groupes, parfois moins pour les PME et les entrepreneurs français indépendants expatriés.

Mme Monique Rabin. En rappelant ce qu’est la réalité de la mobilité internationale, vous avez confirmé en creux, monsieur le ministre, la nécessité de revoir le libellé d’une commission d’enquête dont le rapport, publié sous le titre actuel, donnerait d’emblée une vision très négative de la situation.

Au fil des auditions, nous avons eu à connaître, pour quantifier les Français partis s’établir à l’étranger, de chiffres contradictoires. Il faudrait pouvoir disposer de statistiques fines recensant précisément les catégories envisagées ; cela éviterait que l’on évoque les retraités installés hors nos frontières devant une commission d’enquête consacrée aux « forces vives ». Le renforcement de l’attractivité de notre pays passe aussi par une politique vigoureuse en matière de visas ; le régime de visas actuel a notamment pour effet de déséquilibrer les échanges de chercheurs. Enfin, le réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger et celui de l’Alliance française contribuent puissamment au rayonnement de notre pays et à la transmission de sa culture, de sa langue et des valeurs républicaines. Pour cette raison, je souhaite que l’on accompagne au mieux le projet éducatif de la France à l’étranger ; quels moyens seront dégagés à cette fin ?

M. Yann Galut, rapporteur. Je salue la mémoire d’Hervé Gourdel, dont on apprend à l’instant qu’il a été assassiné par ses ravisseurs en Algérie.

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre présence. J’ai apprécié votre propos liminaire. Les auditions auxquelles nous avons procédé ont conforté le sentiment éprouvé, j’en suis certain, par la grande majorité des membres de cette commission d’enquête : nos compatriotes ne quittent pas la France pour des raisons négatives, ils participent de la mondialisation. C’est une chance pour notre jeunesse de bénéficier d’une expérience à l’étranger, certains partent mais d’autres arrivent, et la France est un pays attractif.

Les lacunes du registre des Français établis hors de France et des enquêtes réalisées par la Maison des Français de l’étranger ont été maintes fois évoquées devant nous ; entendez-vous en renforcer la qualité et la fiabilité ?

Comment, d’autre part, amener nos postes consulaires à animer les communautés françaises d’expatriés, ce que certains de nos partenaires européens, l’Allemagne en particulier, savent faire mieux que nous ?

Enfin, l’importance de l’enseignement français à l’étranger a été évoquée plusieurs fois devant nous ; quels seront les principaux axes de votre politique à ce sujet ?

M. le secrétaire d’État. Le Président de la République va s’adresser à la Nation à propos du très grave sujet dont vous venez de faire part, monsieur le rapporteur.

Madame la présidente, la réaffirmation de mon soutien à nos communautés expatriées allait de soi. C’est pourquoi j’ai reçu, dans les jours qui ont suivi ma nomination, les parlementaires représentant les Français établis hors de France ; je le ferai régulièrement, et mon cabinet est à votre disposition, comme je le suis.

Faute d’en disposer encore, je ne puis vous communiquer les chiffres qui permettraient de distinguer l’exil fiscal des autres raisons de la mobilité internationale en 2013.

Je n’ai pas connaissance de biais méthodologiques dans l’enquête menée par le ministère ; si vous avez constaté des failles précises dans le recueil des données, veuillez me les signaler et nous verrons comment nous pourrons en tenir compte dans les enquêtes futures.

Nos postes consulaires assurent l’aspect administratif, essentiel, à toutes les étapes de la vie des Français expatriés, état civil compris. Ce volet de leur activité doit bien sûr être conservé, mais il doit bénéficier des innovations technologiques propres à moderniser les services publics. Je suis prêt à analyser ces questions avec nos agents sur place. M. Frédéric Lefebvre a mis l’accent sur l’implication de ces postes. Un grand chantier de simplification est lancé, que pilote M. Thierry Mandon. La simplification doit concerner chacun des services de l’État. La fonction d’animation des communautés expatriées, ancienne pour les consulats d’autres pays, est nouvelle pour nos diplomates et pour les membres de notre corps consulaire, mais beaucoup d’initiatives naissent déjà. Le ministre des Affaires étrangères l’a redit lors de la Conférence des ambassadeurs : il attache une grande importance à la diplomatie d’influence. C’est un volet stratégique de notre action internationale, et je suivrai cette question de très près. Nous devons effectivement innover pour tirer le meilleur de notre excellent réseau consulaire.

Cela vaut aussi pour les questions d’éducation, une autre de nos priorités. Je suis à votre disposition pour y travailler avec vous. Les réformes en cours tendent à maintenir à un haut niveau la présence française dans le monde, de manière que chaque enfant français d’une famille expatriée soit scolarisé dans un établissement de notre réseau à l’étranger. Je vous invite à nous signaler les difficultés avérées dont vous avez connaissance afin que nous en traitions au cas par cas, comme les services compétents du ministère ont déjà eu l’occasion de le faire. Toutefois, aucun chiffre ne permet de dire que les réformes engagées auraient entraîné une déscolarisation massive.

Conformément aux priorités définies par le ministre, nos postes diplomatiques attachent une importance toujours croissante aux considérations économiques. Je pense, comme vous, monsieur Rodet, que nous devons davantage aider nos PME à exporter, à franchir les barrières linguistiques, à surmonter l’appréhension que suscitent des systèmes juridiques différents ou les risques d’impayés – en bref, nous devons les sécuriser. La fusion de l’Agence française pour les investissements internationaux – AFII – et d’Ubifrance et le renforcement de la cohérence d’action de tous les opérateurs, publics et privés, devra permettre, sans négliger les grands groupes, de prêter attention aux besoins spécifiques des PME. Le travail innovant mené par les ambassadeurs régionaux n’a pas encore été évalué, mais de nombreuses initiatives de prospection des marchés ont déjà été lancées.

Nous avons une opinion semblable, monsieur Cordery, sur la distinction qu’il convient d’opérer entre les peu nombreux mais scandaleux exils fiscaux et les très nombreux motifs d’expatriation. La question des retraites des Français établis à l’étranger ne relève pas exclusivement du périmètre de mon secrétariat d’État, mais je suis prêt à étudier cette question avec vous. J’attacherai, je l’ai dit, la plus grande importance aux mesures propres à faciliter les exportations de nos entreprises, dont les PME. C’est un dossier fondamental pour une France qui se trouve dans une situation difficile et qui, pour se redresser, doit disposer d’un tissu de PME solides.

Je me garderai, madame Rabin, d’intervenir dans le choix du libellé d’une commission d’enquête parlementaire, mais j’ai souligné ce qu’il faut, à mon sens, mettre en avant quand on parle de mobilité internationale.

Le projet de loi sur l’immigration traitera de la délivrance des visas et des titres de séjour, une question sur laquelle j’ai beaucoup travaillé lorsque j’étais parlementaire. En créant la carte de séjour « compétences et talents », la majorité précédente avait elle aussi appréhendé la question de l’attractivité de la France pour les ressortissants étrangers par ce biais. L’intuition était juste, mais le dispositif n’a pas fonctionné ; l’idée demeure pertinente.

Nous avons des statistiques portant sur les Français établis à l’étranger ; elles sont à votre disposition, et les hauts fonctionnaires que vous avez auditionnés les ont certainement portées à votre connaissance. Il est vrai qu’elles pourraient être précisées, notamment sur le plan sociologique. Ce chantier est ouvert, mais des progrès sont encore possibles.

Ma collègue Annick Girardin, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, s’attache à promouvoir le rayonnement de notre pays ; cela passe aussi par l’enseignement du français à l’étranger et par notre réseau d’instituts culturels, outils fondamentaux de notre diplomatie d’influence.

Je partage votre constat, monsieur le rapporteur, nos statistiques pourraient être améliorées. Notre réseau consulaire est conscient du nouveau rôle qui lui a été assigné, celui d’animer et de fédérer les communautés françaises d’expatriés et les communautés francophiles.

M. Frédéric Lefebvre. Je suis contre tout amalgame, je l’ai dit. Cela me conduit à souligner qu’il ne faut pas non plus considérer, en bloc, tous les redevables de l’ISF qui s’expatrient comme des exilés fiscaux, certains de leurs départs aussi s’expliquant par des motivations autres que fiscales.

M. le secrétaire d’État. J’en suis d’accord. Il reste que l’exil fiscal, quand il existe, est scandaleux.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie, monsieur le ministre. Les indications que vous avez apportées seront très utiles à notre rapporteur.

*

* *

.

1 () M. Etienne Wasmer, co-directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (audition du 13 mai 2014).

2 () Avant même la création de la commission d’enquête, MM. Frédéric Lefebvre et Thierry Mariani, députés représentant nos compatriotes de l’étranger, ne disaient pas autre chose : « toute vision étriquée de l’expatriation présentée trop souvent comme une perte pour la France est datée. »

3 () Audition du 7 mai 2014.

4 () Audition du 4 juin 2014.

5 () Cf. le décret n° 2003-1377 du 31 décembre 2003.

6 () En outre, toute démarche effectuée auprès du poste consulaire et donnant lieu à la justification de l’identité, de la nationalité française et de la résidence dans la circonscription entraîne l’inscription automatique de l’intéressé.

7 () Audition du 13 mai 2014.

8 () Audition du 23 juillet 2014.

9 () Cf. en particulier les avis du Conseil économique, social et environnemental consacrés à l’expatriation française des 27 avril 1999 et 27 janvier 2009, ainsi que les rapports, plus anciens, du Sénat n° 388 du 7 juin 2000 et n° 386 du 14 juin 2001.

10 () Audition du 24 juin 2014.

11 () Cf. son article « L’émigration française (1990-1999) » dans la revue En temps réel, cahier n°32, février 2008.

12 () Audition du 24 juin 2014.

13

14

() L’Association des ingénieurs et scientifiques de France fédère notamment 160 associations d’anciens élèves d’écoles d’ingénieurs et de sociétés d’ingénieurs et de scientifiques et regroupe 160 000 membres directs et indirects.

15

() Une enquête longitudinale sur 24 mois (2011-2013) pour mesurer la plus-value d’une mobilité européenne sur les parcours d'insertion et d'évolution professionnelle de demandeurs d'emploi et une enquête sur la valeur ajoutée de la mobilité européenne des apprentis.

16

() Audition du 13 mai 2014.

17

() « Y a-t-il un exode des qualifiés français ? » (LIEPP, mars 2014)

18

() Audition du 7 mai 2014.

19

() http://www.oecd.org/fr/els/mig/dioc.htm

20

() Brücker H., Capuano S. et et Marfouk A ., Éducation, gender and international migration : insights from a panel-dataset 1980-2010, mimeo, 2013.

21

() Courriel adressé au Rapporteur.

22

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

23

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

24

() Sources : Ministère des Affaires étrangères.

25

() Comme l’a expliqué M. Christophe Bouchard, directeur des Français de l’étranger et de l’administration consulaire : « en 2013, nous avons enregistré environ 257 000 inscriptions sur le registre des Français établis hors de France et environ 225 000 radiations. Pour être plus précis, les inscriptions constatées se répartissent entre 107 000 inscriptions nouvelles (de personnes s’expatriant, ou déjà expatriées, éprouvant le besoin de s’inscrire) et 150 000 inscriptions qui sont le fait d’expatriés ayant changé de pays. Ces 150 000 inscriptions se sont traduites par autant de radiations, ce qui ramène le chiffre des radiations réelles à 75 000. Dès lors, le solde positif n’est plus que de 32 000 environ. » (audition du 23 juillet 2014).

26

() Ainsi, la rupture de tendance observée en 2011 s’explique vraisemblablement par la perspective des élections présidentielles et législatives de 2012, d’où la forte croissance constatée en 2011 et l’atténuation de cette progression en 2012. L’année 2013 était aussi une année pré-électorale avec l’organisation en 2014 des élections de représentants des Français de l’étranger et les élections européennes.

27

() Le dispositif national est passé d’une immatriculation à l’inscription en 2004.

28

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

29

() Audition du 7 mai 2014.

30

() Directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (audition du 24 juillet 2014).

31

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

32

() « Resserrer les liens avec les diasporas. Panorama des compétences des migrants » OCDE, 2012.

33

() Cf. présentation de M. Jean-Christophe Dumont lors de son audition le 4 juin 2014.

34

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

35

() À comparer à ses voisins, le Royaume-Uni (20 000 étudiants à l’étranger en 2009, 40 000 en 2011), l’Allemagne (67 000 en 2009, 130 000 en 2011) ou aux pays présentant les plus gros contingents : la Chine (448 000 en 2009), l’Inde (180 000) et la Corée (119 000).

36

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

37

() La Maison des Français de l’étranger soulignait la surreprésentation des salariés de sexe masculin, à haut niveau de qualification, comme la sous-représentation d’une population implantée localement plus durablement, notamment binationale.

38

() Ces chiffres retraçant une variation de stock sur dix ans, il s’agit d’une certaine manière de flux nets, puisque cela tient compte des départs et des éventuels retours.

39

() « Y a-t-il un exode des qualifiés français ? » LIEPP, mars 2014 (audition du 13 mai 2014).

40

() Audition du 13 mai 2014.

41

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

42

() Solde des immigrés des pays européens et membres de l’OCDE en France – les émigrés français dans les pays européens membres de l’OCDE pour les diplômés du supérieur.

43

() Co-directeur et chercheur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (audition du 13 mai 2014).

44

() « Les Français à l’étranger. L’expatriation des Français, quelle réalité ? », mars 2014.

45

() Audition du 4 juin 2014.

46

() Audition du 13 mai 2014.

47

() Audition du 7 mai 2014.

48

() Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques : rapport de MM. Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, « L’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes » (n° 1613, décembre 2013).

49

() Vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

50

() Pour plus d’information : « La démocratisation d’Erasmus : bilan et perspectives », rapport de Mme Sandrine Doucet au nom de la commission des Affaires européennes (n° 1840, mars 2014).

51

() Audition du 27 mai 2014.

52

() Audition du 20 mai 2014.

53

() Président de la commission Développement et partenariat de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Audition du 20 mai 2014).

54

() Audition du 22 mai 2014.

55

() Audition du 3 juin 2014.

56

() Directrice générale adjointe de Campus France (audition du 3 juin 2014).

57

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

58

() Audition du 7 mai 2014.

59

() Directrice générale adjointe de Campus France (audition du 3 juin 2014).

60

() Présidente de la Commission Développements et partenariat de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) (audition du 20 mai 2014).

61

() Audition du 22 mai 2014.

62

() Directrice générale adjointe de Campus France (audition du 3 juin 2014).

63

() Présidente de la commission Développement et partenariats de la Conférence des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs (audition du 20 mai 2014)

64

() Directrice générale adjointe de Campus France (audition du 3 juin 2014).

(65

) Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

66

() Audition du 7 mai 2014.

67

() Audition du 24 juin 2014.

68

() Audition du 3 juillet 2014.

69

() Audition du 20 mai 2014.

70

() Audition du 27 mai 2014.

71

() Directeur des politiques économiques à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île de France (audition du 7 mai 2014).

72

() Audition du 13 mai 2014.

73

() Audition du 22 mai 2014.

74

() Audition du 18 juin 2014.

75

() La CGE est une association de grandes écoles d’ingénieurs, de management et de haut enseignement multiple ou spécifique, délivrant un diplôme national sanctionnant au moins cinq années d’études après le baccalauréat.

76

() Audition du 22 mai 2014.

77

() Directeur général d’HEC Paris (audition du 22 mai 2014).

78

() Président de l’Association des ingénieurs et scientifiques de France (audition du 22 mai 2014).

79

() Audition du 4 juin 2014.

80

() Audition du 23 juillet 2014.

81

() Audition du 3 juillet 2014.

82

() Audition du 3 juillet 2014.

83

() Audition du 24 juin 2014.

84

() Audition du 9 juillet 2014.

85

() Audition du 3 juillet 2014.

86

() Audition du 7 mai 2014.

87

() Directeur des politiques économiques à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île de France (audition du 7 mai 2014).

88

() Audition du 3 juillet 2014.

89

() Directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte (audition du 13 mai 2014).

90

() Doctorant en sociologie (audition du 24 juin 2014).

91

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

92

() Directeur des Français de l’étranger et de l’administration consulaire (audition du 23 juillet 2014).

93

() Directeur des politiques économiques à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île de France (audition du 7 mai 2014).

94

() Vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

95

() Président de l’Association des ingénieurs et scientifiques de France (audition du 22 mai 2014).

96

() Audition du 18 juin 2014.

97

() Vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

98

() Doctorant en sociologie (audition du 24 juin 2014).

99

() Directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte (audition du 13 mai 2014).

100

() Audition du 2 juillet 2014.

101

() Emigration from the UK, Second edition ; Research Report 68, November 2012, Rosemary Murray, David Harding, Timothy Angus, Rebecca Gillepsie et Harsimran Arora.

102

() Cette cotisation est retenue lorsque le montant brut de tous les avantages français de retraite est inférieur à 21 143 euros.

103

() La retenue prélevée au taux de 12 % est libératoire de l’impôt sur le revenu. La fraction de la pension qui a été soumise à la retenue à la source au taux de 20 % est imposée au barème progressif, avec les autres revenus de source française du foyer fiscal, mais dans les conditions prévues par l’article 197 A du code général des impôts, avec application d’un taux minimal de 20 %. La retenue prélevée au taux de 20 % est imputable sur le montant de l’impôt ainsi déterminé.

104

() Á noter que le séjour professionnel reste la caractéristique majeure du séjour pour près d’un quart d’entre eux (24,7 %), ce qui confirme le niveau élevé d’activité chez les seniors établis à l’étranger.

105

() Audition du 2 juillet 2014.

106

() Président de Delocalia (audition du 2 juillet 2014).

107

() Toutefois, ces dividendes, intérêts et plus-values ont été, dans le cadre de la loi de finances pour 2011, imposés à hauteur de 10 % à compter de certains seuils.

108

() Président de Delocalia (audition du 2 juillet 2014).

109

() Même si un texte récent, non encore publié, prévoit l’application d’un délai de trois mois applicable aux décisions du gouverneur.

110

() Toutefois, en Thaïlande, les règles ont été assouplies en 2013, les étrangers ont maintenant accès à la pleine propriété pour l’achat en condominium.

111

() 0 % entre 0 et 30 000 dirhams, 10 % entre 30 001 et 50 000 dirhams, 20 % entre 50 001 et 60 000 dirhams, 30 % entre 60 001 et 80 000 dirhams, 34 % entre 80 001 et 180 000 dirhams, et 38 % au-delà de 180 000 dirhams – sachant qu’un euro équivaut à environ 11 dirhams.

112

() Ces activités dites « à haute valeur ajoutée » sont définies par le décret du 7 janvier 2010, dont l’interprétation est assez extensive : il inclut notamment les architectes, ingénieurs, artistes, sculpteurs, acteurs, musiciens,peintres, auditeurs et conseils fiscaux, médecins, dentistes, professeurs universitaires, archéologues, biologistes, professions libérales, cadres supérieurs, etc.

113

() Á noter que les autres catégories de revenus de source portugaise perçus par les résidents non habituels sont imposées selon les règles de droit commun applicables aux résidents ordinaires, avec un taux marginal de 46,5 %.

114

() Président de Délocalia (audition du 2 juillet 2014).

115

() Président de la commission Fiscalité patrimoniale de l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) (audition du 11 juin 2014).

116

() Avocate (audition du 25 juin 2014).

117

() Audition du 17 juillet 2014.

118

() L’audition a eu lieu le 11 juin 2014.

119

() Les immeubles situés en France et détenus en direct se voyaient appliquer des droits de succession français. Néanmoins, la convention permettait notamment une optimisation de ces droits de succession français sur les parts de société civile immobilière, qui étaient considérées comme des biens meubles dont l'imposition était exclusivement attribuée à l'État de résidence du défunt.

120

() « L’expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises », rapport d’information de MM. Denis Badré et André Ferrand, fait au nom de la mission commune d’information, n° 386 (2000-2001), 14 juin 2001.

121

() Commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, rapport de M. Éric BOCQUET, fait au nom de la commission d'enquête sur l’évasion des capitaux, n° 673, (2011-2012) – 17 juillet 2012.

122

() Avocate (audition du 25 juin 2014).

123

() Chef du service de la gestion fiscale (audition du 16 juillet 2014).

124

() En application du dernier alinéa de l’article 885 A du code général des impôts, aux termes desquels les biens professionnels définis aux articles 885 N à 885er ne sont pas pris en compte pour l’assiette de l’ISF.

125

() Les retours de ces mêmes redevables sont suivis quant à eux depuis 2006.

126

() Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

127

() L’article 25 de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 a fixé le délai du dépôt de ce rapport annuel au 30 septembre.

128

() Loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.

129

() Ce seuil avait été durci en loi de finances rectificative de décembre 2011, puisque avant cette date, seules les participations dans une même société d’une valeur supérieure à 1,3 million d’euros étaient visées.

130

() Il convient de noter que nos collègues Hervé Mariton et Marie-Christine Dalloz avaient déposé un amendement en ce sens sur le projet de loi de finances pour 2014.

131

() « Quelques éléments sur l’exil fiscal et l’expatriation, leurs conséquences sur l’emploi ; nécessité de création d’une commission d’enquête » ; étude de la commission Fiscalité de la Fondation Concorde, sous la direction de MM. Philippe Ansel et Michel Rousseau, mars 2013.

132

() « Trop d’émigrés ? Regards sur ceux qui partent de France », Julien Gonzalez pour Fondapol, mai 2014.

133

() « Fiscalité : pourquoi et comment un pays sans riches est un pays pauvre », note de M. Bertrand Jacquillat pour la Fondation pour l’innovation politique, octobre 2012.

134

() Revenus fonciers issus d’immeubles sis en France ; revenus de valeurs mobilières françaises et de tous les autres capitaux mobiliers placés en France ;  revenus d’exploitations sises en France ; revenus tirés d’activités professionnelles réalisées en France ; plus-values immobilières et mobilières liées à des biens situés en France ou des droits, titres et parts d’entreprises dont le siège social ou la majorité de l’actif sont situés en France ; pensions et rentes viagères ; sommes correspondant à des prestations artistiques ou sportives fournies ou utilisées en France.

135

() Audition du 7 mai 2014.

136

() Audition du 8 juillet 2014.

137

() Audition du 25 juin 2014.

138

() Audition du 11 juin 2014.

139

() Audition du 11 juin 2014.

140

() Audition du 18 septembre 2014.

141

() Audition du 16 juillet 2014.

142

() Audition du 9 juillet 2014.

143

() Audition du 25 juin 2014.

144

() Audition du 8 juillet 2014.

145

() Directeur général de la concurrence, de l’industrie et des services (DGCIS) (audition du 8 juillet 2014).

146

() Audition du 10 juillet 2014.

147

() Audition du 18 juin 2014.

148

() Lorsqu’elles présentent un caractère spéculatif (nature des titres, durée de détention), elles sont imposables au taux de 33 %.

149

() « Le système fiscal suisse », Conférence suisse des impôts, commission information ; édition 2013.

150

() De même que les ressortissants suisses qui, pour la première fois ou après une absence d’au moins dix ans, s’installent ou séjournent en Suisse.

151

() Parmi ces adaptations, la dépense universelle doit équivaloir au moins au septuple des frais de logement ; l’introduction d’un seuil de 400 000 francs suisses est prévue pour l’impôt fédéral direct, et un montant minimal doit en outre être défini par les cantons, chaque canton disposant pour ce faire d’une entière liberté. Pour pouvoir prétendre à l’imposition d’après la dépense, les deux époux (et non uniquement l’un d’entre eux) doivent remplir l’ensemble des conditions requises. Enfin, pour les personnes qui étaient imposées d’après la dépense au moment de l’entrée en vigueur de la réforme, l’ancien droit continue de s’appliquer durant cinq ans.

152

() « Sens et limites de la comparaison des taux de prélèvements obligatoires entre pays développés », Conseil des prélèvements obligatoires, mars 2008.

153

() Audition du 13 mai 2014.

154

() Audition du 3 juillet 2014.

155

() De, plus s’ajoutent des centimes additionnels perçus à un taux variable, généralement compris entre 6 et 8 % de l’impôt dû, et prélevés au profit des communes et des agglomérations.

156

() Chaque contribuable résident en Allemagne bénéficie d’un abattement de base correspondant au revenu minimum non imposable. Pour les revenus de 2014, cet abattement est de 8 354 euros pour une personne seule, le double pour un couple marié ou ayant conclu un partenariat de vie et faisant le choix d’être imposé conjointement.

157

() Audition du 23 juillet 2014.

158

() Le contribuable a été résident fiscal en Allemagne pendant au moins cinq ans au cours des dix années précédant le départ à l’étranger, il doit maintenir des liens économiques significatifs avec l’Allemagne et il doit avoir sa résidence fiscale dans un État ou territoire à fiscalité privilégiée ou ne pas avoir de résidence fixe dans un État déterminé. Lorsque ces trois conditions sont remplies, une des trois conditions suivantes doit l’être de surcroît : le contribuable doit être propriétaire d’une entreprise individuelle ou détenir une participation d’au moins 1 % dans une société de capitaux allemande ; la fraction du revenu annuel du contribuable qui ne constituerait pas un revenu de source étrangère s’il était perçu par un résident d’Allemagne, doit excéder 30 % de son revenu global ou 62 000 euros ; la fraction de la fortune nette du contribuable, au début de l’année fiscale dont les revenus ne seraient pas considérés comme étant de source étrangère s’ils étaient perçus par un résident d’Allemagne, doit excéder 30 % de la valeur de sa fortune globale ou 154 000 euros.

159

() Président de la commission Fiscalité patrimoniale de l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) (audition du 11 juin 2014).

160

() « Toujours plus d'inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent », 2012, OCDE.

161

() « Focus on top incomes and taxation in OECD countries : was the crisis a game changer ? », OCDE, mai 2014 : http://www.oecd.org/social/OECD2014-FocusOnTopIncomes.pdf

162

() Avocate (audition du 25 juin 2014).

163

() Directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS)(audition du 8 juillet 2014).

164

() Les dirigeants d'entreprises individuelles ou de sociétés autres que de gestion patrimoniale qui envisagent de faire donation de tout ou partie de l'entreprise ou des titres qu'ils possèdent sont autorisés à consulter l'administration sur la valeur vénale de ces biens. L'administration doit répondre dans les six mois de la réception de la demande (ou des compléments d'information éventuellement demandés), qui doit comprendre le projet d'acte de donation et une proposition d'évaluation. Si la donation intervient dans les trois mois de la réponse de l'administration, l'évaluation retenue ne pourra plus être remise en cause : c’est la procédure dite de « rescrit-valeur ».

165

() Conseil d’État, Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, La Documentation française, mars 2014.

166

() Il s’agit du rescrit dit « mécénat », qui permet aux associations et fondations de s’assurer qu’ils relèvent de l’une des catégories mentionnées aux articles 200 et 238 bis du code général des impôts pour le bénéfice de la réduction d’impôt réservée à leurs donateurs. Le silence gardé par l’administration pendant six mois sur leur demande interdit l’application des amendes prévues par l’article 1740 A du code général des impôts en cas de délivrance de certificats indus.

167

() Directeur générale des finances publiques (DGFiP)(audition du 16 juillet 2014)

168

() Directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS)(audition du 8 juillet 2014).

169

() Audition du 23 juillet 2014.

170

() Audition du 18 juin 2014.

171

() Directeur général de l’AFII, auditionné le 9 juillet 2014.

172

() Global Investments Trends Monitor, janvier 2014.

173

() World Investment Prospects Survey (WIPS), 2012-2014.

174

() 3 000 anciens élèves de l’INSEAD, devenus acteurs économiques, sont interrogés par cette enquête.

175

() Audition du 9 juillet 2014.

176

() Les divergences de résultats entre l’enquête d’E&Y et le rapport de l’AFII s’expliquent par une différence de périmètre. La tendance est néanmoins identique.

177

() Audition du 11 juin 2014.

178

() Audition du 9 juillet 2014.

179

() Audition du 5 juillet 2014.

180

() Vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France (audition du 5 juillet 2014).

181

() Audition du 18 juin 2014.

182

() Senior vice-président de OVH.com (audition du 10 juillet 2014).

183

() Audition du 16 juillet 2014.

184

() Secrétaire général du groupe Total (audition du 9 juillet 2014).

185

() Audition du 23 juillet 2014.

186

() La Croix, 26 septembre 2014.

187

() Directeur général de l’AFII (audition du 9 juillet 2014).

188

() Audition du 23 juillet 2014.

189

() Senior vice-président de OVH.com (audition du 10 juillet 2014).

190

() Directeur général de l’AFII (audition du 9 juillet 2014).

191

() Président des Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (audition du 16 juillet 2014)

192

() Cour des comptes, Les relations de l'administration fiscale avec les particuliers et les entreprises (rapport public thématique du 21 février 2012).

193

() Le Monde du 18 septembre 2014.

194

() L’article 29 du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance en ce sens.

195

() Directeur général de la concurrence, de l’industrie et des services (DGCIS)(audition du 8 juillet 2014).

196

() Décision n° 97-391 du 7 novembre 1997 du Conseil constitutionnel : « il est loisible au législateur d'adopter des dispositions fiscales rétroactives dès lors qu'il ne prive pas de garantie légale des exigences constitutionnelles ».

197

() La petite rétroactivité est une création jurisprudentielle du Conseil d'État, qui est la conséquence de la détermination du fait générateur de l'impôt. La loi de finances de fin d'année étant publiée au plus tard à cette date, elle entre en vigueur au moment où survient le fait générateur de l'impôt et régit l'établissement de l'impôt au titre de revenus réalisés pendant l'année qui a précédé cette entrée en vigueur. Le Conseil constitutionnel a estimé, notamment dans sa décision sur la loi de finances pour 2013, que cette « petite rétroactivité » est inhérente à des impositions acquittées en année n+1 sur des revenus ou des produits réalisés en année n. Par suite, il a jugé que la modification, en fin d'année 2012, des règles applicables aux impôts qui seront dus en 2013 au titre de l'année 2012, ne portait pas atteinte à des situations légalement acquises.

198

() Président-directeur général de Scality (audition du 23 juillet 2014).

199

() Directeur de la mission French Tech (audition du 23 juillet 2014).

200

() Cf. OCDE, Resserrer les liens avec les diasporas. Panorama des compétences des migrants, 2012.

201

() Audition du 24 juin 2014.

202

() Audition du 23 juillet 2014.

203

() Audition du 13 mai 2014.

204

() Audition du 20 mai 2014.

205

() Audition du 7 mai 2014.

206

() Audition du 22 mai 2014.

207

() Audition du 4 juin 2014.

208

() Vice-Président de la CCI de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

209

() Directeur des Français de l’étranger et de l’administration consulaire (audition du 23 juillet 2014).

210

() Pour une analyse de ces divers dispositifs : le rapport spécial « Économie-Commerce extérieur » au projet de loi de finances pour 2014 (Mme Monique Rabin, novembre 2013), le rapport de la mission d’évaluation sur l’efficacité du dispositif d’appui à l’internationalisation de l’économie française remis au Gouvernement le 26 juin 2013 et le relevé de décisions du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP) du 17 juillet 2013.

211

() Directeur des Français de l’étranger et de l’administration consulaire (audition du 23 juillet 2014).

212

() Cf. Le Monde, Le villa gaulois « high-tech », 10 septembre 2014.

213

() Vice-Président de la CCI de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

214

() Directeur des politiques économiques de la CCI de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

215

() Président de l’association Ingénieurs et scientifiques de France (audition du 22 mai 2014).

216

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

217

() Directeur des Français de l’étranger et de l’administration consulaire (audition du 23 juillet 2014).

218

() Pour une analyse de ces difficultés, consulter le rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale sur l’enseignement français à l’étranger, MM. Jean-François Mancel, André Schneider et Hervé Féron, n°2693, 30 juin 2010.

219

() Audition du 24 juin 2014.

220

() Vice-Président de la CCI de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

221

() Audition du 16 juillet 2014.

222

() Vice-Président de la CCI de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

223

() Directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (audition du 23 juillet 2014).

224

() Président de l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (UCCIFE) (audition du 16 juillet 2014)

225

() Président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles (audition du 22 mai 2014).

226

() Président de l'Association des ingénieurs et scientifiques de France (audition du 22 mai 2014).

227

() « Les Français à l’étranger. L’expatriation des Français, quelle réalité ? » (mars 2014)

228

() Président de l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (UCCIFE (audition du 16 juillet 2014).

229

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

230

() Vice-Président de la CCI de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

231

() Audition du 24 juin 2014.

232

() Vice-Président de la CCI de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

233

() Audition du 24 juin 2014.

234

() Co-directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) (audition du 13 mai 2014).

235

() Audition du 24 juin 2014.

236

() Directeur des politiques économiques de la CCI de Paris-Île-de-France (audition du 7 mai 2014).

237

() Président de l'Association des ingénieurs et scientifiques de France (audition du 22 mai 2014).

238

() Audition du 24 juin 2014.

239

() Chef de la division des migrations internationales de l’OCDE (audition du 4 juin 2014).

240

() Audition du 24 septembre 2014.

241

Lors de la troisième séance du 24 juin 2014, dans le cadre de la discussion de mon amendement n° 17 , le Secrétaire d’Etat au budget, M. Christian Eckert avait déclaré : « Ce que je peux vous proposer, monsieur Lefebvre, en accord avec les membres de la commission des finances, la rapporteure générale et le président, c’est de constituer un groupe de travail avec vos collègues députés des Français de l’étranger, ce qui nous permettra, d’ici à la loi de finances, d’aboutir à une solution satisfaisante. http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140247.asp#P261773 .

242

Lors de la deuxième séance du 21 janvier 2014, la Ministre du Droit des femmes avait en effet indiqué après mon intervention que dans le cadre de l’expérimentation du nouveau mécanisme de recouvrement des pensions, le gouvernement mettrait « progressivement en place en France une CAF spécialisée dans le contentieux des débiteurs défaillants à l’étranger ». http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140138.asp#P171406

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